« Aliments ultratransformés : “Les entreprises visent la rentabilité, pas la santé des consommateurs” »
Date de publication : 20 novembre 2025 https://www.mediscoop.net/index.php?pageID=78e1e4fb0f9ee1cd8c4f4ade786fa22f&id_newsletter=22857&liste=0&site_origine=revue_mediscoop&nuid=44baf5968540a6248a8065e80f2f7273&midn=22857&from=newsletter
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Olivier Monod remarque à son tour dans Libération : « Un système très rémunérateur au détriment de la santé globale. Dans une série de trois articles publiés par The Lancet, […] 43 scientifiques alertent sur les dangers que fait peser l’industrie agro-alimentaire sur la santé publique ».
Le journaliste indique notamment que « le premier article rappelle les effets néfastes pour la santé des aliments ultratransformés. […] Issus de procédés industriels et bourrés d’additifs (colorants, émulsifiants, conservateurs, etc.), ils sont liés à plusieurs maladies chroniques comme le diabète de type 2 ou certaines pathologies cardiovasculaires (anévrisme, infarctus, insuffisance cardiaque, etc.) ».
Olivier Monod ajoute que « Mélissa Mialon, ingénieure en agroalimentaire et docteure en nutrition, titulaire de la chaire Inserm «Recherche sur les services de santé», a cosigné le troisième article. Elle y décortique l’histoire de cette filière, ses méthodes marketing et rappelle que l’essor de ces produits – en croissance de 26% entre 2009 et 2023 – est le fruit d’une stratégie d’entreprise plus que d’une demande sociétale ».
Le journaliste interroge ainsi : « La dangerosité de cette nourriture est-elle maintenant établie sans équivoque ? ».
Mélissa Mialon répond : « Oui, il s’agit d’un consensus scientifique. Dans le premier article publié par The Lancet, mes confrères font une revue de littérature liant les aliments ultratransformés à douze maladies dont la dépression ou encore la mortalité prématurée ».
La spécialiste souligne que « ces produits sont issus d’un modèle d’entreprises créé pour favoriser la rentabilité et non pour répondre aux besoins des consommateurs. La nourriture ultratransformée est plus rentable pour des grands groupes : elle se conserve plus longtemps, et peut donc être stockée en limitant les pertes ».
Olivier Monod continue : « Comment expliquer que ces produits s’imposent dans le monde entier ? ».
Mélissa Mialon explique qu’« outre le fait qu’ils sont fabriqués pour être plaisants et addictifs, ils sont promus par des pratiques de lobbying similaires à celles de l’industrie du tabac ou de l’alcool. En faisant appel d’ailleurs, parfois, aux mêmes intermédiaires (…). Nous nous sommes aussi entretenus avec des hommes politiques ou des chercheurs qui ont été approchés par cette industrie ».
La chercheure ajoute que « ces entreprises mobilisent un imaginaire positif, avec un budget publicitaire de 13,2 milliards de dollars en 2024 pour Coca-Cola, PepsiCo et Mondelez (…).
Coca-Cola parle de la joie et sponsorise des événements sportifs. Nestlé va se présenter comme un acteur de santé plus qu’une entreprise agroalimentaire.
Pourtant, en 2021, un rapport interne notifiait que 60% des produits de cette entreprise avaient une mauvaise note sur le plan nutritionnel ! ».
« La nocivité des aliments ultratransformés pour la santé confirmée par une série d’études scientifiques »
Date de publication : 19 novembre 2025 Temps de lecture: 3 min

Stéphane Foucart indique dans Le Monde que « la place grandissante des aliments ultratransformés (AUT) dans les régimes alimentaires est une menace à l’échelle mondiale et les preuves de nocivité sont suffisamment solides pour justifier la mise en place de politiques publiques ambitieuses pour inverser la tendance, selon une série d’articles publiés […] dans The Lancet ».
Le journaliste explique ainsi qu’« une quarantaine de chercheurs internationaux établissent l’état de la connaissance sur ces aliments, en même temps qu’ils dressent une liste de mesures susceptibles d’arrêter leur progression et de réduire le fardeau de maladies associées ».
Stéphane Foucart précise que « le premier article de la série du Lancet opère ainsi une revue systématique des études observationnelles disponibles ».
Mathilde Touvier (Inserm), directrice de l’Equipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle, fait savoir : « Nous avons identifié 104 publications qui comparent l’apparition de maladies chez ceux qui consomment le plus d’AUT, par rapport à ceux qui en consomment le moins. Parmi ces travaux, 92 indiquent une association entre la consommation d’AUT et le risque de maladie ».
Stéphane Foucart relève qu’« entre les plus exposés et les moins exposés aux AUT, les risques de maladie de Crohn (une maladie de l’intestin) sont augmentés d’environ 90%, d’obésité abdominale de 33%, de dyslipidémie (concentration sanguine en lipides trop élevée) de 26%, de dépression de 23%, de maladie rénale chronique de 22%, d’obésité de 21% ».
Le journaliste note que « parmi les conséquences les mieux établies, la mortalité toutes causes confondues a été recherchée dans 20 études qui convergent vers une hausse de 18%. Le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires ou l’hypertension sont augmentés des mêmes ordres de grandeur ».
Mathilde Touvier précise que « certains cancers, comme le cancer colorectal semblent également favorisés par les AUT, mais l’association n’est pas encore établie avec les mêmes niveaux de preuve ».
Stéphane Foucart ajoute que les chercheurs « ont également inventorié les résultats des rares essais cliniques disponibles, qui indiquent que même après quelques semaines, le métabolisme, la fertilité masculine ou encore la prise de poids sont altérés par les AUT, parfois à prise calorique constante ».
« D’autres travaux […] suggèrent une diversité de mécanismes à l’œuvre, permettant d’étayer le lien causal entre AUT et maladies chroniques : présence de contaminants dus aux plastiques et matériaux d’emballage, voire aux processus de fabrication eux-mêmes, présence d’additifs (édulcorants, émulsifiants, conservateurs, etc.) altérant le microbiote intestinal ou facteur d’inflammation, etc. », continue le journaliste.
Bernard Srour (Inrae), épidémiologiste, indique ainsi que « poursuivre la recherche est important, mais notre message est qu’il n’est pas nécessaire d’avoir de preuves définitives, ni d’élucider chaque mécanisme impliqué pour prendre des mesures de santé publique. Nous en savons assez pour agir ».
Stéphane Foucart explique que « le deuxième article de la série du Lancet rassemble un large éventail de mesures évaluées par la recherche. Parmi elles, des solutions d’étiquetage, des contraintes sur le marketing et la publicité, sur l’espace de linéaire alloués aux AUT dans la grande distribution, ou sur la disponibilité des AUT dans les écoles ou la restauration collective, etc. ».
Bernard Srour souligne que « l’idée est toutefois de ne pas jouer uniquement sur l’information du consommateur, qui n’est pas responsable de la situation. Il s’agit aussi de changer l’environnement alimentaire dans lequel les gens évoluent ».
Extrait de l’article du Monde: « Nous en savons assez pour agir »
Quelles politiques publiques mettre en œuvre ?
« Poursuivre la recherche est important, mais notre message est qu’il n’est pas nécessaire d’avoir de preuves définitives, ni d’élucider chaque mécanisme impliqué pour prendre des mesures de santé publique, dit l’épidémiologiste Bernard Srour (Inrae), coauteur de l’analyse. Nous en savons assez pour agir. »
Le deuxième article de la série du Lancet rassemble un large éventail de mesures évaluées par la recherche. Parmi elles, des solutions d’étiquetage, des contraintes sur le marketing et la publicité, sur l’espace de linéaire alloués aux AUT dans la grande distribution, ou sur la disponibilité des AUT dans les écoles ou la restauration collective, etc. Les chercheurs à l’origine du Nutri-Score suggèrent, par exemple, que le célèbre logo soit agrémenté d’un fond noir signalant l’ultratransformation du produit, au-delà de sa stricte composition.
Un secteur très profitable
« L’idée est toutefois de ne pas jouer uniquement sur l’information du consommateur, qui n’est pas responsable de la situation, dit M. Srour. Il s’agit aussi de changer l’environnement alimentaire dans lequel les gens évoluent. »
Des restrictions réglementaires sur les autorisations et les quantités d’additifs sont aussi suggérées par les auteurs. Ceux-ci rappellent que le commerce d’AUT est plus rentable que les autres filières de production alimentaire et que des mesures correctives pourraient être mises en place – par exemple par des mécanismes redistributifs, en faveur des producteurs d’aliments plus sains.
Dans le dernier article de la série du Lancet, les chercheurs explorent les barrages dressés par les industriels pour freiner ou entraver l’action politique, influencer les perceptions du public et des décideurs, voire peser sur la production de connaissance.
La diversité des moyens d’action de l’industrie agroalimentaire est considérable, détaille Mélissa Mialon (Inserm), coautrice de la troisième synthèse : « Financement de groupes-écrans, de partis ou de personnalités politiques, soutien massif à des recherches de diversion, lancement d’actions en justice pour s’opposer à des réglementations, intimidation de chercheurs ou de journalistes ou encore marketing qui fait passer [ces industriels] pour des firmes soucieuses de la santé publique, par exemple grâce à la promotion des valeurs liées au sport. »
Un chiffre permet de prendre la mesure de ce pouvoir. « En 2024, Coca-Cola, PepsiCo et Mondelez [Oreo, Milka, Cadbury, LU, etc.] ont dépensé 13,2 milliards de dollars en publicité, écrivent Mélissa Mialon et ses coauteurs, soit presque quatre fois le budget opérationnel de l’Organisation mondiale de la santé. »
Les aliments ultra-transformés, encore un nouvel ennemi public numéro 1
Quentin Haroche | 20 Novembre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/aliments-ultra-transformés-encore-nouvel-ennemi-public-2025a1000we7?ecd=wnl_all_251120_jim_daily-doctor_etid7890470&uac=368069PV&impID=7890470&sso=true
Dans une série d’articles publiés dans The Lancet, des nutritionnistes alertent sur les dangers pour la santé des aliments ultra-transformés et appellent à lutter contre le lobbying de l’industrie agro-alimentaire.
Le combat d’une vie. Depuis 20 ans, le Pr Carlos Monteiro, épidémiologiste à l’université de Sao Paulo, alerte sur les dangers des aliments dits ultra-transformés (un terme qu’il a lui-même inventé) qui se définissent« par le recours à certains procédés de transformation et par l’ajout d’additifs dits cosmétiques et de substances rarement utilisées lors de la préparation des repas à domicile » selon la définition de l’agence de sécurité sanitaire (ANSES). En 2009, il a créé la classification NOVA, qui différencie les aliments selon leur niveau de transformation. Et après dix ans de travaux, il a dirigé la publication ce mardi d’une série d’articles dans The Lancet alertant la communauté scientifique et les pouvoirs publics sur les dangers des aliments ultra-transformés.
Le premier article de cette série, dont le Pr Monteiro est l’auteur, principal est une méta-analyse sur les dangers des aliments ultra-transformés. En compilant 104 études, ces chercheurs ont pu établir que la consommation régulière d’aliments ultra-transformés entrainait un risque de surmortalité toute cause ainsi qu’un risque de diabète, d’obésité, de maladie Crohn mais aussi plus étonnamment de pathologies psychiatriques comme la dépression. « Nous avons été surpris par la variété des maladies dont la prévalence augmente avec la consommation de produits ultra-transformés » explique la nutritionniste chilienne Camila Corvalan, co-auteure de l’étude. Dans la majeure partie des cas, les études montrent une association linéaire entre les quantités consommées et le risque de développer de telles pathologie.
Les produits ultra-transformés constituent 35 % des apports caloriques en France
Les auteurs de ce premier travail se sont également penchés sur l’évolution de la consommation des aliments ultra-transformés et ont pu constater comment, ces dernières décennies, ils avaient peu à peu remplacé les sources traditionnelles d’alimentation. Dans de nombreux pays développés, ces aliments constituent plus de 30 % des apports caloriques de la population (35 % en France) et dépassent même les 50 % aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Canada. Certains pays qui se sont enrichis plus récemment connaissent également une augmentation de la consommation de ces produits : elle a plus que doublé ces trente dernières années en Chine, au Mexique et au Brésil. Seule bonne nouvelle : la consommation de boisons sucrées commence à diminuer en Occident, probablement en lien avec « la multiplication des politiques réglementaires ciblant ces produits » estiment les chercheurs.
Le deuxième article est constitué d’une diatribe contre l’industrie agro-alimentaire et la manière dont elle a inondé le monde ces produits ultra-transformés. « Pour les entreprises de l’agroalimentaire, les aliments ultra-transformés ont l’avantage d’être extrêmement rentables, c’est la raison pour laquelle elles soutiennent des campagnes de marketing intensives » explique le Pr Monteiro. Le chiffre d’affaires généré par les aliments ultra-transformés est ainsi estimé à 1 900 milliards de dollars (1 640 milliards d’euros), soit plus de la moitié des dépenses alimentaires des foyers mondiaux.
Des stratégies de lobbying « dignes de l’industrie du tabac »
Pour conserver ce pactole, les grands groupes de l’industrie agro-alimentaire comme Coca-Cola ou Nestlé n’hésitent pas à faire preuve d’un lobbying intense pour dénigrer les études pointant du doigt les dangers d’une alimentation reposant sur ces produits. « Ce sont des tactiques dignes de l’industrie du tabac » s’indigne le Dr Chris van Tulleken, nutritionniste au King’s College de Londres. « Il faut la même volonté politique que celle qui a permis de lutter contre l’industrie du tabac » martèle dans le même sens le Dr Phillip Baker, de l’université de Sydney.
« Il est temps de faire passer la santé avant le profit » résume l’éditorial du Lancet qui accompagne cette série d’études. Le troisième article met d’ailleurs en avant plusieurs propositions pour réduire le pouvoir de l’industrie agroalimentaire et diminuer l’impact de ces produits ultra-transformés sur la santé publique. Sans surprise, les chercheurs proposent de renforcer l’information du public en mettant en place des systèmes d’étiquetage obligatoire, de taxer les aliments les plus nocifs, de restreindre la publicité pour les produis ultra-transformés, notamment auprès des enfants ou de subventionner l’achat de produits sains et frais, notamment pour les familles défavorisées. L’étude appelle les gouvernements du monde entier à suivre l’exemple du Chili et du Brésil, qui ont lancé un programme d’élimination des produits ultra-transformés dans les cantines scolaires.
Cette série d’articles ne devraient pas faire taire toutes les polémiques scientifiques sur les produits ultra-transformés. Certains chercheurs estiment en effet que la classification NOVA n’est pas fiable, que la catégorie d’aliments ultra-transformés est trop floue et que cela peut conduire à classer certains produits sains, comme les laits végétaux, en produits nocifs. D’autres soulignent que les facteurs de confusion ne peuvent être totalement exclus des études épidémiologiques citées. Mais même les détracteurs du Pr Monteiro reconnaissent qu’il est nécessaire d’agir contre les dangers des aliments industriels. « C’est sûr que les auteurs de ces études sont biaisés en faveur de Nova puisqu’ils l’ont créé » commente Hilda Mulrooney, nutritionniste à la Kingston University de Londres, « mais il est temps d’agir contre ces produits et leurs conséquences pour les individus, les systèmes de santé et les finances publiques ».
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Les aliments ultratransformés ont des effets négatifs forts sur la santé en quelques semaines
Dans le cadre d’un essai clinique analogue à ceux qui sont utilisés pour tester les médicaments, des scientifiques ont étudié les impacts sur la santé d’une alimentation riche en aliments ultratransformés. De nombreux processus biologiques sont affectés.
Par Stéphane Foucart
Publié le 28 août 2025 à 17h00, modifié le 01 septembre 2025 à 17h15
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Un dîner d’aliments ultratransformés servi aux participants de l’étude : des pâtes crémeuses aux morceaux de bacon avec des tranches de poulet et une boisson au sureau, le 3 mars 2022, à la faculté de médecine, à Copenhague. UNIVERSITÉ DE COPENHAGUE
Les humains ne sont pas adaptés à la nourriture industrielle ultratransformée. C’est, à grands traits, la conclusion saillante d’un essai clinique que publie une équipe de recherche internationale, jeudi 28 août, dans la revue américaine Cell Metabolism. Coordonnée par le biologiste Romain Barrès, chercheur à l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire de Sophia-Antipolis (Inserm, CNRS et université Côte d’Azur), cette étude confirme de nombreux résultats récents issus d’observations épidémiologiques. Elle indique surtout, avec un haut niveau de preuve, que les aliments ultratransformés (AUT) sont délétères, indépendamment de la quantité de calories ingérées. Prise de poids rapide et importante, santé cardio-métabolique dégradée, équilibre hormonal perturbé, fertilité masculine altérée : selon ces travaux, inédits par la minutie du protocole mis en œuvre, ces aliments semblent avoir un impact profond sur de nombreux processus biologiques.
« La consommation d’aliments ultratransformés a fortement augmenté au niveau mondial, écrivent les chercheurs. Elle représente désormais plus de 50 % de l’apport calorique au Royaume-Uni, en Australie, au Canada et aux Etats-Unis. »Les données de la cohorte épidémiologique Nutrinet montrent qu’environ 35 % de l’apport calorique moyen des Français provient d’AUT – ceux-ci représentent environ 80 % de l’offre de produits alimentaires de la grande distribution.
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Les AUT sont obtenus grâce à des processus industriels destinés à modifier leur texture, leur goût ou leur durée de conservation, et ils contiennent des additifs (émulsifiants, édulcorants, exhausteurs de goût, conservateurs et sels nitrités, sucre inverti, etc.) que les particuliers ne peuvent se procurer dans le commerce. Céréales du petit déjeuner, nuggets et viandes transformées, nouilles instantanées, soupes déshydratées, sauces, pains et biscuits industriels, boissons sucrées ou desserts lactés : la base de données Open Food Facts permet aux consommateurs de s’y retrouver en donnant pour chaque produit son score de transformation, selon l’échelle NOVA, dont le quatrième et dernier échelon est celui des AUT.
Des résultats « intéressants et encourageants »
La plus grande part des études estimant le fardeau sanitaire de ces aliments provient de travaux épidémiologiques qui comparent l’état de santé de populations consommant beaucoup de ces aliments industriels et des individus qui en mangent peu ou pas. « La plupart de ces études indiquent que les personnes qui consomment le plus d’alimentation ultratransformée ont un risque accru de certains cancers, de maladies cardio-vasculaires ou métaboliques, comme le diabète ou l’obésité, et même de troubles mentaux, explique Romain Barrès. Mais ces travaux ne permettent pas toujours de savoir si c’est l’ultratransformation en elle-même qui représente un risque ou si ce sont les quantités excessives consommées qui sont en cause : on sait que les effets de ces aliments sur la satiété, par exemple, induisent une surconsommation par rapport aux produits non transformés. C’est à cette question, entre autres, que nous avons cherché à répondre. »
Un dîner à partir d’aliments ultratransformés servi aux participants de l’étude : porc effiloché au barbecue avec oignons caramélisés, pommes de terre au four, sauce barbecue, pain brioché, limonade, le 3 mars 2022, à la faculté de médecine, à Copenhague. UNIVERSITÉ DE COPENHAGUE
Un dîner à partir d’aliments non transformés servi aux participants de l’étude : salade de quinoa et d’épinards, pommes de terre, saumon, pain de seigle, vinaigrette à l’orange, le 3 mars 2022, à la faculté de médecine, à Copenhague. UNIVERSITÉ DE COPENHAGUE
Pour étayer le lien causal entre AUT et maladies, les chercheurs ont procédé à un essai clinique, analogue à ceux qui sont menés sur les médicaments, dans lequel ils ont enrôlé une quarantaine de personnes. Dans un premier temps, l’alimentation des participants a été contrôlée pendant trois semaines : certains s’alimentaient avec des repas ultratransformés à plus de 75 %, tandis que l’on fournissait aux autres des repas composés d’aliments pas ou peu transformés, représentant strictement le même apport calorique. Après une pause de trois mois, les participants ont ensuite entamé la seconde phase de l’essai. Pendant trois autres semaines, les rôles ont été inversés : ceux qui avaient reçu une alimentation ultratransformée ont eu droit à une alimentation peu ou pas transformée, et vice versa.
Ces nouveaux travaux sont jugés « intéressants et encourageants » par Mathilde Touvier, chercheuse au sein de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Inrae, Inserm, CNAM, université Sorbonne-Paris Nord), autrice de nombreux travaux sur le sujet, et qui n’a pas participé à l’étude. « Le nombre d’essais contrôlés randomisés testant expressément l’impact d’une alimentation ultratransformée sur des paramètres de santé, tout en contrôlant le rôle joué par l’apport calorique, est très limité pour le moment », précise l’épidémiologiste française, principale investigatrice de la cohorte Nutrinet, dont les données suggèrent déjà que « les AUT semblent avoir un effet au-delà de leur profil nutritionnel ».
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Une grande part des biais expérimentaux écartés, les chercheurs ont évalué cette fois l’effet de trois semaines d’un régime alimentaire ultratransformé, à prise calorique constante. « Les résultats nous ont sauté au visage, dit M. Barrès. Nous ne nous attendions pas à des effets de cette ampleur. » Premier constat : en seulement vingt et un jours, le régime ultratransformé augmente la prise de poids de près de 1,5 kilo, principalement en masse graisseuse, par rapport à un régime pas ou peu transformé. Et ce, sans calories supplémentaires. « En fait, les personnes enrôlées dans l’essai avaient dans leur vie quotidienne un régime alimentaire déjà fortement ultratransformé, explique le chercheur. La différence de prise de poids entre les groupes s’explique en réalité par une perte de poids des individus qui ont été amenés dans notre expérience à réduire le niveau de transformation de leur alimentation. »
La biologie des individus bouleversée
Cette part « visible » de l’effet des AUT est associée à des bouleversements de la biologie des individus. Le taux de cholestérol, par exemple, est affecté, en lien avec une baisse de la concentration des hormones impliquées dans le métabolisme énergétique – c’est-à-dire la faculté de l’organisme à « brûler » les graisses et les sucres. Les auteurs mesurent également une tendance à la baisse des hormones impliquées dans la spermatogenèse et à une réduction de motilité des spermatozoïdes – lorsque le régime ultratransformé est associé à un excès de calories.
Un déjeuner d’aliments ultratransformés servi aux participants de l’étude : salade de thon à la mayonnaise, thon en conserve à l’huile, laitue iceberg, pain pita, croustilles de pain de seigle, assortiment de bonbons et limonade, le 3 mars 2022, à la faculté de médecine, à Copenhague. UNIVERSITÉ DE COPENHAGUE
Un déjeuner à partir d’aliments non transformés servi aux participants de l’étude : salade de boulgour aux lentilles et légumes râpés, avocat, poulet au pesto, graines de grenade, le 3 mars 2022, à la faculté de médecine, à Copenhague. UNIVERSITÉ DE COPENHAGUE
L’une des pistes explicatives ouvertes par l’essai est la teneur augmentée de certains contaminants dans l’alimentation ultratransformée. Les chercheurs mesurent ainsi une tendance à l’élévation de la concentration dans le sang d’un plastifiant – un phtalate (le cx-MINP) réputé être un perturbateur endocrinien – au terme de la transition vers un régime dominé par les AUT. « Cette contamination peut provenir aussi bien des emballages plastiques au contact des aliments que des nombreux processus de transformation qui augmentent le risque de contamination des produits finis par des polluants industriels », explique Romain Barrès. A contrario, les auteurs mesurent une concentration en « polluants éternels » (PFAS, pour « substances per- et polyfluoroalkylées ») supérieure chez les participants, au terme du régime peu transformé – une mesure que les chercheurs ne s’expliquent pas, « peut-être liée au mode de préparation des repas non transformés par l’entreprise avec laquelle nous avons travaillé », avance M. Barrès.
Plus surprenant, une baisse de concentration du lithium est également induite par le régime ultratransformé. « Or, le lithium est un régulateur de l’humeur, rappelle Romain Barrès. Il est possible que cela joue un rôle dans les troubles dépressifs associés à la consommation d’aliments ultratransformés. » En 2024, dans le British Medical Journal, une équipe internationale avait synthétisé les études observationnelles disponibles, notant non seulement des associations entre consommation d’AUT et maladies cardio-vasculaires, troubles métaboliques, cancers, mortalité toutes causes confondues, etc., mais aussi un lien avec les syndromes dépressifs.
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Stéphane Foucart
Une vaste étude identifie quels ingrédients des aliments ultra-transformés sont les plus mauvais pour la santé
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Article rédigé par Véronique Molénat
Journaliste
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Publié le 1 septembre 2025 à 09:06 https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/nutrition-vaste-etude-identifie-ingredients-aliments-ultra-transformes-sont-plus-mauvais-sante-125062/

Une étude menée sur près de 200 000 personnes vient de mettre en évidence que les arômes, les exhausteurs de goût et les colorants des aliments ultra-transformés sont liés à une augmentation du risque de mortalité. © photostockatinat, Adobe Stock (image générée avec IA)
On sait que les produits ultra-transformés ne sont pas bons pour la santé. Des chercheurs allemands viennent d’identifier précisément quels ingrédients typiques de ces produits pourraient expliquer leurs effets néfastes. Et ce n’est pas le gras ni le sel !
Augmentation des risques de maladie cardiovasculaire, de diabète, de surpoids, de troubles mentaux… Les preuves scientifiques documentant les effets néfastes d’une consommation excessive d’aliments ultra-transformés (AUT) s’accumulent depuis une dizaine d’années. On pense parfois que si ces produits sont problématiques, c’est qu’ils sont surtout trop riches en graisses, en sel, en sucre…
Les études montrent que c’est en réalité bien plus complexe que ça et que certains ingrédients retrouvés spécifiquement dans ces produits sont en cause. Mais lesquels ? Des chercheurs allemands ont décidé d’explorer pour la première fois la question.
Une analyse sur près de 200 000 personnes
Ils ont utilisé les données de la UK Biobank, une vaste étude de cohorte prospective portant sur plus de 500 000 adultes recrutés entre 2006 et 2010. Pour leur étude, les scientifiques allemands se sont focalisés sur 186 744 personnes (âgées de 40 à 75 ans) dont les informations alimentaires étaient complètes et qui ne présentaient pas de maladies préexistantes, comme un diabète ou des troubles digestifs.
Les données sur les habitudes alimentaires ont été recueillies grâce à des questionnaires en ligne (Oxford WebQ) permettant de savoir précisément quels aliments ont été consommés sur 24 heures et en quelles quantités.
La chasse aux marqueurs d’ultra-transformation (MUT)
Comme les volontaires n’indiquaient pas les marques des produits, mais le nom des plats, les scientifiques ont attribué à chaque aliment du questionnaire plusieurs équivalents industriels (jusqu’à dix produits commerciaux correspondants). Ceci leur a permis d’établir précisément la liste des « marqueurs d’ultra-transformation », ou MUT, consommés (additifs et ingrédients « cosmétiques » comme l’amidon modifié, la caséine, le lactosérum, le dextrose, les protéineshydrolysées, etc.).
Pour chaque aliment, un indice de probabilité a été calculé sur la base de la proportion de produits commerciaux contenant un MUT spécifique. Par ailleurs, la proportion de la consommation d’AUT ou de MUT spécifiques pour chaque participant a été calculée par rapport à la consommation alimentaire totale. À l’issue des 11 ans de suivi, 10 203 décès se sont produits.
Le saviez-vous ?
Soupes, sodas, nouilles toutes prêtes, nuggets, crèmes glacées, céréales de petit déjeuner… Comment savoir si un produit est ultra-transformé (AUT) ? Il y a trois grands critères :
- il contient peu d’ingrédients « bruts » et souvent une liste d’ingrédients anormalement longue ;
- il contient des ingrédients que vous n’avez pas dans votre cuisine : amidon modifié, caséine, lactosérum, gluten, lactose, dextrose, sirop de glucose, protéines hydrolysées, maltodextrine, sirop de blé ou de maïs… ;
- il contient des additifs (les fameux « E »xxx) : arômes, exhausteurs de goût, édulcorant, antioxydants, stabilisants, émulsifiants, etc.
La classification Nova permet de classer les aliments en quatre grandes catégories en fonction de leur degré de transformation. Les AUT appartiennent à la catégorie Nova 4. La base de données Open Food Fact fournit la catégorie NOVA de l’ensemble des aliments trouvés dans le commerce.
Les arômes, les exhausteurs de goût et les colorants en première ligne
Les résultats, publiés dans la revue eClinicalMedicine, confirment qu’une consommation élevée d’aliments ultra-transformés est significativement associée à une augmentation de la mortalité toutes causes confondues. Ils montrent ensuite que cinq grandes catégories de MUT sont fortement liées à la mortalité :
- les arômes ;
- les exhausteurs de goût ;
- les colorants ;
- les édulcorants ;
- les différentes variétés de sucre (glucose, dextrose, sirop de fructose, etc.).
En revanche, aucune association n’a été observée pour les huiles raffinées ou hydrogénées, les protéines (type extraits de protéines ou protéines hydrolysées) ou les fibres.
Une composition longue comme le bras, des additifs et des ingrédients au nom bizarre ? C’est peut-être un aliment ultra-transformé ! © pedphoto36pm, Adobe Stock
Décodez les étiquettes !
En outre, 12 MUT étaient individuellement associés à une augmentation de la mortalité toutes causes confondues :
- le glutamate (E621) et le ribonucléotide (E635) qui sont des exhausteurs de goût ;
- l’acésulfame K (E950), la saccharine (E954) et le sucralose (E955) qui sont des édulcorants ;
- les agents anti-agglomérant, raffermissant et épaississant ;
- le fructose, le sucre inverti, le lactose et la maltodextrine.
L’agent gélifiant (E440) était au contraire inversement associé au risque de mortalité, en raison probablement de la présence de pectine, une fibre connue pour ses effets positifs sur la santé.
Vers de nouvelles études
Selon les auteurs, ces résultats sont en accord avec d’autres études montrant que les additifs incriminés sont en cause dans la prise de poids, les perturbations métaboliques et les altérations du microbioteintestinal.
La force de cette étude réside dans le fait qu’elle implique un grand nombre de participants suivis sur une période relativement longue. Même si le recueil de données est basé sur une autodéclaration qui peut donner lieu à des erreurs, c’est une première qui pourrait ouvrir la voie à des études plus détaillées pour confirmer ces premiers résultats et explorer comment les différents marqueurs d’ultra-transformation identifiés exercent leurs effets néfastes.