Déforestation : droite et extrême droite s’allient pour démanteler la loi européenne
Le Parlement européen a voté, mercredi, pour affaiblir et reporter d’un an le règlement visant à limiter l’importation en Europe de produits issus de terres déforestées. Un nouveau coup au pacte vert.
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Une nouvelle fois, le Parlement européen a détricoté ce qu’il avait fait quelques années plus tôt, en l’espèce le règlement antidéforestation. Une nouvelle fois, cela s’est fait au détriment du pacte vert, cet ensemble de lois conçues pour lutter contre le réchauffement climatique et emmener les Vingt-Sept à la neutralité carbone d’ici à 2050. Une nouvelle fois, la droite et l’extrême droite se sont alliées pour qu’il en soit ainsi.
A Strasbourg, mercredi 26 novembre, les eurodéputés ont voté par 402 voix contre 250 pour largement réduire la portée de ce texte, qui veut interdire la commercialisation en Europe de produits comme l’huile de palme, le cacao, le café, le soja et le bois issus de terres déboisées après 2020. Les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et les formations à leur droite, dont le Rassemblement national français, le parti Fratelli d’Italia, le Fidesz hongrois ou l’AfD allemande, en ont décidé ainsi.
Depuis les élections européennes de juin 2024, ils ont assez d’élus pour former une majorité au sein de l’hémicycle et ont donc acté le report au 30 décembre 2026 de l’entrée en application du règlement antidéforestation, avec un délai de six mois supplémentaires, jusqu’au 30 juin 2027, pour les plus petites entreprises. C’est la deuxième fois que le Parlement européen repousse la mise en œuvre de ce texte, qui était initialement prévue le 30 décembre 2024, avant d’être d’abord reprogrammée au 30 décembre 2025.
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Les eurodéputés ont également drastiquement limité les obligations faites aux entreprises tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Surtout, ils ont prévu une révision du règlement d’ici à avril 2026, avant même son entrée en application. Ce qui laisse présager de nouveaux changements, dont personne n’imagine qu’ils iront dans le sens d’un renforcement des règles.
Création d’une « incertitude maximale »
Face à la percée de l’extrême droite partout sur le Vieux Continent, au retour de Donald Trump à la Maison Blanche, à l’offensive commerciale sans précédent de la Chine en Europe ou encore au décrochage économique de l’Union, les défenseurs du pacte vert européen sont, en effet, de moins en moins audibles.
Sur le règlement antidéforestation, la position du Parlement européen est conforme à celle des Etats membres, arrêtée le 19 novembre, et les colégislateurs devraient donc s’entendre rapidement sur une version définitive du texte. Ils n’avaient de toute façon pas le temps de discuter, puisque, sans accord dans les prochaines semaines, le texte serait entré en vigueur, comme prévu, le 30 décembre.
Le débat n’est, pour autant, pas terminé et certains, à commencer par l’Allemagne, mais aussi l’Autriche ou la Suède, veulent encore réduire l’ambition du texte déforestation. C’est pour cela qu’ils ont insisté pour l’introduction d’une clause de révision en avril 2026, espérant arriver à leurs fins avant qu’elle n’entre en application. « La révision ne s’appuiera pas sur des faits, seulement sur de l’idéologie », résume l’eurodéputé Renew Pascal Canfin.
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Alors que ces mêmes pays appellent l’Union européenne (UE) à offrir aux entreprises un environnement législatif stable, « cela crée une incertitude maximale », juge l’eurodéputée allemande (SPD) Delara Burkhardt. « Cette instabilité fragilise les entreprises et les pays », comme le Vietnam, l’Argentine ou la Thaïlande, qui étaient prêts à jouer le jeu, « et affaiblit l’un des outils phares de l’UE contre la déforestation, juste après la COP30, c’est une honte », ajoute sa collègue Verte Marie Toussaint.
Le règlement antidéforestation, jugé pionnier par les organisations environnementales, a, dès le départ, été très critiqué par certains pays, comme le Brésil, les Etats-Unis ou, au sein de l’UE, l’Allemagne, soucieuse de défendre ses forestiers. Plusieurs grands groupes, dont Nestlé, Danone et Ferrero, s’y étaient néanmoins préparés et appelaient Bruxelles à le rendre enfin opérationnel.
Recul par rapport aux ambitions initiales
La Commission, invoquant des problèmes informatiques, a créé les conditions de son démantèlement, puisqu’elle a décidé de l’amender et donc de le soumettre de nouveau, cet automne, aux Etats membres et au Parlement. Sans surprise, ils ont profité de l’occasion pour aller au-delà de ce qu’elle proposait.
Le PPE, les sociaux-démocrates (S&D) et les libéraux de Renew, qui ont voté la nomination de la Commission en place et sur lesquels sa présidente, Ursula von der Leyen, s’appuie en théorie pour dérouler son agenda, n’ont pas réussi à s’entendre. Les conservateurs se sont donc tournés vers l’extrême droite, avec qui ils partagent la volonté de déréguler. « Sur le pacte vert, l’esprit de compromis entre le PPE, les S&D et Renew a disparu », constate Pascal Canfin.
Les directives sur le devoir de vigilance et sur les obligations de reporting socio-environnemental des entreprises en ont déjà fait les frais. Sur insistance de la France et de l’Allemagne, cette fois, la Commission avait proposé de les reprendre pour les simplifier. Le passage au Parlement européen leur a été fatal, qui a vu la droite et l’extrême droite les vider de leur substance le 13 novembre. Les eurodéputés doivent encore négocier avec les Etats membres, dont la position est moins radicale, mais le compromis final marquera, quoi qu’il arrive, un recul par rapport aux ambitions initiales.
Ce n’est sans doute pas fini. Alors que la Commission doit proposer, le 10 décembre, une révision de la loi interdisant la mise sur le marché de voitures à moteur thermique en 2035, le PPE et l’extrême droite fourbissent leurs armes.