L’état providence en question

Budget 2026 : l’Etat-providence à la française, et sa « générosité maximale », au centre des débats

Les propos du ministre du travail, Jean-Pierre Farandou, ont heurté, en particulier à gauche et chez les syndicats. Les approches des économistes divergent pour trouver de nouvelles recettes. 

Par  et 

hier à 12h15, modifié hier à 14h52 https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/11/21/budget-2026-l-etat-providence-a-la-francaise-au-centre-des-debats_6654297_823448.html

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COLCANOPA

La formule a frappé les esprits, même si elle renvoie à une querelle récurrente. Alors que le Parlement examine, depuis un peu plus d’un mois, les projets de budget de l’Etat et de la Sécurité sociale pour 2026, le débat sur le poids des financements attribués par la collectivité aux actions de solidarité a pris une tournure légèrement polémique. Pour justifier le coup de rabot envisagé sur la prime de Noël – une aide exceptionnelle versée aux bénéficiaires de certains minima sociaux –, le ministre du travail, Jean-Pierre Farandou, a mis en avant, le 4 novembre, la nécessité de « faire attention » « Je ne suis pas sûr que notre pays ait les moyens de poursuivre ces politiques de générosité maximale », a-t-il affirmé, en suggérant ainsi le caractère inéluctable des efforts à consentir, face à la situation désastreuse des comptes publics.

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Ses déclarations ont heurté, en particulier à gauche et chez les syndicats. Très généreux, l’Etat, voire trop ? « Oui, mais avec celles et ceux qui vont très bien », a réagi Marianne Maximi, députée La France insoumise du Puy-de-Dôme, pour fustiger la position d’Emmanuel Macron et du gouvernement qui, selon elle, se refusent à mettre à contribution les plus riches. Les mots employés par M. Farandou pour qualifier la prime de Noël ont été jugés déplacés par Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, car ils concernent des personnes précaires, touchant une somme « d’un peu plus de 100 euros, qui sont allocataires du RSA [revenu de solidarité active], en recherche d’emploi, et qui n’ont pas beaucoup plus de 500 euros par mois ».

En réalité, sur ces thématiques, parler de « générosité ne veut pas dire grand-chose », aux yeux d’Alexandra Roulet, professeure d’économie à l’Insead et ancienne conseillère macroéconomie d’Emmanuel Macron à l’Elysée (2022-2023). « L’important, ajoute-t-elle, est d’évaluer, d’une part, l’efficacité des politiques publiques menées et, d’autre part, l’équité, selon plusieurs dimensions, entre riches et pauvres, entre jeunes et vieux, par exemple. » « C’est assez connoté d’utiliser ce terme car il recèle l’idée qu’on donne, qu’on fait un cadeau avec rien en échange », trouve Clément Carbonnier, professeur d’économie à l’université Paris-I. Pour lui, tout l’enjeu est de savoir si nos régimes de solidarité apportent bel et bien le soutien attendu.

« De moins en moins protecteur »

Par ses propos, M. Farandou voulait sans doute rappeler que l’Etat-providence français absorbe un gros volume de ressources. En 2023, « les dépenses de protection sociale » s’élevaient à 888 milliards d’euros, ce qui représentait 31,5 % du produit intérieur brut (PIB), soit presque cinq points de plus que la moyenne de l’Union européenne (UE). Une telle manne concourt au fait que notre pays a un taux de pauvreté plus faible (15,9 %) que la moyenne de ses partenaires de l’UE (16,2 %), sans pour autant empêcher la progression de cet indicateur durant les dernières années. « Notre système reste relativement protecteur, mais il l’est de moins en moins, et ça se répercute sur les inégalités qui s’accroissent », observe Clément Carbonnier.

L’écrasante majorité des dépenses – un peu plus de 81 % – sont imputables à la santé et au poste « vieillesse-survie » (les pensions principalement). Derrière ces grandes masses se pose la question des recettes pour y faire face. Comme le résume Alexandra Roulet, « le sujet, c’est la soutenabilité de notre modèle ». Celle-ci est clairement interrogée, avec la réapparition d’impressionnants déficits de la « Sécu », depuis la crise sanitaire de 2020-2021, que les gouvernements successifs ne parviennent pas à résorber : en 2025, le « trou » devrait atteindre environ 23 milliards d’euros, alors même que la France n’est ni confrontée à une épidémie de grande ampleur ni à une récession économique.

Pour résoudre ces difficultés, les approches divergent. Directeur de recherche du CNRS à Sciences Po Paris, Bruno Palier pense que l’heure est venue de reconsidérer la politique de l’offre en faveur des entreprises. « Le financement de notre système de protection sociale est sous tension aujourd’hui car les gouvernements, depuis une trentaine d’années, se sont privés de moyens, estime-t-il. Pour combattre le chômage, notamment des plus précaires, ils ont cherché à alléger le coût du travail par le biais d’exonérations massives de cotisations sociales que l’Etat compense, pas tout à fait intégralement, en octroyant à la Sécurité sociale des recettes fiscales. »

Ces choix pèsent sur les comptes de la nation « sans pour autant avoir des résultats probants sur l’emploi et, au-delà, sur la prospérité du pays », poursuit-il. Tout se passe, d’après lui, « comme si on affamait la bête – “Starve the beast”, pour reprendre une formule des conseillers de Ronald Reagan, dont la stratégie a consisté à vider les caisses de la puissance publique pour mieux procéder ensuite à des coupes budgétaires ».

« Reprendre le contrôle de la dette »

Ancien magistrat à la Cour des comptes et fondateur de Fipeco, un site d’informations sur les finances publiques, François Ecalle porte un regard différent. Il part, tout d’abord, du constat que notre modèle social consomme une bonne part de la richesse nationale. Or, enchaîne-t-il, la France « doit reprendre le contrôle de sa dette », qui atteint quelque 3 400 milliards d’euros, à un moment où il lui faut également accorder davantage de « financements pour la défense et la décarbonation de l’appareil productif »« Nous ne pouvons guère augmenter les prélèvements obligatoires, ceux-ci se situant déjà à un niveau élevé, invoque-t-il. Face à toutes ces contraintes, l’une des solutions à privilégier est de réduire les dépenses, notamment dans la sphère de l’Etat-providence. C’est inévitable. »

Dans cette optique, « différents leviers peuvent être actionnés », souligne François Ecalle, en citant, par exemple le taux de remboursement de soins ou les conditions d’accès aux dispositifs. « D’autres pays sont passés par là », complète-t-il : la Suède a procédé, d’elle-même, à de tels ajustements dans les années 1990. L’Espagne, le Portugal et l’Italie l’ont fait plus récemment, « sous la pression d’institutions financières internationales ». « Et leurs efforts ont payé », fait-il valoir.

Clément Carbonnier met toutefois en garde : si certains risques, liés à la maladie ou à la vieillesse, ne sont plus couverts par la « Sécu » ou le sont moins bien qu’aujourd’hui, les besoins, eux, ne vont pas disparaître : « La dépense existera, insiste-t-il, mais elle dépendra de marchés privés. » La problématique peut « apparaître comme quelque chose de technique géré par Bercy, alors que ça n’est pas du tout le cas », relève Alexandra Roulet. Il s’agit tout bonnement « du contrat social » que la population est prête à signer : il « nécessite un vrai débat », conclut-elle.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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