Repenser le temps de l’enfant : le CESE plaide pour un rythme réellement adapté aux besoins des plus jeunes
par Capucine Bordet

13 % des 6-11 ans présentent au moins un trouble probable de santé mentale, rappelle le Conseil économique social et environnemental (CESE). © 123RF
Dans un contexte de forte dégradation de la santé psychique des enfants et adolescents, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient de publier un rapport consacré au temps de l’enfant. L’institution appelle à repenser en profondeur l’organisation scolaire et périscolaire, encore trop centrée sur les contraintes des adultes…
Alors que s’achève l’année de la santé mentale, érigée Grande cause nationale de 2025, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) tire la sonnette d’alarme. La santé psychique des plus jeunes se dégrade à un rythme inquiétant, et ce problème exige des réponses immédiates et concrètes. « 13 % des 6-11 ans présentent au moins un trouble probable de santé mentale. »
A l’adolescence, la tendance se confirme avec 14 % des collégiens et 15 % des lycéens exposés à un risque de dépression. La situation se détériore encore chez les jeunes adultes : en 2021, 20,8 % des 18-24 ans déclaraient être touchés par la dépression, presque deux fois plus qu’en 2017. Une évolution fulgurante en seulement quatre ans.
Remettre l’enfant au centre
Fin novembre, l’assemblée consultative a rendu un rapport à destination du gouvernement concernant le temps de l’enfant. Ces propositions visent à remettre les besoins de l’enfant au centre de l’organisation scolaire et périscolaire. Car le constat est sans appel. « Ces temps sont construits autour des contraintes des adultes et sont inadaptés au fonctionnement physique, psychique et cognitif des enfants. Les temps libres « non contraints » se raréfient pour les enfants qui sont soumis à un rythme soutenu qui valorise la productivité. »
Des temps plus adaptés
Pendant six mois, 133 citoyens tirés au sort et représentatifs de l’ensemble de la société ont réfléchi aux aménagements possibles du quotidien des plus jeunes. Après plus de 80 auditions et des ateliers organisés partout en France, avec des enfants, des spécialistes et des professionnels du secteur, plusieurs préconisations ont été faites pour promouvoir « un nouveau modèle de société fondé sur une organisation des temps des enfants mieux adaptée à leur bien-être, leur santé, et leurs apprentissages. »
Début des cours à 9 heures
Parmi leurs recommandations, les membres de la commission proposent de commencer les cours à 9 heures au collège et au lycée. Mais également « mettre en place un temps d’accueil échelonné avant les cours pour tous les niveaux ». Et allonger la pause méridienne à une durée d’1h30 ». La Convention préconise également d’articuler la journée entre les « savoirs théoriques le matin et pratiques l’après-midi ». Avec des activités « portant sur la vie quotidienne, bricolage, cuisine, couture, gestion du budget, éducation à la citoyenneté, activités culturelles et sportives ». Le rapport sera remis au gouvernement et au Parlement dans les prochaines semaines.
Après la convention citoyenne sur les temps de l’enfant, le silence politique et les oppositions syndicales
Souhaitée par Emmanuel Macron, la convention espérait amorcer une réflexion de fond sur les rythmes et l’organisation scolaires. Mais la conclusion de ses travaux a été accueillie dans l’indifférence, voire l’hostilité.
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Une question a plané sur les sept sessions de travail de la convention citoyenne sur les temps de l’enfant : ses conclusions trouveront-elles des relais politiques ? Près d’une semaine après la clôture de la convention, dimanche 23 novembre, l’accueil de son rapport ne fait que confirmer les craintes des participants : leurs préconisations ont été reçues dans un silence quasi total de la classe politique, aux prises avec un débat budgétaire d’une rare complexité dans un Hémicycle sans majorité, et ont fait l’objet d’un tir de barrage des organisations syndicales enseignantes.
le Rapport https://www.lecese.fr/sites/default/files/CCTE-Rapport-citoyen.pdf
Synthèse https://www.lecese.fr/sites/default/files/CCTE-Synthèse-Rapport.pdf
Les réformes préconisées sont pourtant particulièrement ambitieuses, notamment concernant l’organisation scolaire : semaine de cinq jours de classe, refonte du socle commun de compétences et de connaissances, nouvelle organisation des journées, début des cours plus tardif au collège, maintien de la durée des vacances mais nouvelle périodicité…
Les propositions: https://www.lecese.fr/actualites/les-propositions-de-la-convention-citoyenne-sur-les-temps-de-lenfant
Aucun membre de l’exécutif n’était présent lors du vote du rapport au Conseil économique, social et environnemental (Cese) le 23 novembre, et aucun n’a réagi depuis sur les propositions principales. Le silence le plus remarqué est celui du président de la République, Emmanuel Macron, pourtant à l’origine de la convention citoyenne qu’il souhaitait notamment voir se pencher sur la durée des vacances scolaires, qu’il juge trop longue – une position que n’ont pas retenue les « conventionnels ».
Multiples ministères concernés
Le rapport doit cependant encore lui être remis officiellement. Au sein du gouvernement – qui n’est plus le même que celui qui a installé la convention en juin du fait de la chute de François Bayrou, le 8 septembre – le premier ministre, Sébastien Lecornu, n’a pas davantage évoqué les travaux des 133 citoyens, pas plus que le ministre de l’éducation nationale, Edouard Geffray.
« La ligne de réaction est fixée au niveau du gouvernement », fait-on valoir rue de Grenelle, où l’on précise que de multiples ministères sont concernés, de l’éducation nationale au numérique en passant par la santé, la famille ou encore la jeunesse et les sports. « Une nouvelle phase de travail commence désormais sur ces conclusions : chaque ministère va analyser les mesures et comment elles peuvent être déclinées le cas échéant », ajoute le ministère. Selon Kenza Occansey, vice-président du Cese qui a présidé les débats, Matignon a demandé aux sept ministères concernés de produire une note dans les quinze jours pour « étudier la faisabilité des propositions et initier des réflexions ».
Du côté des élus locaux, impliqués au premier chef dans l’organisation du temps scolaire, l’association des maires de France (AMF) se défend de toute indifférence. « Il faut saluer le travail des citoyens sur ce sujet fondamental, mais l’idée est de prendre le temps pour voir comment on peut se saisir intelligemment de leurs propositions », temporise le coprésident de la commission éducation de l’AMF, Frédéric Leturque. Le maire centriste d’Arras (Pas-de-Calais) appelle à « ne pas reproduire les mêmes erreurs que sous François Hollande » avec la réforme des rythmes scolaires de 2013 : « Il ne faut rien imposer soudainement, et travailler à partir d’études d’impact. »
Vents contraires
Principale responsable politique nationale à s’être exprimée sur le sujet, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a dénoncé, dans une tribune publiée jeudi dans Libération, « des indifférences regrettables – voire coupables » face au « silence assourdissant » ayant accueilli la publication du rapport. « Nous ne pouvons pas laisser ces travaux sur un sujet aussi essentiel que les temps de l’enfant sans débouchés, exhorte-t-elle. Approprions-nous ces propositions, débattons-en et agissons pour nos 14 millions d’enfants. »
Le terrain s’annonce néanmoins miné du côté des personnels de l’éducation nationale. Tous les syndicats représentatifs ont rapidement exprimé leurs réserves, voire leur franche opposition aux conclusions de la convention. Le SNUipp-FSU, premier syndicat du primaire, a par exemple déclaré qu’une réforme des rythmes scolaires était « en l’état » impensable car « sans moyens, [elle] dégraderait les conditions de travail ». Son équivalent pour le second degré, le Snes-FSU, a estimé que plusieurs propositions de la convention aboutiraient à « accroître les inégalités », engendreraient une « impasse organisationnelle » et risquaient de créer une « école au rabais ».
Les citoyens de la convention n’ignoraient rien des vents contraires que lèverait leur travail. Ils se sont longuement questionnés, durant leurs sept week-ends de concertation, sur la « stratégie » à adopter : fallait-il dessiner une organisation « idéale » au risque que les propositions soient balayées au nom des difficultés d’application, ou des préconisations « réalistes » bien que moins conformes aux besoins des enfants ? Ils ont opté pour la première solution.
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« Il y a une dimension utopique, mais n’est-ce pas le système éducatif actuel qui est un peu dystopique ?, a plaidé Gaëlle, l’une des 133 personnes tirées au sort, lors de la conférence de presse à l’issue de la convention. Je ne vois pas ce qu’on aurait pu faire d’autre que proposer des vrais changements dans une école en crise. Notre travail sert à donner des directions, on ne peut pas concevoir ces évolutions autrement que sur le temps long. »
Pour le président du Cese, Thierry Beaudet, le rapport donne ainsi « une vision d’ensemble et de société dont nous avons collectivement besoin de débattre ». Et il « arrive au bon moment », veut-il croire, alors que s’amorce la campagne pour les élections municipales au printemps 2026, avant celle pour l’élection présidentielle de 2027.