Crise climatique : un fardeau sanitaire déjà bien réel
Juliette Seblon | 26 Novembre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/crise-climatique-fardeau-sanitaire-déjà-bien-2025a1000x47?ecd=wnl_all_251126_jim_daily-doctor_etid7905602&uac=368069PV&impID=7905602&sso=true
Les liens entre dérèglement climatique et santé humaine ne relèvent plus de la spéculation. Le dernier rapport du Lancet Countdown, publié en partenariat avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), tire la sonnette d’alarme : l’inaction climatique tue déjà, chaque année, plusieurs millions de personnes dans le monde. Un constat qui fait de la protection de la santé publique un levier central, et encore largement sous-exploité, de la politique climatique.
Une mortalité évitable, mais en hausse
La hausse des températures, désormais structurelle, a entraîné une explosion du nombre de décès liés à la chaleur : +23 % depuis les années 1990, soit en moyenne 546 000 morts chaque année (même si le froid continue à tuer davantage). En 2024, chaque personne a été exposée à 16 jours de chaleur extrême qui n’auraient pas existé sans le réchauffement anthropique. Les nourrissons et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables, confrontés à des pics thermiques jusqu’à quatre fois plus fréquents qu’il y a deux décennies.
Les conséquences ne s’arrêtent pas là. Feux de forêts, sécheresses, pertes de productivité liées à l’exposition à la chaleur, désorganisation des systèmes agricoles : en 2023, 124 millions de personnes supplémentaires sont tombées dans l’insécurité alimentaire modérée ou sévère. Le coût économique est abyssal. Rien qu’en 2024, la perte de productivité attribuable à la chaleur a été estimée à 1 090 milliards de dollars.
Un déséquilibre budgétaire qui entretient la crise
L’un des paradoxes les plus frappants du rapport concerne la répartition des ressources financières. En 2023, les États ont dépensé près de 1 000 milliards de dollars pour subventionner les énergies fossiles – soit plus de trois fois le montant promis aux pays vulnérables pour s’adapter au changement climatique. Quinze pays ont même alloué plus de budget aux combustibles fossiles qu’à leur propre système de santé, un indicateur criant de priorités inversées.
Des bénéfices immédiats à l’action climatique
Face à ce constat, le rapport insiste sur les bénéfices majeurs et divers d’une transition écologique rapide. Entre 2010 et 2022, les politiques de réduction du charbon ont permis d’éviter environ 160 000 décès prématurés par an liés à la pollution de l’air. En parallèle, la production d’électricité issue de sources renouvelables a atteint un niveau record en 2024, générant 16 millions d’emplois dans le monde. Deux tiers des étudiants en médecine reçoivent désormais une formation sur les liens entre climat et santé, preuve d’une prise de conscience dans les milieux académiques et hospitaliers.
Le secteur de la santé lui-même a engagé sa transition : les émissions de gaz à effet de serre qu’il génère ont baissé de 16 % entre 2021 et 2022. Et près de 60 % des pays membres de l’OMS ont déjà établi un plan d’adaptation sanitaire au changement climatique.
Un appel à la cohérence politique
Alors que la COP30 vient de s’achever à Belém, au Brésil, les conclusions du Lancet Countdown 2025 ont offert une base scientifique solide pour replacer la santé au cœur des négociations climatiques. Le rapport de l’OMS établi pour la conférence a ainsi mis l’accent sur les politiques et les investissements nécessaires pour répondre simultanément aux enjeux sanitaires et environnementaux.
Pour les auteurs du rapport, il ne s’agit plus seulement de démontrer les effets sanitaires du réchauffement climatique, mais de choisir entre deux trajectoires : continuer à ignorer les données et aggraver les crises, ou agir sans attendre pour sauver des millions de vies.
La substitution des énergies fossiles par des sources renouvelables (sans oublier l’énergie nucléaire), l’adoption de régimes alimentaires durables, la planification urbaine adaptée, ou encore la refonte des systèmes de soins sont autant d’actions qui peuvent, dès aujourd’hui, limiter les conséquences sanitaires du dérèglement climatique.
Canicules en Europe : une mortalité largement aggravée par le changement climatique
Juliette Seblon | 30 Septembre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/canicules-europe-mortalité-largement-aggravée-2025a1000q6b
L’été 2025 a été marqué par une surmortalité notable dans de nombreuses villes européennes en lien avec différents épisodes de chaleur extrême. Si l’effet des températures élevées sur la mortalité est bien connu, le réchauffement climatique aggrave sans surprise ce phénomène. Une analyse rapide menée par la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM) et l’Imperial College London révèle ainsi que près de 70 % des décès liés à la chaleur cet été auraient pu être évités en l’absence de changement climatique d’origine humaine.
Une hausse de température de +2,2°C en moyenne, aux conséquences fatales
L’étude s’est appuyée sur des données issues de 854 villes représentant 30 % de la population européenne. Selon les modèles utilisés, l’élévation des températures estivales, en moyenne de +2,2 °C (avec des pics à +3,6 °C), a significativement augmenté la mortalité, en particulier chez les personnes âgées. Les plus de 65 ans représentent 85 % des décès estimés.
Parmi les pays les plus touchés, l’Italie arrive en tête avec 4 597 décès directement attribuables au réchauffement climatique. Elle est suivie par l’Espagne, qui enregistre 2 841 morts, l’Allemagne (1 477 décès), la France (1 444), et le Royaume-Uni (1 147). Ces chiffres traduisent une surmortalité significative à l’échelle européenne.
Si l’on se concentre sur les capitales, Rome, Athènes et Paris arrivent en tête, avec plusieurs centaines de morts excédentaires.
Les auteurs signalent par ailleurs un épisode de chaleur extrême survenu en juillet qui a particulièrement touché la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce et Chypre, entraînant près de 1 000 décès en une seule semaine. Ce type de phénomène, de plus en plus fréquent, souligne la nécessité d’une anticipation spécifique dans les régions déjà exposées à des vulnérabilités structurelles (accès aux soins, précarité énergétique, vieillissement).
Adapter les systèmes de santé ne suffira pas sans action climatique
Les auteurs constatent qu’en dépit de la mise en place de plans canicule et de systèmes d’alerte dans de nombreux pays européens, le fardeau sanitaire des vagues de chaleur reste élevé et ce d’autant plus que l’on suspecte une sous-estimation chronique des décès liés à la chaleur, souvent masqués par des pathologies cardiovasculaires ou respiratoires non attribuées directement aux températures extrêmes.
Aussi, formulent-ils différentes recommandations qui sont dans la lignée de celles habituellement présentées : adaptation des rythmes de travail et des calendriers scolaires, développement d’îlots de fraîcheur urbains, tels que les espaces verts et bleus et rénovation thermique des logements (ce qui peut inclure la climatisation). En ville, notamment, le phénomène d’îlot de chaleur urbain caractérisé par des températures significativement plus élevées qu’en milieu rural, accroît le risque pour les habitants, en particulier les plus précaires.
Les auteurs insistent donc sur l’importance de politiques urbaines intégrant l’adaptation climatique, combinée à une meilleure prise en charge médicale des patients vulnérables en période de canicule. Enfin, le renforcement des infrastructures de santé publique est jugé essentiel pour faire face aux défis sanitaires croissants liés au réchauffement climatique.
Cependant, la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre reste la seule voie pérenne pour limiter les impacts sanitaires du réchauffement climatique.