Dans la plaine de Crau, le projet de ligne à très haute tension (THT) menée plusieurs espèces d’oiseaux déjà menacées.

Un projet de ligne à très haute tension à Fos-sur-Mer menace d’extinction un oiseau protégé

Un courrier des services de l’État pointe le risque d’extinction de plusieurs espèces menacées si le projet de ligne à très haute tension vers Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône, est maintenu. RTE, opérateur qui supervise le projet, assure que le risque est « très faible ».

Violette Artaud (Marsactu)

24 novembre 2025 à 18h12 https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/241125/un-projet-de-ligne-tres-haute-tension-fos-sur-mer-menace-d-extinction-un-oiseau-protege?utm_source=quotidienne-20251124-200707&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20251124-200707&M_BT=115359655566

C’est un oiseau qui ressemble fortement à une perdrix, mais aux couleurs orangées, et qui porte le joli nom de ganga cata. Les plus chanceux peuvent le rencontrer dans le nord-ouest de l’Afrique, en Turquie, en Israël, au Kazakhstan ou encore en Inde, mais aussi dans la plaine de la Crau, dans les Bouches-du-Rhône. Du moins, pour le moment. Car le ganga cata est classé en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Et un projet en cours pourrait bien finir d’achever cette petite bête à plumes sur le territoire français.

Dans un courrier daté du 6 novembre 2025, les services de l’État reviennent sur les conséquences que pourrait avoir sur plusieurs espèces d’oiseaux le projet de ligne à très haute tension (THT) censée relier la zone industrielle de Fos-sur-Mer au Gard.

La direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Occitanie, à l’origine de ce courrier, écrit ainsi : « Le bilan établi met en évidence des risques significatifs et non évitables de dégradation de l’état de conservation des populations et de leurs habitats pour trois des quatre espèces citées […], ainsi que d’un risque de disparition à moyen terme de la population française de ganga cata. »

Illustration 1
Lignes et pylônes électriques au niveau du lotissement du Clos des Santolines à Port-de-Bouc, le 7 février 2024.  © Photo Rémi Baldy pour Marsactu

Dans ce courrier, que Marsactu a pu consulter, le ganga cata est au centre des préoccupations : « Le projet créerait un facteur de mortalité supplémentaire au cœur du principal noyau de population de l’espèce, faisant peser un risque direct d’extinction du ganga cata en France métropolitaine »,lit-on encore sous la plume du directeur régional adjoint de la Dreal Occitanie.

Le tracé de la ligne aérienne à très haute tension, portée par l’État, traverse en effet la plaine de la Crau, « un territoire crucial pour la conservation de l’espèce »,rappelle l’auteur du document. Le risque de mortalité par collision avec les pylônes prévus dans le projet étant « très explicite dans la littérature scientifique ».

Mais la perdrix n’est pas la seule à être menacée par ce projet, qui consiste, plus précisément, « en la suspension sur pylônes d’un linéaire d’environ 60 kilomètres de câbles bordant le Rhône et traversant l’ouest de la plaine de la Crau ». « Le fuseau dit “de moindre impact” recoupe le domaine vital, les voies de migration ou de dispersion des juvéniles, ainsi que l’aire de distribution de cinq espèces d’avifaune menacées »,lit-on en préambule du courrier de la Dreal.

Peut-être plus connus que le ganga cata, ces oiseaux sont l’aigle de Bonelli, le faucon crécerellette, l’alouette calandre et l’outarde canepetière, aussi appelée Tetrax tetrax. Des espèces qui font toutes partie de la directive « Oiseaux » de la Commission européenne, qui a pour objet la protection de ces espèces. Quatre d’entre elles sont également considérées, par arrêté, comme espèces protégées menacées d’extinction en France.

C’est le cas par exemple du Tetrax tetrax, dont la population sédentaire du Languedoc et de la Crau représente 85 % de la population nationale. « Une responsabilité accrue repose sur la conservation des deux noyaux du Gard et de la Crau qui structurent la population méditerranéenne d’outardes (Tetrax tetrax), explicite le document. Le projet, dans sa configuration actuelle, risquerait d’accentuer la fragmentation des deux noyaux de population. » Le tracé, qui traverse la vallée du Rhône au nord-ouest de l’étang de Berre, constituerait ainsi « un obstacle physique majeur ».

« Le projet ne réunit pas les conditions légales »

Il en va de même pour l’aigle de Bonelli, pour lequel la ligne constitue « une barrière physique au cœur de sa zone d’erratisme »,c’est-à-dire l’endroit où ses petits peuvent s’égarer. « Cette perturbation durable du milieu pourrait nuire à la dispersion et à la survie des juvéniles, compromettant ainsi la dynamique globale de la population nationale »,prévient la Dreal.

Quant au faucon crécerellette, « le choix d’une ligne entièrement aérienne traversant la Crau générerait des risques d’incidences sur la population à deux titres » : les collisions possibles et la destruction de son secteur de chasse en période d’élevage des oisillons. Bref, rien qui vaille pour les oiseaux sous les pylônes que l’État lui-même a appelés de ses vœux, aux côtés des industriels du bassin de Fos, pour qui le projet conditionne le bon déroulement de la réindustrialisation « décarbonée » de la zone.

Contacté, RTE balaie d’un revers de la main ce courrier (voir la réponse intégrale en annexes)« RTE a fait réaliser des études de nature à dissiper tout doute scientifique raisonnable quant aux effets des travaux envisagés sur les espèces protégées dans leurs aires de répartition naturelles »,répond le gestionnaire du réseau public d’électricité, qui ajoute : « Les effets résiduels, après prise en compte des mesures d’évitement et de réduction, s’étagent entre très faibles et faibles pour les cinq espèces d’avifaune menacées faisant l’objet d’un plan national d’actions. » RTE appuie également sa réflexion en cours sur les mesures de compensation« L’impact résiduel global a été maximisé dans l’attente des résultats [de mesures] engagées et à venir. »

Enfouir pour mieux protéger

Si la direction régionale de l’environnement Occitanie remet en cause ces mesures de réduction d’impact, elle va aussi plus loin. Elle note que « le projet ne paraît pas réunir les conditions légales permettant d’accorder une dérogation du Code de l’environnement ». Et ce, « compte tenu notamment du risque d’extinction qu’il ferait peser sur l’unique population nicheuse de ganga cata en France ».

De quoi remettre en cause le projet de ligne THT tel qu’il est envisagé ? Contacté sur le sujet, l’État indique ne pas souhaiter réagir pour le moment, mettant en avant le débat global sur la réindustrialisation du golfe de Fos organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP), qui comprend un volet sur la ligne à très haute tension.

La CNDP a fait sur le sujet un certain nombre de recommandations à l’État, particulièrement celle de remédier à un manque d’information de la population. La préfecture des Bouches-du-Rhône a fait savoir qu’elle réservait donc ses réponses dans ce cadre, réponses qui doivent intervenir avant le 13 décembre 2025.

La Dreal Occitanie propose déjà, elle, une solution : enterrer la ligne « sur les tronçons intersectant les voies migratoires et de circulation des oiseaux ». La solution de l’enfouissement est également réclamée depuis plusieurs mois par les agriculteurs et agricultrices, associations environnementales et gestionnaires d’espaces naturels. Mais elle est balayée par l’État et les industriels pour des raisons financières et de délais.

À LIRE AUSSICétacés ! La justice ordonne l’arrêt des travaux maritimes de la liaison électrique France-Espagne

15 août 2024

Sur ce point, RTE rappelle l’origine de la volonté de construire une ligne uniquement aérienne, sans bouger d’un iota : « Seule la stratégie de création d’une ligne aérienne à deux circuits 400 kV entre les postes de Feuillane et Jonquières permet de répondre au besoin de capacités de transit supplémentaires et de sécurisation de l’alimentation électrique de la zone, compatible avec le cahier des charges de l’État. »

Relayés par la presse, cent vingts dirigeants d’industries du bassin de Fos ont lancé mi-novembre un appel en forme d’ultimatum à destination de l’État : si le projet de ligne THT ne se fait pas rapidement, la France risque de rater le coche de sa réindustrialisation bas-carbone, de perdre des milliards d’investissements et des milliers d’emplois, disent-ils en substance. Ou alors la Crau risque de voir disparaître le ganga cata et ses jolies plumes aux couleurs orangées.

Violette Artaud (Marsactu)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire