Les jeunes musulmans plébiscitent un modèle libéral de laïcité.

« Les nouvelles générations musulmanes intensifient leur rapport à leur religion, mais cette dynamique s’observe aussi dans le catholicisme et le judaïsme »

Tribune

L’historien Charles Mercier et le politiste Philippe Portier reviennent, dans une tribune au « Monde », sur les résultats du sondage IFOP paru le 18 novembre, consacré au rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans français.

Publié le 28 novembre 2025 à 18h00, modifié hier à 02h39  Temps de Lecture 3 min. Read in English

Le sondage de l’IFOP sur « le rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France », publié le 18 novembre, a suscité, comme à chaque fois que ce genre d’enquête est divulgué, un flot de réactions déplorant un mouvement de radicalisation et d’islamisation des musulmans vivant en France, et l’impression d’un naufrage des valeurs républicaines.

Au sein de cette population qui se déclare affiliée à l’islam et qui représente 7 % des personnes vivant sur le sol métropolitain, les jeunes concentrent les inquiétudes, tant ils semblent gagnés par le rigorisme et le séparatisme culturel et politique.

L’interprétation des données du sondage n’est pourtant pas si aisée, et le risque d’extrapolation est vite venu.

Concernant la proximité idéologique avec les islamistes, la question posée était : « Vous-même, quelle est votre opinion sur les islamistes ? Diriez-vous que vous approuvez : (1) la plupart de leurs positions, (2) seulement quelques-unes de leurs positions ou que (3) vous désapprouvez l’ensemble de leurs positions. »

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Dans la diapositive qui présente les résultats, les 38 % des musulmans – 42 % des 15-24 ans – ayant sélectionné les réponses 1 et 2 sont regroupés sous la catégorie englobante « approuvent au moins quelques-unes des positions des islamistes », sans que soit explicitement mentionné que 34 % ont choisi la deuxième réponse, qui est restrictive, et 8 % la première réponse qui est, elle, extensive. Le fait que 62 % des enquêtés désapprouvent l’ensemble des positions islamistes et que 92 % désapprouvent presque toutes les positions islamistes est passé sous silence.

Des conceptions exclusivistes

La lecture attentive de ce sondage et sa confrontation avec d’autres enquêtes amènent à dresser un tableau plus nuancé du rapport des musulmans, et notamment des plus jeunes d’entre eux, à l’islam et à la laïcité.

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Certes, les nouvelles générations musulmanes intensifient leur rapport à leur religion, et privilégient ses formes les plus « orthopraxes » et les plus orthodoxes, mais ces dynamiques s’observent aussi dans le catholicisme et le judaïsme, même si le curseur n’est pas placé au même endroit.

Les jeunes musulmans adoptent des conceptions exclusivistes de leur religion, vue comme la seule « à être vraie, même si d’autres peuvent contenir des éléments de vérité », à rebours du reste de la société française, qui se situe massivement dans un cadre relativiste – « il n’y a pas de vraie religion, car toutes les religions contiennent des vérités ».

Cela peut les conduire à considérer que, dans le conflit des magistères, la foi l’emporte sur la science, comme l’indique par exemple le sondage IFOP pour Elmanya.TV de décembre 2023. Cela peut aussi les amener à faire prévaloir, dans leur for intérieur, leurs convictions religieuses sur les lois civiles. De cette extension du territoire du « halal », on ne peut cependant pas déduire que l’islam des jeunes est de type absolutiste.

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La très grande majorité d’entre eux condamnent les attentats commis au nom de la religion : si l’on prend l’exemple de l’assassinat de Samuel Paty en 2020, le pourcentage de ceux qui le réprouvent atteint 86 % de l’ensemble des 18-30 ans. Il est de 82 % chez les jeunes musulmans, un taux moindre que chez les jeunes catholiques (94 %) et les sans-religion (84 %), mais supérieur à celui des adeptes des autres religions (72 %), comme le révélait le sondage IFOP pour Marianne de septembre 2021.

Droit de rompre avec l’islam

Il faut par ailleurs souligner que, sauf exceptions, la jeunesse musulmane entend bien se placer sous le régime de la laïcité démocratique, en acceptant de vivre dans un environnement pluraliste, dans lequel l’Etat, neutre, garantit l’égalité entre les citoyens, et surtout leur autonomie convictionnelle.

Les 18-30 ans musulmans sont plus attachés que la moyenne des Français à définir la laïcité comme un principe permettant d’assurer la liberté de conscience, selon le sondage IFOP de décembre 2023.

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Dans celui de novembre 2025, il est frappant de voir la progression de la reconnaissance du droit de rompre avec l’islam chez l’ensemble des musulmans – 73 % en 2025, contre 44 % en 1989 – et chez les moins de 35 ans – 74 %, contre 50 %. Malgré des nuances, les jeunes musulmans plébiscitent, comme nous avons pu le constater en les écoutant dans le cadre d’entretiens semi-directifs, un modèle libéral de laïcité dans lequel l’Etat ne s’immisce pas dans les choix privés des individus, notamment sur le plan des signes religieux.

Le fait que l’intensification religieuse puisse aller de pair avec une appropriation des valeurs de l’autonomie libérale peut sembler contre-intuitif, mais il correspond à ce que l’on peut observer dans la rue, où il n’est pas rare qu’un voile très couvrant coexiste avec le crop top. Chacun peut « extravertir » sa conviction, à condition de respecter celle d’autrui.

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C’est dans cette perspective d’individuation que nous semblent se situer les jeunes musulmans français, qui ne sont pas si éloignés qu’on le dit de leurs compatriotes. A l’approche de la célébration des 120 ans de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, on ne peut que souhaiter que la question complexe des rapports entre religion, politique et société fasse l’objet d’approches fondées sur l’étude rationnelle des faits.

Charles Mercier est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bordeaux ; Philippe Portier est directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE). Ils sont les coauteurs des « Jeunes et leur laïcité » (Presses de Sciences Po, 290 pages, 16 euros).

Voir aussi:

*https://environnementsantepolitique.fr/2025/11/22/une-etat-des-lieux-inquietant-sur-les-jeunes-musulmans-en-france/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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