Prolonger les réacteurs nucléaires jusqu’à 50 ans, voire 60 ans : une « option avantageuse », selon la Cour des comptes
D’après les calculs de l’institution, le coût de la prolongation d’un réacteur de 40 ans pendant vingt ans, estimé à 51 euros par mégawattheure, est « très compétitif ».

Faut-il ou non prolonger autant que possible la durée de vie des réacteurs nucléaires d’EDF, principale source d’électricité dans le pays ? En l’espace de cinq ans, les termes du débat ont évolué. En 2020, sur décision politique, le gouvernement avait dit au revoir aux deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin), et planifiait la fermeture de douze autres d’ici à 2035, dans sa deuxième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Aujourd’hui, rien de tel : tout en misant sur le déploiement de l’éolien et du solaire, son projet de troisième PPE prévoit désormais de « poursuivre le fonctionnement des réacteurs électronucléaires après 50 ans puis 60 ans, tant que toutes les exigences de sûreté applicables sont respectées ». Ceci, en plus de la construction de six nouvelles unités.
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Dans son nouveau rapport, en date du lundi 17 novembre, la Cour des comptes apporte sa contribution au débat. Des 120 pages de ce document portant sur la maintenance du parc électronucléaire d’EDF, il ressort que « la poursuite de l’exploitation du parc nucléaire existant, jusqu’à 50 ans, puis 60 ans, pourrait s’avérer particulièrement rentable pour EDF ». Du moins, si le groupe public « atteint ses prévisions de production et sous réserve des conditions et prix de vente de l’électricité, avec des taux de rendement interne attendus élevés ».
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Le parc nucléaire français a désormais 40 ans de moyenne d’âge – hormis la 57e « tranche » du parc, c’est-à-dire le premier réacteur pressurisé européen (EPR) du pays, connecté fin 2024, à Flamanville (Manche). Selon les calculs de la Cour des comptes, si un réacteur de 40 ans parvient à fonctionner jusqu’à 60 ans, le coût de la prolongation est estimé à 51 euros par mégawattheure. Soit un coût « très compétitif par rapport à la construction de nouvelles capacités de production » électrique, quelles qu’elles soient.
« Sous réserve des hypothèses précitées », d’un point de vue économique, la prolongation du parc existant serait donc « une option avantageuse pour le système de production électrique français », conclut la Cour. Dans un rapport publié en janvier, elle établissait que « pour des prix de vente de moins de 90 euros par mégawattheure, il paraît difficile d’envisager une rentabilité atteignant 2 % » pour l’EPR de Flamanville nouvellement en service.
Renforcement des exigences de sûreté
Le chantier pour l’entretien des sites existants n’en reste pas moins immense. La croissance des activités de maintenance« s’est poursuivie de manière ininterrompue de 2014 à 2024 », en hausse de 28 % sur la période, jusqu’à dépasser un niveau annuel de 6 milliards d’euros. Durant cette décennie-là, les investissements liés au « grand carénage » – le programme industriel de rénovation et de modernisation des centrales existantes – ont même constitué le quart des investissements opérationnels bruts du groupe EDF, et donc le premier poste. Ce grand programme visant à allonger la durée de vie des centrales absorbera au moins 100 milliards d’euros au total entre 2014 et 2035, d’après la juridiction chargée de veiller à l’usage des deniers publics.
« Le caractère pérenne du [programme] nécessiterait néanmoins de redéfinir le suivi financier de ses principaux projets pour mieux en garantir la maîtrise des coûts et des délais », observe-t-elle. Le rapport invite aussi EDF à renforcer, vis-à-vis de ses sous-traitants, les « mesures de prévention des risques de fraudes et falsifications, alors que des irrégularités sont mises au jour de manière régulière depuis 2015 ».
Point positif : selon la Cour, EDF a démontré sa capacité à surmonter des crises diverses de manière « rapide, adaptée à la situation et proportionnée aux enjeux de sécurité d’approvisionnement », de même qu’aux enjeux relatifs à la sûreté des installations. Il y eut d’abord la découverte d’excès de concentration en carbone dans certains composants en 2016, puis la crise sanitaire, en 2020, avant la détection, fin 2021, d’un phénomène de corrosion sur certaines tuyauteries de circuits auxiliaires. Ce phénomène de corrosion n’a pas été sans conséquence : il a causé une perte d’exploitation équivalant à au moins 8 % du chiffre d’affaires total du groupe entre 2021 et 2024.
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Que la maintenance soit préventive ou corrective, le défi d’EDF est le suivant : parvenir à effectuer les opérations dans un temps optimal, sans trop étirer les périodes de mises à l’arrêt. Le taux de disponibilité moyen du parc nucléaire français a été de l’ordre de 74 % au cours de la période 2014-2024, contre 80 % durant la décennie antérieure. Cette baisse de performance tient à plusieurs facteurs. D’abord, à un renforcement des exigences de sûreté, « plus fortes en France que dans d’autres pays », selon le rapport, notamment après la catastrophe de Fukushima, au Japon, en 2011, à la suite d’un tsunami. L’exploitant EDF mentionne aussi une « perte de compétences techniques des équipes de maintenance et d’exploitation dans un contexte de renouvellement générationnel important », ainsi qu’une « hausse du volume d’activités à réaliser pour prolonger l’exploitation du parc existant ».
Une visite importante
Les plus vieux réacteurs en activité ont franchi le cap de la quatrième visite décennale, étape incontournable pour tourner au moins jusqu’à 50 ans, sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Une quatrième visite d’autant plus importante que la durée de vie « initialement prévue de certains de [leurs] composants essentiels » était de quarante ans, rappelle la Cour des comptes.
Et si, en fin de compte, ces réacteurs continuaient même de tourner au-delà de… 60 ans ? L’hypothèse est prise au sérieux par EDF. Selon des études préliminaires de l’électricien, les cuves des réacteurs ne seraient pas « toutes qualifiées pour une prolongation au-delà de 60 ans », tempère la Cour des comptes. Contacté par Le Monde, EDF précise qu’une autre session d’études a débuté par la suite, en 2024. Depuis, « les analyses ont évolué, les dossiers ont été transmis à l’ASNR et l’instruction est en cours », ajoute l’entreprise.
A ce jour, le parc nucléaire constitue encore plus des deux tiers de la production électrique française (67 % en 2024). « Le maintien d’un haut niveau de production d’électricité d’origine nucléaire » après 2035 « nécessiterait la prolongation au-delà de 60 ans d’au moins une partie du parc existant », souligne la Cour. Et de glisser que huit réacteurs ont déjà obtenu une autorisation d’exploitation pour aller jusqu’à 80 ans aux Etats-Unis, et deux autres en Finlande.