Budget : avec l’éventualité de la suppression de leurs APL, un saut dans l’inconnu pour les étudiants étrangers
Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit de fermer l’accès à l’aide personnalisée au logement pour les étudiants ne venant pas de l’Union européenne. Cette mesure compliquerait grandement la poursuite d’un cursus en France.

A quoi ressemblera la rentrée 2026 pour les étudiants étrangers extracommunautaires ? Alors que le projet de loi de finances prévoit de leur fermer l’accès à l’aide personnalisée au logement (APL), sauf s’ils sont boursiers, l’inquiétude se lit sur les visages des étudiants devant la résidence à vocation sociale Hénéo, rue d’Hautpoul, dans le 19e arrondissement de Paris. Abdou, étudiant en master de santé publique, originaire du Sénégal, s’interroge : « Comment peut-on en venir à établir des critères pour choisir un groupe d’étudiants par rapport à un autre ? Tous ont besoin d’une aide, surtout à Paris, vu le montant des loyers. Les APL, ce n’est pas du tout pour profiter du système. » Avoir un job sera bientôt indispensable pour l’étudiant à l’université Paris-Saclay, qui a déposé son CV dans des supermarchés.
L’incompréhension porte en particulier sur le choix entre nationalités. Si cette réforme est votée à l’issue de l’examen du budget, un étudiant finlandais aura droit à l’APL, mais pas celui venu d’Afrique subsaharienne. L’économie escomptée par Bercy au titre de ce « recentrage » s’élèverait à 200 millions d’euros en année pleine, sachant que sur les 2 milliards d’euros d’aides au logement attribuées aux étudiants, 12 % bénéficient à des étudiants étrangers non communautaires.
Si rares sont les pays européens à avoir fait le choix d’un tel soutien, la France s’est toujours attachée à faire rayonner ses universités à l’international. En mars, la Cour des comptes alertait toutefois sur la perte d’attractivité de l’enseignement supérieur français pour les étudiants étrangers, au profit des pays anglo-saxons, de l’Allemagne ou de la Russie.
Par le biais d’une question au gouvernement, le député socialiste des Bouches-du-Rhône Marc Pena s’est élevé contre ce changement de cap, qui « sacrifie l’ouverture de notre enseignement supérieur, à un moment où le repli sur soi menace nos sociétés ». « Nous partageons cette fierté française d’accueillir les étudiants du monde entier, a rétorqué le ministre de la ville et du logement, Vincent Jeanbrun. En accompagnant les boursiers qui ont de faibles ressources, mais pas nécessairement le riche étudiant texan. » Cet exemple-là n’est toutefois pas le plus parlant. Les quelque 266 000 étudiants extracommunautaires sont en effet originaires pour moitié d’Afrique, à 22 % d’Asie et d’Océanie et seulement à 8 % du continent américain.
« Une forme de préférence nationale »
Surtout, très peu d’étudiants hors Union européenne (UE) bénéficient d’une bourse versée par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Ce qui s’explique par des conditions restrictives : avoir une carte de séjour ou un statut de réfugié reconnu par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, tout en étant domicilié en France depuis au moins deux ans et en attestant d’un foyer fiscal de rattachement. Pour s’inscrire à l’université, ils doivent en outre payer, depuis 2019, des frais d’inscription quinze à seize fois supérieurs.
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« La majorité des étudiants étrangers non communautaires viennent de pays très pauvres. L’étudiant texan, c’est un épouvantail. Et cette restriction des aides au logement n’est rien d’autre qu’une forme de préférence nationale », affirme Manuel Domergue, le directeur des études de la Fondation pour le logement. L’extrême droite s’est pour sa part félicitée de voir le débat se déplacer sur son terrain de prédilection. « Les Français apprennent ainsi que les étudiants étrangers bénéficiaient des APL. Il faut soulever tous les capots », a réagi l’eurodéputée (Reconquête !) Sarah Knafo, sur X.
Dans une autre résidence Hénéo du 19e arrondissement, rue de Meaux, Lyes, étudiant algérien de 20 ans, a obtenu un studio de 20 mètres carrés pour un loyer de 480 euros charges comprises. Il est arrivé en France après son bac et étudie à l’université Paris Dauphine-PSL, en master d’informatique. « Je suis en alternance, mais si je perds mes APL, j’aurai juste de quoi payer le loyer et la nourriture », dit-il.
Hébergé temporairement dans la même résidence, Animesh, 25 ans, venu du Bangladesh, a lui déjà perdu ses APL lorsqu’il a dû quitter sa chambre au Crous cet été. En master de génie mécanique au Conservatoire national des arts et métiers, il cherche désespérément un stage pour valider son diplôme. Ses seuls revenus sont désormais les 600 euros mensuels, qu’il gagne avec un petit boulot. Sans APL, une fois le logement payé, il lui reste 150 euros par mois, pour ses repas. « Je vais au Restos du cœur une fois par semaine, explique-t-il. La vie n’est pas facile, pas du tout même. »
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Dans les résidences d’Hénéo, « parmi les 133 étudiants étrangers hors UE arrivés en 2024, seuls 28 étaient bénéficiaires d’une bourse », précise cette filiale du bailleur social parisien RIVP. Pour ces étudiants étrangers extracommunautaires, l’APL, de 250 euros par mois en moyenne, couvre près de la moitié du loyer. Un apport jugé « essentiel » par Hénéo. Il contribue à ce que les locataires puissent poursuivre des études en France pour ensuite y exercer des professions qualifiées, notamment dans des secteurs en tension.
Ce tour de vis pourrait n’être qu’une première étape. Le député macroniste d’Eure-et-Loire Guillaume Kasbarian, ancien ministre chargé du logement, propose d’aller « un cran plus loin », en supprimant les APL pour tous les étudiants étrangers hors de l’espace européen, boursiers ou non.
