Pesticides : le commissaire européen à la santé propose de délivrer des autorisations sans limite de temps
Les propositions de simplification réglementaire du commissaire hongrois doivent être examinées mi-décembre par le collège des commissaires avant d’être formellement adoptées par la Commission.
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Ce n’est plus une rumeur, mais une proposition officielle du commissaire européen à la santé, présentée lundi 17 novembre au Conseil, et que Le Monde a pu consulter. Dans le paquet législatif Omnibus dévolu à la simplification de la réglementation européenne sur les questions sanitaires, Oliver Varhelyi propose, entre autres, de revoir profondément le système communautaire d’homologation des substances actives pesticides et biocides en supprimant les demandes de renouvellement régulières auxquelles doivent se plier les firmes. Les propositions du commissaire hongrois doivent être examinées mi-décembre par le collège des commissaires avant d’être formellement adoptées par la Commission, puis elles devront passer devant le Conseil européen et le Parlement.
Aujourd’hui, les autorisations de mise sur le marché sont délivrées pour dix à quinze ans, période au terme de laquelle les entreprises doivent soumettre aux autorités de l’Union une nouvelle demande d’autorisation intégrant – théoriquement au moins – les dernières données scientifiques disponibles. La demande est ensuite évaluée par les agences sanitaires des Etats membres et de l’Union européenne (UE), qui rendent un avis sur lequel la Commission et les Etats membres se fondent pour approuver ou rejeter, la remise en vente du produit.
Dans son projet de refonte réglementaire, le commissaire européen propose que les autorisations soient données sans limite de temps. Entre autres nouvelles dispositions, la « suppression du renouvellement périodique systématique de l’autorisation pour toutes les substances actives », lit-on dans le texte, permettra « de réaliser des économies globales importantes, c’est-à-dire de réduire les coûts de mise en conformité pour les entreprises ». Le projet exclut cependant les substances déjà classées comme particulièrement dangereuses par la Commission.
Le député européen Christophe Clergeau (Socialistes et démocrates) dénonce un principe d’« autorisations éternelles ».« Passer à des autorisations éternelles est très probablement contraire aux traités qui visent un haut niveau de protection de l’environnement et de la santé humaine ainsi qu’au principe selon lequel le droit doit être fondé sur la science, dénonce-t-il. En effet, les effets indésirables de nombreuses substances ont été prouvés ou réévalués au cours de leur utilisation au regard des nouvelles études scientifiques. » L’eurodéputé français estime, en outre, qu’une telle refonte du système « tuerait toute perspective de sortie des pesticides chimiques, et notamment des plus dangereux, car il n’y aura plus aucune incitation à développer des alternatives ».
« Charges réglementaires inutiles »
Les organisations non gouvernementales sont vent debout contre la proposition. « Des pesticides hautement toxiques comme le chlorpyrifos, qui affecte le développement du cerveau des enfants, ou le mancozèbe et le thiaclopride, qui altèrent le système reproducteur ou encore des perturbateurs endocriniens comme le flufénacet, un polluant éternel, n’auraient jamais été bannis sous une réglementation aussi faible, dénonce la toxicologue Angeliki Lyssimachou (Pesticide Action Network-Europe). De la même manière, les néonicotinoïdes tueurs d’abeilles seraient toujours en usage. »
De son côté la Commission européenne se refuse à commenter plus avant le projet du commissaire à la santé, mais assure qu’en tout état de cause, l’objectif n’est qu’un « exercice de simplification visant à supprimer les charges réglementaires inutiles et à accélérer et rationaliser les procédures existantes ». « Les modifications que nous proposons ne réduiront en aucun cas le niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement dans l’Union européenne », insiste-t-on à la Commission.
La logique d’une telle réforme est que les agences réglementaires puissent alerter sur d’éventuels risques identifiés après plusieurs années d’usage d’une substance, sans besoin d’une révision des données à intervalles réguliers. La Commission serait toujours en mesure de l’interdire. « On comprend bien cette logique, mais cela signifie un transfert massif de charge, du privé vers le public, souligne Christophe Clergeau. Ce serait acceptable si le projet prévoyait d’augmenter le budget de l’EFSA [l’Autorité européenne de sécurité des aliments] de plusieurs centaines de millions d’euros et d’arroser la recherche publique de fonds pour mieux suivre les effets des pesticides actuellement sur le marché… Or, je crains que ce ne soit pas exactement l’objectif. »
Dans les faits, les industriels tardent fréquemment à remettre les données à jour en vue du renouvellement de leurs produits et la Commission prend alors des actes d’exécution – l’analogue européen des décrets en droit français – pour en prolonger l’autorisation, parfois pour de longues durées, après l’expiration de son homologation. Cette pratique de l’exécutif bruxellois a été attaquée par plusieurs associations devant le tribunal de l’Union européenne.
Dans une série d’arrêts rendus mercredi 19 novembre, la haute juridiction fait droit à leur recours et précise que « la prolongation temporaire d’approbation des substances actives ne peut être appliquée de manière automatique ou systématique ». « La prolongation de l’approbation d’une substance active revêt un caractère provisoire et exceptionnel », précise le tribunal. Au regard de la proposition de simplification du commissaire, elle pourrait, au contraire, devenir une norme réglementaire.