Faut-il arrêter de rembourser la psychanalyse ?
Quentin Haroche | 19 Novembre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/faut-il-arrêter-rembourser-psychanalyse-2025a1000w9f?ecd=wnl_all_251119_jim_daily-doctor_etid7887547&uac=368069PV&impID=7887547&sso=true
Un amendement sénatorial au PLFSS propose de cesser de rembourser les actes se réclamant de la psychanalyse. Une proposition vivement combattue.
Sale temps pour la psychanalyse. Si cette discipline thérapeutique a longtemps connu de nombreux adeptes parmi les psychiatres français, il semble qu’elle soit par beaucoup reléguée au rang de pseudo-science et sa place dans l’arsenal thérapeutique est de plus en plus remise en cause. Le 8 octobre dernier, le Pr Lionel Collet, président de la Haute Autorité de Santé (HAS), a ainsi proposé que les recommandations de la HAS sur l’autisme soient rendues opposables aux psychiatres, une offensive à peine voilée contre la prise en charge psychanalytique de l’autisme.
C’est désormais au Sénat de porter l’offensive contre les théories de Sigmund Freud et surtout contre leur coût pour la collectivité, alors même que le déficit de la Sécurité Sociale est en train de déraper. La sénatrice centriste de l’Essonne Jocelyne Guidez et dix de ses collègues ont ainsi déposé un amendement au PLFSS qui dispose qu’«à compter du 1er janvier 2026, les soins, actes et prestations se réclamant de la psychanalyse ou reposant sur des fondements théoriques psychanalytiques ne donnent plus lieu à remboursement, ni à participation financière de l’assurance maladie ».
La psychanalyse ne repose sur « aucune validation scientifique » selon les sénateurs
Concrètement, cela signifierait que les thérapies psychanalytiques réalisées dans des centres médico-psychologiques (CMP) ou dans le cadre du dispositif Mon Soutien Psy, qui permet aux personnes souffrant de troubles anxio-dépressifs légers de voir leurs consultations chez le psychologue prises en charge, ne seront plus remboursées par l’Assurance Maladie.
« Cet amendement vise à garantir la cohérence scientifique et l’efficience des dépenses de l’assurance maladie » écrivent les sénateurs dans l’exposé des motifs de l’amendement. « Les soins fondés sur la psychanalyse, en particulier lorsqu’ils s’appliquent aux troubles du neurodéveloppement, aux troubles anxieux ou dépressifs et aux affections psychiatriques chroniques, ne disposent aujourd’hui d’aucune validation scientifique ni d’évaluation positive du service médical rendu par la HAS. Dans un contexte budgétaire contraint, il est légitime que la solidarité nationale concentre son effort sur les prises en charge dont l’efficacité est démontrée et évaluée. En recentrant la dépense d’assurance maladie sur les soins ayant un bénéfice médical avéré, il s’agit de favoriser la diffusion de pratiques thérapeutiques recommandées par la HAS ».
Jocelyne Guidez explique avoir rédigé cet amendement après avoir reçu « de nombreux témoignages de parents qui ont subi des dérives de thérapies psychanalytiques, pour leurs enfants atteints d’autisme ou de TDAH ». « Je trouve ça honteux. C’est scandaleux. Faire de la psychanalyse pour ces enfants, ça ne sert à rien » ajoute-t-elle. La sénatrice précise n’«avoir rien contre les psychologues » et se dit d’ailleurs « favorable à ce qu’ils soient considérés pleinement comme des professionnels de santé, à condition qu’ils s’inscrivent dans une démarche scientifique, ce qui n’est pas le cas de la psychanalyse ».
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Des psychologues défendent la pluralité des approches
Jocelyne Guidez dit avoir reçu le soutien de plusieurs psychiatres depuis le dépôt de son amendement. Le temps où une bonne partie de la psychiatrie française adhérait aux théories de Jacques Lacan semble en effet révolu. Sur Linkedin, le Dr Hugo Baup, psychiatre très actif sur les réseaux sociaux, défend ainsi la proposition de la sénatrice de l’Essonne. « Car elle repose sur des théories souvent non validées scientifiquement et qu’elle peut faire perdre beaucoup de temps aux gens, il ne me semble pas aberrant de questionner le remboursement par la sécurité sociale d’une telle approche » plaide le psychiatre, après avoir rappelé que plusieurs études scientifiques aurait prouvé l’inefficacité de la psychanalyse dans la prise en charge de l’autisme, de la schizophrénie, des troubles bipolaires ou des troubles anxieux.
Evidemment, tous les psychologues ne l’entendent pas de cette oreille. En réaction, le syndicat national des psychologues (SNP) a ainsi déposé une pétition, qui a déjà recueilli plus de 60 000 signatures, demandant le rejet de cet amendement. « Cet amendement, rédigé sans concertation avec les professionnels ni connaissance de la clinique et du travail de terrain, établit une sélection arbitraire des méthodes pouvant bénéficier de fonds publics » estiment les psychologues.
« L’invocation systématique et incantatoire des recommandations de la HAS montre une méconnaissance profonde des réalités du soin psychique. Les prises en charge en psychologie ne peuvent être standardisées comme des actes de médecine somatique : la complexité du psychisme, la singularité des personnes et la diversité des situations cliniques rendent impossible une normalisation des méthodes » poursuivent les psychologues. « Il appartient aux parlementaires de faire la loi, mais il appartient aux professionnels du soin de déterminer les méthodes pertinentes dans leur champ ».
C’est donc un très vieux débat que les sénateurs ont réveillé et vont devoir trancher, alors qu’ils débutent ce mercredi l’examen en séance publique du PLFSS.
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Budget de la « Sécu » : « Ne plus rembourser la psychanalyse, c’est restreindre un pluralisme thérapeutique essentiel »
Tribune
Jérôme-Evariste TerrierPsychologue et psychanalyste
Dans une tribune au « Monde », le psychologue Jérôme-Evariste Terrier s’élève contre le récent amendement du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui propose d’exclure du remboursement l’ensemble des soins et prestations se réclamant, ou s’inspirant, de la psychanalyse.
Publié aujourd’hui à 18h09 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/11/20/budget-de-la-secu-ne-plus-rembourser-la-psychanalyse-c-est-restreindre-un-pluralisme-therapeutique-essentiel_6654191_3232.html
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Le 16 novembre, un amendement du projet de loi de financement de la Sécurité sociale proposait que « les soins, actes et prestations se réclamant de la psychanalyse ou reposant sur des fondements théoriques psychanalytiques ne donnent plus lieu à remboursement », en invoquant l’absence de « validation scientifique » de la Haute Autorité de santé. Il ne s’agit pas d’un ajustement ponctuel, mais de l’exclusion d’un champ théorique entier, ainsi que de toutes les pratiques susceptibles d’en être « inspirées ».
Dès lors, une première difficulté apparaît : comment définir précisément ce qui serait interdit de financement ? L’expression « se réclamant de la psychanalyse » laisse ouverte une zone d’indétermination qui affecte potentiellement une partie du soin psychique contemporain. Car au-delà de ses références explicites, la psychanalyse a contribué à diffuser des outils devenus courants : l’écoute centrée sur la personne, l’attention portée au discours, la prise en compte de l’histoire subjective, ou encore la valorisation du temps de la parole.
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Ces éléments se retrouvent dans la psychiatrie, les psychothérapies intégratives, les thérapies cognitivo-comportementales, le médico-social, les pratiques institutionnelles et même la relation d’aide non spécialisée. Ce constat ne dit rien de la supériorité d’une approche sur une autre ; il montre simplement que le paysage actuel est hybride, et que tracer une frontière nette serait compliqué, voire arbitraire.
Si l’amendement s’appuie sur l’argument de scientificité, il faut rappeler ce qu’implique une démarche scientifique cohérente. Lorsqu’un champ est discuté ou insuffisamment documenté, la réponse de la science n’est pas la suppression, mais l’étude. On finance des recherches, on met en place des protocoles, on développe des méthodologies adaptées. C’est ainsi que l’on procède pour des approches nouvelles, des thérapies émergentes, des pratiques encore expérimentales. La psychanalyse – ou les pratiques qui en dérivent partiellement – ne devrait pas échapper à ce principe général. Or l’amendement ne propose aucune voie d’examen, aucune recherche, aucun dispositif d’évaluation. Il retire un moyen d’aide sans instruire le dossier.
Analyser, articuler, approfondir
La psychanalyse n’est ni parfaite ni intouchable. Comme toute approche clinique, elle comporte des limites, elle mérite des critiques, et doit continuer à évoluer au contact des patients. Il s’agit simplement de lui appliquer des règles d’examen adaptées à son objet. Une décision d’exclusion totale demande, en bonne logique, une justification proportionnée. Elle est ici absente.
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L’autre conséquence importante est sociale : les personnes modestes perdraient l’accès à un certain type d’écoute et de travail sur la parole. Aujourd’hui, ce sont les structures publiques – centres médico-psychologiques, hôpitaux, lieux médico-sociaux – qui permettent aux patients sans ressources de bénéficier de démarches inspirées par la psychanalyse, souvent en articulation avec d’autres approches. Si ces dispositifs ne peuvent plus financer ce type de travail, l’accès sera mécaniquement réservé à ceux qui peuvent payer en libéral. Il s’agit d’un constat : réduire l’éventail des soins publics, c’est accroître les inégalités d’accès.
Cet enjeu renvoie à une vertu essentielle de notre système de santé : le pluralisme thérapeutique. Celui-ci découle d’une réalité : la souffrance psychique est hétérogène. Aucune approche unique, qu’elle soit comportementale, médicamenteuse, analytique ou autre, ne peut répondre à la diversité des situations. Les recommandations internationales s’orientent d’ailleurs vers des modèles multifactoriels, reconnaissant la nécessité d’articuler différentes formes de soin selon les personnes et les contextes. Restreindre cet éventail sans justification scientifique solide, c’est réduire notre capacité collective à penser la complexité. Ne plus rembourser la psychanalyse, c’est restreindre un pluralisme thérapeutique pourtant essentiel.
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L’objectif est de maintenir des propositions variées au service des patients. La psychanalyse n’a pas vocation à remplacer d’autres approches, mais à exister parmi elles. Et si certaines pratiques doivent être mieux comprises, il faut les étudier. Les supprimer reviendrait à fermer des voies de soin avant même de comprendre ce qu’elles apportent ou à qui elles peuvent réellement bénéficier.
Le progrès naît de la capacité à accueillir la complexité, pas à l’esquiver. Analyser, articuler, approfondir : voilà ce qui fait avancer le soin. Maintenir la psychanalyse parmi nos moyens, c’est préserver une richesse déjà précieuse pour comprendre les patients et affronter les situations les plus délicates. Qui pourrait croire qu’on aide mieux en pensant moins ?
Jérôme-Evariste Terrier est psychologue clinicien et psychanalyste, membre fondateur de la Maison des adolescents et des jeunes adultes des Pyrénées-Orientales et membre de la Fondation européenne pour la psychanalyse.