« Non, la fermeture des petites maternités n’est pas responsable de la hausse de la mortalité infantile ! »
(Tribune Président du collège National des Gynécologues et Obstétriciens de France)
13/11/2025
Émis par : CNGOF
Tribune du Pr Patrick Rozenberg, Président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens de France (CNGOF), publiée le jeudi 13 novembre 2025 par Le Figaro.
Sur fond de crise de la ruralité, la fermeture des petites maternités créé un sentiment d’abandon compréhensible. Mais il est instrumentalisé par la diffusion d’une « fake news » attribuant la hausse de la mortalité infantile à la fermeture de ces établissements. À l’approche des élections municipales, cette infox occulte les vrais enjeux et contribue à l’aggravation de la crise sans précédent que traverse la périnatalité. De nouvelles études viennent pourtant de montrer que c’est dans les zones urbaines et non dans les zones rurales que la mortalité néonatale augmente. Il serait temps que les médias et les élus cessent de véhiculer des contre-vérités et s’en tiennent aux faits.
La diffusion de la fake news établissant un lien entre mortalité infantile et fermeture des petites maternités s’est gravement accélérée cette année avec la publication d’un livre au fort retentissement médiatique, écrit par deux journalistes. Sans doute peu familiers avec la littérature scientifique, ils ont mésinterprété une étude circonscrite à la Bourgogne publiée il y a près de quinze ans et ont érigé au rang de vérité universelle l’idée selon laquelle la mortalité infantile serait multipliée par deux lorsque le trajet à la maternité dépasse 45 minutes.
Une intox devenue slogan politique
Cet argument pseudo-scientifique a été relayé par de nombreux médias et est devenu un slogan politique. En mai 2025, il a été asséné à la tribune de l’Assemblée nationale par de nombreux députés, lors de l’adoption à une majorité écrasante d’un ubuesque moratoire sur la fermeture des maternités. En septembre dernier, le Conseil Économique, Social et Environnementale (CESE), troisième assemblée de la République, reprenait à son tour cette intox dans la « notice d’information » associée à un avis adopté en séance plénière, affirmant que « 40 % des femmes vivent à plus de 45 minutes d’une maternité, augmentant les risques de mortalité infantile ».
Ainsi, la rumeur se répand et s’étoffe de nouveaux arguments incongrus. Car ce chiffre de 40 % est en fait le taux d’augmentation constaté sur la période 2000-2017 par la DREES, qui note qu’à cette dernière date seulement 1 à 2 % des femmes en âge de procréer vivaient à plus de 45 minutes d’une maternité.
La parole des professionnels de terrain et des sociétés savantes est méprisée
Les sociétés savantes ont collectivement objecté que l’étude sur la Bourgogne précisait que l’observation du lien entre distance et mortalité infantile était non significative, en raison d’un échantillon trop faible ; qu’une étude à l’échelle de la France publiée quelques mois plus tard avait conclu qu’il n’y avait aucun lien de causalité , ce que confirmait en 2020 une méta-analyse internationale. Nous avons fait remarquer que la fermeture des maternités a été bien plus drastique dans les pays européens qui ont les taux de mortalité infantile les plus bas… La parole des professionnels de terrain et des chercheurs n’est pas écoutée ! Les enjeux politiques, le fait que les présidents des conseils de surveillance des hôpitaux soient statutairement les maires, l’approche des élections municipales, biaisent le débat au détriment de la santé des mères et des nouveau-nés.
L’augmentation de la mortalité néonatale se concentre dans les zones urbaines
Or, deux études parues en 2025 démentent une fois de plus la vérité alternative qui se propage. Elles s’intéressent à l’évolution de la mortalité néonatale (décès avant 28 jours), qui est la cause essentielle de l’augmentation de la mortalité infantile, avant l’âge de 1 an.
La première étude compare l’évolution du taux de mortalité néonatale en zone rurale et en zone urbaine de 2001 à 2017. Elle montre qu’il a augmenté en France à partir de 2005, mais est resté stable en zone rurale (moins de 2 ‰), où la plupart des maternités ont fermé. L’augmentation est exclusivement le fait des zones urbaines (2,75 ‰), particulièrement les plus défavorisées (3 ‰).
La seconde étude compare l’évolution de la mortalité néonatale de 2001 à 2020 dans les communes en fonction du niveau de vie de la population. Elle constate aussi que l’augmentation du taux de mortalité néonatale se concentre dans les communes les moins favorisées, majoritairement situées en zones urbaines, mais qu’elle est restée stable ailleurs. En Seine-Saint-Denis, le taux de mortalité néonatale atteint 3,7 ‰ sur la période 2015-2020, soit l’un des plus élevés de France métropolitaine.
L’augmentation de la mortalité néonatale est ainsi liée à des conditions socio-économiques précaires, et non à la durée du trajet jusqu’à la maternité. Alors que la mortalité infantile augmente, que la France se retrouve tout en bas du classement européen et que nos services sont en grande difficulté, nous avons impérativement besoin d’un débat rationnel et serein pour redresser la barre. Pour cela, les journalistes, les élus et les institutions doivent cesser de propager des fake news. On ne joue pas avec la vie des mères et des nouveau-nés !