COP30 : « Ceux qui sont séduits par le verdissement chinois devraient garder en tête quelques données »
Chronique
La Chine se présente comme le leader de l’économie des énergies renouvelables, face à des Etats-Unis arc-boutés sur les énergies fossiles. Mais cette transition se révèle trompeuse, écrit Pascal Riché dans sa chronique au « Monde ».
Publié hier à 17h00 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/11/13/cop30-ceux-qui-sont-seduits-par-le-verdissement-chinois-devraient-garder-en-tete-quelques-donnees_6653313_3232.html
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Par rapport aux précédentes Conférences des parties sur les changements climatiques (COP), celle qui se tient à Belem, au Brésil, du 10 au 21 novembre, se distingue par deux grandes nouveautés : l’absence des Etats-Unis, devenus climatosceptique, et le zèle de la Chine, qui se présente désormais comme le leader mondial de l’économie verte, parvenant à faire oublier qu’elle reste le plus grand pollueur de la planète.
En quelques années, le discours de la Chine a changé du tout au tout. Au moment de l’accord de Paris, il y a dix ans, elle avait refusé de s’engager sur une réduction des gaz à effet de serre. Selon Pékin, cette affaire de réchauffement climatique était une ruse de l’Occident pour l’affaiblir et bloquer le légitime « rattrapage » industriel des pays du Sud. En septembre, à New York, pour la première fois, elle a annoncé un engagement chiffré et formel : une baisse de 7 % à 10 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2035. Un virage salué par les participants de la COP30.
La Chine peut se vanter d’être à l’origine d’une véritable révolution énergétique : la chute des prix des renouvelables. En inondant la planète de panneaux photovoltaïques (dont elle contrôle 80 % du marché), elle a conduit à rendre l’énergie solaire hautement compétitive – le coût de production du kilowattheure a été divisé par quatre en quinze ans. Elle poursuit son offensive sur les batteries, les véhicules électriques, les éoliennes. Elle s’appuie dans sa stratégie sur son immense marché et sur une alliance entre planification et concurrence dont elle a le secret. La Chine a d’ailleurs battu un record en octobre : les voitures électriques ou hybrides ont représenté 52 % des voitures neuves vendues, contre 20 % à la même période en 2024.
Lire aussi (2024) | La Chine a raflé la mise des panneaux solaires
Sacré effort
Certes, le bureau politique du Parti communiste chinois n’est pas une bande d’adeptes du « buen vivir » (« bien-vivre ») rêvant de potagers collaboratifs et de droits civiques pour les fleuves. Nous sommes encore, en matière de business et de realpolitik, chez les carnivores. Si les Chinois se sont lancés dans ces investissements massifs dans les renouvelables, c’est avant tout pour des raisons économiques (se doter d’un nouveau moteur pour les exportations), géostratégiques (sortir de la dépendance au pétrole, imposer les standards des nouvelles énergies, créer des positions de monopoles), diplomatiques (tisser un soft power énergétique pour séduire le Sud global, profiter du retrait américain sur ces questions).
Mais pour paraphraser le « Petit Timonier » Deng Xiaoping (1904-1997), peu importe que le chat soit vert ou gris, l’important est qu’il attrape la souris. Or le fait est que, comme le constate le think tank britannique Ember dans son dernier rapport, « la transition énergétique propre de la Chine remodèle en profondeur l’économie de l’énergie à l’échelle mondiale ».
Lire aussi la chronique | La Chine, empire du charbon… et du solaire
Fermant les yeux sur le caractère totalitaire du régime de Pékin, une partie des militants de l’environnement commence à se laisser séduire par le modèle chinois, dans lequel ils voient une chance pour la planète. Ils devraient cependant garder en tête quelques données. Certes, la Chine installe à tour de bras des parcs d’éoliennes et de panneaux solaires, mais elle continue aussi d’ouvrir des centrales à charbon. Celles dont elle a ouvert le chantier sur la seule année 2024 auront une capacité électrique totale de 95 gigawatts, ce qui suffirait à fournir les deux tiers de l’électricité en France !
La consommation d’énergie chinoise continue de croître de façon fulgurante. Le pays reste le plus gros émetteur de gaz à effet de serre du monde (un tiers du total, contre un cinquième il y a quinze ans) et il est responsable de 90 % de l’augmentation de ces émissions depuis 2015. Le pouvoir communique sur l’imminence du point d’inflexion, mais lorsque Pékin annonce une baisse de plus de 7 % d’ici à 2035, il se garde de préciser par rapport à quel niveau : inutile de se lier les mains.
Par ailleurs, son plan est loin de suffire pour atteindre l’objectif mondial fixé dans l’accord de Paris, à savoir la limitation du réchauffement au-dessous de 1,5 ºC par rapport à l’ère préindustrielle. Pour espérer rester sous 2 ºC, il aurait fallu que la Chine affiche un objectif de 20 % de réduction, détaille Lauri Myllyvirta, le cofondateur du Centre for Research on Energy and Clean Air, interrogé par Nature. La Chine est sans conteste la championne des technologies vertes, mais il lui reste à faire un sacré effort pour mériter le titre de leader de la transition écologique.
Lire aussi | La Chine, hyperpuissance de la transition écologique
Voir aussi:
Quel est le bilan de l’accord de Paris de 2015 ? Comprendre en trois minutes
vidéo En 2015, la quasi-totalité des pays du monde s’engageaient à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Dix ans plus tard, son objectif de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C semble difficile à atteindre.
Le 12 décembre 2015, le ministre des affaires étrangères français d’alors, Laurent Fabius, actait l’adoption de l’accord de Paris par quasi tous les pays du monde. A l’occasion de la COP21, les pays s’engageaient ainsi à réduire les émissions de gaz à effet de serre, afin de maintenir le réchauffement climatique sous les 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, et même de viser 1,5 °C.
Pour tenir cet engagement, plus de 140 pays promettaient la neutralité carbone d’ici à 2050 ou à 2070. Les pays développés devaient verser une aide financière aux pays en voie de développement, moins émetteurs mais plus vulnérables aux effets du dérèglement climatique.
Dix ans plus tard, si la plupart des Etats se sont dotés de politiques consacrées à la transition écologique, le ralentissement du réchauffement climatique n’est pas au niveau attendu. Dans cette vidéo, nous faisons le bilan de l’accord de Paris et ses effets. Pour en savoir plus sur le sujet, nous vous renvoyons à l’article ci-dessous.
Lire le décryptage | Quel est le bilan de l’accord de Paris sur le climat, dix ans après son adoption ?
« Comprendre en trois minutes »
Les vidéos explicatives qui composent la série « Comprendre en trois minutes » sont produites par le service Vidéos verticales du Monde. Diffusées en premier lieu sur les plates-formes telles que TikTok, Snapchat, Instagram et Facebook, elles ont pour objectif de remettre en contexte les grands événements dans un format court et de rendre l’actualité accessible à tous.
Marion Huysman et Félix Pommier (motion design)
La question « Chaleur humaine » : Est-ce que l’accord de Paris sur le climat a (vraiment) servi à quelque chose ?
Chaque semaine, l’équipe du podcast Chaleur humaine répond à vos questions sur la transition climatique
Temps de Lecture 5 min

Ce billet est extrait de l’infolettre « Chaleur humaine », envoyée tous les mardis à 12 heures. Chaque semaine, le journaliste Nabil Wakim, qui anime le podcast Chaleur humaine, répond aux questions des internautes sur le défi climatique. Vous pouvez vous inscrire gratuitement en cliquant ici. Et si vous cherchez une question déjà posée (et la réponse qui va avec), vous pouvez les retrouver par là : Climat : vos questions.
Vous pouvez désormais retrouver « Chaleur humaine » dans un canal spécifique sur Instagram, pour suivre les infos mais aussi discuter des épisodes. C’est par là (mais uniquement sur votre téléphone, pas sur votre ordinateur).
Votre livre favori. Quel est le livre ou la BD sur le climat, la biodiversité, la transformation de la société que vous adorez offrir ? Ou que vous prévoyez de distribuer à tout le monde à Noël ? Vous pouvez partager avec nous le titre du livre et écrire un petit paragraphe qui explique votre choix (et si ç’a eu un effet !). Nous partagerons vos idées dans une prochaine infolettre. Vous pouvez remplir ici ce formulaire, pas très joli mais très utile. Moi, je pense au livre de Barbara Kingsolver Dans la lumière (Payot), dont j’ai déjà parlé dans une lettre précédente, mais je suis curieux d’avoir vos avis !
La question de la semaine
« Bonjour, vous parlez toujours de l’accord de Paris dans vos podcasts comme d’un moment important, mais on voit bien que ça n’a servi à rien : on consomme toujours plus de pétrole, les émissions de gaz à effet de serre augmentent et le climat se réchauffe. Donnez-moi au moins un exemple qui prouve qu’il a servi à quelque chose ! » Question posée par MMM par courriel à l’adresse chaleurhumaine@lemonde.fr
Ma réponse – C’est vrai, nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire climatique, vous avez raison de le souligner. Mais pour autant, sans l’accord de Paris le réchauffement serait sur une trajectoire encore pire et le développement des solutions serait plus lent encore. J’ai bien aimé le bilan complet qu’a fait ma collègue Audrey Garric dans cet article. Je vous conseille aussi cet article (en anglais) du New York Times, qui présente un excellent graphique, très parlant, au début.
Je vais essayer de me concentrer ici sur trois choses importantes, à mon sens, qui ont avancé grâce à l’accord de Paris, malgré ses imperfections :
1/Une trajectoire de réchauffement modifiée
Avant l’accord de Paris, la trajectoire du réchauffement climatique nous amenait vers un réchauffement en moyenne situé entre 3,3 °C et 3,8 °C à l’échelle planétaire à la fin du siècle (ce qui serait encore pis pour la France, qui se réchauffe plus vite). La mise en œuvre de politiques publiques dans beaucoup de pays, impulsées par l’accord de Paris, laisse entrevoir plutôt une fourchette située entre 2,5 °C et 2,9 °C d’augmentation en moyenne. Si jamais les Etats parvenaient à tenir dans la vraie vie leurs engagements théoriques, nous pourrions même être autour de 2,2 °C.
Evidemment, c’est une catastrophe : une telle augmentation en moyenne aura des impacts majeurs, avec la multiplication des canicules et des sécheresses, une destruction de la biodiversité ou des tempêtes extrêmes. Mais cela veut dire que lorsque des efforts sont faits, cela a un impact majeur. C’est une leçon importante pour la COP30, qui se tient au Brésil : lorsque des Etats prennent des engagements et les tiennent, cela crée une dynamique de long terme.
La diplomate Laurence Tubiana avait bien expliqué l’intérêt de cet accord dans un épisode de « Chaleur humaine » – j’y ai aussi appris comment la négociation s’était débloquée en dernière minute, au petit matin. A écouter ici.
2/Des énergies renouvelables en plein développement
L’accord de Paris et les COP qui ont suivi ont donné une rampe de lancement au progrès du solaire et de l’éolien, qui représentent à ce jour nos meilleures chances de faire face au changement climatique. Pourquoi ? Parce que plusieurs pays, dont la Chine et l’Allemagne, ont massivement soutenu le développement des énergies renouvelables à travers des politiques publiques. Pour vous donner une idée : en 2025, on a déployé quatre fois plus d’énergie solaire que ce qui était anticipé en 2015, au moment de l’accord de Paris. De la mème manière, le basculement vers le véhicule électrique est désormais une réalité – même s’il rencontre des freins en Europe et aux Etats-Unis.
La Chine, en particulier, est devenue un fer de lance des énergies renouvelables et des voitures électriques. (J’avais consacré récemment une infolettre à ce sujet, et je m’étais rendu compte à ce moment-là que la Chine installe désormais les deux tiers des capacités d’énergies renouvelables chaque année.)
De fait, l’argent investi dans les énergies à bas carbone et l’électrification n’a jamais été aussi important, avec plus de 2 000 milliards de dollars en 2025 – alors que les investissements dans le pétrole, le gaz et le charbon diminuent depuis dix ans.
3/Un cadre mondial pour décider
Malgré les revirements de Donald Trump, la guerre en Ukraine et la puissance des lobbys contre la transition, l’accord de Paris est le seul cadre politique et juridique qui existe pour prendre des décisions collectives concernant le climat. Il a poussé de nombreux pays à inscrire dans la loi l’objectif de neutralité carbone en 2050 (c’est le cas de la France, mais aussi de l’Union européenne). L’existence de l’accord de Paris et ces textes de loi ont aussi poussé les tribunaux à prendre des décisions qui imposent aux Etats de mettre en œuvre des politiques climatiques ambitieuses. Comme l’écrit ma collègue Audrey Garric : « La justice a condamné les Pays-Bas, la Suisse et la France pour “inaction climatique” », et, à la fin de juillet, « la Cour internationale de justice a aussi conclu que les Etats qui violent leurs obligations « contraignantes » en matière de climat, relevant notamment de l’accord de Paris, commettent un acte « illicite » et pourraient se voir réclamer des « réparations » par les pays les plus affectés ».
Un épisode au hasard
Comment mieux développer le vélo ? Une conversation avec Catherine Pilon, codirectrice de l’association Réseau vélo et marche. Elle explique comment les villes et les villages peuvent laisser une place plus importante au vélo, et pourquoi c’est bon pour le climat et la santé. C’est à écouter par ici.
Un peu de « Chaleur humaine » en plus
Sur mon écran (1). La dernière édition de l’infolettre 420ppm de Rémi Noyon qui revient sur la stratégie du nouveau maire de New York en matière de climat. Dit autrement : comment porter des politiques climatiques sans parler de climat ? C’est à lire ici, et cela me fait penser à la discussion avec Cécile Duflot sur le moyen de faire gagner le climat en politique, que vous pouvez retrouver par là.
Sur mon écran (2). La mission Under Antarctica menée par l’explorateur Matthieu Tordeur et la glaciologue Heïdi Sevestre, qui a pour objectif de sensibiliser à la fonte des glaces, en parcourant 4 000 kilomètres dans le grand froid, et de mieux comprendre le climat du futur. Vous pouvez suivre cette aventure sur ce site et écouter l’épisode de « Chaleur humaine » « Comment sauver les glaciers », avec Heïdi Sevestre, ici.
Sur les planches. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’aller voir la pièce de théâtre L’hiver sera chaud, en tournée en ce moment dans plusieurs villes de la région parisienne, mais j’en ai entendu du bien. Si vous voulez tenter le coup, voici les dates de représentation.
Sur ma table de nuit. Le livre de Cédric Philibert, Climat. Les énergies de l’espoir (Les Petits Matins), qui souligne les incroyables progrès des énergies renouvelables au cours des dernières années, bien au-delà des prévisions les plus optimistes. Un livre qui redonne de l’espoir dans une période troublée, et qui rappelle le rôle crucial que peuvent jouer panneaux solaires, éoliennes et batteries électriques pour changer le monde. Il propose aussi de la matière pour débattre, en prenant le contrepied des travaux de l’économiste Timothée Parrique (sur la décroissance), ou de l’historien Jean-Baptiste Fressoz, que vous avez pu entendre récemment dans « Chaleur humaine ».
Quel est le bilan de l’accord de Paris sur le climat, dix ans après son adoption ?
Le sort de l’accord sera au centre de la 30ᵉ conférence des Nations unies sur le climat, dont le coup d’envoi est donné le 6 novembre au Brésil, avec le sommet des chefs d’Etat. Signé en 2015, le traité a permis de ralentir le réchauffement, sans le limiter à un niveau soutenable.
Temps de Lecture 8 min.

C’est un coup de marteau qui a fait date. Il y a dix ans, le 12 décembre 2015, Laurent Fabius abattait son petit maillet en forme de feuille. Le président de la COP21 et ministre des affaires étrangères de l’époque venait d’arracher l’adoption, par 195 pays, de l’accord de Paris sur le climat, le premier traité international de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’heure était à l’euphorie. Entré en vigueur le 4 novembre 2016, il est désormais ratifié par tous les Etats, sauf l’Iran, la Libye et le Yémen. Les Etats-Unis en sortiront pour la seconde fois en janvier 2026.
L’accord de Paris a pour objectif de limiter le réchauffement climatique « nettement au-dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et de « poursuivre l’action menée » pour ne pas dépasser 1,5 °C, sans horizon de temps. Il prévoit que les Etats accroissent tous les cinq ans leurs engagements de réduction des émissions et que les pays développés versent une aide financière aux pays en développement, principales victimes des aléas climatiques. Dix ans plus tard, a-t-il tenu ses promesses ?
Alors que s’ouvre le sommet des dirigeants de la 30e conférence des Nations unies sur le climat (COP30), le 6 novembre à Belem (Brésil), le bilan est mitigé : d’un côté, les engagements pris par les pays et l’essor d’une économie bas carbone ont infléchi la trajectoire de réchauffement en 2100, mais, de l’autre, les émissions de gaz à effet de serre continuent de progresser, et la limite de + 1,5 °C est désormais « hors d’atteinte », selon des scientifiques de renom.
La barre de 1,5 °C franchie en 2024
En dix ans, le réchauffement climatique d’origine humaine s’est accéléré, et il s’accroît à un rythme sans précédent. Les dix dernières années (2015-2024) ont été les plus chaudes jamais enregistrées.
L’année 2024, record depuis 1850, a dépassé pour la première fois le seuil de 1,5 °C de réchauffement, en comparaison avec l’ère préindustrielle. L’accord de Paris n’a pas été enfreint, dans la mesure où ses objectifs s’entendent sur une période longue, et non pas sur une seule année, afin de lisser les fluctuations naturelles, mais c’est imminent : l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C « n’est désormais plus atteignable » et la planète devrait franchir ce seuil « un peu avant 2030 », selon la climatologue Valérie Masson-Delmotte.
Lire le décryptage | Article réservé à nos abonnés Que signifie ne plus pouvoir limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C ?Lire plus tard
Revenir à ce seuil après l’avoir dépassé impliquerait de pomper des centaines de milliards de tonnes de CO2 de l’atmosphère à grand renfort de technologies, ce qui comporte de nombreux risques. Le budget carbone restant pour ne pas dépasser 2 °C s’élève, lui, à l’équivalent de vingt-cinq années d’émissions au rythme actuel.
Un réchauffement réduit mais trop élevé
L’accord de Paris a toutefois réduit le réchauffement futur : en 2015, le monde se dirigeait vers une hausse de la température mondiale de 4 °C à la fin du siècle. Désormais, les politiques des pays conduisent la planète vers un scénario à + 2,8 °C de réchauffement d’ici à 2100, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Cette surchauffe pourrait même être moindre : si les Etats tiennent leurs engagements pour 2035, le réchauffement s’élèverait alors de 2,3 °C à 2,5 °C, voire à 1,9 °C s’ils respectent aussi leurs objectifs de neutralité carbone.
Or chaque dixième de degré en moins sauve des millions de vies et réduit la probabilité et l’intensité des événements extrêmes (canicules, sécheresses, inondations, etc.). Reste que cette trajectoire de réchauffement s’avère encore bien trop élevée. Si elle se confirme, elle s’accompagnera de morts, de disparitions d’espèces, de pénuries d’eau, de malnutrition ou encore de migrations exacerbées.
Des émissions de CO2 toujours en hausse
Les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, année après année. Elles se sont élevées à près de 58milliards de tonnes équivalent CO2 en 2024, soit une hausse de 2,3 % par rapport à 2023, sous l’effet de la combustion des énergies fossiles et de la déforestation, selon un rapport du PNUE publié le 4 novembre. La grande majorité des émissions (77 %) sont générées par les vingt plus grandes puissances économiques, notamment la Chine (27 % des rejets mondiaux), les Etats-Unis (10 %), l’Inde (7,7 %) et l’Union européenne (5,6 %).
Les rejets carbonés augmentent toutefois six fois moins vite cette décennie que la précédente. Mais il faudrait réussir à inverser la tendance : atteindre un pic – imminent selon certains scientifiques – puis une baisse radicale de plus de 5 % par an d’ici à 2030 pour être alignés avec l’objectif de 1,5 °C.
Tant que les émissions sont à la hausse, les concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère ne cessent de progresser. Celles de CO2 ont enregistré une hausse record en 2024, atteignant 424 parties par million, soit 50 % de plus qu’à l’époque préindustrielle et une valeur inédite depuis plus de 2 millions d’années.
Un cadre d’action climatique généralisé
L’accord de Paris est resté la boussole de l’action climatique, malgré un contexte géopolitique qui s’est fortement tendu avec les conflits militaires et économiques, et les deux défections des Etats-Unis. Le traité a radicalement transformé les politiques climatiques nationales. « Depuis 2015, une grande majorité de pays se sont dotés d’un cadre d’action autour du climat, qu’il s’agisse de législations ou de gouvernance », note Céline Kauffmann, la directrice des programmes de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). « Les données scientifiques orientent davantage les décisions, les objectifs de long terme structurent de plus en plus les stratégies nationales », complète Henri Waisman, chercheur à l’Iddri et l’un des coordinateurs d’une étude qui analyse l’impact de l’accord de Paris sur 21 pays.
En dix ans, 140 pays ont pris des engagements de neutralité carbone d’ici à 2050 et 2070. Et tous les Etats de l’accord de Paris ont soumis à l’ONU une « contribution déterminée au niveau national » (NDC, en anglais), soit des plans volontaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. En revanche, malgré une date butoir reportée à septembre, seuls 98 d’entre eux ont publié une nouvelle NDC pour 2035. Au-delà des pays, des milliers de villes, de régions et d’entreprises visent également le zéro émission nette au milieu du siècle – même si d’autres acteurs ont abandonné un tel objectif après le retour au pouvoir de Donald Trump.
L’ambition globale de ces politiques climatiques est toutefois insuffisante. Les nouvelles NDC n’entraîneront, au mieux, qu’une baisse de 10 % des émissions entre 2019 et 2035, alors qu’il faudrait atteindre − 35 % ou − 60 % pour avoir une chance de limiter le réchauffement à 2 °C ou à 1,5 °C. Et elles ne sont pas toujours entièrement mises en œuvre par les pays. En outre, « les politiques publiques privilégient les baisses immédiates d’émissions, au risque de retarder les mesures indispensables pour garantir des réductions profondes à long terme », prévient Henri Waisman, tandis que la« fragmentation politique » et la « polarisation » ont souvent ralenti les progrès.
Lire l’analyse | Malgré des progrès, les engagements des Etats sur le climat toujours très insuffisants pour respecter l’accord de Paris
Une hausse des renouvelables, mais aussi des fossiles
« L’accord de Paris, ainsi que la COP26 de Glasgow, a donné un élan sans précédent à la transition vers des systèmes énergétiques propres », estime John Lang, premier auteur d’une analyse de l’ONG Energy & Climate Intelligence Unit, publiée fin octobre, montrant que la transition a progressé bien au-delà de ce qui avait été prévu il y a dix ans.
Les énergies renouvelables ont vu leur coût fortement chuter, ce qui les rend en moyenne moins chères que les fossiles. Le solaire, l’éolien et l’hydroélectricité ont généré, avec le nucléaire, plus de 40 % de la production mondiale d’électricité l’an dernier et ils ont répondu à près de 70 % de la hausse de la demande depuis dix ans. Au premier semestre 2025, les renouvelables ont aussi dépassé le charbon dans la production électrique pour la première fois dans l’histoire. Les véhicules électriques représentaient 20 % des nouvelles ventes dans le monde en 2024 et devraient atteindre 40 % en 2030. Ces secteurs sont essentiellement tirés par la Chine.
Si les énergies renouvelables se sont déployées très rapidement, elles s’ajoutent toutefois, pour l’instant, aux énergies fossiles, au lieu de les remplacer. Le charbon, le pétrole et le gaz représentent toujours 80 % du mix énergétique mondial, comme en 2015, en raison de la hausse de la demande qui dépasse la croissance des renouvelables. La production de combustibles fossiles ne cesse d’augmenter, et reste centrale pour de nombreux secteurs (aviation, acier, ciment, plastiques, engrais…). Elle est encore largement utilisée dans les data centers, dont la consommation électrique s’envole, tirée par le développement de l’intelligence artificielle. Les principaux Etats producteurs prévoient de mettre sur le marché, d’ici à 2030, plus du double de la quantité de fossiles compatible avec la limite de 1,5 °C.
Lire le décryptage | Article réservé à nos abonnés Pourquoi notre utilisation de l’IA est un gouffre énergétiqueLire plus tard
A la COP28, en 2023, les Etats se sont engagés à réaliser une transition hors des énergies fossiles. Deux ans plus tard, ce chemin tarde à se concrétiser : parmi les pays qui utilisent encore du charbon, seule une moitié mentionne dans sa NDC un plan pour en sortir, et aucun Etat ne s’est fixé un objectif chiffré de réduction du pétrole et du gaz.
Une finance climatique encore insuffisante
La finance climatique s’avère centrale, à la fois pour accroître l’ambition climatique et pour assurer la confiance entre pays du Nord et pays du Sud. Si elle progresse, elle reste insuffisante. A la COP29 de 2024, les pays développés s’étaient engagés à verser 300 milliards de dollars par an aux pays en développement pour financer leur transition climatique à l’horizon 2035, une somme bien inférieure à ce que ces derniers réclamaient et à leurs besoins.
Ils ont également rempli leur précédent objectif, de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020, avec deux ans de retard, d’après le décompte de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Mais, selon un rapport des ONG Oxfam et CARE publié début octobre, l’enveloppe versée par le Nord est trois fois inférieure à ce qu’il déclare et est constituée essentiellement de prêts et non de dons, aggravant la dette des pays du Sud. A la COP30, les Etats doivent désormais progresser sur une feuille de route pour débloquer une enveloppe plus large de 1 300 milliards de dollars par an.
Au-delà des échanges Nord-Sud, l’accord de Paris prévoit un alignement de tous les flux financiers avec la transition bas carbone. Certains signaux sont positifs : les investissements publics et privés dans les énergies propres sont en forte hausse. Ils devraient atteindre 2 200 milliards de dollars en 2025, soit le double des investissements dans les combustibles fossiles, qui ont diminué depuis 2015.
Mais d’autres signaux restent au rouge. Les grandes banques mondiales ont, par exemple, accordé plus du double de financements aux énergies fossiles qu’aux énergies « soutenables » entre 2021 et 2024, d’après un rapport de huit ONG publié fin septembre.
L’essor du contentieux climatique
L’accord de Paris sert également d’appui au développement du contentieux climatique dans le monde. Le nombre de procès a fortement augmenté depuis 2015 : entre 200 et 300 par an, contre moins de 100 auparavant – même si certains cherchent à réduire les mesures en faveur du climat.
Lire la synthèse | La Cour internationale de justice ouvre la voie aux « réparations » climatiques
Par exemple, la justice a condamné les Pays-Bas, la Suisse et la France pour « inaction climatique ». Le tribunal administratif de Paris a ordonné à cette dernière de « réparer le préjudice écologique » causé par le non-respect de ses engagements, tandis que le Conseil d’Etat lui a enjoint de prendre des mesures supplémentaires pour tenir ses objectifs – ce dernier venant d’être clos. Dans un avis inédit, fin juillet, la Cour internationale de justice a aussi conclu que les Etats qui violent leurs obligations « contraignantes » en matière de climat, relevant notamment de l’accord de Paris, commettent un acte « illicite » et pourraient se voir réclamer des « réparations » par les pays les plus affectés.