Tensions entre l’Agence nationale de sécurité sanitaire et le gouvernement. 

L’Anses en proie à un malaise profond

Les conditions du départ de l’ancien directeur général Benoît Vallet cristallisent les tensions entre l’Agence nationale de sécurité sanitaire et le gouvernement. 

Par Publié hier à 05h45, modifié hier à 12h20

Temps de Lecture 4 min.

COLCANOPA

Il suffit parfois d’un unique événement pour cristalliser le malaise et le désarroi qui s’accumulent au sein d’une institution. Ainsi du départ, le 15 novembre, du directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), Benoît Vallet, qui s’est vu refuser, par le gouvernement, la possibilité d’assurer l’intérim à la tête de l’agence jusqu’à la nomination de son successeur. Vécue en interne comme une humiliation, après plusieurs années de fortes tensions avec le pouvoir – en particulier sur les questions agricoles –, cette décision nourrit un peu plus le sentiment d’abandon et l’inquiétude pour l’avenir qui prévalent au sein de l’agence.

Forte de 1 400 agents, celle-ci est investie d’une diversité de missions d’expertise dans des domaines aussi variés que les médicaments vétérinaires et la santé animale, les pesticides, les biotechnologies végétales, les additifs alimentaires, la santé au travail et la santé environnementale au sens large.

C’est dans un climat de profond malaise que son conseil d’administration s’est réuni, vendredi 21 novembre. Avec, comme signe saillant de l’accumulation des dysfonctionnements, un nombre considérable de postes vacants à la tête de l’agence. En plus de son directeur général, l’agence a perdu sa directrice générale adjointe en octobre et fonctionne depuis un an sans directeur administratif et financier et sans directeur des ressources humaines. Autant de fonctions aujourd’hui exercées par des intérimaires.

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Mesure « irresponsable et imbécile »

Les conditions du départ de M. Vallet n’en concentrent que plus de critiques, tant parmi les agents que parmi les administrateurs de l’agence. « Nous avons tous été consternés, dit Nathalie Thieriet, l’une des représentantes du personnel. Benoît Vallet incarnait les valeurs et les missions de l’agence et nous considérons cette décision comme une sanction qui ne dit pas son nom : c’est la première fois qu’un directeur général ne peut assurer l’intérim dans l’attente de son successeur. » François Desriaux, administrateur de l’Anses au titre de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante et des maladies professionnelles (Andeva), critique, de son côté, une mesure « irresponsable et imbécile », qui « fragilise l’agence au pire moment ».

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Selon l’association Robin des bois, qui siège également au conseil d’administration de l’Anses, M. Vallet « avait proposé à ses ministres de tutelle d’assurer l’intérim jusqu’à la nomination d’un nouveau directeur »« Cette option semblait recueillir de la plupart des ministères un accueil favorable, mais elle a été finalement rejetée », assure l’association dans un communiqué. Selon elle, la décision a été prise par le cabinet du premier ministre, dont le directeur n’est autre que l’ancien directeur de cabinet d’Annie Genevard, la ministre de l’agriculture. Interrogé, M. Vallet ne souhaite pas faire de commentaires. Quant au cabinet de Sébastien Lecornu, il n’entend pas apporter d’explications au caractère inhabituel de la situation et se borne à préciser que l’intérim est assuré par le directeur général délégué, Gilles Salvat.

De fait, entre M. Vallet et Mme Genevard, les relations ont été notoirement compliquées. En particulier, M. Vallet s’était personnellement opposé à l’un des articles ajoutés par le gouvernement à la proposition de loi du sénateur (Les Républicains) de la Haute-Loire Laurent Duplomb, et qui visait à placer les travaux de l’Anses sur les pesticides sous le contrôle d’un « conseil d’orientation », notamment composé de représentants de l’industrie agrochimique, des professions agricoles et du ministère de l’agriculture. Le 25 mars, au cours d’une audition parlementaire, M. Vallet avait mis sa démission dans la balance, estimant qu’une telle disposition revenait à « une rupture de [son] contrat ». Elle a finalement été abandonnée.

« Cible d’un bashing systématique »

De telles immixtions du politique ont été inhabituellement nombreuses au cours des dernières années. « Notre travail est la cible d’un bashing systématique, notamment de la part d’élus ou de responsables politiques, ce qui nourrit un profond mal-être au sein de l’agence, relève Jérôme Lozach, l’un des représentants du personnel. Certains agents n’osent même plus dire qu’ils travaillent à l’Anses ou évitent les conversations sur le sujet dans le cercle familial ou amical. »

Critiquée pour son laxisme supposé par la société civile ou la justice, l’Anses est a contrario mise en cause, et de manière de plus en plus décomplexée, par des syndicats agricoles, voire au plus au niveau de l’exécutif, pour un rigorisme sanitaire et environnemental qui la conduit à retirer du marché des pesticides jugés problématiques. Depuis 2016, c’est en effet l’agence, et non plus le ministère de l’agriculture, qui est chargée de délivrer les autorisations de mise sur le marché de ces substances. Ou d’en ordonner le retrait.

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« Nous sommes constamment pris entre des injonctions contradictoires traduisant le manque de vision politique de nos dirigeants, affirme Mme Thieriet. La plupart veulent à tout prix que la politique agricole actuelle soit poursuivie, même si ce n’est pas possible. » L’accumulation des tensions a atteint ces dernières années un niveau inédit. En mars 2023, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau critique publiquement sa décision de retirer du marché le S-métolachlore, dont les produits de dégradation sont retrouvés dans les nappes phréatiques.

Un mois plus tard, c’est un autre produit, la phosphine, qui se trouve au centre d’un rapport de force entre le ministre et l’agence – qui amendera sa copie. Fin 2023, l’expertise collective de l’Anses sur les plantes issues des nouvelles techniques génomiques (NGT) – ou nouveaux OGM – va à l’encontre de la volonté du gouvernement et du chef de l’Etat de déréguler largement ces plantes et de les exempter d’évaluation des risques : elle sera bloquée plusieurs jours durant selon la volonté du ministère de l’agriculture. En novembre 2024, les actions de blocage menées par des syndicats agricoles devant l’Anses (et d’autres institutions publiques) ne sont pas condamnées par Mme Genevard, qui leur apporte, au contraire, son soutien sur les réseaux sociaux.

Une forme de dénigrement

A ce qui est vécu en interne comme une forme de dénigrement s’ajoutent des tensions fortes sur les moyens de l’agence. « Il y a deux ans, l’Anses avait les moyens de fonctionner trente-trois jours sur trésorerie propre. En 2024, c’était onze jours, poursuit Mme Thieriet. Pour l’année à venir, au vu du budget initial qui a été présenté, l’agence ne disposerait, fin 2026, d’aucune marge de manœuvre sur sa trésorerie. Cette situation n’est pas soutenable. » De sources syndicales, l’agence est ainsi dans l’incapacité de budgétiser les revalorisations salariales de ses agents qui dépendent du ministère de l’agriculture.

Onze équivalents temps plein effectifs doivent en outre être supprimés en 2026, dans un contexte général d’alourdissement de la charge de travail. Depuis 2024, l’agence est, par exemple, chargée de la « cosmétovigilance » et de la « tatouvigilance », en sus de ses autres missions. Sur la foi des données de badges d’accès aux locaux, les syndicats calculent que, depuis plusieurs années, une dizaine d’équivalents temps plein sont gracieusement offerts à l’Etat par le personnel de l’agence. « Nous avons le sentiment que ces contraintes qui s’accumulent sont destinées à nous faire rentrer dans le rang, précise Mme Thieriet. Mais ce n’est pas pour ça que l’Anses a été créée. »

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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