« “Il faut être endurant, mais la lutte paie” : contre l’amiante, les coulisses d’un combat payant à Marseille »
Date de publication : 19 novembre 2025 https://www.mediscoop.net/index.php?pageID=1aca0d884ecc63e86ddfa66edfac247c&id_newsletter=22856&liste=0&site_origine=revue_mediscoop&nuid=44baf5968540a6248a8065e80f2f7273&midn=22856&from=newsletter
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C’est ce que titre Libération, qui observe qu’« alors qu’une plainte doit être déposée ce mercredi 19 novembre pour exposition passive au matériau, deux profs […] détaillent la démarche, méthodique et collective, pour enquêter soi-même dans son établissement ».
Stéphanie Harounyan explique ainsi : « Jane-Laure Roger enseigne la SVT, Tristan Navailh-Hamza le français au collège Alexandre-Dumas, dans le 14e arrondissement de Marseille. Tous deux seront présents ce mercredi 19 novembre devant le palais de justice de Marseille, lors du dépôt de la plainte contre X pour «mise en danger délibérée de la vie d’autrui», plaignants comme une cinquantaine d’acteurs de l’Education nationale dans les Bouches-du-Rhône ».
La journaliste relève que « leur bataille de l’amiante, les profs d’Alexandre-Dumas l’ont entamée il y a 18 mois déjà. En mai 2024, ils avaient exercé leur droit de retrait pour dénoncer la présence du matériau cancérigène dans leur établissement. Un bras de fer rude, mais efficace : dès l’été suivant leur mobilisation, des travaux étaient engagés dans l’établissement ».
« Alors que la plainte va suivre son périple judiciaire, ils espèrent surtout un «électrochoc» chez d’autres collègues : à eux de prendre les devants pour vérifier par eux-mêmes la situation dans leur lieu de travail. Comment s’y prendre ? Les deux enseignants livrent leur expérience, façon mode d’emploi », poursuit Stéphanie Harounyan.
La journaliste explique ainsi : « Etape 1 : se former. Depuis 2023, plusieurs syndicats ont lancé des formations au risque amiante. Ces temps d’informations d’une journée, gratuits et ouverts à tous les personnels de l’Education nationale, sont désormais organisés en intersyndicales, le tout chapeauté par l’Avalé, l’association des victimes de l’amiante dans l’éducation ».
« Si l’établissement a été construit avant 1997 (date de l’interdiction de l’amiante en France), le code de la santé publique impose un DTA, document clé cartographiant la présence du matériau. L’obtenir, c’est la première épreuve. […] Dans de nombreux cas, ça rame », relève Stéphanie Harounyan.
Elle poursuit : « Etape 2 : l’enquête de terrain. Son DTA en main, c’est l’heure de «l’enquête visuelle» sur le terrain ».
Tristan Navailh-Hamza souligne que « la règle en amiante, c’est zéro confiance. Il faut regarder la date de la dernière mise à jour, si les choses ont été bien faites… ».
L’enseignant conseille : « Appelez votre syndicat ! Cela permet de mesurer réellement le danger, de ne pas se lancer seul dans les démarches et de réfléchir ensemble aux actions à mener ».
Stéphanie Harounyan évoque enfin l’« étape 3 : la mobilisation. A Alexandre-Dumas, la vingtaine d’enseignants et personnels mobilisés décide de faire une alerte DGI, pour «danger grave et imminent». Dans ce document, rempli individuellement, chacun a la possibilité de cocher, ou pas, la case «droit de retrait». Le tout est envoyé à la Direction des services départementaux de l’Education nationale (DSDEN), qui doit statuer rapidement ».
La journaliste relève que « c’est la douche froide : la DSDEN refuse d’acter leur droit de retrait, renvoyant vers les réponses du département qui assure que les mesures réalisées ne sont pas inquiétantes. Les enseignants ne désarment pas : ils refusent de reprendre le travail, certains se mettent en grève, d’autres en arrêt maladie, angoissés par le danger potentiel ».
Stéphanie Harounyan constate qu’« on leur annonce que des travaux de mise en conformité seront engagés durant l’été, tout comme dans une vingtaine d’autres établissements des Bouches-du-Rhône. Des interventions programmées avant leur mobilisation, soutient le département. «Une étonnante concordance de calendrier», sourit Jane-Laure Roger ».
Tristan Navailh-Hamza déclare quant à lui qu’« il faut être endurant, mais notre histoire montre que la lutte paie ».
Amiante : plus de 50 parents d’élèves, enseignants et agents exposés dans des écoles de Marseille portent plainte pour « mise en danger »
Sept syndicats et trois associations de victimes de l’amiante sont aussi plaignants dans ce dossier, qui concerne douze établissements scolaires, la plupart situés à Marseille.

Ils sont parents d’élèves, enseignants, agents municipaux : une cinquantaine de personnes, toutes exposées à l’amiante dans des écoles des Bouches-du-Rhône, ont déposé, mercredi 19 novembre, à Marseille, une plainte contre X pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui ». Sept syndicats et trois associations de victimes de l’amiante sont aussi plaignants dans ce dossier, qui concerne 12 établissements scolaires, la plupart situés à Marseille.
« La grande majorité des établissements scolaires en France, construits avant son interdiction en 1997, présentent encore à ce jour de l’amiante dans de nombreux éléments du bâti », rappelle l’avocate Julie Andreu, qui représente ces plaignants d’une douzaine d’établissements scolaires. Or la vétusté de certains d’entre eux aggrave l’exposition à l’amiante et, selon l’avocate, « les responsables concernés [collectivités locales] n’ont pas pris les mesures qui s’imposent ».
Manque d’information
Les plaignants se sont rassemblés sur les marches du tribunal mercredi, en début d’après-midi, sous des pancartes ( « A l’école, on prépare son avenir, pas un cancer », ou encore « amiante à l’école, tous concernés, sauf nos élus »), avant de déposer leur plainte auprès du pôle santé du tribunal judiciaire, a constaté une journaliste de l’Agence France-Presse (AFP).
Parmi eux, Nathalie Laclau, professeure des écoles retraitée, est à l’origine de la lutte. Elle a entamé le combat contre l’amiante en 2019, quand une de ses collègues a souffert de lésions de la plèvre. Cette dernière est décédée quinze jours seulement après avoir obtenu la reconnaissance de sa maladie comme maladie professionnelle, selon Mme Laclau.
« On s’est battu des années pour avoir le DTA [diagnostic technique amiante], un document pourtant obligatoire, auprès de la mairie », a-t-elle raconté à l’AFP. « Maintenant ça suffit, on porte plainte aussi pour les écoles de la France entière. »
Le manque d’information, au cœur de ce dossier, fait que « la dizaine de victimes gravement malades ou décédées qu’on a relevée ces dernières années sur le département ne sont que le tout petit côté de l’iceberg », ajoute l’enseignante. Elle prend l’exemple d’une enseignante du Var atteinte d’un mésothéliome (un type de cancer directement lié à l’exposition à l’amiante), qui ne pensait pas avoir été exposée au matériau en étant professeure.
« Les DTA sont parfois inexistants, parfois incomplets », déplore aussi Me Andreu, dénonçant ce manque d’information dangereux pour la santé des personnels scolaires comme des élèves et donnant l’exemple d’enfants de maternelle qui ont « fait la sieste dans une salle dont le plafond est amianté et dégradé » plusieurs mois durant.
L’amiante, classée cancérogène
Classé cancérogène, l’amiante présente des risques pour la santé, principalement par inhalation, lorsque les poussières pénètrent le système respiratoire.
« Une collègue est décédée en avril 2024 des suites d’un cancer lié à l’amiante, reconnu comme maladie professionnelle », a expliqué dans un dossier de presse le collectif Stop Amiante Education, dans lequel sont réunis les syndicats et associations plaignants.
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Le collectif dénonce « de nombreuses défaillances », notamment une absence d’information sur l’amiante, malgré les obligations réglementaires, ou encore une absence de protection pendant les travaux.
En mars, les syndicats enseignants avaient révélé que plus de 80 % des bâtiments scolaires en France étaient potentiellement concernés par la présence d’amiante.
Un rapport du Haut Conseil de la santé publique publié en 2014 prévoit que, d’ici à 2050, 50 000 à 75 000 décès par cancer du poumon dus à l’amiante auront lieu, auxquels s’ajouteront jusqu’à 25 000 décès par mésothéliome (un autre type de cancer).
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Le Monde avec AFP
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La plainte collective contre l’amiante dans des écoles des Bouches-du-Rhône, une action judiciaire inédite : « On parle d’enfants de 2 à 6 ans qui jouent au sol »
S’appuyant sur douze cas de collèges, d’écoles et de lycée, des syndicats, des associations, des enseignants et des parents d’élèves dénoncent une mise en danger de la vie d’autrui.
Temps de Lecture 5 min.

Chaque jour de classe quand elle pénètre dans le collège Alexandre-Dumas, dans le 14e arrondissement de Marseille, où elle enseigne depuis neuf ans, Jane-Laure Roger ne peut s’empêcher d’inspecter l’état des dalles qui recouvrent les couloirs et les salles de cours. Pour cette professeure de sciences de la vie et de la Terre, comme pour bon nombre de ses collègues, la découverte, en mai 2024, qu’elle évoluait dans un environnement potentiellement contaminé par des fibres d’amiante a été un électrochoc. « Jusqu’alors, on faisait notre vie comme dans un bâtiment normal et, aujourd’hui, il y a cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes parce que nous savons que nous avons été exposés depuis des années. Il y a forcément de la méfiance, même quand on doit simplement coller une affiche sur un mur », reconnaît l’enseignante de 34 ans.
Jane-Laure Roger fait partie des près de quarante agents de l’éducation nationale qui ont décidé de participer en leur nom propre à la plainte collective déposée mercredi 19 novembre auprès du procureur de la République du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Marseille. Une plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui, préparée par le cabinet d’avocats TTLA, spécialisé dans les questions de travail, de santé et d’environnement.
Cette action judiciaire est d’une ampleur inédite dans ce secteur. Elle réunit sept organisations syndicales – la CGT-Educ’action, la FSU-SNUipp 13, Sud-Education, CGT-Territoriaux, entre autres –, la Fédération des conseils de parents d’élèves des Bouches-du-Rhône (FCPE 13), l’Association des victimes de l’amiante dans les locaux de l’éducation nationale des Bouches-du-Rhône (Avale 13) et cinquante et un usagers de ces locaux : enseignants, membres des équipes administratives, agents d’entretien et une dizaine de parents d’élèves dont les enfants sont scolarisés dans ces établissements. Leur but ? Alerter sur ce que les plaignants appellent de « graves carences » de la réponse publique face à la menace sanitaire que représente l’amiante et faire reconnaître les dangers encourus par les membres de la communauté éducative.
Un diagnostic dès 2010
La procédure s’appuie sur une série de situations largement documentées dans une douzaine d’établissements scolaires de l’académie d’Aix-Marseille (écoles maternelles et primaires, collèges, lycées), où, selon la plainte, la réglementation en vigueur n’a pas été suivie ou a été mise en place avec beaucoup de retard. « Ainsi, 80 des 132 collèges des Bouches-du-Rhône sont concernés par la présence d’amiante. Et 30 % des établissements scolaires du département n’ont pas de dossier technique amiante, alors que c’est une obligation légale. L’éducation nationale et les collectivités territoriales sont dans le déni. Et elles refusent systématiquement de fournir aux agents une attestation de présence dans des locaux contenant de l’amiante quand ils en font la demande », énumère Sébastien Fournier, cosecrétaire départemental de la FSU-SNUipp.
Lire aussi l’enquête (2017) : L’impossible procès de l’amiante
Au collège Alexandre-Dumas, construit en 1972, qui reçoit plus de 600 élèves et près de 80 professeurs, la prise de conscience est arrivée presque par hasard. « Des collègues qui ont suivi une formation syndicale sur ce sujet ont demandé à voir le dossier technique amiante de l’établissement. Et là, on s’est aperçu que la situation était catastrophique », se remémore Jane-Laure Roger. A la lecture du document, le personnel découvre que, dès 2010, un diagnostic recommandait de « déposer ou remplacer les dalles de sol dégradées contenant de l’amiante » et rappelait les obligations « d’informer toute personne travaillant sur le site ».
Le 28 mai 2024, une partie des enseignants et agents du collège exercent leur droit de retrait – l’éducation nationale considère toujours qu’il s’agit d’une grève – et déposent auprès de leur administration des fiches de signalement de danger grave et imminent. La mobilisation entraînera des travaux de recouvrement des dalles dégradés à l’initiative du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, propriétaire du bâtiment, entre l’été 2024 et avril 2025. Des mesures que la plainte estime « insuffisantes (…) pour garantir la santé et la sécurité du personnel et des élèves présents dans le collège trente-six semaines par an ».
« Maladie professionnelle »
Les risques de l’exposition passive à l’amiante sont parfaitement documentés. Cette roche fibreuse a été massivement utilisée dans le bâtiment avant décembre 1996, date de son interdiction par l’Etat. Elle est classée cancérogène « sans seuil » : une seule fibre inhalée peut provoquer des pathologies mortelles et capables de se déclarer très longtemps après l’exposition. En avril 2024, le cancer du poumon d’une enseignante d’une école primaire des quartiers nord de Marseille a été reconnu comme « maladie professionnelle » due à l’amiante, quelques jours seulement avant son décès.

S’il a été identifié trop tard pour être intégré à la première mouture de la plainte, le cas de l’école maternelle de Cuges-les-Pins, une petite commune de 6 000 habitants à 35 kilomètres de Marseille, doit y être adjoint rapidement. « Après un prérapport en 2019, un diagnostic complet de l’établissement a été effectué en juin 2025. Malgré nos relances, nous avons dû attendre le 2 novembre pour que la municipalité nous le transmette », raconte Cécile Moreau, déléguée de la FCPE 13 dans l’établissement. Dans ce document, l’état des dalles de sol amiantées de deux classes est classé « AC2 », c’est-à-dire nécessitant des actions correctives urgentes. « Il a fallu que les enseignants exercent leur droit de retrait et que les parents d’élèves se mobilisent pour que la mairie agisse. On parle d’enfants de 2 à 6 ans qui jouent au sol et mettent des choses à la bouche », dénonce cette mère d’une fillette de 4 ans.
A Marignane, Eyguières, Saint-Victoret, les récits des enseignants se recoupent : des établissements souvent construits dans les années 1960 qui se dégradent, des difficultés à obtenir la documentation obligatoire, une prise en compte aléatoire des problèmes signalés, mais aussi des interventions réalisées par des agents territoriaux peu ou mal informés. « Si l’on en arrive à la nécessité d’actions correctives urgentes, c’est bien qu’il y a eu des négligences dans l’entretien des bâtis », souligne Monia Haddaoui, déléguée de la CGT-Educ’action 13.
« Surprise » de la ville de Marseille
« Ce sont des situations anxiogènes, car on sait qu’une seule exposition peut générer des cancers », souligne une enseignante de l’école Clair-Soleil, à Marseille, qui participe à la plainte, mais souhaite garder l’anonymat. Dans cette école du nord de la ville, deux classes ont été fermées pour quelques jours après les vacances de la Toussaint. Les plafonds y avaient été percés pour installer des brasseurs d’air et la présence de poussières au sol a poussé l’équipe éducative à prendre des précautions.
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Face à cette plainte, dans laquelle le cas de six de ses écoles est disséqué, la ville de Marseille se dit « surprise ». « Depuis 2020 et notre arrivée à la mairie, nous prenons la question de l’amiante très au sérieux », assure Pierre-Marie Ganozzi, l’adjoint chargé du plan écoles, un programme géant qui vise à rénover près de 180 des 470 établissements scolaires de la commune. L’élu précise que l’ensemble des dossiers techniques amiante a été révisé en 2021, puis en 2024, pour rattraper les retards constatés, et transmis à l’académie. « Toutes les fiches récapitulatives amiante sont en open data sur Internet », explique-t-il.
La commune vient aussi de signer une convention avec la Caisse d’assurance-retraite et de la santé au travail des Bouches-du-Rhône, dans laquelle elle s’engage à suivre les bonnes pratiques recommandées par l’Assurance-maladie dans le domaine. Et elle a lancé un plan de désamiantage sur dix ans « pour enlever définitivement cette substance » dans le bâti scolaire, pour 2 millions d’euros de travaux annuels.
Parmi les plaignants, on ne cache pas que la plainte, au-delà d’une recherche de responsabilités, a aussi un objectif médiatique. « Si cela provoque des prises de conscience et déclenche des travaux, on aura gagné une première bataille », assure la cégétiste Monia Haddaoui. En attendant, rêve-t-elle à voix haute, un grand plan national de désamiantage des écoles.