Mathieu Bellahsen propose dans ce texte la mise en contextualisation de la proposition de loi visant à étendre l’empire de la Fondation Fondamental en inscrivant les centres experts dans le code de santé public.
Il revient dans un premier temps sur les violences médicales et psychologiques, qui peuvent je cite : « se faire au nom de la psychanalyse, au nom de la médecine, au nom de la psychologie, au nom du bien des personnes. Elles peuvent se faire en toute bonne conscience sans que l’on s’en rende compte. Elles peuvent se faire au nom de la science. Au nom de n’importe quoi en fait. »
Il conclue son billet par cet appel à la très grande vigilance qui devrait, patient·es et concerné·es, familles, soignant·es, nous tenir prêt à entrer en résistance, car comme il le dit si justement, « au-delà de la psychanalyse, c’est la question du service public qui est posé avec son démantèlement.
Les centres experts lié à l’Institut Montaigne via FondaMental en sont l’une des potentielles figures. »
Lire le billet https://blogs.mediapart.fr/mathi…/blog/271125/psychicide-3
BILLET DE BLOG 27 NOVEMBRE 20
Mathieu Bellahsen Psychiatre et auteur Abonné·e de Mediapart
Psychicide 3
Le milieu psy s’est mobilisé avec succès contre un amendement anti-psychanalyse présent dans le PLFSS 2026. La deuxième manche arrive le 16 décembre, encore au Sénat, avec un projet de loi en faveur des centres experts du lobby Fondamental en dépit d’études biaisées.
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Les affaires humaines sont compliquées, parole d’être humain. A la fin de cette séquence « amendement 159 », la sénatrice qui le portait a expliqué devant le Sénat la raison de son combat contre la psychanalyse, incarné pour elle par une rencontre avec un psychanalyste. Enfin, pas elle directement. Elle en a pleuré d’émotion, le trauma toujours là, visible. La colère aussi.
Amendement 159 / Loi centre experts : même combat
L’amendement 159 proposait de définancer tout ce qui touche de près ou de loin à la psychanalyse. La représentante du gouvernement n’a pas désavoué la démarche, le cadre était juste inadapté. Ce n’est donc que partie remise pour trouver le bon cadre… Et c’est la même sénatrice, Mme Guidez, avec d’autres qui soutiendra une proposition de loi en faveur des centres experts, structures qui font du tri, du diagnostic et qui au-delà de leurs recommandations ne s’occupent pas de personne ensuite, dans la durée. Donc un diagnostic dépris de toute relation de soins.
La proposition de loi a été déposée en février 2025 au Sénat. La première lecture aura lieu le 16 décembre prochain. Après l’amendement 159 qui visait à exclure une pratique, ce nouveau projet de loi s’attaque frontalement à l’organisation des soins psychiatriques, nouvelle réforme établie sans la moindre concertation ni avec les usagers, ni avec les syndicats de psys, ni avec les professionnels du terrain. Une pétition vient d’être lancée par l’Evolution Psychiatrique. Ce projet de loi entend faire basculer la psychiatrie vers une vision cérébrologique hégémonique.
Humilité
Mais revenons sur les motivations de la sénatrice qui se retrouve au croisement des deux textes. Elle a expliqué que sa propre sœur avait eu un enfant atteint d’un syndrome de Rett. Cette maladie génétique rare liée au chromosome X crée un trouble neuro-développemental, au sens strictement neurologique du terme, et non au sens extensif de ce que sont devenus les troubles du neurodéveloppement à partir de 2010 sous la pression du DSM 5 et de la cérébrologie.
L’histoire remonte à trente ans, quarante ans en arrière. Une personne décrite comme psychanalyste aurait eu une attitude inadaptée, des questions blessantes et non ajustées. Et pour finir des propos culpabilisants. La psychanalyse s’est ici incarnée dans ce psychanalyste et la mauvaise rencontre que cela a constitué pour cette famille. Car il y a des paroles qui ne s’oublient pas, qui font mal, qui blessent inutilement. Reconnaissons-le humblement, aucun professionnel, quelque soit son orientation technique n’est à l’abri de cela. Tout comme aucune théorie n’est à l’abri de la culpabilisation voire du renversement de la responsabilité des troubles sur la personne, sur la famille ou sur l’enfant qui ne va pas bien. On peut repenser aux « tares héréditaires », aux « incorrigibles », aux thèses de la « dégénérescence », du « criminel né » et à toutes ces essentialisations qui ont gangrénées l’histoire de la médecine, de la psychologie, de la psychiatrie… Bien avant la psychanalyse.
Débordements
Nous travaillons avec la souffrance humaine et parfois, elle nous impacte tellement que nous développons des contre-réactions. Elle peut tellement nous troubler que nous pouvons dire des choses qui ne vont pas, qui ne vont vraiment pas. Parfois, on s’enferre dans cette mécanique infernale car nous possédons le savoir, en tout cas un certain savoir ou supposé comme tel. Il est des circonstances où nous ne voulons ni être mis en question ni nous remettre en question. On s’abrite derrière ce savoir qui nous protège de nos défaillances bien humaines. Mais en réalité, on s’abrite derrière notre pouvoir, notre pouvoir symbolique, notre pouvoir réel. Notre pouvoir qui peut mettre au silence, qui peut faire taire toute contestation. Et les personnes en face, elles le sentent, elles le voient, ça les sidère car on a déjà dû leur faire le coup un certain nombre de fois. Certaines se glacent, se renferment, d’autres sont hors d’elles, à l’image du hors de nous-mêmes dans lequel nous sommes pris, à l’image de la glace qui s’étend en nous.
Et en fait, notre boulot de soignant, de thérapeute, dans ces cas-là c’est quand même de se retourner sur nous-mêmes et de faire savoir aux personnes que l’on s’est absenté de notre rôle de soignant par connerie, par impatience, par suffisance. Parfois on se fait déborder par l’autre, ses failles faisant écho aux nôtres, on se fait déborder par nos propres vies, par l’institution, par tout un tas de trucs. Parfois on n’arrive pas assez à se retenir. Mais notre boulot, pour ne pas rajouter de la saloperie à la saloperie, pour ne pas être sadique, c’est de reconnaître nos débordements, nos insuffisances, nos conneries plus grandes que nous. Reconnaître notre pathoplastie : comment on peut ajouter de la surpathologie à la pathologie existante.
Primum non nocere
Primum non nocere. L’accueil, l’hospitalité, le contre-transfert, sont premiers dans la construction d’une relation, que l’on se réfère ou non à la psychanalyse. La façon dont le soignant s’adresse pour la première fois à la personne, comment il l’écoute ou non, comment il lui parle, le ton de sa voix, les questions qu’il pose, les réponses qu’il donne ou non. Quand du négatif surgi de cette rencontre, il faut pouvoir le traiter en nous-mêmes, avec nos collègues, en équipe, avec l’institution pour que ça ne retombe pas sur le paleteau des patient(e)s. Avons-nous été ajustés ? Avons-nous fait ce qu’il fallait ?
Les phrases attribuées à ce professionnel et le vécu de violence consécutif racontés par cette sénatrice sont affligeants. Mais la psychanalyse est-elle l’explication totale et finale à cette violence ? Et son éradication la solution définitive ? Je ne crois pas. Par contre, je pense que la psychanalyse peut servir de prêt à porter défensif pour être uniquement « dans la tête » et pour ne pas s’occuper du corps. La psychanalyse peut servir de défense intellectuelle à des thérapeutes amputés de l’affect, du tact et du contact. Tout comme la médecine. Combien d’histoires autour de nous de soignants froids, rigides, imbus d’eux-mêmes, toutes spécialités confondues ? La faute à la psychanalyse à chaque coup ?
D’autres théories peuvent tout aussi bien servir de défenses pour rester à la surface des troubles, voire pour ne pas s’occuper des personnes. « Faites ceci, faites cela ». « Ne me parlez pas de votre famille, de vos problèmes au boulot, le problème c’est en réalité comment vous gérer »… Ici le thérapeute n’est pas bloqué dans sa tête avec ses défenses intellectuelles, il est bloqué dans le faire, dans l’activisme des recettes magiques de court-terme.
Dans toutes ces situations, ce qui se joue c’est un rapport problématique du soignant, des institutions, à l’angoisse. Comment la supporter ? Un rapport aussi à notre propre impuissance. Parfois, on n’y arrive pas et ce n’est pas seulement, voire pas du tout, la « faute » du patient. Par moment, il faut accepter que l’on ne sait pas, que l’on ne sait pas faire, que c’est angoissant. Parfois, il faut supporter cette impuissance, le temps que ça se débloque. Et ne pas projeter la faute sur l’autre.
D’autres récits
Ca me rappelle une histoire personnelle. Des proches ont eu un enfant porteur d’un handicap génétique à la naissance. Les médecins ont prédit une vie très courte à ce bébé, un décès dans les semaines suivant la naissance. Ensuite, les blouses blanches ont culpabilisé les parents de ne pas vouloir faire tel geste médical ayant un risque vital important. L’enfant a survécu. A chaque fois, ces spécialistes avaient des phrases culpabilisantes, arrogantes, prédisant le pire si on ne les écoutait pas. Il a vécu une belle vie jusqu’à un âge adulte. Mais un jour, cet enfant a passé un test de QI, prise en charge standardisée s’il en est. Ce qui a effondré les parents, ce sont les chiffres qui étaient censés résumer l’intelligence de cet enfant. Enfant dont émanait une vie, une joie, une poésie qu’aucun putain de test de QI ne pouvait refléter. Il n’était pas question de psychanalyse ici. Faut-il interdire les tests standardisés ?
Les violences médicales et psychologiques dépassent ces frontières-là. Elles peuvent se faire au nom de la psychanalyse, au nom de la médecine, au nom de la psychologie, au nom du bien des personnes. Elles peuvent se faire en toute bonne conscience sans que l’on s’en rende compte. Elles peuvent se faire au nom de la science. Au nom de n’importe quoi en fait.
Et puis le terme « psychanalyste » est devenu un synonyme générique de « professionnel de santé qui culpabilise les parents ». Cela peut aussi être un pédiatre, un psychologue clinicien ou un psychiatre qui n’est pas forcément orienté par la psychanalyse… Dans l’histoire racontée par la sénatrice, difficile d’en dire plus sans en causer aussi avec les premiers intéressés : l’enfant et ses parents. La sénatrice est la sœur de cette femme, la tante de cet enfant. Il faut prendre soin de distinguer ce qui est rapporté de façon directe ou indirecte. En somme, contextualiser pour tenter de comprendre. Et comprendre n’est pas excusé (Déso Manu Valls). Est-ce que ce professionnel exerçait en institution ? Dans laquelle ? Quelle était l’ambiance institutionnelle ? Quel était l’état des coopérations entre professionnels ? Etait-ce en libéral ? Quel était le parcours préalable à cette rencontre ? Comment s’est fait le choix de ce professionnel ? Etc. etc.
« On te croit »
Le vécu et le ressenti doivent être crus puisqu’un vécu ça ne se discute pas, c’est vrai pour la personne. Le slogan féministe « on te croit » est une boussole. En tant que psychiatre, quand quelqu’un délire, c’est une prise de position : « je te crois ».
Et de rajouter que croire ce n’est pas forcément synonyme d’être convaincu sinon on peut tomber dans un certain nombre de travers qui évacue la densité, la complexité des situations (cf. le livre « Faire Justice » d’Elsa Deck Marceau à la Fabrique). Croire est le premier mouvement d’accueil et d’hospitalité de la parole d’autrui pour qu’un partage puisse se faire. Donc je crois le récit de la sénatrice car il faudrait être drôlement tordu pour inventer une telle histoire à des fins idéologiques. Mais je ne suis pas convaincu par le lien direct, exclusif, qui est fait. Et je suis d’autant moins convaincu que trois semaines plus tard, elle co-signe un projet de loi pour torpiller l’ensemble du système de soins en définançant ce qui soigne pour financer ce qui trie via la loi sur les centres experts (L’embellissement de la communication de FondaMental à coup d’arguments scientifiques de ces centres est paru dans le Monde: ici.)
Diagnostic différentiel
Dans ce cas précis, la sénatrice fait le récit d’un enfant avec un trouble du neuro-développement neurologique et génétique. La neuro-pédiatrie a avancé, les enfants ayant des troubles psys ont systématiquement un dépistage de la possible organicité des troubles.
En 2010, interne dans un hôpital de jour pour enfants ayant potentiellement des troubles du spectre autistique, nous travaillions en concertation avec les neuropédiatres du service voisin. Je me rappelle d’ailleurs le croisement des regards lors de nos consultations communes, cela avait été un moment très formateur pour l’interne que j’étais. Comme j’étais déjà passionné par le travail de l’institution et dans l’institution, nous parlions également des troubles institutionnels que vivait la neuropédiatre dans cet hôpital. Pathologies institutionnelles qui avaient été naturalisés sur le mode : « c’est comme ça, c’est l’évolution de la médecine, on n’y peut rien ». Mais le « c’est comme ça » masquait une construction politique, celle des réformes néolibérales des services publics (les RGPP).
2004, loi Douste Blazy qui avait crée la tarification de l’activité (T2A).
2009, loi Bachelot HPST « Hôpital, Population, Santé, Territoire » sous le mandat du Président des Bracelets Electroniques, pardon de la République (Sarkozy). La neuropédiatre courait dans les services, l’institué T2A la traversait, il fallait que le service soit rentable. Nous en parlions. Elle racontait comment la T2A pressurisait le temps des examens cliniques. Comment, aussi, les jeunes internes étaient mieux formés à prescrire des examens complémentaires qu’à faire de la clinique avec le regard, le toucher et l’écoute. Tous ces échanges étaient riches et soignaient les coopérations, ils bénéficiaient aux enfants et à leur famille pour penser de façon pluridisciplinaire les choses. Peut-être que dans les années 1990, date où la sœur de cette sénatrice et son enfant ont eu affaire à ce psychanalyste, ces coopérations là n’existaient peut-être pas facilement, que les diagnostics différentiels n’étaient pas suffisamment faits.
« Eliminer l’organicité »
Lors de mes études de médecine, nous apprenions de façon automatique une phrase qui pouvait valoir un PNZ (Pas Noté Zéro) : « diagnostic après avoir éliminé l’organicité ». Cela voulait dire qu’avant tout diagnostic psychiatrique, il fallait exclure toute possibilité de diagnostic somatique. C’est d’ailleurs à cette fin qu’un examen somatique est désormais obligatoire avant une entrée à l’hôpital psychiatrique pour les personnes sous contrainte (loi du 5 juillet 2011). Examen clinique, imagerie cérébrale, bilan biologique voire plus afin d’éliminer une étiologie neurologique, vasculaire, métabolique, traumatique, tumorale ou autre. Visiblement, cela n’a pas été le cas dans le récit de la sénatrice.
Mais il suffit de lire le livre de Pauline Chanu « Sortir de la maison hantée. Comment l’hystérie enferme encore les femmes » paru à la Découverte1 pour s’apercevoir que l’élimination de l’organicité peut faire défaut partout même chez les spécialistes du corps. L’autrice raconte qu’une femme qui faisait des paralysies à répétition avait été diagnostiquée hystérique. Elle passait régulièrement aux urgences, le corps soignant n’en pouvait plus. La chaîne de la psychologisation-psychiatrisation permettait de démédicaliser ces troubles vécus. L’affaire dure des années. La personne est déprimée, à juste titre, par cet état de fait. Retraumatisation : la dépression est comprise par ses diagnostiqueurs comme une atteinte de l’humeur telle que décrite dans l’hystérie, personnalité histrionique ou trouble conversif… Jusqu’à ce qu’un interne, visiblement n’ayant pas oublié son PNZ, lui fait un électro-encéphalogramme (EEG). Il avait repris le dossier car il ne s’était pas contenté du « c’est l’hystéro qui revient ». Elle n’avait jamais eu d’EEG. Et là, bingo, diagnostic d’une épilepsie particulière qui expliquait l’ensemble de ces symptômes. Cette patiente a aussi vécu les mots blessants du corps médical. Ce n’était pas le fait de la psychanalyse mais bien de préjugés sexistes, patriarcaux et psychophobes. Faut-il interdire la médecine ? Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain croupi des dominations ?
Personnellement, je l’ai raconté dans un billet précédent, j’ai aussi connu la violence de psychanalystes à la petite semaine qui se servaient de leur place, de leur savoir, pour imposer un pouvoir normatif. Collectivement, dans un lieu où je travaillais, nous avions aussi connu la tentative de silenciation d’abus graves au nom d’un savoir pseudo-émancipateur. Mais j’ai aussi connu des saloperies au nom du cerveau-différents-des-patients, au nom de leurs comportements inadaptés, au nom de leurs déficits cognitifs auxquels on ne peut pas grand-chose. Plusieurs costumes pour un même corps: le corps psychiatrique avec ses relents asilaires…
Le principal problème c’est bien le défaut d’empathie voire de sympathie, de souffrir avec l’autre. Plus que la psychanalyse, c’est la question du tact du professionnel qui est en jeu. Comment, un temps soit peu, se mettre à la place de l’autre, partager son vécu, ses difficultés ? Etre en sympathie, là avec l’autre et ses soucis.
Mots blessants, pratiques délabrantes
Pour autant, je pense qu’il y a une différence entre des mots blessants et des mots meurtriers accompagnés de techniques délabrantes qui amputent le corps de telle ou telle façon. Toujours dans le livre de Pauline Chanu, un rappel sur toutes les formes de « thérapeutiques » exercées sur les femmes : les lobotomies, les privations, les charcutages du corps et de l’âme.
Ici, a priori, ces mots blessants n’ont pas été accompagnés, en plus, de techniques délabrantes. Car avec ou sans psychanalyse, le pouvoir des professionnels du haut de leur savoir, peut mutiler. On se rappellera de la psychiatrie gynécologique du XIXème siècle où les femmes subissaient des mutilations au nom de la science. Il faut lire Carlo Bonomi « L’effacement du traumatisme. Aux origines de la psychanalyse » pour comprendre que soigner par la parole quand c’est possible (« la talking cure »), c’est tout de même moins délabrant que de « soigner » en amputant les femmes et les enfants de tel ou tels attributs, au nom de la science. Le mieux ça serait de ni dire de connerie, ni faire de saloperie mutilante. De toujours reconnaître la personne en tant que personne.
Maintenant, faisons une petite analyse politique de la situation. FondaMental voudrait l’hégémonie depuis une quinzaine d’années. Son argument privilégié: la psychiatrie ne souffre pas d’un problème de moyens mais d’organisation. Un vrai mantra. Maintenant, FondaMental promet de faire une masse d’économie avec les centre experts (embelissement donc…). Parce que le fond du problème, pour eux, c’est « le fardeau économique » que représente la mauvaise santé mentale. Ce fardeau il faut l’alléger, il faut que ça coûte moins cher (et au passage que ça rapporte en terme de légitimité scientifique, de conquête du pouvoir et de prises de données de santé). Pour être convaincu: il faut regarder ce passage de « Un monde sans fou » de Philippe Borrel sur les débuts de FondaMental: entre 56 min 55 et 58min33 notamment.
FondaMental : toujours et encore…
Mais les médias commencent à cerner le problème FondaMental : Le Monde, Le Monde Diplomatique, Charlie Hebdo et d’autres à venir. Déso les gars, les filles, mais l’utilisation problématique de la science, ça commence à se voir, surtout quand la science affichée est troublante.
D’abord madame la sénatrice utilise des vieux trucs (bon, remarque, on est au Sénat) comme arguments scientifiques (le rapport INSERM de 2004). Et en plus, pas un mot sur les potentiels conflits d’intérêts des uns avec les autres.. Sur la vidéo, on voit Alain Milon au premier rang, ancien administrateur de FondaMental de 2011 à 2015. Ce sénateur Les républicains m’avait d’ailleurs invité au Sénat pour parler de la contention. Type sympathique. A cette occasion, il avait raconté une histoire qui sentait bon la psychiatrie de secteur, la vraie, la relationnelle où le lien humain sécurise tour le monde. L’histoire : un « forcené » était retranché dans son appartement. Le sénateur, maire à l’époque, est appelé car le RAID va intervenir. Le psychiatre temporise un peu, il arrive à joindre l’infirmière du CMP qui connaît le gars. Elle arrive, elle dit à tout le monde : « relax, j’y vais ». Les robocops lui disent que ce n’est pas sérieux, c’est un forcené, elle risque de se faire buter. Elle y va. Elle revient avec lui, il accepte de se faire hospitaliser. Moralité : la relation, la parole, c’est quand même pas mal non ? Là, c’est pas un centre expert qui aurait été foutu de faire ça…
Mais il n’empêche que le sénateur Alain Milon est donc lié à FondaMental depuis longtemps. Il suffit de consulter les différents rapports du Sénat dès les débuts de FondaMental (historiquement : le rapport de l’OPEPS en 2009 puis le deuxième rapport « Milon » en 2012). Donc ce n’est pas rien. De même, il faudrait aller voir du côté des députés soutenant mordicus les centres experts. Existe-t-il des conflits d’intérêts? Par exemple, quand un député est un ancien directeur d’hôpital ? Il faudrait des enquêtes journalistiques pour déplier tout cela.
Si le monde qui tient à la psychanalyse se félicite du retrait de l’amendement 159, l’affaire est loin d’être terminée. Et au-delà de la psychanalyse, c’est la question du service public qui est posé avec son démantèlement. Les centres experts lié à l’Institut Montaigne via FondaMental en sont l’une des potentielles figures.
A suivre.
Mathieu Bellahsen, le 27 novembre 2025
Pétition contre le démantèlement de la psychiatrique publique – contre le projet de loi n°385 à signer ici:
Ce blog est personnel
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Commentaire Geneviève Henault Psychiatre Hôpital public
La psychiatrie publique est menacée d’une réforme dangereuse, qui serait portée par une très petite minorité de psychiatres et de sénateur·ices acquis à la cause de l’extension de l’empire de la Fondation FondaMental, via l’inscription de ses centres experts dans le code de la santé publique.
Pour lire la proposition de loi, qui sera discutée au Sénat le 16 décembre 👉 https://lnkd.in/ePwcZtwn
On rappelle ici les nombreuses alertes déjà élaborées ces dernières années et plus particulièrement ces derniers mois :
1) Article de F. Gonon, Florian Naudet et Bruno Falissard démontrant l’embellissement de résultats pour un usage « trompeur » de données scientifiques à des fins de communication 👉 https://lnkd.in/ey2giHxm
2) Repris dans un article du Monde 👉 https://lnkd.in/eqe–rie
3) Article d’E. Venet dans Le Monde Diplomatique « Détruire la psychiatrie publique » 👉 https://lnkd.in/dnqAVTJe
4) Article d’E. Venet dans L’Arrière-Cour « La psychiatrie à l’ère de la neurobiologie » 👉 https://lnkd.in/ewHqEPic
5) Article de Coline Renault dans Charlie Hebdo « Les troubles psychiques, des maladies comme les autres ? De l’utopie scientifique au lobbying néolibéral » 👉 https://lnkd.in/duCW7zpe
6) Chapitre 5 « Classer, gérer, normaliser » du livre de M. Bellahsen « La santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle » 👉 https://lnkd.in/e-gVHd3R
7) Article de Rachel Knaebel « « Fondamental », la fondation qui veut sauver la psychiatrie en partenariat avec les labos » 👉 https://lnkd.in/eJd6Yrf4
Extraits du texte de la pétition :
❝ Dans ce texte le secteur psychiatrique est clairement attaqué et désigné sous cette série d’affirmations amalgamées : « l’accès tardif aux soins ne garantit ni une prévention satisfaisante, ni une prise en charge spécialisée par pathologie, ni une prise en charge des comorbidités somatiques conduisant à une mortalité prématurée pour les patients concernés. » ❞
❝ Cette focalisation prioritaire sur les impératifs économiques, qui tend à se substituer à toute interrogation proprement politique, y compris dans le domaine de la santé, oriente désormais l’action publique. Or, le véritable courage politique consisterait à réaffirmer et reconstruire une psychiatrie publique engagée, celle qui a démontré, depuis plus de soixante-cinq ans, sa capacité à répondre de manière adéquate aux besoins réels de la souffrance psychique pour l’ensemble de la population. Cette psychiatrie publique se trouve aujourd’hui menacée d’être remplacée par une « science » ajustée aux exigences de la rationalité néolibérale contemporaine. C’est ce que nous refusons. ❞
Celles et ceux qui se sont mobilisé·es contre l’amendement 159 retrouveront dans cette PPL une certaine sénatrice Guidez, la porteuse principale dudit amendement.
La hashtag#PETITION est à signer ici 👉 https://lnkd.in/etE-eTnz
hashtag#psychiatrie hashtag#PsychiatriePublique hashtag#secteur
hashtag#FondationFondamental hashtag#PPL hashtag#ProjetDeLoiActivez pour voir l’image en plus grand.
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Commentaire Alexis Bourla
Psychiatre Saint-Antoine | Directeur des Projets Psychiatriques Clariane | iCRIN-ICM | Co-fondateur NeuroStim | CMO Cline Research
Signataire de La Tribune des 40 * (voir ci-dessous ) dans le journal Marianne pour défendre la recherche et l’innovation en psychiatrie
Psychiatrie Française, quand le roman dépasse la science
Psychiatrie française : quand le roman dépasse la science
Alexis Bourla
Psychiatre | Directeur des Projets Psychiatriques Clariane | Hôpital Saint-Antoine | iCRIN-ICM | Co-fondateur NeuroStim | CMO Cline Research
30 novembre 2025
Triggers warning habituels : ce texte n’engage que moi.
Nous venons de vivre un moment historique : la profession s’est mobilisée, comme rarement dans son histoire contemporaine, à l’occasion de l’amendement 159 du PLFSS 2026. Et disons le tout de suite : c’est une bonne chose.
Cet amendement pourtant, contrairement à ce qui a été dit partout, n’organisait pas un procès contre l’écoute, la bienveillance, l’humanité, la paix, et d’autres grands concepts copyrightés par certains. Il tentait d’inscrire un principe :
Un soin financé par la solidarité nationale doit être adossé à un cadre d’évaluation, d’indication et d’efficacité démontrée.
Une intention potentiellement aussi louable que critiquable, et qui nous a permis de débattre sans fin de « l’évaluabilité » de certains courants.
Cela résonne d’ailleurs avec l’actualité puisqu’on a appris très récemment que l’HAS avait rendu un avis négatif pour le Brexpiprazole. Surfant sur cette vigueur retrouvée, toute la profession s’est d’ailleurs de nouveau levée d’un seul coup, pour parler d’une seule voix, pour demander à ce que les patients puissent en bénéficier !
Non je plaisante évidemment. Apparemment tout le monde s’en fiche du Brexpiprazole (sauf les patients que ça aurait sauvé) : aucune pétition, aucun communiqué intersyndical, aucun article de presse, rien, nada.
Revenons à nos moutons : le problème avec ce qui s’est passé, c’est que la mobilisation contre l’amendement 159 n’a pas été lu comme ce qu’elle était, à savoir le refus d’une profession de se voir dicter ses propres lignes directrices par des arbitrages venus de l’extérieur. Non, elle a directement été transformée en symbole d’un tout autre combat : la « défense de La Psychanalyse » (avec un grand L et un grand P, oui).
C’est une sacrée pirouette car la vraie leçon à tirer de cet épisode n’est pas idéologique, elle est professionnelle :
La psychiatrie française (qui souffre d’un retard de culture de l’évaluation, d’un déficit de formation aux modèles de psychothérapie structurée, de formation aux outils de recherche, etc.) n’a pas su « faire le ménage » en produisant assez de recommandations fortes, assez de grands essais, assez de cohortes comparables à ce qui se publie ailleurs…
C’est pour ces raisons que les pouvoirs publics ont cru pouvoir nous imposer cette « montée en compétence » par voie législative ! Parce que nous ne l’avons pas suffisamment organisée nous-mêmes. Et, reconnaissons le, cela aurait dû être un électrochoc, un signal pour que la profession se saisisse enfin des questions qu’elle a trop longtemps regardées de loin : nos guidelines, nos indicateurs, nos standards, nos méthodes, doivent être produites par la profession, et elles doivent être respectée par les professionnels. L’hétérogénéités des pratiques c’est chouette. Mais à un moment il faut aussi arrêter le délire : si les patients sont traités TOTALEMENT différemment en fonction de leur adresse de domicile parce que les secteurs ont tous des approches différentes, et qu’en plus ces approches ne sont pas toutes évaluées de la même manière, c’est totalement normal de s’interroger. C’est du bon sens.
En réalité chez certains l’électrochoc a été pris pour un feu d’artifice. Le retrait de l’amendement 159 a été célébré comme une victoire théorique. Comme si cette décision négociée au Sénat prouvait quoi que ce soit scientifiquement. Comme si dire « ok, on retire car le cadre était inadapté » revenait à dire « Bon votre modèle est valable, vous aviez raison ! »
C’est aussi là que le récit se fait plus inquiétant. Car tout en exultant et criant « Victoire ! », certains (idéologiquement orientés ?), se sont mis en quête d’un autre combat en proférant des accusations qui semblent absurde, mais qui, une fois suffisamment répétées, finissent par « faire effraction dans le réel » (comme on dit 😊).
“C’est la faute de la recherche si la psychiatrie est un champ de ruine”
Alors que la profession aurait pu (et dû) lire cet épisode comme un signal de réappropriation scientifique, certains ont préféré le transformer en symbole identitaire anti-TCC, anti-biomarqueurs, anti-recours diagnostiques, anti-science, etc. Avec au final un équation assez simple : « Psychanalyse = humains, à l’écoute, gentils » / « Pas psychanalyse = inhumain, technologie, capitalistes, méchants ».
Et comment désigner « les plus méchants parmi les méchants » ? En faisant croire que certains ont piqués dans la caisse ! Bah oui, si la psychiatrie est sous-financée, c’est surement que quelqu’un a du détourner des fonds, à puiser dans les caisses des CMP, à fermer des lits en siphonnant le budget. C’est logique.
Et qui a bien pu faire une telle horreur et mettre toute la profession en danger ? Mais c’est évident, on vous l’a dit plus haut, les méchants capitalistes pro-technologie qui se réclament d’une psychiatrie moderne et scientifique. Ceux qui font de la recherche. Ceux qui ont osé demandé des évaluations.
Alors évidemment personne n’est vraiment dupe de cette escroquerie intellectuelle, la plupart des gens savent parfaitement que les financements de recherche ne sont pas les budgets de soins, qu’ils n’entrent pas dans les mêmes arbitrages, ne ferment pas des lits, ne paient pas les infirmiers du terrain. Mais si on le dit en criant assez fort, certains finiront bien par le croire.
Entendons nous bien : oui, la psychiatrie de secteur souffre d’un sous-financement quasi-criminel, d’une pénurie soignante, et d’une perte d’attractivité, personne ne le conteste. Mais, dans un tour de passe-passe rhétorique digne de Houdini, on tente aujourd’hui de faire croire que cette carence serait liée à l’accaparement des richesses par une petite minorité ?
Rhétorique, quand tu nous tiens
Cette superbe fable est brillamment mise en scène dans un article récent paru sur un Blog Mediapart, sobrement titré « Psychicide 3 » dans lequel Mathieu Bellahsen transforme les centres experts en figures d’un capitalisme tout-puissant.
On aurait aimé pouvoir lire un texte qui parle des centres experts, de FondaMental, de la loi 385 et de l’amendement 159 sans tomber, à chaque paragraphe, dans un roman moral aussi peu nuancé. Mais l’objectif semble clair, ce n’est pas de faire comprendre aux gens la réalité (ni celle du secteur, ni celle des CHU, ni celle de la recherche en psychiatrie), l’enjeu principal est de désigner les gentils et les méchants dont on parlait plus haut.
Lorsqu’on analyse calmement ce quasi-pamphlet, sa démonstration repose sur quelques procédés simples : 1. Psychologiser l’adversaire, 2. Diluer les responsabilités, 3. Caricaturer, 4. Politiser. Essayons de remettre un peu d’ordre dans tout ça.
1. « La pauvre, elle ne sait pas vraiment ce qu’elle fait, pardonnez lui »
D’entrée de jeu, Bellahsen met en scène la sénatrice Guidez, ses larmes, son trauma et la rencontre avec un psychanalyste qui aurait culpabilisé sa sœur, mère d’un enfant avec syndrome de Rett. La psychanalyse devient le décor de la mauvaise rencontre, la sénatrice n’est finalement qu’une tante blessée, et toute sa position est réinterprétée à l’aune de cette scène originelle.
Autrement dit, ce combat, c’est une revanche, on pourrait presque lire « bon, elle a été blessée, elle focalise sur la psychanalyse, mais si c’était un TCCiste qui avait dit ça, elle aurait fait une loi anti-TCC ».
C’est pratique de tout réduire à un combat personnel, car à partir de là, on peut dérouler une superbe mécanique de relativisation qu’on peut résumer par « Oui, il y a eu des paroles violentes, oui, cette scène est affligeante MAIS aucune théorie n’est à l’abri de culpabiliser ! ».
La psychanalyse a bel et bien le monopole de l’écoute, le monopole du cœur, de l’empathie, de l’humanité, MAIS elle n’a pas le monopole de la culpabilisation !
Ce glissement est constant dans son texte : la psychanalyse n’est plus une doctrine dominante qui a structuré la formation, l’organisation des services, la manière de nommer et de traiter certaines pathologies en France pendant des décennies, elle devient une « théorie parmi d’autres » noyée dans le fond indistinct des violences médicales.
Alors oui, c’est totalement légitime de poser la question du tact professionnel, de l’angoisse, du contre-transfert, de la capacité des médecins à reconnaître leurs « conneries », et il a raison : nous dérapons tous, et le pouvoir symbolique du soignant peut être violent quel que soit son courant. Mais la, il pose ce registre comme unique grille de lecture de ce qui s’est passé au Sénat. La question n’est plus de savoir si certains modèles théoriques ont organisé des formes particulières de maltraitance, de culpabilisation, de retard de soin. La question ne porte plus que sur certains soignants qui manquent d’empathie.
Ce n’est pas faux, c’est simplement pas le sujet.
On retrouve des erreurs, de la culpabilisation, du manque de tact, chez les neurobiologistes, chez les cardiologues, chez les chirurgiens, chez les garagistes, etc. et on peut parfaitement admettre que des saloperies se produisent « au nom de la chimie du cerveau » tout en reconnaissant que, dans un pays donné, sur plusieurs décennies, la psychanalyse institutionnelle a été un multiplicateur d’abus spécifiques : culpabilisation parentale, psychogenèse des troubles neurodéveloppementaux, disqualification des données biologiques et comportementales, mise à distance des pratiques évaluées ailleurs, etc.
2. « Responsable, mais pas coupable » : la faute à personne
Pour aller plus loin et dissoudre totalement la critique, le texte va accumuler les anecdotes : des parents effondrés après le test de QI de leur enfant, un femme diagnostiquée « hystérique » (un diagnostic que seuls les psychanalystes utilisent, au passage) alors qu’elle souffrait d’épilepsie, des médecins arrogants et infects, la violence sexiste de la médecine du XIXᵉ.
Tout cela est réel, grave, et doit être discuté. Mais plus le texte avance, moins il parle de psychanalyse. On glisse d’un sujet précis à une fresque des violences médicales en général. Et au milieu de cette fresque, la psychanalyse devient… une victime parmi d’autres, injustement attaquée.
On appelle ça de la dilution.
Le problème, c’est que cette focalisation narrative évite soigneusement de rappeler ce dont il est réellement question : comme dit plus haut, l’amendement 159 ne proposait pas de brûler les livres de Freud ni d’interdire la psychanalyse. Il visait à conditionner le financement public à des prises en charge qui apportent un minimum de garanties en termes d’efficacité, de cadre, d’indication. C’est ça le débat, et que la porteuse de la proposition ait une histoire personnelle avec la psychanalyse, désolé mais on s’en fiche totalement : “Ne tirez pas sur le messager” comme on dit.
3. « Amendement 159 / Loi centre experts : même combat » ou mêmes caricatures ?
Par une très jolie pirouette, un lien est ensuite fait entre l’amendement 159 et un projet de loi futur qui préconise d’étendre les centres experts et de les inscrire dans le code de santé public.
La proposition de loi sur les centres experts pose plein de questions, tout aussi importantes, mais qui n’ont strictement aucun rapport avec l’amendement 159 :
- Faut-il, oui ou non, reconnaître dans le Code de Santé Publique un niveau de recours spécialisé adossé à la recherche ?
- Avec quelles conditions de gouvernance, de transparence, de contrôle ?
Au lieu de se confronter à ces questions, on va commencer à nous expliquer ce que sont ces centres (spoiler : c’est le diable).
A en croire son article, les centres experts sont :
- Des centres de « tri » privés, des structures qui « refusent de soigner », qui se caractérisent par le fait qu’elles ne sont « pas habilités à gérer les urgences » (?), qui incarnent une vision « cérébrologique hégémonique », qui serviraient un projet néolibéral obsédé par le « fardeau économique ». C’est décrit comme un système privé élitiste qui remplacerait le service public. Et c’est l’accusation la plus grave, ces centres détourneraient l’argent public de la ou on en a vraiment besoin.
- Par ailleurs ces centres basent leur demande d’extension sur un chiffre qui est faux (« 50% de baisse d’hospitalisations »), ce qui a été largement repris dans la presse, et donc si ce chiffre est trompeur, alors tout est faux et ça veut dire que ça ne sert à rien.
- Par ailleurs les centres experts ne soignent pas ils sont donc inefficace : le soin ne se résume pas au diagnostic, et le diagnostic n’est pas réservé aux centres experts.
Alors chaque psychiatre pense ce qu’il veut de ces centres : certains ont de très bonnes expériences, d’autre non, c’est le lot des centres de 3ème recours dans à peu près toutes les spécialités médicales. Mais ce n’est pas pour autant qu’on doit dire n’importe quoi ?
Les centres experts n’ont pas besoin de moi pour se défendre en revanche ce qui m’irrite c’est quand la vérité est tordue pour ne la voir que par un prisme idéologique. Alors je propose tout de même de rappeler 2 ou 3 éléments :
- FondaMental est certes une fondation de droit privé, mais son réseau est essentiellement hospitalo-universitaire et associatif, intégré dans des établissements publics ou ESPIC, structuré autour d’appels à projets nationaux et européens compétitifs. Dire qu’elle organise un « système privé » qui « remplace » le secteur public est un contresens : on ne remplace pas un dispositif de soins avec une infrastructure de recherche et de recours diagnostique de 3ᵉ niveau.
- Les centres ont pour objectif (affiché et missionné pour) de constituer des cohortes longitudinales, des biobanques, des protocoles standardisés, et qu’en sont issus une bonne partie des publications internationales de la recherche française en psychiatrie.
- Leur rôle n’est pas de « remplacer » la relation soignante ou la psychiatrie de secteur mais d’outiller le diagnostic, d’intégrer le somatique, de structurer l’orientation thérapeutique.
Alors parler de « tri » quand on parle de bilans pluridisciplinaires structurés, de repérage des comorbidités somatiques, de propositions alignées sur les recommandations internationales, ce n’est pas une critique : c’est une caricature.
Dire qu’ils s’accaparent les moyens du public, c’est un tour de passe-passe rhétorique : les centres experts (qu’on aime ou non la manière dont ils communiquent) ne sont pas financés sur les mêmes lignes budgétaires que le soin ambulatoire ou l’hospitalisation de secteur. Les budgets de recherche relèvent de financements nationaux et européens dédiés, souvent compétitifs (appels à projets), labellisés, sanctuarisés. Les enveloppes pour soigner relèvent de l’ONDAM, des ARS, des hôpitaux, des dotations régionales.
Les opposer, c’est comme dire que financer la recherche en cancérologie porte préjudice au cardiologue de garde au SAU.
L’intention est aussi militante que l’argument est fallacieux.
On peut (et il faut) évidemment discuter la gouvernance scientifique en France, la concentration des labels de recherche, la dépendance excessive à quelques grands acteurs institutionnels. Ces débats sont nécessaires. On peut / on doit critiquer FondaMental pour sa communication, pour certaines ambiguïtés de gouvernance, pour sa tentation de se vivre comme le pivot unique de la recherche en santé mentale.
Mais il est inadmissible et trompeur de politiser le débat en taxant un réseau de 3ème recours hospitalier missionné pour faire de la recherche clinique d’être le bras armé du capitalisme, responsable de la ruine de la psychiatrie publique.
4. « C’est leur faute camarades ! » Non, la psychiatrie française ne s’est pas effondrée uniquement à cause de Bercy.
La fin est un fourre-tout désormais classique ou l’on peut y trouver pêlemêle : réformes néolibérales, T2A, Douste-Blazy, Bachelot, Sarkozy, démantèlement du service public, etc.
Ce panorama n’est pas totalement faux : oui, la psychiatrie publique a été écrasée par des logiques comptables, l’hôpital a été pressurisé, le temps clinique maltraité. Pour autant le lien entre néolibéralisme / capitalisme et l’amendement 159 ou la loi centre expert continue d’interroger.
Surtout un détail manque.
La psychiatrie s’est aussi (et surtout) effondrée parce que, pendant des décennies elle a tardé à se former massivement aux approches évaluées, elle a peu investi dans les registres somatiques modernes, elle a méprisé l’épidémiologie, les essais cliniques, la standardisation minimale, elle a laissé des paradigmes moyennement validés structurer l’ensemble des soins.
En résumer, elle s’est déconnectée de la médecine (c’est d’ailleurs ce qui explique le désengagement massif des étudiants en médecine de cette spécialité : quand ils lisent les production des associations, syndicats, psychiatriques, ils y retrouvent du médico-social et de la psychanalyse, désolé mais ça ne les fait plus rêver).
Mais réduire la crise au seul « néolibéralisme » permet de soulager tout le monde : la psychiatrie comme victime, jamais comme co-auteurs de la catastrophe.
Et une psychiatrie qui accepte d’être évaluée et alignée sur des standards internationaux, bouscule une psychiatrie qui s’était habituée à n’être jugée qu’au tribunal de ses propres récits.
Bellahsen oppose « être dans le cerveau » à « être dans la rencontre », « données mesurables » à « la parole », « centres experts » à « infirmières du CMP qui temporisent les crises ».
Ce contraste est narratif. Car dans la vraie vie :
- Un psychiatre peut aimer l’imagerie fonctionnelle ET faire une consultation d’une heure centrée sur l’alliance thérapeutique,
- Un centre expert peut produire des recommandations diagnostiques ET les transmettre à un CMP pour un suivi longitudinal,
- La remédiation cognitive peut être codifiée scientifiquement ET être humaine dans son application,
- La TCC peut être efficace dans certaines situation ET défaillante dans son tact si le clinicien manque de formation,
- La psychanalyse peut être précieuse pour penser le transfert ET dangereuse si on la confond avec un monopole de la vérité,
- La Fondation FondaMental peut être à la fois un agent majeur de la structuration scientifique en France ET un acteur perfectible dans sa communication.
Au final ce qui aide les patients n’est jamais un modèle pur, mais la coopération lucide, exigeante, assumée, entre différents paradigmes.
Ce qui le tue, par contre, c’est le retard scientifique, c’est les arrêts de traitements parce que « l’écoute est suffisante », c’est l’absence de recherche clinique, c’est l’absence de traitements hors-AMM, c’est la pénurie de médicament, c’est la disqualification systématique du médicament, etc.
Conclusion
Que l’amendement 159 ait été retiré c’est tant mieux. Mais ce retrait ne signe : ni la validation scientifique d’un modèle de pensée, ni un blanc-seing donné à qui que ce soit pour raconter que la psychiatrie moderne serait ennemie de la « psychiatrie humaine », et que les centres de recherche ont « fait les poches » du secteur pour se financer.
La victoire n’est pas le retrait d’un amendement. La victoire, ce sera le jour où la psychiatrie française acceptera de se faire évaluer sans croire qu’on la menace d’extinction, et où le patient sera enfin placé au centre, pas comme l’objet d’un mythe neuroscientifique, mais comme le bénéficiaire concret d’une recherche exigeante ET d’une clinique de proximité évaluée scientifiquement.
On ne sauvera pas des vies en crachant sur la recherche ou sur les neurosciences. On les sauvera en cessant de fantasmer des ennemis, et en acceptant enfin que la science éclaire le soin.
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Alexis Bourla Psychiatre | Directeur des Projets Psyc
En France, la psychiatrie n’est pas un débat scientifique : c’est une scène de la Comédie-Française où l’on confond paradigmes, budgets, et causalités dans un gloubi boulga conceptuel.
L’épisode de l’amendement 159, dans le PLFSS 2026, en a été l’illustration parfaite. Ce texte, porté sans nuance, souffrait d’un vice de forme évident, mais d’une intention que personne ne devrait caricaturer : rappeler qu’un soin remboursé par la solidarité nationale doit s’appuyer sur un cadre d’évaluation, des indications cliniques claires et une efficacité démontrée.
La profession s’est levée, et c’était sain. Pas pour défendre Freud tel un étendard identitaire, mais parce qu’elle refusait qu’on lui écrive de l’extérieur ce qu’elle n’a pas assez produit de l’intérieur : des guidelines solides, des grands essais, des cohortes structurées, comparables à ce qui existe ailleurs en Europe.
Cela aurait dû être un électrochoc méthodologique. Hélas, certains y ont vu un feu d’artifice idéologique : victoire de la psychanalyse, défaite de la preuve. Et l’émotion a pris la place de l’analyse.
Sur un blog Mediapart * (Voir début du dossier) , Bellahsen en fait un roman moral : la sénatrice pleure, donc l’outil biomédical tue ; les budgets sont rares, donc la recherche vole l’argent du soin ; les centres experts n’assurent pas le suivi ambulatoire, donc ils « trient » et « abandonnent ». Confusion spectaculaire qu’il fallait interroger.
Le vrai scandale français est plus banal, plus lent, moins adapté à une pétition sur Change.org : celui d’
On ne comble pas le manque d’infirmiers en supprimant la recherche.
C’est le besoin d’ennemi imaginaire qu’on comble en faisant ça.
Ce qui sauvera le secteur, ce n’est pas l’indignation, mais le courage méthodologique combiné au temps clinique : faire mieux, produire mieux, soigner mieux, ensemble et pas avec des slogans de mai 68.
Voir aussi:
https://environnementsantepolitique.fr/2025/09/23/une-psychiatrie-sous-influence/
Dans l’Aisne, l’accès aux soins reste difficile et des soignants en psychiatrie sont mobilisés depuis plus de dix mois pour faire entendre leurs alertes https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/wp-admin/post.php?post=68687&action=edit
Loin des idées reçues, Saint-Égrève semble être le modèle d’une nouvelle psychiatrie. https://environnementsantepolitique.fr/2025/09/25/66394/
* »La psychiatrie n’a pas besoin de querelles inutiles, mais de progrès scientifiques »
Tribune
Publié le 25/11/2025 à 7:00 https://www.marianne.net/agora/entretiens-et-debats/la-psychiatrie-na-pas-besoin-de-querelles-inutiles-mais-de-progres-scientifiques
Alors que la santé mentale a été désignée « grande cause nationale » en 2025, une quarantaine de psychiatres rappellent l’importance du progrès scientifique dans leur discipline.
Depuis plusieurs mois, les avancées de la recherche en psychiatrie et les perspectives thérapeutiques associées ont été régulièrement contestées par des associations, certains scientifiques ou psychanalystes, mettant en alerte patients comme soignants. Ces controverses voire ces résistances, sans fondement scientifique, fragilisent une discipline trop souvent dévalorisée. Elles fragmentent l’union nationale alors que la santé mentale a été déclarée priorité de santé publique.
La recherche en psychiatrie s’appuie sur une démarche collective et transdisciplinaire qui réunit chercheurs, cliniciens, patients, proches, associations et institutions publiques. Cette dynamique de collaboration est au cœur des progrès réalisés ces dernières années : elle associe les savoirs issus des neurosciences, de la psychologie, de la génétique, des sciences sociales, mais aussi l’expérience vécue des personnes concernées. Ensemble, ces connaissances contribuent à mieux comprendre les troubles psychiques et à améliorer la qualité des soins, comme leur accessibilité.
UNE SCIENCE OUVERTE AU DÉBAT
Dans un contexte où la parole scientifique peut être fragilisée et où les débats publics tendent parfois à opposer les approches, il est plus que jamais nécessaire de rappeler que la recherche en psychiatrie repose sur la diversité et la complémentarité des disciplines. Car cette pluralité qui fonde la solidité de la démarche scientifique, permet de faire progresser la compréhension des maladies mentales. C’est bien grâce à cette recherche pluridisciplinaire que nous pouvons affiner le diagnostic, renforcer l’efficacité des traitements actuels et ouvrir la voie à de nouvelles approches thérapeutiques, en complément des prises en charge psychothérapeutiques et sociales.
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La recherche scientifique s’enrichit du débat et de la contradiction. En psychiatrie comme ailleurs, la discussion critique, la confrontation des hypothèses et l’évaluation par les pairs sont indispensables pour progresser. Mais ce débat doit s’appuyer sur des faits, sur des données solides et sur des méthodes éprouvées. Ainsi remettre en question les fondements mêmes de la recherche ou opposer les disciplines les unes aux autres reviendrait à fragiliser l’ensemble de la démarche scientifique.
Reconnaître la diversité des approches ne signifie pas les opposer, mais au contraire les articuler : sciences fondamentales et cliniques, sciences humaines et sociales, savoirs expérientiels et innovations technologiques contribuent ensemble à une meilleure compréhension et à une meilleure prise en charge des troubles psychiatriques.
DES AVANCÉES DÉJÀ VISIBLES
La recherche en psychiatrie progresse chaque jour, avec rigueur, en France comme à l’étranger. Ces travaux permettent de mieux comprendre les mécanismes biologiques, psychologiques et environnementaux des troubles, d’améliorer les diagnostics, de développer des traitements plus ciblés et d’adapter les accompagnements aux besoins des personnes concernées.
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L’imagerie cérébrale, par exemple, permet d’identifier les circuits neuronaux impliqués dans certaines pathologies, comme les dépressions résistantes. Ces régions peuvent être ciblées par des techniques de neuromodulation, offrant une alternative lorsque les traitements médicamenteux et psychothérapeutiques restent inefficaces. Combinées à l’identification de marqueurs biologiques, cognitifs et comportementaux, ces approches ouvrent la voie à une psychiatrie de précision, plus personnalisée et plus efficace.
Comme en cancérologie ces vingt dernières années, ces innovations peuvent changer la prise en charge et améliorer profondément la qualité de vie des personnes concernées. C’est par la combinaison d’approches complémentaires bénéficiant de données probantes, biologiques, psychothérapeutiques, sociales, technologiques…, intégrant les attentes de chaque personne concernée que s’opère la personnalisation des parcours de rétablissement.
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La psychiatrie n’a pas besoin de querelles inutiles, mais de progrès scientifiques : des progrès construits avec rigueur, transparence et débats contradictoires dans un climat apaisé. Porter cette exigence, c’est protéger les patients et personnes concernées, éclairer les pratiques cliniques et permettre à la psychiatrie d’évoluer au service de toute la société.