Le « backlash écologique » ou l’accélération brutale d’un mouvement réactionnaire profond
L’offensive contre les politiques écologiques n’est pas qu’un simple recul transitoire. Elle s’inscrit dans une histoire longue, celle de groupes d’intérêt économiques et politiques dont la violence redouble à mesure que l’urgence d’agir s’accroît.
Histoire d’une notion. A première vue, le constat peut sembler contre-intuitif. Alors que le réchauffement climatique et ses effets s’accélèrent, la répression des défenseurs de l’environnement s’intensifie, de même que le détricotage institutionnel de politiques de régulation environnementales, en Europe comme aux Etats-Unis.
Une formule s’est imposée pour qualifier ce recul : le « backlash écologique » ou green backlash (littéralement : « retour de bâton vert »). Des chercheurs s’attachent à en préciser les origines et les contours afin de mieux en définir la portée. Ils décrivent, bien plus qu’une crise passagère ou un recul transitoire, un mouvement profond porté par des groupes d’intérêt économiques puissants, et qui se renforce à mesure que la catastrophe écologique s’accélère et que l’urgence d’agir ne fait plus de doute.
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L’expression « backlash écologique » (ecological backlash) apparaît dès 1970 dans le New York Times comme une éventualité peu probable, dans une période qui « semble marquer l’apogée de l’écologie politique aux Etats‑Unis », souligne l’historien Jean-Baptiste Fressoz dans un article de l’ouvrage collectif Greenbacklash. Qui veut la peau de l’écologie ? (Seuil, 320 pages, 23 euros). L’époque est à la prise de conscience des ravages de la pollution sur les milieux de vie, ce qui n’empêche pas l’autrice de Printemps silencieux (Plon, 1962), Rachel Carson, de subir des accusations sexistes d’hystérie et d’émotivité lorsqu’elle dénonce le rôle des pesticides dans la disparition des oiseaux.
Techniques des cigarettiers
Dès que commencent à se déployer les premières réponses institutionnelles aux constats scientifiques, « des groupes d’intérêt pétroliers et industriels s’organisent contre ces mesures qui viennent contrecarrer leurs intérêts propres », explique l’historienne Laure Teulières, qui a codirigé l’ouvrage. Leurs stratégies vont évoluer et se durcir, empruntant des techniques et une rhétorique déjà rodées par les lobbys cigarettiers.
Elles visent dans un premier temps à instiller le doute dans les esprits par de fausses controverses scientifiques, ou en disqualifiant les lanceurs d’alerte par un discours de dénigrement. Lorsque le déni n’est plus possible face à l’évidence des catastrophes, viennent l’enfumage et les fausses promesses des solutions insuffisantes ou trompeuses (le greenwashing), associés à la dénonciation d’une écologie dite « punitive », présentée comme un repoussoir. S’y ajoute le lobbying en faveur de réponses technologiques aux crises environnementales, quitte à réserver ces solutions aux plus riches.
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L’objectif est surtout de brouiller les pistes, afin d’empêcher un débat public sur l’incompatibilité d’une organisation sociale fondée sur une croissance illimitée avec une planète aux ressources limitées, et la recherche de nouvelles voies possibles. Ainsi pour Jean-Baptiste Fressoz, « les ennemis de l’écologie – qu’ils soient populistes ou néolibéraux – ne sont que la face visible et grimaçante d’une force colossale, celle qui se trouve derrière l’anthropocène : non seulement le capitalisme, mais tout le monde matériel tel qu’il s’est constitué depuis deux siècles ».
Si l’origine de la contre-offensive anti-écologique est structurelle plus que conjoncturelle, sa violence a néanmoins redoublé ces dernières années. Les politiques environnementales sont désormais accusées d’être à l’origine des crises, et les défenseurs de l’environnement criminalisés comme des terroristes. « L’offensive en cours n’est pas qu’un backlash anti-écologique supplémentaire, affirme Laure Teulières. La brutalité assumée des grands patrons de la tech, avec un Donald Trump en figure de proue du combat anti-écologique, est le signe qu’un cran a été franchi. »
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Lexique féministe
Au poids des intérêts économiques et financiers s’ajoutent désormais les enjeux géopolitiques d’une course à l’appropriation des ressources nécessaires à la transition et au leadership technologique, notamment en matière d’intelligence artificielle. « Le moment que nous traversons est le produit de mécanismes économiques, sociaux et géopolitiques qui se combinent et font système, accompagnés d’une dérive idéologique de plus en plus réactionnaire »,souligne l’historienne.
On ne s’étonnera pas, dans ce contexte, que le terme « backlash » soit emprunté au lexique féministe, où il désigne la contre-offensive menée contre les droits des femmes à chacune de leurs avancées. Comme l’écologie politique, les luttes féministes remettent en cause l’organisation même des sociétés et leur système de valeurs.
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Dans ce paysage plutôt sombre, l’espoir est à rechercher du côté des citoyens qui gardent le cap de la transition, à condition qu’elle soit juste et accompagnée. En témoignent, en France, les 2,13 millions de signataires, durant l’été, de la pétition contre la loi Duplomb. Quelle que soit leur sensibilité politique, deux Français sur trois pensent que l’Etat doit accentuer la planification écologique, même si cela suppose un cadre plus contraignant et un coût, selon un récent sondage Ipsos pour Réseau Action Climat.
Plus largement, dans une étude menée auprès de plus de 40 000 personnes dans 20 pays, une majorité des citoyens se dit favorable à un plan mondial pour le climat, y compris ceux des pays à hauts revenus pourtant mis à contribution. Loin d’un ras-le-bol citoyen, le backlash écologique reste avant tout celui d’une minorité aux pouvoirs démesurés.