Des professionnels de santé craignent que des mesures du projet de loi de financement de la « Sécu » prises « au nom d’impératifs comptables » affectent la protection des salariés

Protection des salariés : les évolutions liées au budget de la Sécurité sociale inquiètent des médecins du travail

Des professionnels de santé craignent que des mesures du projet de loi de financement de la « Sécu » prises « au nom d’impératifs comptables » affectent la protection des salariés. Ils appellent les pouvoirs publics à mener en priorité une politique de prévention. 

Par François Desnoyers

Publié hier à 07h00 https://www.lemonde.fr/emploi/article/2025/11/19/protection-des-salaries-les-evolutions-liees-au-budget-de-la-securite-sociale-inquietent-des-medecins-du-travail_6653958_1698637.html?random=1150824188

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« Je vis en ce moment un véritable ascenseur émotionnel. » Dans son cabinet bordelais, ce médecin du travail, qui a souhaité rester anonyme, suit depuis plusieurs semaines et avec fébrilité les discussions parlementaires sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Ce matin-là, il se réjouit : « Le texte prévoyait que l’examen de reprise par un médecin du travail après un congé maternité ne soit plus obligatoire. Un amendement adopté en commission a fait marche arrière. »

Nombreux sont, comme lui, les médecins à recenser au quotidien chaque évolution du texte, analysant les conséquences sur leur pratique professionnelle. « Il y a beaucoup de questionnements » au sein de la profession, confirme Jean Caron, médecin du travail en Ile-de-France.

Aux yeux de ces professionnels de santé, le projet de loi, actuellement étudié par le Sénat après être passé par l’Assemblée nationale, a introduit différentes mesures pouvant affecter négativement la protection des salariés. Les craintes se sont en particulier focalisées sur une proposition : rendre optionnelle la visite médicale à l’issue d’un congé maternité. Si la mesure a été écartée par les députés, « la préoccupation reste : elle pourrait tout à fait resurgir dans la suite du parcours du texte », juge le professionnel de santé bordelais.

L’encadrement des arrêts maladie

Or « cet examen est particulièrement important, après ce moment critique dans la vie d’une femme, appuie Isabelle Legras, médecin du travail et secrétaire générale adjointe du Syndicat national des professionnels de la santé au travail. Il peut être, par exemple, nécessaire d’adapter certains postes lorsque l’accouchement a laissé des séquelles physiques. Autre cas : nous devons être présents si une femme qui allaite revient dans une société où elle est exposée à des produits chimiques. » « C’est inquiétant de constater qu’il y ait des doutes sur l’utilité de ce type de visite, note M. Caron. Une reprise qui se passe mal réduit les chances de se maintenir en emploi. »

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L’encadrement des arrêts maladie est un autre sujet de préoccupation de la profession. « Aucune durée maximale (…) n’est aujourd’hui prévue », rappelle le projet de loi. Les députés ont approuvé une limitation à un mois maximum pour une première prescription et deux mois en cas de renouvellement – des dérogations seront possibles, mais les médecins devront les justifier. Une mesure que le gouvernement présente, entre autres, comme une réponse à la croissance des dépenses d’indemnités journalières. « Ce n’est pas à la loi de décider qui est malade ou non, s’agace Mme Legras. Les médecins traitants connaissent leur métier, ces arrêts font partie des traitements de certaines pathologies »« Il peut être néfaste de faire revenir trop tôt les personnes en arrêt dans le monde du travail », confirme une médecin du travail exerçant à Paris.

Des amendements permettant aux médecins généralistes de prescrire une activité en télétravail en lieu et place d’un arrêt de travail ont également suscité l’attention des professionnels de santé. S’ils ont finalement été eux aussi rejetés par les députés, d’aucuns estiment qu’ils pourraient revenir dans le débat dans le cadre du projet de loi ou dans de futurs textes réglementaires.

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Sur le fond, « c’est une pratique déjà en place et qui est positive dans certaines situations, par exemple lorsque le salarié souhaite reprendre, mais ne peut pas se déplacer en raison d’une jambe cassée », explique Romain Bossut, médecin du travail à Douai (Nord). Ce sont bien davantage les modalités pratiques d’application qui ont été source d’inquiétude pour les médecins du travail. Lesquels ont craint d’être exclus du processus décisionnaire – ils validaient jusqu’alors ces préconisations en s’appuyant sur leur connaissance du terrain professionnel. « Quelle visibilité le généraliste pourrait-il avoir sur l’organisation du travail ? », s’interroge M. Bossut.

Une erreur de stratégie

Les débats actuels au Parlement ont agi comme un révélateur des appréhensions portées par les médecins. De fait, les professionnels de santé avaient déjà noté, en juillet, le souhait de François Bayrou, alors premier ministre, de réformer les visites médicales de reprise. De même, certaines évolutions réglementaires récentes ont renforcé leurs craintes concernant la protection des salariés.

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Des médecins du travail se sont ainsi émus d’une réforme réduisant la fréquence des entretiens professionnels menés avec la hiérarchie – dans le même texte de loi, la mise en place d’un entretien de mi-carrière, articulé avec la visite médicale de mi-carrière, a toutefois pu être perçue comme une avancée positive.

« Le contexte n’invite pas à l’optimisme », note le médecin bordelais. « Que les dispositions avancées dans le projet de loi soient adoptées ou non, il demeure très préoccupant que ces sujets arrivent sur la table », résume M. Caron. Les médecins craignent à présent qu’ils reviennent tôt ou tard dans le débat public.

Au-delà, ils pointent une erreur de stratégie des pouvoirs publics concernant la santé au travail. « Les débats se focalisent énormément sur les conséquences des arrêts de travail et pas assez sur leurs causes. Il faut davantage se concentrer sur la prévention », juge M. Caron. Une action à mener, en particulier, sur les conditions d’exercice, jugée indispensable pour lutter avec efficacité contre les « pathologies liées au travail », estime Mme Legras, tels les troubles musculosquelettiquesou la souffrance psychique« C’est une évolution nécessaire, appuie le médecin bordelais. Mais les priorités comptables qui transparaissent dans les mesures actuelles montrent que nous n’en prenons pas le chemin. »

François Desnoyers

Arrêts maladie : quel est l’impact du plafonnement des indemnités sur les salariés ?

Le plafond de l’indemnité journalière versée en cas d’arrêt maladie a été abaissé en avril, de 53,31 euros à 41,47 euros par jour. La mesure touche avant tout les salariés dépourvus de dispositif de prévoyance ainsi que leurs employeurs. 

Par  Léa PratiP

ublié hier à 06h00, modifié à 10h04 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2025/11/19/arrets-maladie-quel-est-l-impact-du-plafonnement-des-indemnites-sur-les-salaries_6653950_4355770.html

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Des bureaux de l’Assurance-maladie, à Arras, le 16 juin 2017.
Des bureaux de l’Assurance-maladie, à Arras, le 16 juin 2017.  PHILIPPE HUGUEN/AFP

Le 1er avril 2025, le plafond des indemnités journalières versées par la Sécurité sociale (IJSS) en cas d’arrêt de travail est passé de 53,31 euros à 41,47 euros. Susceptible de générer une économie annuelle de « 0,6 à 0,8 milliard d’euros par les administrations », selon la Cour des comptes, la mesure repose sur une modification du plafond de revenus pour le calcul de l’indemnisation ne pouvant dépasser 1,4 smic (soit 2 522,52 euros brut mensuels), contre 1,8 smic (soit 3 243,24 euros brut) auparavant.

Evolution des plafonds des IJSS

Jusquau 31 mars 2025Depuis le 1er avril 2025
Salaire de référence3 243,24 euros (1801,1 x 1,8)2 522,52 euros (1801,1 x 1,4)
Indemnité mensuelle1 625,96 euros1 264,84 euros

Lors d’un arrêt maladie, un travailleur peut potentiellement bénéficier de trois sources de compensation salariale : les indemnités journalières de la Sécurité sociale, le maintien de salaire obligatoire de l’employeur au salarié ayant au minimum un an d’ancienneté et, de manière complémentaire, les régimes de prévoyance.

Un fort impact pour certaines catégories de travailleurs

Les travailleurs principalement concernés par la baisse de ce plafond sont donc les salariés qui ne peuvent prétendre qu’aux seules IJSS, c’est-à-dire les employés n’ayant pas atteint la première année d’ancienneté, mais aussi les salariés à domicile, les saisonniers, les intermittents et les temporaires tels que les intérimaires. Ces derniers sont majoritairement employés dans l’agriculture, les services, l’hébergement et la restauration. Dans ces secteurs précaires, les dispositifs de prévoyance restent difficiles à mettre en place, selon une étude menée en 2017 par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé. Par exemple, pour un salarié saisonnier, la perte de revenu en cas d’arrêt maladie pourrait atteindre jusqu’à 250 euros par mois.

Les artistes-auteurs sont également concernés. Leurs indemnités sont calculées sur les revenus de l’année précédente, appelés « assiette sociale », et non sur l’année en cours. Ce mode de calcul accentue la précarité de ces personnes, dont la rémunération est souvent irrégulière. « Les indemnités ne reflètent pas toujours les besoins réels d’un artiste malade, surtout quand ses revenus varient d’une année à l’autre », explique Loïc Volat, responsable de l’accompagnement à la Maison des artistes. La baisse du plafond à 1,4 smic et l’absence totale de régime collectif de prévoyance fragilisent un peu plus leur couverture sociale.

Source : Centre technique des institutions de prévoyance

D’importantes disparités selon les entreprises

Dans le privé, le nouveau plafond de 2 522, 52 euros brut correspond à un revenu légèrement supérieur au salaire médian des salariés du secteur. Cela signifie que les indemnités journalières de la Sécurité sociale de la moitié des salariés sont désormais plafonnées à 41,47 euros. C’est le socle minimal garanti par le code du travail et la Sécurité sociale : après trois jours de carence, le salarié perçoit une indemnisation de 50 % du salaire de base – c’est-à-dire sans les éventuelles primes (de panier, de transports) – dans la limite du nouveau plafond de 1,4 smic.

Pour autant, cette baisse du plafond ne sera que très peu visible sur la fiche de paie du salarié, car l’employeur est dans l’obligation, depuis la loi de mensualisation de 1978, de verser une indemnité complémentaire à tout salarié comptant au moins un an d’ancienneté dans l’entreprise. Ce complément, perçu après un maximum de sept jours de carence, permet de maintenir jusqu’à 90 % de la rémunération brute pendant une période de trente à quatre-vingt-dix jours, puis 66,6 % sur une nouvelle période équivalente. Au-delà, le maintien de l’indemnisation dépend de l’ancienneté du salarié.

Viennent ensuite les spécificités propres aux régimes de prévoyance, dont bénéficient 80 % des salariés du privé (les cadres y sont systématiquement affiliés), d’après les données du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP). Selon les conventions, négociées au niveau des branches ou des entreprises, le salarié malade peut bénéficier de droits supplémentaires : suppression du délai de carence, taux d’indemnisation plus élevé (jusqu’à 100 % du salaire, puis 80 %), ou encore périodes d’indemnisation plus longues que celles fixées par la loi.

Un transfert de charge vers les régimes de prévoyance

La baisse du plafond des indemnités journalières versées par la Sécurité sociale transfère une part du coût vers les régimes de prévoyance. « Cette mesure décidée par le gouvernement a été mise en place sans concertation avec les acteurs du secteur, pourtant directement concernés », déplore Quentin Bériot, délégué général du CTIP. Jusqu’à présent, la Sécurité sociale finançait la part des indemnités correspondant aux salaires entre 1,4 et 1,8 smic ; cette charge incombera désormais aux employeurs, soit directement, soit grâce à leurs régimes de prévoyance. La mesure équivaut à une baisse de 22 % de la couverture assurée par la Sécurité sociale, que la plupart des dispositifs de prévoyance devraient compenser, ces derniers garantissant souvent jusqu’à 100 % du salaire durant l’arrêt.

Cette compensation aura toutefois un coût : les régimes de prévoyance estiment devoir augmenter leurs cotisations d’environ 2 % pour absorber cette nouvelle charge. Le transfert représenterait près de 800 millions d’euros, contre 700 millions initialement prévus par l’Assurance-maladie, dont les deux tiers seraient supportés par les entreprises et les salariés. « Cette baisse du plafond pèsera à la fois sur le financement des salariés, la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat », avertit Bertrand Boivin-Champeaux, directeur de la Prévoyance au CTIP.

Un système protecteur pour la fonction publique

Dans le secteur public, la couverture sociale, davantage unifiée et protectrice, amortit considérablement l’impact de la mesure. Sans condition d’ancienneté, les agents de la fonction publique bénéficient, après un jour de carence seulement, du « plein traitement », soit le maintien de 90 % du salaire pendant trois mois. Ce maintien – initialement assuré à 100 % – a été revu à la baisse en février 2025, au même moment que la diminution du plafond des IJSS. Au-delà, ils perçoivent la moitié de leur salaire pendant une durée maximale de neuf mois.

Les agents contractuels de la fonction publique d’Etat doivent, quant à eux, justifier d’au moins quatre mois d’ancienneté pour bénéficier d’une indemnisation identique après trois jours de carence. Pour les contractuels des fonctions publiques territoriale et hospitalière, l’indemnisation dépend de l’ancienneté :

  • après quatre mois, l’agent est indemnisé à 90 % pendant trente jours, et à 50 % les trente suivants ;
  • après deux ans, soixante jours à 90 % puis soixante jours à 50 % ;
  • après trois ans, quatre-vingt-dix jours à 90 % puis quatre-vingt-dix jours à 50 %.

En deçà du seuil de quatre mois d’ancienneté, l’agent touche uniquement les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale, soit seulement 50 % du salaire, sans pouvoir excéder 41,47 euros par jour.

Au-delà du congé maladie ordinaire, les agents peuvent être placés en congé de longue maladie. Les stagiaires ont la possibilité de bénéficier d’un congé non rémunéré d’un an, renouvelable deux fois. Les titulaires peuvent être admis à la retraite pour invalidité à tout âge. Les contractuels, en cas d’inaptitude médicale, sont fondés à demander un reclassement ou un congé non rémunéré d’un an, qui peut être prolongé de six mois.

Léa Prati

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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