Victime de l’anti-parkinsonien Requip*: le procès qui opposera jeudi 27 novembre Stéphane Grange au laboratoire GSK

Médicament anti-Parkinson : un procès et des vies gâchées

Les victimes du Requip, le médicament anti-Parkinson aux effets secondaires catastrophiques (pulsions sexuelles, addiction au jeu), espèrent que le procès qui opposera jeudi 27 novembre Stéphane Grange au laboratoire GSK marquera le début d’une reconnaissance de leurs vies brisées.

Rozenn Le Saint

25 novembre 2025 à 18h19 https://www.mediapart.fr/journal/france/251125/medicament-anti-parkinson-un-proces-et-des-vies-gachees

25 novembre 2025 à 18h19

Le 27 novembre, Stéphane Grange, malade de Parkinson de 56 ans qui a subi de graves effets indésirables du Requip, commercialisé par GlaxoSmithKline (GSK), affrontera l’armada d’avocats du laboratoire britannique. Il lui reproche un défaut d’information sur les dangereux risques (pulsions sexuelles ou addiction aux jeux d’argent) que fait courir le médicament.

C’est son témoignage, relaté par Mediapart, qui pousse aujourd’hui une autre victime à porter son affaire en justice et à attaquer à son tour GSK. Le laboratoire n’a pas souhaité répondre à nos questions. 

En 2011, alors qu’il est seulement âgé de 49 ans, Michel Deladreux apprend qu’il est atteint de la maladie de Parkinson. Il va, avec son épouse, Catherine Deladreux, consulter une neurologue qui lui prescrit du Requip, toujours consommé par 48 000 Français⸱es. Le nom du médicament résonne dans la tête de Catherine Deladreux : quelques semaines auparavant, elle a entendu parler de l’affaire Didier Jambart, cet homme atteint de la maladie de Parkinson devenu addict au sexe et au jeu qui avait réussi à faire condamner le fabricant du Requip, GSK, à lui verser près de 200 000 euros d’indemnisation pour défaut d’information, une première en France.

« J’ai dit à la neurologue que ça me faisait peur, elle m’a répondu de ne pas m’inquiéter, que je connaissais suffisamment mon mari pour me rendre compte si son comportement changeait. Cela m’a fait porter une espèce de culpabilité ensuite car je n’ai rien vu. Le principe de l’addiction, quand elle devient trop forte, c’est qu’on la cache », témoigne cette ancienne aide-soignante.

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Notice du médicament Requip du laboratoire GlaxoSmithKline, contre la maladie de Parkinson. © Photo Patrick Allard / REA

Car, en quelques mois, son mari, alors agent du Trésor public, disjoncte en jouant sans limite à des jeux d’argent, jusqu’à ce que leur vie bascule, le 23 octobre 2013. « J’ai vu le numéro de mon mari s’afficher sur mon téléphone, mais à l’autre bout du fil, c’était un officier de police qui m’informait qu’il était en garde à vue. Je suis tombée à terre, mes collègues m’ont relevée. Tout de suite, j’ai dit aux policiers que je ne savais pas ce que mon mari avait fait mais qu’il prenait un médicament contre Parkinson qui provoque des effets indésirables, ça m’est revenu immédiatement », se souvient la quinquagénaire.

Michel Deladreux avait tenté d’extorquer 6 000 euros à une de ses collègues avec laquelle il travaillait depuis trente ans en la menaçant par courrier. Ce jour-là, le malade, à la vie si rangée avant la prise du médicament, est reparti menotté de son bureau. Alors que l’expertise psychiatrique évoque bien l’altération du discernement liée au traitement, son avocat de l’époque ne l’utilise pas : le malade est condamné pour extorsion de fonds à verser des dommages-intérêts à la plaignante. Il passe en conseil disciplinaire à Bercy et il est placardisé, ruiné.

Entre 70 000 et 80 000 euros sont partis dans le Loto et les jeux à gratter. Douze ans plus tard, le couple rembourse encore des emprunts. « Mon mari, qui n’avait jamais fait parler de lui, qui se battait contre la maladie, s’est retrouvé avec une étiquette de délinquant. Toutes ces années, nous avons vécu reclus. Cela a failli briser notre famille. Nous n’avons plus à avoir honte », s’élève Catherine Deladreux, au côté de son mari. Elle parle au nom de son époux, aujourd’hui âgé de 64 ans, dont l’élocution est très altérée par la maladie.

Victimes collatérales

Marie Triau vit à l’étranger, loin, très loin de la Sarthe où son enfance a été gâchée par les attouchements sexuels de son grand-père, atteint de la maladie de Parkinson, mort en 2018. Début 2025, la jeune fille, aujourd’hui âgée de 25 ans, prend connaissance de l’histoire de Stéphane Grange et des autres victimes du Requip, l’antiparkinsonien commercialisé en France depuis 1997.

« Je me suis demandé comment c’était possible que ce type de médicament fasse encore autant de dégâts, alors que les risques sont connus depuis des années », retrace-t-elle.

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Jusqu’à ses 10 ans, elle a subi des agressions sexuelles de la part de son grand-père. Elle n’en a parlé à personne jusqu’à ce qu’« en 2010, [s]a grand-mère, qui souffrait également de l’hypersollicitation de [s]on grand-père, tombe sur un courriel absolument obscène qu’il [lui] avait adressé ». Mediapart a pu le consulter, et d’autres encore, qui font clairement mention de la relation incestueuse infligée à l’enfant. Le malade y demande à sa petite-fille de garder le secret.

L’affaire Didier Jambart, qui éclate en 2011, donne des clés de compréhension à la famille meurtrie. « Je continue d’avoir honte. Je n’ai jamais réussi à dissocier l’homme malade du comportement incestueux, c’est le drame de cette histoire, je ne lui ai jamais donné de deuxième chance », explique Marie Triau aujourd’hui.

Au-delà des malades atteints de Parkinson, d’autres patient⸱es font les frais de ces graves effets indésirables. En 2015, une quadragénaire qui souhaite conserver l’anonymat commence à ressentir les symptômes du très commun syndrome des jambes sans repos, ces impatiences qui provoquent des picotements et un besoin irrépressible de bouger les membres inférieurs. Ils surviennent surtout le soir et la nuit, et empêchent de dormir. Ce sont 8,5 % des Français⸱es qui en pâtissent, et 2 % en souffrent plusieurs fois par semaine.

Fin 2022, cela s’accentue. « Je faisais le tour de ma cuisine toute la nuit, je ne dormais plus, trois heures maximum par nuit, ça rend fou. Les nerfs prennent le relais quelque temps, puis ma médecin généraliste m’a prescrit du ropinirol [la molécule du Requip – ndlr], sans m’avertir des risques d’addiction associés », témoigne l’ingénieure.

Syndrome des jambes sans repos

Car le ropinirol peut aussi être prescrit dans le cadre de cette pathologie neurologique qui entraîne des mouvements incontrôlés des membres inférieurs. Celles et ceux qui en souffrent sont encore moins bien informé⸱es des risques du traitement que les malades de Parkinson.

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Une boîte de Ropinirole dans une pharmacie à Nice en février 2025.  © Photo Syspeo / Sipa

Au début, « c’est magique, la fameuse lune de miel, le syndrome disparaît et [elle] dor[t] enfin », se souvient cette habitante de la côte méditerranéenne, envahie de casinos.

Avant sa mise sous traitement, elle s’y rendait de temps à autre à titre récréatif et en demeurant « raisonnable » sur les dépenses. Elle va devenir complètement accro à la roulette, au black-jack et aux machines à sous. Et dépenser dans les 1 000 euros par soirée, s’y rendre plusieurs nuits d’affilée, jusqu’à la fermeture, à 4 heures du matin ou du moins jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus retirer d’argent.

Ses comptes se vident, et ceux de ses enfants aussi : elle puise 6 000 euros dans l’épargne de ses ados. Elle emprunte aussi à des proches, multiplie les crédits révolvings au point de dilapider 90 000 euros en dix-huit mois.

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En août 2024, elle se fait interner en hôpital psychiatrique pour un séjour de sevrage face à une addiction aux jeux d’argent devenue indomptable. Le psychiatre scrute ses ordonnances et l’informe que c’est l’un des effets indésirables du ropinirol.

« Qui lit les notices ? Et quand bien même je l’aurais lue, en voyant que ce risque d’addiction était si peu mis en avant, je ne m’en serais pas inquiétée. J’en veux aux laboratoires qui se font des bénéfices sur le dos des patients, mais pas à ma médecin qui ne m’a pas informée, même si ça m’aurait sûrement permis de réagir plus rapidement. Peut-être que les généralistes ne devraient pas pouvoir prescrire ces médicaments. En tout cas, la prescription devrait être mieux encadrée », analyse-t-elle.

C’est ce qui l’a poussée à notifier son intention de porter l’affaire en justice à l’automne 2025, contre des laboratoires qui produisent un générique, la copie du Requip, elle qui n’a « plus rien à perdre ». Elle est défendue par les mêmes avocats que Stéphane Grange, du cabinet Maltet Belkacem associées, mais c’est la première plainte liée aux effets indésirables du ropinirol qui ne concerne pas la maladie de Parkinson. Elle attend avec impatience l’audience du 27 novembre, et espère un jugement qui pourrait faire jurisprudence.

Rozenn Le Saint

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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