Dans la Marne, l’État coupe l’aide alimentaire des familles hébergées en hôtel social
Depuis la fin octobre, quelque 200 personnes hébergées à Reims par le 115 ne bénéficient plus des chèques alimentaires qui leur permettaient de faire des courses. La préfecture de la Marne invoque des restrictions budgétaires. Les collectifs protestent contre cette décision qui fragilise davantage les plus pauvres.
26 novembre 2025 à 13h06 https://www.mediapart.fr/journal/france/261125/dans-la-marne-l-etat-coupe-l-aide-alimentaire-des-familles-hebergees-en-hotel-social
LaLa mauvaise nouvelle est tombée de la bouche même de l’assistante sociale qui suit la famille d’Alexandre*. Depuis la fin octobre 2025, la préfecture de la Marne a décidé de supprimer l’aide octroyée à quelque deux cents personnes hébergées dans les hôtels sociaux du département. Sous la forme de chèques, elle offrait une aide de 4 euros par jour et par personne.
Les bénéficiaires ont reçu un courrier du service intégré d’accueil et d’orientation (Siao) de la Marne, que Mediapart a pu consulter. Le gestionnaire du 115 y invoque des « réductions budgétaires décidées par les services de l’État » et indique que le Siao 51 « doit concentrer ses moyens sur le maintien des familles à l’hôtel ».
Alexandre et sa famille, venus d’Albanie, ont été « notifiés en retard » de cette suppression par la travailleuse sociale qui les suit, lorsqu’elle leur a apporté les derniers chèques. « D’abord, c’était le choc mais depuis, on ne sait plus quoi faire,confie Alexandre. L’explication qu’on nous a donnée, c’est que c’était pour faire des économies. Je ne comprends pas pourquoi économiser sur des gens qui n’ont déjà rien. On a déjà tout abandonné pour venir ici et on nous demande d’abandonner notre aide pour la nourriture. »
Le jeune homme de 18 ans est arrivé en France il y a quatre ans, dont deux passés dans un hôtel social de Reims. Depuis un mois, sa famille est « moralement atteinte ». Les autres personnes hébergées à l’hôtel sont, elles aussi, touchées et démoralisées par cette décision, rapporte encore Alexandre. Lui-même confie ne plus « manger à [s]a faim ».
La préfecture indique avoir pris cette décision « en raison d’une hausse des prises en charge à l’hôtel fin 2024 et début 2025 ». Le Siao, chargé d’organiser l’hébergement d’urgence des personnes sans domicile pour le compte de l’État dans le département de la Marne, « s’est trouvé confronté à des dépenses plus élevées que les années précédentes ».
Des arguments qui ne convainquent guère le tissu associatif local. Deux manifestations contre cette mesure et en soutien des familles concernées ont été organisées par la Pépinière contre la précarité (PSCP 51). Étienne Maquin, son président, juge qu’il est nécessaire de s’élever contre une décision « inhumaine » qui prive des familles entières d’une aide déjà « minimale ».

Pour celui qui est engagé de longue date dans la défense des personnes exilées, prendre une telle mesure est « hors sol au regard des besoins réels » puisque, selon lui, « 4 euros, ce n’était pas suffisant ». Ces chèques permettaient néanmoins de choisir les produits dans la liste de magasins fléchés, ce qui n’est pas toujours le cas dans les distributions alimentaires.
À l’hôtel social, un micro-ondes est disponible « en bas », décrit encore Alexandre. Il est par ailleurs formellement interdit aux résident·es d’utiliser des plaques de cuisson, sous peine d’expulsion. Difficile dans ces conditions pour elles et eux de cuisiner des produits bruts, tels que ceux proposés dans les distributions alimentaires.
Les associations locales comme « amortisseur »
Pour Étienne Maquin, cette décision a été prise pour que la ville de Reims « ne soit pas trop attractive ». C’est la rhétorique de « l’appel d’air », selon laquelle octroyer trop d’avantages attirerait trop de personnes étrangères en France. C’est ce qu’il a compris, en creux, de ses échanges avec les différentes autorités concernées. « La classe politique veut aussi savoir si elle peut continuer dans cette voie-là, comme un ballon d’essai. Les préoccupations de l’État sont complètement coupées de la préoccupation des gens, et ça, c’est très grave. »
Lorsqu’il a eu vent de la suppression de cette aide, Fabien Tarrit, du collectif Sövkipeu, se souvient d’« être tombé de sa chaise ». Pour lui, « on vise des personnes qui sont dans des situations extrêmement précaires. C’est tout à fait cynique d’ôter une aide à des personnes dans l’impossibilité de gagner leur vie parce qu’elles ont terminé la procédure d’asile notamment ». Le temps de cet examen, les demandeurs et demandeuses d’asile bénéficient en théorie d’une place dans un hébergement, d’une allocation (ADA) et d’un accompagnement social par un opérateur de l’État. Lorsque l’asile est rejeté, ces mesures prennent fin.
Alexandre maîtrise la langue française et, de ce fait, gère les démarches administratives pour les siens. Il sait qu’il va devoir s’occuper des inscriptions dans les différentes associations d’aide alimentaire. Mais il craint que celles-ci peinent à absorber la demande. « On nous dirige vers d’autres endroits de distribution alimentaire, mais ils sont déjà en galère puisqu’il y a d’autres personnes qui veulent aussi se nourrir. On n’est pas les seuls. »
La préfecture indique encore que le Siao « a informé chaque association concernée en amont de la mise en œuvre de sa décision et a précisé les relais existants vers lesquels se tourner ». Et d’assurer que « les associations d’aide alimentaire n’ont pas fait part de difficultés particulières ».
Parmi les associations concernées, Patrick Pipet, responsable des permanences d’accueil du Secours populaire de Reims, soutient le contraire. Personne ne l’a averti en amont de cette mesure. Si cela avait été le cas, il aurait rappelé aux autorités que le Secours populaire et les organismes du même type ne sont pas susceptibles de proposer une offre adéquate, à savoir des produits immédiatement consommables.
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« Nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette demande-là. Donc là, c’est à l’État de trouver la solution. Comme le dit le proverbe, on ne peut donner que ce qu’on a », ajoute Patrick Pipet, qui précise que sa structure ne s’en sort que grâce à ses partenaires locaux et aux agriculteurs qui offrent des produits.
De manière plus générale, pour lui, l’association ne peut se substituer à « une ressource officielle ou [à] une structure d’État » : « On résiste à ça en leur rappelant leur responsabilité et en refusant de servir d’amortisseur à leur désengagement. »
L’argument de « l’appel d’air »
De son côté, Entraide protestante, une des associations citées par le Siao 51 qui nourrit plus de deux mille personnes, refuse de commenter le fond de la décision. Mais elle confirme que « plusieurs familles concernées se sont présentées depuis cette annonce. Elles [lui] sont adressées par des travailleurs sociaux et des associations partenaires ». La structure assure qu’elle fera tout pour « faire face »à cette hausse de la demande « car il est hors de question pour [elle] de laisser des familles sans nourriture ».
Mais les autres associations et structures contactées par Mediapart sont moins enclines à commenter la suppression de cette aide. Les Restos du cœur de Reims ne souhaitent pas s’exprimer sur le sujet. Ils indiquent simplement qu’une partie des familles concernées étaient déjà inscrites à l’association. La section locale de la Fédération des acteurs de la solidarité n’a pas non plus souhaité répondre à notre sollicitation.
La préfecture de la Marne précise à Mediapart qu’elle s’aligne, par sa décision, « sur les usages déjà en cours dans la plupart des départements ». En clair, elle met à l’arrêt une politique jugée trop généreuse. Difficile de corroborer cette information auprès des différents services de l’État.
Du côté de Départements de France, on indique ne pas disposer de vue globale sur la politique des Siao à l’échelle du pays. La délégation nationale à la lutte contre la pauvreté renvoie quant à elle vers la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), qui rappelle que « l’organisation de l’offre d’hébergement dans le département est pilotée par le préfet et ses services en lien avec le Siao et les associations partenaires ».
Elle ajoute également : « Cet hébergement ne comprend pas de prestation alimentaire, mais les ménages peuvent être orientés et accompagnés vers les structures habilitées à distribuer de l’aide alimentaire (distributions, épiceries solidaires), les centres communaux d’action sociale (aides financières) ou les restaurants solidaires. »
Par ce biais, Fabien Tarrit considère que l’État envoie un message clair : « Il ne veut pas des pauvres et il monte encore un petit peu la barre de ce qui [lui] paraît ignoble. » Dominique Ovise, une autre membre du collectif Sövkipeu, partage cette colère. Elle regrette que cette mesure « ne soulève pas davantage d’indignation ». Les rassemblements organisés ont drainé les seules personnes engagées habituelles, relève-t-elle. La militante s’inquiète surtout de la manière dont les personnes concernées vont pouvoir composer avec cette absence de revenus. « Comment vont-elles faire ? Vont-elles devoir voler pour se nourrir ? »
Jugée trop « critique » par l’État, une association montpelliéraine contrainte d’arrêter son action dans les bidonvilles
La structure Area, qui intervient depuis dix ans dans les squats et bidonvilles, va devoir cesser ses activités et licencier dix salariés. La préfecture de l’Hérault lui reproche des positions « incompatibles avec un financement de l’État », assumant d’infliger une sanction politique.
26 novembre 2025 à 14h33 https://www.mediapart.fr/journal/france/261125/jugee-trop-critique-par-l-etat-une-association-montpellieraine-contrainte-d-arreter-son-action-dans-les-bi
Quatre cents personnes en situation de grande précarité n’auront bientôt plus d’accompagnement. Dix salarié·es vont perdre leur emploi. Dix ans d’action sociale s’achèvent de la pire des manières. L’association Area (Association recherche éducation action), qui intervient dans les squats et les douze bidonvilles de Montpellier depuis 2016, vient d’être placée en liquidation judiciaire et cessera ses activités dans quelques semaines.
Les services de l’État ont décidé de ne pas renouveler sa convention en 2026 et stopperont tout financement – soit 60 % du budget d’Area – pour des raisons clairement édictées dans un courrier officiel : la « posture critique » de l’association n’est plus tolérée. « Vos déclarations dans la presse et celles de votre équipe démontrent l’incompatibilité de votre position avec un financement de l’État », indique la missive de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS).
« C’est violent », lâche José Lagorce, directeur d’Area, qui n’avait jusqu’alors pas communiqué sur ce courrier, reçu fin septembre 2025. « Nous voulions d’abord sécuriser le plan social », explique-t-il à Mediapart. Selon lui, « rien ne laissait présager de façon aussi brutale l’arrêt des subventions » de l’État. Sollicitée par Mediapart, la préfecture de l’Hérault n’a pas répondu.
C’est une grève d’une partie des salarié·es d’Area après l’expulsion d’un bidonville de Montpellier, fin août, qui a déclenché l’ire de la DDETS. Ce mouvement avait été lancé pour dénoncer l’absence de solution de relogement d’une dizaine de personnes. La coordination du social de l’Hérault, collectif regroupant des salarié·es du social et du médico-social, s’était également rassemblée en soutien.

Situé au sud de la ville, avenue de Maurin, sur un terrain de la métropole, le bidonville dit « de la Jasse de Maurin » était occupé depuis 2022 et comptait une centaine d’habitantes et habitants. Le préfet de l’Hérault et le maire de Montpellier s’étaient félicités de son évacuation dans le cadre d’une « politique de résorption » des bidonvilles, menée conjointement par la municipalité, l’État et la Fondation pour le logement. Les autorités avaient par ailleurs rappelé que le site était dangereux, car en zone inondable.
Si la majorité des personnes expulsées avaient été relogées, treize, dont des enfants, étaient restées sans solution car arrivées « trop tard » dans le bidonville. C’est la nouvelle méthode appliquée dans la métropole montpelliéraine : les habitant·es sont recensé·es plusieurs mois avant l’évacuation d’un site et seul·es celles et ceux figurant sur la liste sont relogé·es. Les autorités entendent ainsi éviter de nouvelles installations.
La « posture » de trop
« Les personnes qui étaient ici ont été informées qu’une expulsion serait réalisée à la fin du mois d’août », avait donc justifié le préfet de l’Hérault, François-Xavier Lauch. « Certaines sont arrivées en sachant sciemment cela. Le message, c’est qu’on ne vient pas à Montpellier pour s’installer dans un bidonville », avait ajouté le représentant de l’État, qui entend démanteler tous les bidonvilles de la capitale languedocienne « à un horizon de dix ans ».
Ce « principe de liste qui prévaut » avait été dénoncé par des salarié·es de l’association Area le jour de l’expulsion du bidonville, puis, quelques jours plus tard, par son directeur, José Lagorce, lors d’une conférence de presse. Des grévistes avaient aussi pointé les solutions d’hébergement, jugées peu pérennes, voire insalubres.
Ces critiques ont fortement déplu aux autorités, qui ont rapidement fait savoir à Area que sa convention ne serait pas renouvelée. « Nous avons été convoqués pour entendre qu’il n’était plus possible de travailler avec nous, se souvient José Lagorce. Ils nous ont dit nous avoir supportés pendant dix ans parce qu’on avait de bons résultats mais que cette fois, ça dépassait les bornes. La prise de parole des salariés et leur mouvement de grève, c’était la goutte d’eau… », soupire le directeur d’Area.
Dans son courrier, la DDETS ne dit pas autre chose, se félicitant presque d’avoir maintenu, jusque-là, ses financements malgré la « posture critique des institutions » de l’association. « Cette posture a amené à plusieurs reprises mes équipes à s’opposer à vos positions, depuis plusieurs années, tout en acceptant de continuer à financer la mission d’accompagnement au vu de vos résultats », indique le service de l’État, avant de décréter que cette posture est désormais incompatible avec un soutien financier.
C’est un message qui veut dire : tenez vos troupes et tenez vos langues.
José Lagorce, directeur d’Area
« C’est une sanction politique affirmée par écrit », commente José Lagorce, à l’heure où les libertés associatives sont plus menacées que jamais et que la censure politique se généralise, comme Mediapart l’a récemment documenté.
« On a expliqué que la grève était un droit constitutionnel et la liberté d’expression des salariés également, mais en vain », poursuit le directeur de l’association Area, d’autant plus exaspéré que la structure « a porté sa propre parole » quelques jours après l’expulsion du bidonville et salué certains résultats de la nouvelle politique locale de résorption des bidonvilles.
« Nous avons souligné des évolutions positives et la volonté des autorités de discuter pour trouver des solutions, contrairement aux pratiques précédentes », rappelle-t-il. Hugues Moutouh, préfet de 2021 à 2023, appliquait en effet une « politique bulldozer », évacuant des bidonvilles sans préavis ni solutions de relogement. « À titre personnel, je n’aurais donc pas forcément tenu le même discours que les grévistes, poursuit José Lagorce. Mais cela faisait partie de leur liberté d’expression. »
Selon lui, les services de l’État ont trouvé là « un prétexte » pour se débarrasser d’Area, envoyant, par la même occasion, « un message terrible » au tissu associatif : « Ça veut dire : “Tenez vos troupes et tenez vos langues” Si vous critiquez, on arrête de vous financer, même si vous avez de bons résultats, même si ce que vous faites, ça marche. »
Tous les financements tombent
Car Area, rappelle-t-il, « affichait des résultats solides ». L’association revendique « 45 % des ménages accompagnés en emploi », quatre-vingt-neuf ménages relogés, « plus de 80 % d’accès à la couverture santé » ainsi qu’une « scolarisation accrue des enfants ». Selon lui, la municipalité socialiste de Montpellier « ne pensait pas que ça irait aussi loin » et que la préfecture ne renouvellerait pas la convention d’Area. « Même si la ville était, elle aussi, en colère contre nous »,précise encore José Lagorce. Contactée par Mediapart, la collectivité n’a pas répondu.
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Un appel d’offres doit désormais être lancé pour remplacer l’association. En attendant, 400 personnes seront privées d’accompagnement social dans la dizaine de bidonvilles que compte Montpellier, déplore Area. « Outre le financement de l’État, nous avions aussi ramené des fonds de la ville, de l’ARS[agence régionale de santé – ndlr ] et des fonds européens, indique José Lagorce. Tout cela va tomber avec le retrait financier de la DDETS. Et d’ailleurs, pour 2026, il est trop tard pour demander des fonds européens… »
Il rappelle enfin que son association mène « un accompagnement assez large »auprès « des gens de la rue ou des personnes relogées pour le maintien de leurs droits sociaux ou de la médiation scolaire ». Et se désespère : « Il y avait pas mal de projets en cours et de projets à venir qui n’auront pas lieu. C’est désastreux. »