ÉDITORIAL. Antibiotiques : toujours pas automatique
Philippe Rioux DDM
L’édito du jour, Santé, France – Monde
Publié le 21/11/2025 à 06:31 https://www.ladepeche.fr/2025/11/21/editorial-antibiotiques-toujours-pas-automatique-13061836.php
« Les antibiotiques, c’est pas automatique ». Le slogan de cette campagne de sensibilisation est devenu culte et pourtant, vingt-deux ans après son lancement, les Français ne semblent n’en avoir retenu que la musicalité et pas le fond. En effet, la France, vice-championne d’Europe, reste l’un des pays où l’on prescrit et consomme le plus d’antibiotiques. Les dernières données de consommation d’antibiotiques en secteur de ville, publiée par Santé publique France à l’occasion de la Semaine mondiale de sensibilisation à la résistance aux antimicrobiens et de la Journée européenne d’information sur les antibiotiques, sont édifiantes.
Entre 2023 et 2024, on constate une augmentation de 4,8 % des prescriptions, en ville et hors secteur d’hospitalisation, avec plus de 860 prescriptions d’antibiotiques pour 1 000 habitants réalisées au cours de l’année ! On est loin de l’objectif cible de 650 prescriptions pour 1 000 habitants par an d’ici 2027, fixé par la Stratégie nationale de prévention des infections et de l’antibiorésistance.
« Les antibiotiques, c’est pas automatique » et pourtant les Français semblent donc en réclamer toujours plus, mettant la pression notamment sur leur médecin généraliste qui, faute de temps pour faire de la pédagogie, finit parfois par céder… pour éviter que le patient impatient finisse par tomber dans une dangereuse automédication.
Certes, il y a bien des variations de prescriptions et de consommations d’antibiotiques qui diffèrent selon l’âge, le sexe du patient ou les territoires – l’Occitanie est loin derrière l’Île-de-France, PACA et les Hauts-de-France – mais au global, ces mauvais chiffres sont inquiétants. Pour la santé financière de la Sécurité sociale bien sûr mais surtout pour la santé tout court car la consommation excessive d’antibiotiques conduit à une résistance à leurs effets bénéfiques. Il y a donc là une réelle question de santé publique, en France comme ailleurs dans le monde.
Le mois dernier, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a tiré le signal d’alarme et mis en garde contre une résistance généralisée aux antibiotiques courants dans le monde. Entre 2018 et 2023, la résistance aux antibiotiques a augmenté dans plus de 40 % des associations agent pathogène-antibiotique faisant l’objet d’une surveillance. « La résistance aux antimicrobiens va plus vite que les progrès de la médecine moderne et menace la santé des familles dans le monde entier », a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, appelant les pays à utiliser les antibiotiques de « manière responsable ».
L’antibiorésistance constitue un danger car elle prolonge les hospitalisations, augmente le recours à des molécules plus coûteuses ou plus toxiques et fragilise des actes médicaux majeurs comme les chirurgies ou les chimiothérapies. Les laboratoires pharmaceutiques explorent bien sûr de nouvelles pistes pour contrecarrer cette antibiorésistance, mais seule une action simultanée sur la surveillance, la prévention, l’innovation thérapeutique et la formation permettra de contenir une menace désormais qualifiée de majeure par l’OMS.
Plus que jamais il faut faire confiance à son médecin et traduire enfin en actes que « les antibiotiques, c’est (toujours) pas automatique… »
ENTRETIEN. « La bactérie devient plus forte que l’antibiotique » : le danger de l’automédication chez les Français
Publié le 21/11/2025 à 06:21 , mis à jour à 15:21 https://www.ladepeche.fr/2025/11/21/entretien-la-bacterie-devient-plus-forte-que-lantibiotique-le-danger-de-lautomedication-chez-les-francais-13064135.php
l’essentiel
L’usage des antibiotiques en France est en forte augmentation. Avec une hausse de 5,4 % entre 2023 et 2024, le risque d’antibiorésistance s’accentue, alerte la cheffe du service de pharmacologie du CHU de Toulouse.
Alors que l’on croyait les Français mieux sensibilisés, l’usage des antibiotiques repart à la hausse. Selon une étude de Santé publique France, la consommation figure désormais parmi les plus fortes d’Europe, au deuxième rang du classement. Agnès Sommet, cheffe du service de pharmacologie au CHU de Toulouse, détaille les dangers de cette tendance préoccupante.
La Dépêche : La consommation d’antibiotiques par ordonnance a augmenté de 5,4 % entre 2023 et 2024 en France. En quoi ce chiffre est-il préoccupant ?
Agnès Sommet : C’est préoccupant parce qu’il y a un vrai enjeu autour de l’antibiorésistance, qui découle directement d’un usage inapproprié des médicaments et qui mène à l’impasse thérapeutique. Les antibiotiques agissent en empêchant les bactéries de se multiplier ou en les tuant. Mais lorsque ces bactéries sont trop souvent ou trop longuement exposées à ces molécules, elles finissent par s’adapter. Elles apprennent à devenir moins sensibles à l’effet recherché. En d’autres termes, la bactérie devient plus forte que l’antibiotique. Et une fois ce stade atteint, il n’y a plus de retour en arrière possible.
Pourquoi dit-on que l’antibiorésistance est un défi qui dépasse le seul être humain ?
La résistance aux antibiotiques est un problème à plusieurs niveaux. C’est d’abord un problème individuel, car elle réduit considérablement nos options de traitement. Mais c’est aussi et surtout un enjeu collectif : les nouvelles souches bactériennes résistantes se transmettent entre les individus, faisant de ce sujet l’affaire de tous.
Allons même plus loin. Il s’agit d’un défi qui concerne tout l’écosystème. L’antibiorésistance se propage également dans l’eau et la terre, dépassant les seuls êtres vivants. C’est pourquoi nous parlons d’un problème de santé globale, et qu’il est préconisé de ne jamais jeter ses antibiotiques usagés. En se retrouvant dans les déchèteries, ils risquent de contaminer nos sols. Le seul réflexe responsable est de les rapporter en pharmacie.
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Un Français sur trois avoue réutiliser des antibiotiques en dehors de toute ordonnance. Pourquoi est-ce un facteur aggravant pour l’antibiorésistance ?
L’automédication est un accélérateur majeur de l’antibiorésistance car les prises sont souvent largement inadaptées. Les patients s’administrent des doses incorrectes ou ne respectent pas la durée du traitement, ce qui chamboule les effets. Et puis la prise répétée pose aussi un problème. Par exemple, certains antibiotiques doivent être espacés d’au moins trois mois.

L’autoconsommation mène également à l’utilisation d’antibiotiques à large spectre – efficaces contre beaucoup de bactéries différentes – alors qu’un traitement ciblé serait plus approprié, car il préserve les autres bactéries. En résumé, l’automédication ne garantit ni le bon usage, ni le bon médicament.
Un dernier rappel s’impose. Il est totalement inutile de prendre des antibiotiques en cas de maladie non bactérienne. Ces molécules sont sans effet contre les affections virales courantes, comme le rhume. De plus, cela expose le corps à des effets secondaires qui, même s’ils sont le plus souvent bénins, restent indésirables.
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Qu’est-ce qui explique que les Français aient recours si facilement à l’automédication, notamment avec les antibiotiques ?
Une piste tient au fait que les Français sont particulièrement friands de médicaments en général, à l’exception notable des vaccins. Cette culture de la pilule facile se retrouve aussi chez certains médecins qui ont tendance à prescrire des antibiotiques trop rapidement. Cette tendance à la consommation excessive ne concerne pas uniquement les antibiotiques : la France figure parmi les premiers consommateurs européens pour de nombreuses autres classes de médicaments.
L’objectif national est fixé à 650 prescriptions pour 1 000 habitants d’ici 2027. En 2024, on était à 860 prescriptions pour 1 000 habitants. L’objectif est-il atteignable ?
Je l’espère ! De nombreuses campagnes de sensibilisation sont mises en place depuis des années et permettent de toucher un large éventail de publics. Elles s’adressent à la fois au grand public, qui se demande pourquoi on lui prescrit moins d’antibiotiques, et aux professionnels de santé, notamment au sein des services de pharmacologie et des facultés de médecine.
D’ailleurs, la publication régulière de ces chiffres est en elle-même un élément très positif. Cela prouve qu’il existe une réelle préoccupation, et surtout, que la situation est surveillée de près.
L’OMS alerte sur une résistance aux antibiotiques généralisée dans le monde
L’OMS alerte sur une résistance aux antibiotiques généralisée dans le monde
Publié le 13/10/2025 à 12:39 https://www.ladepeche.fr/2025/10/13/loms-alerte-sur-une-resistance-aux-antibiotiques-generalisee-dans-le-monde-12989564.php
Les bactéries à Gram négatif, dont E.Coli et K. Pneumoniae sont les plus fréquents, sont de plus en plus dangereuses partout dans le monde selon un récent rapport de l’OMS. En cause, leur résistance grandissante aux antibiotiques. Selon l’organisation, celle-ci aurait augmenté pour plus de 40 % des médicaments surveillés, entre 2018 et 2023.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) met en garde lundi 13 octobre contre une résistance généralisée aux antibiotiques courants dans le monde. En 2023, un sixième des infections bactériennes confirmées en laboratoire, était résistant aux traitements antibiotiques. Un chiffre en nette augmentation puisque sur la période 2018 – 2023, la résistance aux antibiotiques a augmenté dans plus de 40 % des associations agent pathogène – antibiotique, faisant l’objet d’une surveillance par l’OMS. En moyenne, la résistance augmentait de 5 % à 15 % par an. « Les données communiquées au Système mondial de surveillance de la résistance aux antimicrobiens et de leur usage (GLASS) de l’OMS dans plus de 100 pays montrent de façon inquiétante que l’augmentation de la résistance aux antibiotiques essentiels constitue une menace croissante pour la santé mondiale », note l’OMS dans un communiqué.
Le nouveau rapport mondial sur la surveillance de la résistance aux antibiotiques donne pour la première fois des estimations de la résistance à 22 antibiotiques, utilisés pour traiter les infections des voies urinaires, gastro-intestinales, sanguines et la gonorrhée. Huit bactéries courantes sont concernées, chacune responsable d’une ou plusieurs de ces infections.
E.Coli et K. Pneumoniae de plus en plus dangereuses
C’est dans le sud-est de l’Asie et en Méditerranée orientale que la résistance aux antibiotiques est la plus élevée avec 1 infection sur 3 signalées. En Afrique, c’est une infection sur 5 qui était résistante. Selon les résultats du rapport, la résistance est plus fréquente et s’aggrave davantage dans les pays où les systèmes de santé n’ont la capacité ni de diagnostiquer, ni de traiter les infections bactériennes.
Parmi les bactéries les plus dangereuses, les bactéries à Gram négatif pharmacorésistantes dont et K. Pneumoniae sont les principales représentantes. Plus de 40 % pour la première et 55 % pour la seconde sont résistantes aux céphalosporines de troisième génération, le traitement de choix contre ces infections. C’est plus de 70 % sur le continent africain. Une situation très grave puisque ces bactéries sont responsables d’infections du sang pouvant entraîner un sepsis (réponse systémique à une grave infection), une défaillance viscérale et un décès.
Il existe bien d’autres options thérapeutiques mais pour eux aussi, la résistance des bactéries gagne du terrain, notamment la résistance aux carbapénèmes, autrefois rare et qui devient plus fréquente. Conséquences : cette résistante pousse à utiliser des antibiotiques de dernier recours, coûteux, difficiles d’accès, et souvent indisponibles dans les pays à faible revenu.
Renforcer les systèmes de laboratoire pour des données plus précises
« La résistance aux antimicrobiens va plus vite que les progrès de la médecine moderne et menace la santé des familles dans le monde entier », a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS. Il recommande d’« utiliser les antibiotiques de manière responsable et (de) veiller à ce que tout le monde ait accès aux bons médicaments, à des outils de diagnostic de qualité garantie et à des vaccins ».
« Notre avenir dépend également du renforcement des systèmes de prévention, de diagnostic et de traitement des infections, ainsi que de la mise au point d’antibiotiques de nouvelle génération et de tests moléculaires rapides utilisables sur le lieu de prestation des soins », a-t-il ajouté.
Pour lutter contre la résistance aux antibiotiques, le GLASS a en outre besoin des données les plus fiables et complètes possibles. Mais de nombreux pays n’ont tout simplement pas la capacité de surveillance nécessaire pour évaluer leur situation et fournir les données à l’OMS. Celle-ci enjoint l’ensemble des pays à s’engager à renforcer les systèmes de laboratoire et à produire des données de surveillance fiables.