À une voix près… mais sans LFI : le Parlement européen échoue à bloquer l’accord UE-Maroc
Le projet de la Commission européenne facilitant l’exportation par le Maroc des produits du Sahara occidental, territoire occupé selon l’ONU, a franchi une nouvelle étape mercredi. À rebours du reste de la gauche, La France insoumise n’a pas pris part au vote, suscitant critiques et incompréhensions.
27 novembre 2025 à 13h38 https://www.mediapart.fr/journal/international/271125/une-voix-pres-mais-sans-lfi-le-parlement-europeen-echoue-bloquer-l-accord-ue-maroc?M_BT=115359655566&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_medium=email&utm_source=quotidienne-20251127-202634&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-quotidienne-20251127-202634
Cinquante minutes de scrutins égrenés les uns après les autres, allant de la déforestation aux poupées Shein, en passant par le budget et le financement des entreprises. Et puis, tout à la fin de cette longue liste, le vote de la disposition la plus sensible de la journée. Et la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, qui se penche sur son écran, comme surprise, avant d’annoncer : « Pas adopté. Par une voix. »
Le Parlement européen a échoué, mercredi 26 novembre à Strasbourg, à bloquer l’entrée en vigueur d’un acte de la Commission européenne sur l’étiquetage des fruits et légumes provenant du Sahara occidental.
D’apparence technique, la résolution portée par les parlementaires de droite recouvrait en réalité une portée éminemment politique : il s’agissait de s’opposer à une revendication très forte du Maroc, soutenue par Bruxelles et la plupart des capitales européennes.
Le royaume chérifien, soutenu par la Commission, tient en effet à exporter ces fruits et légumes sans mentionner le nom du Sahara occidental, considéré comme « non autonome » par les Nations unies, sur leur emballage.
L’année dernière, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait invalidé les accords économiques entre l’institution européenne et le Maroc allant en ce sens, les jugeant contraires au droit international et à son principe d’autodétermination des peuples.
À défaut de pouvoir inscrire « Maroc » sur les étiquettes, Rabat a donc proposé à la Commission un plan B, qui consiste à indiquer uniquement la région administrative des produits, sans mention du Sahara occidental. C’est cette disposition qui a suscité la colère des organisations agricoles et coopératives européennes, largement mobilisées ces derniers jours. Elles dénoncent la concurrence déloyale induite par ces dispositions, qui favorisent, selon elles, la distribution des tomates et melons marocains en Europe.

Dans une lettre conjointe, elles ont dénoncé une « violation claire des lois et des valeurs de l’UE » et avancé l’impossibilité pour les producteurs européens « d’être compétitifs dans un système qui cache les origines, affaiblit les normes et ne tient pas compte des arrêts de la Cour ».
La timidité française
À cette aune, le vote du 26 novembre a donné à voir une jonction inédite entre les positions traditionnelles de la gauche, au nom de la lutte pour les droits humains et le droit international au Sahara occidental, et la volonté de la droite et de l’extrême droite de soutenir les revendications du monde agricole. Ainsi, une nette majorité s’est-elle dégagée pour demander à la Commission de renoncer au projet de « rebranding » des produits issus du Sahara occidental, par 359 voix contre 188.
Il a toutefois manqué une voix, la majorité absolue étant fixée à 360, pour que cette opposition soit contraignante pour l’institution bruxelloise.
« On est extrêmement déçus », réagit auprès de Mediapart Thomas Gibert, porte-parole de la Confédération paysanne, dont l’organisation a été « très mobilisée contre ce [qu’elle] estime être une distorsion de concurrence ».
Les parlementaires des délégations françaises se sont distingué·es par leur très faible adhésion au texte : seulement 20 % ont approuvé l’objection portée par le Parti populaire européen (PPE), un des taux les plus faibles des Vingt-Sept. À titre de comparaison, les délégations des voisins européens ont affiché des taux de soutien largement plus haut, qu’il s’agisse de l’Espagne (62 %), de l’Italie (76 %) ou de l’Allemagne (47 %) notamment.
Tiraillés entre leur soutien aux positions marocaines et celui affiché à la cause agricole et au protectionnisme, les délégations françaises ont largement privilégié le premier.
Cette timidité française a traversé les clivages politiques. À droite, François-Xavier Bellamy et la délégation Les Républicains (LR) se sont distingués de la position majoritaire de leur groupe, le PPE, à l’exception d’Isabelle Le Callennec.
Au sein du groupe d’extrême droite Conservateurs et réformistes européens (ECR), Marion Maréchal et ses soutiens ont fait partie des rares député·es à s’opposer au texte. Même schisme chez les libéraux du groupe Renew, dirigé par la Française Valérie Hayer : elle et les autres parlementaires macronistes ont rejoint le camp minoritaire des « contre ».
Tiraillés entre leur soutien aux positions marocaines et celui affiché à la cause agricole et au protectionnisme, les délégations françaises ont largement privilégié le premier.
Pour le Maroc, c’est la récompense d’efforts diplomatiques intenses déployés pour rallier l’échiquier politique français à sa cause. Symbolisée par le courrier d’Emmanuel Macron au roi Mohammed VI, à l’été 2024, pour reconnaître la « marocanité » du Sahara occidental, cette conversion massive du champ politique français à la position de Rabat éclaire en grande partie le résultat du vote de mercredi.
LFI regarde ailleurs
Les sociaux-démocrates et les écologistes du Parlement se sont très majoritairement exprimés contre la disposition UE-Maroc, dont les membres français, de Raphaël Glucksmann à Marie Toussaint, en passant par Pierre Jouvet, David Cormand ou Emma Rafowicz.

Idem au sein du groupe de la Gauche : 31 votes pour l’objection, aucun contre. En revanche, une dizaine d’eurodéputé·es, dont la présidente du groupe, Manon Aubry, pourtant présente dans l’hémicycle, n’ont pas pris part au vote. « On a vu des choses très surprenantes en regardant les résultats, souffle Thomas Gibert, de la Confédération paysanne. On va essayer de comprendre. »
L’eurodéputé Younous Omarjee, vice-président du Parlement européen, a fait savoir à Mediapart qu’il était retenu en Angola pour le sommet entre l’UE et l’Union africaine. Sa collègue Rima Hassan n’était pas non plus présente lors des votes précédents. Les autres, en revanche, étaient bien là : Manon Aubry, Arash Saeidi, Damien Carême, Marina Mesure, Emma Fourreau, Leïla Chaibi et Anthony Smith ont participé aux scrutins qui se sont tenus quelques minutes avant celui sur le Sahara occidental, selon les procès-verbaux mis en ligne par le Parlement.
Interrogé·es sur leur position, Manon Aubry, présidente du groupe, et Arash Saeidi, référent de la délégation sur ce vote, n’ont pas donné suite aux sollicitations de Mediapart. Ce n’est pas la première fois que la position de LFI sur le Sahara occidental étonne à gauche. « Ce sont les champions par intermittence du droit international, ironise un de leurs collègues de gauche. La colonisation et l’occupation, c’est très grave quand c’est en Palestine, mais au Sahara occidental, par contre… »
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30 octobre 2025
Rima Hassan avait dénoncé en septembre ce parallèle, arguant de la différence notable entre les deux situations. « Je ne peux pas accepter qu’on dise que ce que vit le peuple palestinien est exactement la même chose que ce que vit le peuple sahraoui », avait déclaré l’eurodéputée dans un entretien au média espagnol El Independiente, arguant des « liens historiques, culturels et juridiques » entre le territoire considéré comme occupé et le Maroc.
La situation dans la région embarrasse en tout cas grandement La France insoumise, qui a refusé toutes les sollicitations de Mediapart sur le sujet. Au printemps 2023, Arnaud Le Gall, responsable des questions internationales à LFI, avait répondu à Mediapart ne pas avoir « de position abrupte et complètement tranchée sur la question » et refuser de « se mettre à dos le Maroc ou l’Algérie ». L’autodétermination des peuples n’est pas, avait ajouté le député, « un principe intangible et universel » mais une réalité « pleine de cas particuliers ».