L’arrivée des bénédictins du Barroux , moines ultra conservateurs fait frémir les fidèles le l’abbaye trappiste de Belle-Fontaine (Maine et Loire).

« Avec ceux qui arrivent ici, c’est le jour et la nuit » : en Anjou, des moines traditionalistes remplacent des trappistes

Les treize moines trappistes de l’abbaye de Bellefontaine, dans le Maine-et-Loire, vont devoir laisser la place à la communauté bénédictine ultraconservatrice du Barroux. Un crève-cœur pour les fidèles. 

Par Yves Tréca-Durand (Angers, correspondant)Publié le 25 novembre 2025 à 05h00, modifié le 25 novembre 2025 à 10h04 https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/11/25/en-anjou-des-moines-traditionalistes-remplacent-des-trappistes-il-y-a-ici-un-esprit-de-tolerance-qu-on-ne-trouve-pas-ailleurs-les-prochains-je-n-ai-meme-pas-envie-de-les-voir_6654699_4500055.html?lmd_medium=email&lmd_campaign=trf_newsletters_lmfr&lmd_creation=m-le-mag&lmd_send_date=20251130&lmd_email_link=m-le-mag-articles-semaines_titre_5&M_BT=53496897516380

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Frère Benjamin, 101 ans, le 13 novembre, à Bellefontaine, lors du goûter d’adieu de la communauté.
Frère Benjamin, 101 ans, le 13 novembre, à Bellefontaine, lors du goûter d’adieu de la communauté. JOSSELIN CLAIR /LE COURRIER DE L’OUEST)/MAXPPP

Une frêle silhouette s’avance à petits pas au milieu des fidèles dans sa robe ivoire recouverte d’un scapulaire noir. « Frère Benjamin, par ici ! » Le doyen de l’abbaye de Bellefontaine – 101 ans – est un phénomène. Ce jeudi 13 novembre, des centaines de fidèles sont venus à l’abbaye pour un goûter d’adieu aux moines cisterciens, présents depuis deux cent neuf ans à Bellefontaine.

Tous veulent saluer le plus ancien d’entre eux, serrer sa main décharnée pour lui dire leur affection. Il vit ici depuis soixante-quatorze ans et pensait y finir ses jours. Mais l’ancien économe, comme ses 12 condisciples, doit faire place nette.

L’ordre est venu de Rome. L’abbé général de l’ordre cistercien de la stricte observance (communément appelé les trappistes), dom Bernardus Peeters, a tranché. Au printemps 2026, 12 émissaires de la communauté du Barroux, dans le Vaucluse, investiront les lieux. Officiellement, c’est la crise des vocations et la difficulté pour ces vieillards d’entretenir un ensemble immobilier important et 120 hectares de terres qui justifient ce choix radical. Officieusement, le retrait des trappistes aurait été précipité pour des raisons financières après que la communauté a été victime d’une escroquerie.

Commando anti-IVG et Xavier Dupont de Ligonnès

Dans la commune de Bégrolles-en-Mauges, 2 200 habitants, située au cœur d’une région vallonnée et quadrillée de haies bocagères, l’abbaye de Bellefontaine est un phare qui porte loin. On y vient pour des retraites spirituelles, les offices ou simplement la boutique. « C’est la plus grande surface commerciale de la commune ! », s’amuse le maire, Pierre-Marie Cailleau, 68 ans. On y trouve des ouvrages et objets religieux, des pâtes de fruits ainsi que des jus de pomme et de kiwi produits par les moines.

L’arrivée des bénédictins du Barroux fait frémir les fidèles. Cette abbaye a été fondée en 1970 par le catholique intégriste dom Gérard Calvet (1927-2008), un proche de monseigneur Lefebvre, qui refusait le concile Vatican II et a provoqué dans les années 1980 un schisme en fondant la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Dom Calvet s’est notamment illustré au sein d’un commando anti-IVG devant une clinique de Grenoble, en octobre 1994, ou en recevant à bras ouverts les cadres du Front national, dont son ancien président Jean-Marie Le Pen.

C’est enfin entre les murs de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux que les enquêteurs ont cru retrouver Xavier Dupont de Ligonnès en 2011. Les 13 derniers moines de Bellefontaine, dont la moyenne d’âge dépasse les 80 ans, ont eu du mal à accepter ce choix, qu’ils jugent éloigné de leurs convictions.

« C’est le jour et la nuit »

« Quand on regarde l’histoire de Bellefontaine, on voit qu’il y a eu des bénédictins, des feuillants, des mauristes. C’est un nouveau changement, pas celui que j’aurais souhaité, mais, bon, c’est comme ça », lâche dom Jean-Marc, qui a guidé la communauté de Bellefontaine pendant vingt ans. Marie-Juliette (qui ne souhaite pas donner son nom de famille), 79 ans, regrette : « Il y a ici un esprit de tolérance qu’on ne trouve pas ailleurs. Je suis une affreuse mécréante, mais j’adorais venir ici, ça faisait du bien. Les prochains, je n’ai même pas envie de les voir. »

Les membres de l’association Tibhirine Nantes s’inquiètent, eux aussi. Parmi les sept moines assassinés en Algérie en mai 1996, trois avaient fait leur noviciat à l’abbaye de Bellefontaine : les frères Michel Fleury, Bruno Lemarchand et Célestin Ringeard. Un mémorial y a été dressé pour faire vivre leur esprit de dialogue.

Jean-Luc Frémon, le président de l’association, s’étrangle. « Avec ceux qui arrivent ici, c’est le jour et la nuit. On a de la peine à comprendre que l’évêque d’Angers ait accepté. » Monseigneur Emmanuel Delmas discute un peu plus loin, sous les frondaisons. Interrogé à ce sujet, il rétorque : « Quand une communauté s’en va, c’est toujours une bonne nouvelle qu’elle soit remplacée par une communauté qui naît. C’est cela qu’il faut retenir. » Aux fidèles qui craignent des messes en latin, dos à l’assemblée, et des portes qui se ferment en dehors des offices, l’évêque assure qu’il est « confiant ». « Ils vont apporter leur propre originalité. Il faut accepter cette plongée dans l’inconnu, c’est une plongée maîtrisée. »

« Les temps ont changé »

Au Courrier de l’Ouest, en octobre (il n’a pas donné suite aux sollicitations de M Le magazine du Monde), le père abbé de l’abbaye du Barroux, dom Louis-Marie, racontait ainsi son entrevue avec l’évêque : « J’ai été invité au conseil presbytéral d’Angers, à qui j’ai dit que s’ils refusaient notre venue dans le diocèse, je ne leur en voudrais point. Ils ont voté positivement. » Le bénédictin ajoutait : « Les moines trappistes nous connaissent bien. Ils n’ont pas cette image caricaturale que peuvent avoir certains médias. »

Pour le maire sans étiquette de Bégrolles-en-Mauges, il n’y a pas d’états d’âme à avoir. « Si personne ne venait les remplacer, on aurait eu une abbaye en ruine dans vingt ans et tout le monde aurait été malheureux. » Frère Samuel (72 ans), chargé d’organiser le départ des moines, abonde : « Nous devons reconnaître que les temps ont changé et que le manque de nouvelles vocations nous a obligés à prendre des mesures que beaucoup d’entre nous auraient préféré éviter. »

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Il sera l’un des derniers à rester à l’abbaye jusqu’à l’arrivée des bénédictins. Quant au doyen, frère Benjamin, il va rejoindre, avec six de ses frères, la maison de retraite des sœurs de la congrégation de Sainte-Marie de Torfou, distante de 20 kilomètres. Aux fidèles qui tentent de sonder son âme, il répond, avec un petit sourire : « Il va rester un côté spirituel à l’abbaye. C’est un soulagement. Mais c’est le seul côté positif. »

Yves Tréca-Durand (Angers, correspondant)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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