Les centres municipaux de santé, derniers recours face à la pénurie de médecins
Pour remédier aux départs à la retraite de praticiens et aux déserts médicaux, de plus en plus de villes, y compris de droite, ont recours à la médecine publique.
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Accolé à la cité Maurice-Thorez, un bâtiment construit dans les mêmes briques rouges trône au milieu de l’esplanade du centre-ville d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Avec ses 1 350 mètres carrés rénovés en 2020, le centre municipal de santé (CMS) Fanny-Dewerpe joue dans la même cour que les structures privées qui ont fleuri dans toute la banlieue parisienne.De grandes baies vitrées éclairent un hall immense aux murs arrondis qui ouvre sur les couloirs des services, chacun avec sa couleur pastel : bleu, vert, jaune pour identifier la médecine générale, le secteur des psychologues, la kinésithérapie, le dentaire, les soins infirmiers, le laboratoire d’analyses, la gynécologie, etc. Partout, de petites salles d’attente calmes malgré l’affluence en ce mardi de la mi-novembre.
Patientant devant le cabinet d’une gynécologue, Samila Marrapodi, sexagénaire aux cheveux blonds bouclés, raconte qu’elle fréquente le centre depuis « toute petite » : « Au prix où sont les spécialistes, c’est précieux d’avoir le CMS à proximité avec tous les services sur place. Quand on doit faire un examen, le docteur est prévenu tout de suite. » Un peu plus loin, Catherine Renard, 67 ans, raconte, un livre sur les genoux, qu’elle a eu un accident vasculaire cérébral en 2020 :« Je n’avais pas de médecin traitant, j’ai cherché sur Internet et j’ai eu un rendez-vous tout de suite. On est vraiment bien reçu. »
Employés, étudiants, retraités, bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) ou de l’aide médicale de l’Etat, les 10 200 patients accueillis en 2024 par une trentaine de soignants sont pour la plupart issus des couches populaires de cette banlieue du sud de Paris. On vient ici pour soigner un diabète, faire vacciner son enfant, se faire poser un appareil dentaire ou suivre une séance de rééducation, le tout sans avance de frais ni dépassement d’honoraires.
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« On n’a pas la même patientèle que dans les cabinets libéraux, car on applique le tiers payant. Cela aide les gens à consulter », assure Aude Moglia, responsable du pôle médical. Une médecine de premier secours accessible à tous, assumée par la ville qui subventionne la structure à hauteur de 3 millions d’euros par an. Les tarifs sont votés annuellement par le conseil municipal, qui a construit les locaux et paye les personnels. « L’argent public permet de revenir au basique de l’accès aux soins qui semblait normal par le passé et l’est de moins en moins », déclare le maire communiste, Philippe Bouyssou.

Délivrer des soins pour tous
Les soignants, fonctionnaires territoriaux, semblent aussi avoir une pratique médicale moins stressante. Pas de journées sans fin comme à l’hôpital dues à la surcharge de malades ou comme dans la médecine de ville pour rentabiliser la mise de fonds dans un cabinet. Le salaire, fixé par la grille de la fonction publique − 6 800 euros brut pour un généraliste − est bien inférieur à celui du secteur libéral, mais le temps de travail hebdomadaire se limite à 35 heures. Un atout pour les soignants qui choisissent d’y travailler : « On peut s’organiser comme on veut et sans garde le week-end. Je ne dois pas faire 25 patients par jour comme dans le privé, et je peux leur consacrer du temps. Et puis on y travaille en équipe pluridisciplinaire, pas tout seul dans son silo », témoigne Garance Venail, une jeune kinésithérapeute récemment embauchée à Ivry-sur-Seine.
Comme de nombreuses communes de la ceinture rouge, la ville communiste a vu son centre de santé sortir de terre au début du XXe siècle. Appelés alors le plus souvent dispensaires, ces organismes prodiguaient les premiers secours et organisaient des campagnes sanitaires auprès de populations ouvrières pauvres.
Devenus centres de santé en 1991, leur objet a changé : il s’agit désormais de délivrer des soins pour tous dans des structures pluridisciplinaires à un moment où les soignants se raréfient et pratiquent une médecine de plus en plus chère. Ils ont également la charge de lancer des campagnes de prévention sur des sujets de plus en plus prégnants comme l’obésité, l’hygiène bucco-dentaire ou les addictions. Selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales, ils seraient autour de 116 en 2023 et représentent 5,1 % de l’offre de soins dispensés par des généralistes.


« Service public »
Mais depuis 2015, leur nombre croît sensiblement pour répondre aux déserts médicaux qui s’étendent. Les élus se sont rendu compte, notamment au moment de l’épidémie de Covid-19, qu’avec les centres de vaccination, les municipalités avaient un rôle à jouer. Les maires sont de plus en plus nombreux à ouvrir des maisons de santé avec des libéraux, mais aussi des centres gérés par la collectivité pour attirer des praticiens.
« Les élus locaux ont compris que la santé n’était plus du seul ressort de l’Etat. Que s’il n’y avait plus de docteur à des kilomètres, leur territoire se vidait et qu’ils pouvaient ne pas être réélus. Alors ils mettent en place un service public de dernière ligne », remarque Nadège Vezinat, sociologue du travail à l’université Paris-VIII et autrice de l’ouvrage Le Service public empêché (PUF, 2024).
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La carte des centres municipaux de santé s’est même étendue à des communes gérées par la droite dont les maires se sont convertis à la médecine publique pour faire face aux départs à la retraite massifs des praticiens, comme à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), La Roche-sur-Yon et Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée) ou Montélimar (Drôme). Dans cette dernière, le maire (Les Républicains), Julien Cornillet, en a ouvert un dans le centre-ville piétonnier, en novembre 2020. Il ne restait plus que 32 généralistes dans la ville alors que la population avait augmenté de 45 % en vingt ans. « Soit on acceptait de voir la qualité de vie baisser, soit on mettait 200 000 euros par an pour offrir des soins à tous les habitants », résume l’élu, insistant sur le fait que son centre municipal de santé « n’est pas un dispensaire » : « Il n’est pas réservé aux [bénéficiaires de la] CMU, mais est pour tous les Montilliens. »

Forte demande
Une devanture en bois clair identique à celle d’une boutique cossue, une petite salle d’attente et trois salles de consultation, la taille est modeste. Avec 2 927 patients accueillis par cinq généralistes (plus 1 624 reçus dans l’annexe ouverte en 2024), les chiffres le sont tout autant. Mais le soulagement de pouvoir venir s’y soigner est là aussi palpable. Saïd Chaib, conducteur routier, le dit sans ambages : « Quand on s’est installés avec ma femme en 2019, il n’y avait pas beaucoup de médecins. Au centre, quand on appelle, ils sont là. »
Le temps de consultation a été calibré à vingt minutes par le maire, pour qui la contrepartie du fonctionnariat doit être « l’efficience de service » : « On a établi un ratio parce que ce que coûte un médecin doit se voir en nombre de visites. » Il n’empêche, le temps d’attente s’allonge tant la demande est forte. « On a une demande de plus en plus importante à laquelle il est difficile de faire face. Il faut prendre les nouveaux au compte-gouttes », précise Françoise Payan, la cheffe de service.
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Le constat est identique dans tous les centres municipaux de santé. Il faut quinze jours à un mois pour obtenir un rendez-vous à Montélimar, un mois et demi à Ivry-sur-Seine. Si les généralistes sont plus enclins à travailler dans des structures publiques, les spécialistes, eux, continuent à préférer le secteur libéral.
A Ivry-sur-Seine, le centre municipal de santé n’a plus d’ORL ni de psychiatre. Et le service de radiologie a fermé : le praticien, arrivé il y a à peine an, est parti dans le nouveau centre privé ouvert en octobre.
« On arrive à attirer des jeunes en médecine générale mais pas en spécialité. Et la situation ne va pas s’améliorer »
, remarque Marianne Petit, médecin directrice du centre municipal de santé. La ville de Montélimar verra, elle, un nouveau projet privé ouvrir en juin 2026.
Sylvia Zappi (Montélimar [Drôme}, envoyée spéciale)
Commentaire Dr Jean SCHEFFER:
La lutte contre les inégalités de santé passe par la création de centres de santé publics ou municipaux avec médecins salariés et tiers payant.
Seulement, comme le montre cet article, il reste au moins deux problématiques:
-La première c’est le plus souvent l’absence de médecins spécialistes tout aussi indispensables que les généralistes: je veux parler de pédiatre, psychiatre, gynécologue…
-La deuxième, c’est la création de maisons de santé libérales ou privées intégrées dans des chaines de soins lucratives appartenant à de grands groupes (Ramsay…), qui reçoivent des fonds publics et qui ne s’installent pas obligatoirement là ou le besoin est le plus pressant. Dans tous ces lieux de soins primaires les dépassements d’honoraires sont de plus en plus fréquents et de plus en plus élevés.
C’est pour cette raison qu’il est indispensable de créer le « Clinicat Assistanat pour Tous », obligatoire de 2 à 3 ans en fin d’internat pour tous les futurs généralistes et spécialistes. A l’image de l’assistanat partagé entre CHU et CHG, ils seraient en fonction en partie dans un CHG/Hopital spécialisé/CMP/CMPP ou CHU et les reste du temps dans des centres de santé publics et tous les autres postes non pourvus quel que soit l’établissement et / ou la spécialité (PMI/Crèches – Médecine scolaire/Universitaire – Médecine du travail – Santé publique – Médecine pénitentiaire…) Voir: « Vision Globale -Solution globale »: https://1drv.ms/w/s!Amn0e5Q-5Qu_sAoKetf_T8OKk2Io?e=GfjeRj?e=4YzGt2
La cour des comptes dans un rapport récent* a dénoncé le gaspillage des fonds publics pour attirer les jeunes médecins dans les déserts médicaux, l’arrêt de toutes ces aides peut financer ce « Clinicat Assistanat pour Tous ».
*Les aides pour beaucoup inefficaces pour les installations des médecins passées au peigne fin par la cour des comptes. https://environnementsantepolitique.fr/2025/11/22/68938/