Droite et extrême droite finissent de détricoter au parlement européen les deux directives CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive).

Loi Omnibus : les eurodéputés parachèvent le détricotage engagé par la Commission et le Conseil

« Le vote d’aujourd’hui redéfinit la majorité politique qui gouvernera l’Europe jusqu’en 2029. »

Après le rejet d’un premier texte de compromis au Parlement européen, la loi Omnibus est adoptée par une alliance entre les conservateurs et l’extrême droite. Un virage historique.

Gouvernance  |  13.11.2025  |  https://www.actu-environnement.com/ae/news/vote-Omnibus-1-Parlement-europeen-47077.php4

N. Gorbatko

Envoyer par e-mail

Loi Omnibus : les eurodéputés parachèvent le détricotage engagé par la Commission et le Conseil

Le rapporteur de la proposition de loi Omnibus 1 au Parlement européen, Jörgen Warborn (PPE), a beau afficher le plus grand calme en conférence de presse, le vote qui vient de se dérouler à Bruxelles revêt bel et bien un caractère historique. Après le rejet en plénière, le 22 octobre dernier, du compromis trouvé au sein de la commission juridique par les groupes PPE (Parti populaire européen), Renew et S&D (Alliance progressiste des socialistes et démocrates), c’est une version beaucoup plus dure du texte qui a été adoptée par les eurodéputés, ce jeudi 13 novembre, grâce à l’association du PPE et de l’extrême droite.

Avec 382 voix pour, 249 contre et 13 abstentions, le vote s’avère « tout à fait solide », se réjouit Jörgen Warborn. Ceci d’autant plus qu’il aura bénéficié des suffrages inattendus de 25 % des élus de Renew et de 13 à 14 % de leurs confrères du S&D. « Tous issus du PPE » et sans négociation avec l’extrême droite, selon le rapporteur, les amendements apportés au texte vident en tout cas soigneusement de leur substance les deux directives CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive).

Un scope encore plus large

Pour ce qui concerne la CSRD, les députés ont fait passer de 1 000 à 1 750 salariés, le seuil imaginé par le Conseil et la Commission européenne au-delà duquel les entreprises seront tenues d’effectuer un rapport d’information social et environnemental. Ils ont par ailleurs adopté la limite de 450 millions d’euros de chiffre d’affaires net annuel proposée par ces partenaires alors qu’elle n’est que de 40 millions d’euros dans le texte actuel. Les normes de reporting seront encore simplifiées et allégées, « exigeant moins de détails qualitatifs ». Le reporting spécifique à chaque secteur deviendra facultatif.

Un « virage salutaire », commente Jörgen Warborn, qui rappelle le coût élevé de ces opérations pour les entreprises. « Elles préféreraient que ces fonds soient consacrés plutôt à la recherche et au développement, argumente-t-il. Il était important de ne pas imposer une charge administrative trop importante, de ne pas réclamer des données qu’il ne serait pas nécessaire d’avoir. » Les petites sociétés ainsi seront exemptées des exigences de reporting de leurs grands partenaires commerciaux, lesquels ne seront pas autorisés à leur demander plus d’informations que celles prévues dans les normes facultatives.“ Alors que l’UE était leader en obligeant les entreprises à adopter un plan de transition, elle revient à un système purement volontaire ”Pascal Canfin, eurodéputé

Or, « nous avons besoin du partage des données permises par la CSRD pour construire un monde basé sur des règles et non sur un pur rapport de force. Nous avons intérêt à ce que ces données soient les nôtres, plutôt que de dépendre de celles produites par des acteurs 100 % américains », regrette l’eurodéputé Pascal Canfin (Renew).

Une pression plus qu’amicale en termes de vigilance

Du côté de la CS3D, le détricotage s’avère tout aussi généreux. Les députés ont ainsi validé les nouvelles barrières promises par le Conseil et la Commission : plus de 5 000 employés et un chiffre d’affaires annuel net supérieur à 1,5 milliard d’euros. Ils ont aussi conservé le principe de la soumission des entreprises aux seules législations nationales en termes de responsabilité civile. En guise de bonus, ils ont ajouté la suppression des pénalités à hauteur de 5 % du chiffre d’affaires en cas de manquement aux droits humains ou environnementaux, limitant ces dernières à « un montant approprié ». « Il n’y aura donc plus aucune obligation d’agir pour une entreprise si elle découvre du travail forcé ou une pollution massive sur sa chaîne de valeur », en conclut Pascal Canfin.

Le Parlement a aussi adopté l’approche « fondée sur le risque pour surveiller et identifier leurs incidences négatives sur les personnes et la planète ». Plutôt que de demander systématiquement des informations à leurs petits partenaires commerciaux, les grands groupes pourront simplement s’appuyer sur les données déjà disponibles et ne solliciter des renseignements supplémentaires « qu’en dernier recours ».

Exit également les plans de transition visant à rendre leur modèle économique compatible avec l’Accord de Paris. Un outil pourtant utile « pour gérer le risque, anticiper, expliquer à vos investisseurs ce qui se passe, votre stratégie, souligne Pascal Canfin. Alors que l’UE était leader en obligeant les entreprises à adopter un plan de transition, elle revient à un système purement volontaire ». La norme internationale de reporting extra-financier ISSB comprend pourtant l’obligation de présenter de tels plans…

Un trilogue prochain pour finaliser le texte

« Nous voulons régler la question climatique, la question de durabilité en général. Et pour ce faire, nous devons considérer que les entreprises sont nos amies », plaide Jörgen Warborn, peu désireux de « les effrayer », au risque de les pousser à se délocaliser, privant ainsi les États membres de précieuses recettes fiscales. Les ultimes négociations en trilogue commenceront le 18 novembre, avec pour objectif de finaliser la législation d’ici à la fin de l’année 2025. « C’est la première fois que le mandat du Parlement pour la négociation en trilogue sera basé sur une telle majorité, s’indigne Pascal Canfin. C’est très triste d’abord, mais cela pourrait aussi avoir des conséquences profondes plus tard, parce que ce qui s’est passé une fois pourrait se reproduire. »

Du côté des ONG, la consternation domine tout autant. Les députés se sont alignés sur une proposition de la Commission européenne, « taillée sur mesure pour les lobbies industriels et jugée potentiellement illégale par une centaine de professionnels du droit européen », déplore notamment Notre Affaire à tous, qui dénonce en outre une pression incessante des puissances étrangères, du Qatar et des États-Unis en particulier. « Pourtant, nombre d’acteurs – société civile, syndicats, professeurs de droit et avocats, économistes, Banque centrale européenne… – ont alerté sur le caractère délétère de cette initiative. »

L’Europe entame « sa descente aux enfers », estime pour sa part l’association Bloom : « Le cordon sanitaire n’a pas seulement sauté, il a explosé ». Quant au député Dominique Potier, rapporteur de la loi française sur le devoir de vigilance, il rappelle les 200 défenseurs des droits humains et de l’environnement « assassinés chaque année en raison de leur combat pour la dignité humaine et notre maison commune ». Notre combat continue, assure-t-il. Après le retard de l’Union européenne dans la transmission de sa contribution déterminée au niveau national (CDN), ce vote, qui intervient en pleine COP, risque en tout cas d’écorner un peu plus l’image de leader climatique que cherchent à imposer les Vingt-Sept.

Nadia Gorbatko, journaliste
Rédactrice spécialisée

____________________________________________________________________

Au Parlement européen, droite et extrême droite s’unissent contre le devoir de vigilance des entreprises

La directive devait responsabiliser les multinationales quant aux impacts négatifs de leurs activités sur les droits sociaux et environnementaux, et permettre des réparations. Jeudi 13 novembre,

le Parti populaire européen et les groupes d’extrême droite se sont unis pour vider le texte de sa substance.

Cédric Vallet

13 novembre 2025 à 19h39 https://www.mediapart.fr/journal/international/131125/au-parlement-europeen-droite-et-extreme-droite-s-unissent-contre-le-devoir-de-vigilance-des-entrepr?utm_source=quotidienne-20251113-205954&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20251113-205954&M_BT=115359655566

BruxellesBruxelles (Belgique).– À Bruxelles, le 13 novembre 2025 laissera une trace indélébile dans la mémoire des député·es européen·nes. « C’est la première fois qu’un mandat de négociation du Parlement européen est adopté dans le cadre d’une alliance entre la droite et l’extrême droite », déplore Éric Sargiacomo, eurodéputé français du groupe des socialistes et démocrates (S&D). « Il y aura un avant et un après, abonde l’écologiste Marie Toussaint. La coalition d’Ursula von der Leyen [la présidente de la Commission européenne – ndlr] est en train d’éclater. »

Un peu avant midi, alors que les votes à main levée s’enchaînaient à un rythme hypnotique, il devenait évident que la législation omnibus allait vider de sa substance la directive sur le devoir de vigilance des entreprises. La majorité qui lui porterait le coup de grâce serait bien celle d’une union entre la droite (le Parti populaire européen, PPE) et l’extrême droite.

Le dépit et la sidération imprègnent les réactions des député·es de gauche et du centre face à cette situation inédite. « Il y a déjà eu des majorités entre la droite et l’extrême droite, mais c’est la première fois dans l’histoire du Parlement que cela arrive pour un texte législatif, et cela aura des conséquences dans la durée », analyse Pascal Canfin, du groupe libéral Renew (où siègent les élu·es macronistes).

Illustration 1
Vote lors de la session plénière du Parlement européen à Bruxelles le 13 novembre 2025.  © Photo Laurie Dieffembacq / Parlement européen

La directive sur le devoir de vigilance, adoptée en juin 2024 après avoir longtemps été réclamée par les syndicats et les ONG, était ambitieuse. Elle devait faire progresser les droits humains et environnementaux, en obligeant les grandes entreprises à examiner en profondeur leurs chaînes de valeur pour y repérer d’éventuelles violations de ces droits.

Ces mêmes entreprises étaient surtout appelées à agir pour changer la situation. Les compagnies récalcitrantes pouvaient se voir infliger des sanctions, et des victimes du bout du monde auraient l’opportunité d’obtenir réparation auprès des tribunaux, grâce à un régime de responsabilité civile harmonisé au sein de l’Union européenne (UE).

Un succès pour les multinationales et… l’extrême droite

De ce texte initial, il ne reste plus grand-chose. Le vote du 13 novembre, s’il est confirmé lors des négociations avec le Conseil de l’UE, le videra de sa substance. Seules les entreprises de plus de 5 000 salarié·es, avec un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros au moins, entreraient dans le champ d’application du texte. Cela concernerait à peine mille entités. Ces entreprises ne seraient plus contraintes de rédiger ni d’appliquer un plan de transition climatique.

Les entreprises n’auraient pas non plus l’obligation de mettre un terme aux relations commerciales avec un sous-traitant problématique. Les sanctions seraient laissées à l’appréciation des États membres, et le régime de responsabilité civile, harmonisé à l’échelle européenne, tomberait aux oubliettes. « La droite et l’extrême droite, main dans la main, ont détricoté le devoir de vigilance, commente l’eurodéputée insoumise Manon Aubry. Et, par la même occasion, ont acté la naissance d’une nouvelle majorité. »

Le vote d’aujourd’hui redéfinit la majorité politique qui gouvernera l’Europe jusqu’en 2029.

Alberto Alemanno, juriste

Le rapporteur du texte, Jörgen Warborn, un élu suédois du PPE, s’est félicité de l’issue de ce vote. Selon lui, il va faciliter la vie du « business » en réduisant les coûts de la « bureaucratie ». Il s’est même fendu de remerciements appuyés « à tous les collègues qui ont soutenu le mandat voté aujourd’hui », donc aussi à l’extrême droite, même s’il a rappelé que le vote n’avait pas été « négocié » avec ces groupes.

Ceux qui ont voté en faveur de son texte – l’extrême droite, mais aussi quelques députés centristes et une poignée de sociaux-démocrates – ont adhéré à des amendements 100 % PPE, disait-il en substance. Le coup porté au cordon sanitaire qui exclut en théorie l’extrême droite des travaux du Parlement européen reste pourtant assez rude.

L’extrême droite ne s’y est pas trompée. Elle a applaudi à tout rompre les résultats du jour. « Le vote d’aujourd’hui démantèle le Pacte vert, mais il redéfinit surtout la majorité politique qui gouvernera l’Europe jusqu’en 2029 », a commenté Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris.

Le chantage du PPE

Du côté du PPE, on renvoie la responsabilité de l’échec aux socialistes. « Un accord avait été trouvé avec les socialistes et démocrates, mais certains de leurs membres n’ont pas voté pour le compromis. Il a donc fallu trouver une autre majorité », a martelé Jörgen Warborn. Le vote du 13 novembre n’est en effet qu’un nouvel épisode d’une série de déboires et de rebondissements.

À LIRE AUSSIÀ marche forcée, Ursula von der Leyen poursuit sa politique de « dérégulation »

9 septembre 2025Devoir de vigilance des entreprises : les socialistes européens au pied du mur

22 octobre 2025

Depuis des mois, les membres de la majorité « von der Leyen », toujours plus bancale, s’écharpaient au sujet du reporting extrafinancier et du devoir de vigilance. Ces deux textes emblématiques du Green Deal, adoptés lors de la précédente législature, ont essuyé les plâtres de la stratégie de simplification administrative de la seconde Commission von der Leyen.

Si le plan de l’exécutif concernant le reporting extrafinancier a d’emblée crispé les ONG, les syndicats et les partis de gauche, c’est clairement la directive sur le devoir de vigilance qui a mis le feu aux poudres. Au Parlement, les négociateurs et négociatrices des différents groupes politiques n’ont pas trouvé de terrain d’entente. La socialiste néerlandaise Lara Wolters a jeté l’éponge en octobre. Elle n’a pas pu sauver le régime de responsabilité civile harmonisé.

Illustration 2
Conférence de presse de Jorgen Wärborn rapporteur du texte sur le devoir de vigilance des entreprises, à Bruxelles le 13 novembre 2025.  © Photo Alexis Haulot / Parlement européen

Lors des négociations, le rapporteur suédois, Jörgen Warborn, avait brandi la menace d’une majorité alternative, donc d’un vote commun avec l’extrême droite, s’il n’arrivait pas à ses fins. La dirigeante du groupe des socialistes et démocrates, l’Espagnole Iratxe García Pérez, n’était pas restée insensible à l’argument. Désireuse de préserver la « plateforme » centrale avec le PPE et Renew, elle avait donné son accord au texte proposé par le PPE. Celui-ci n’incluait plus la responsabilité civile harmonisée, mais sauvegardait les plans de transition climatique, en une version affaiblie.

Nouvelle ère au Parlement européen 

En séance plénière, le 22 octobre, des député·es socialistes se sont rebiffé·es. Le texte de compromis était rejeté, ouvrant la voie à un vote chaotique, sans négociation préalable entre les groupes du centre. À ce petit jeu, les amendements du PPE l’ont donc emporté, le 13 novembre, avec le soutien assumé de l’extrême droite.

Pour Pascal Canfin, « même si le PPE est le premier responsable de cette situation, la partie des socialistes qui ont refusé l’accord il y a trois semaines a joué avec le feu, et nous nous retrouvons avec un texte plus mauvais ». Mais pour Éric Sargiacomo, « c’est le PPE qui, dès le début, n’a pas joué le jeu du compromis en menaçant de s’allier avec l’extrême droite. Ce vote aura des conséquences ».

Il s’agit d’une dérégulation absolue qui va se faire au détriment de la souveraineté européenne.

Marie Toussaint, eurodéputée écologiste

Lesquelles ? Il est encore trop tôt pour le dire. Même si la majorité von der Leyen n’est pas tout à fait morte, elle se craquèle chaque jour un peu plus. « En attendant, ce sont les multinationales qui peuvent sabrer le champagne, car il n’y a plus de devoir de vigilance », constate Manon Aubry.

Il est vrai que les efforts de lobbying contre ce texte, de la part de Total, d’Exxon Mobil, mais aussi des États-Unis et du Qatar, ont été intenses. « Il s’agit d’une dérégulation absolue qui va se faire au détriment de la souveraineté européenne, ajoute Marie Toussaint. L’UE va s’ouvrir à la concurrence déloyale d’entreprises qui ne respectent pas les droits humains ni l’environnement. »

Les institutions européennes s’aventurent désormais en terres inconnues. La position du Parlement européen sera négociée dès mardi avec le Conseil de l’UE, qui représente les États membres. Et pour la première fois, la position défendue par les député·es sera issue d’une majorité obtenue avec des groupes xénophobes, complaisants avec les régimes autoritaires, et jusque-là exclus du gouvernement de l’UE, qui se faisait généralement « au centre ».

Cédric Vallet

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire