Administration pléthorique à l’hôpital : quand le populiste montre le doigt…
Aurélie Haroche| 07 Novembre 2025 https://click.email.jim.fr/?qs=ef65768bc4194ae5aa2c398b33ff3cd74c2d102f9df7cd175b914e6a9d7382fda1bdb68f3cc54b6b07a350ea50d5eb4e209b18c62ad163f1
A la faveur des débats sur le budget de la Sécurité sociale, le député Christophe Bentz (première circonscription de Haute-Marne, RN) a proposé de « réduire de 10 % » le nombre des postes administratifs dans les établissements hospitaliers. Avec toujours le même objectif : redonner aux hôpitaux les moyens de se concentrer sur leur véritable mission : soigner.
Technocrates déconnectés ou managers capitalistes : la convergence des luttes
L’idée est loin d’être neuve car depuis de nombreuses années différents responsables politiques dessinent le même portrait d’un hôpital en prise aux mains opaques d’une administration tentaculaire, toujours avide de prendre plus de place. L’administration est ainsi traditionnellement conspuée par l’extrême droite qui s’opposant à son supposé idéal « progressiste » en dédaigne les aspects « technocratiques » et prétendument « déconnectés » des aspirations profondes du peuple. Mais (et ce rapprochement se retrouve dans d’autres sphères) le raisonnement est également récurrent dans les rangs de l’extrême gauche. L’administration est ici considérée comme le visage caché des logiques « managériales capitalistes ». Et c’est ainsi que concernant l’hôpital, la gauche affirme régulièrement que la tarification à l’activité aurait conduit à une hégémonie bureaucratique. (On passera sur le fait que les dictatures de droite comme de gauche raffolent des labyrinthes administratifs)
Des praticiens unis contre le fléau de la paperasse
L’idée est également largement partagée par les médecins, épuisés d’être harcelés par les réclamations des « Bureaux » (pour reprendre le terme balzacien). Ainsi, le Quotidien du médecin a-t-il récemment interrogé ses lecteurs : « L’hôpital est-il embolisé par la bureaucratie ?». Sur les quinze contributions reçues par nos confrères, pas une ne défendait l’idée contraire, tandis qu’avec le déploiement de l’IA beaucoup imaginent des solutions radicales pour traiter ce problème. Récemment, sur les réseaux sociaux l’auteur médecin de la célèbre bande dessinée Vie de Carabin ironisait : « Je suis vraiment admiratif du hold up du siècle à l’hôpital. Ça a commencé avec des soignants qui en avaient marre de s’occuper de l’administratif et ont embauché des secrétaires. Et on ne sait pas comment, ça finit avec des administratifs mieux payés que des soignants, qui leurs disent comment bosser, et qui se réservent pour eux les primes covid alors qu’ils étaient en télétravail ». Les représentants syndicaux n’ignorent pas cet état d’esprit des praticiens. Ainsi, on se souvient comment il y a quelques mois, le docteur Arnaud Chiche, fondateur du Collectif Santé en Danger s’était emporté : « On n’a jamais été autant vampirisé par l’administration et on n’a jamais aussi mal soigné les gens […] Tous ces services-là, les gestionnaires de paie, les directeurs, sous-directeurs, directeurs stratégiques, directeurs opérationnels… Mais qu’est-ce qu’ils font ces gens-là ? », s’interrogeait-il.
Qu’ils soient représentants politiques (tous bords confondus, donc) ou professionnels de santé, ces révoltés de la bureaucratie aiment à avancer un chiffre : 30 % des salariés des hôpitaux publics ne sont pas des personnels soignants. Cette proportion est ainsi érigée comme le symbole évident du scandale de cette administration qui gangrène ces hôpitaux. Cette donnée est cependant un trompe-l’œil. La catégorie regroupe en effet un nombre de métiers très divers. « Ce sont des secrétaires médicales qui assurent le suivi des malades, des travailleurs sociaux qui accompagnent les plus précaires, des professionnels de la recherche qui développent l’innovation thérapeutique, des équipes informatiques, des formateurs qui préparent les générations futures de soignants, des techniciens ou des logisticiens qui garantissent chaque jour la restauration, le linge ou les transports », énumèrent dans une tribune récemment publiée dans le Monde François Crémieux, directeur général de l’Assistance publique – hôpitaux de Marseille et Jean-Luc Jouve, président de la CME *. Ces derniers insistent en outre sur le fait qu’à l’instar de n’importe quelle grande entreprise, les établissements ne sauraient fonctionner sans responsable des ressources humaines ou directeurs de la paie ou des finances. Ainsi, bien plus certainement que ce chiffre de 30 %, faut-il retenir celui de 11,3 % de personnels administratifs, avancé par la Direction statistique de la santé publique (DREES). Par ailleurs, le ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin a bien rappelé à la tribune de l’Assemblée nationale en réponse à Christophe Bentz« la croissance du personnel médical dans les hôpitaux publics et privés français entre 2013 et 2023 : c’est +18% ! Sur la même période, la croissance du personnel administratif, c’est seulement 8 %. Donc, nous avons déjà “déformé” la population qui travaille dans les hôpitaux pour donner plus de place aux soignants et moins de place aux administratifs ».null
Gare aux logiques simplificatrices
A l’instar de François Crémieux et Jean-Luc Jouve qui vont même jusqu’à réclamer une augmentation des effectifs administratifs, d’autres voix mettent en garde contre ce miroir aux alouettes faisant de l’administration le coupable désigné de beaucoup de nos maux. L’ancien ministre de la Santé, Agnès Buzyn remarquait ainsi interrogée sur le site Acteurs publics : « Ceux pour qui les difficultés de l’hôpital sont uniquement le fruit d’un problème d’administration se trompent et sont dans une logique simplificatrice et populiste ». Elle note également l’importance de pouvoir disposer d’indicateurs fiables. nullnull
Quand le populiste montre le doigt…
Dès lors faut-il en conclure que nous sommes une nouvelle fois en présence d’une polémique stérile alimentée par les extrêmes uniquement soucieux de faire la démonstration de leurs obsessions (parfois complotistes) habituelles? Souvent, la difficulté avec les discours populistes est qu’ils mettent l’accent sur des problèmes concrets mais ce que l’on sait de leurs intentions incitent d’abord à se concentrer sur ces dernières en oubliant (masquant) certaines réalités. Déconstruire le mythe du chiffre de 30 % est sans doute indispensable. Mais cela ne doit pas conduire à omettre d’admettre que les hôpitaux sont la proie de la manie des reportings, des vérifications redondantes et autres procédures aussi chronophages qu’insipides (dont on pourrait ailleurs interroger les raisons comme l’inflation des normes, la mauvaise numérisation, etc…). Quand François Crémieux et Jean-Luc Jouve mettent en garde en notant que la suppression de postes administratifs conduirait inévitablement à l’augmentation de la charge administrative des médecins, c’est nier qu’une part de cette charge administrative est créée artificiellement par des diktats absurdes et bureaucratiques. Christophe Daunique, consultant en stratégie et transformation analyse sur X cette argumentation mortifère : « Les uns veulent “moins d’administratifs”, Les autres veulent “plus d’administratifs”, alors que le sujet n’est pas quantitatif, mais structurel. Quand François Crémieux et Jean-Luc Jouve écrivent que « nos hôpitaux manquent d’appuis administratifs pour soulager les soignants », ils défendent en réalité une bureaucratie supposée intangible. Plutôt que de la réduire, on la nourrit. On traite les symptômes au lieu de soigner la pathologie. En réalité, le bon diagnostic est simple, l’hôpital n’a pas besoin de plus d’administratifs, il a besoin de moins de bureaucratie. Autrement dit, moins de flux inutiles, de formulaires à remplir, de redondances de contrôle, d’exigences sans valeur clinique directe » insiste-t-il.
Culture du « bla-bla »
C’est également la volonté d’un grand nombre de praticiens qui s’expriment régulièrement sur le sujet (que l’on pense aux docteurs Jomier, Wargon ou Juvin) alertant notamment sur l’inflation des reportings, déjà évoquée en 2022 par le Professeur Bernard Grangerdans son livre Excell m’a tuer qui reste tristement d’actualité. On se souvient aussi comment en 2021, un collectif de professionnels de santé avait tancé sévèrement dans les colonnes du Monde : « La bureaucratie est en perpétuelle extension. C’est un mal ancien, systémique. Il ne sera pas combattu par ceux qui le répandent. Se multipliant un peu plus chaque année, les exigences réglementaires tatillonnes, voire absurdes, ainsi que les injonctions paradoxales ruissellent des ministères vers les agences régionales de santé (ARS), puis inondent tous les recoins de l’hôpital. Les « managers » présents dans toutes les strates inutiles multiplient tracasseries, réunions, rapports sans intérêt, procédures irrationnelles, demandes abusives, commissions et sous-commissions à propos de n’importe quel sujet. Cette culture du chiffre, du « bla-bla » et des « process » sape le moral des hospitaliers les plus impliqués dans leur vocation, celle de soigner. Elle éloigne les soignants des malades et les pousse à quitter l’hôpital. Est-il normal de perdre bientôt autant de temps à justifier ce que l’on a fait que de consacrer du temps à le faire ? ».null
Pas grand-chose à gagner mais rien à perdre
Il n’était certainement pas question pour ces soignants de se plaindre des secrétaires ou des gestionnaires de paie mais bien plus certainement des passionnés d’indicateurs ou des férus de nomenclature. Leur proportion dans les établissements n’est sans doute pas suffisante pour que leur suppression permette d’assurer une manne financière assez confortable pour répondre aux défis immenses de l’hôpital français, n’en déplaise aux populistes en tous genres. Réfléchir à la pertinence de certaines missions permettrait cependant sans doute d’en finir avec la bureaucratisation tout en gardant le meilleur de l’administration, mais cela est bien plus complexe que de brandir des chiffres erronés et spectaculaires.
*Budget de la Sécurité sociale 2026 : « Nos hôpitaux manquent d’appuis administratifs et logistiques pour soulager les soignants »
Titre initial: « Administration pléthorique à l’hôpital : quand le populiste montre le doigt… »
Tribune
François Crémieux Directeur général de l’AP-HM
Jean-Luc JouvePrésident de la CME
Dans une tribune au « Monde », François Crémieux, directeur général de l’AP-HM, et Jean-Luc Jouve, président de la CME du groupe hospitalier marseillais, critiquent l’idée reçue selon laquelle l’hôpital public souffrirait d’une bureaucratisation excessive et coûteuse.
Publié le 30 octobre 2025 à 10h00, modifié le 12 novembre 2025 à 17h21 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/30/budget-de-la-securite-sociale-2026-nos-hopitaux-manquent-d-appuis-administratifs-et-logistiques-pour-soulager-les-soignants_6650266_3232.html
Temps de Lecture 4 min.
Dans un contexte économique tendu, marqué par un déficit public massif et une dette qui pèse sur les marges de manœuvre, les débats budgétaires s’annoncent particulièrement difficiles. Face au défi de l’équilibre des comptes de l’Assurance-maladie et à l’approche de la discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale, la course aux propositions de nouvelles recettes ou d’économies est lancée.
Entre la question de l’augmentation de taxes dites « comportementales » sur le tabac ou sur les produits gras, celle des transferts de charges de l’Assurance-maladie vers les mutuelles ou directement aux patients, ou celle des baisses du prix des médicaments et de certains actes médicaux, les consensus et les équilibres seront difficiles à trouver.
L’objectif est que la santé – qui demeure la première préoccupation des Français – reçoive des moyens adaptés, tout en veillant à ce que cette dépense, inéluctablement croissante à cause du vieillissement, du développement de maladies chroniques, du coût élevé, et parfois exorbitant, des thérapeutiques innovantes, n’absorbe pas, à elle seule, les ressources dont d’autres domaines ont aussi un besoin vital. Les soignants, s’ils ont besoin d’avoir les moyens financiers et humains de bien soigner, sont les premiers à savoir que la bonne santé est impossible sans un logement décent, sans école, sans sécurité et sans un environnement sain.
Fonctions peu visibles
Dans ce contexte, il est essentiel de préserver nos hôpitaux publics. Ils ont montré, avant, pendant et depuis la crise due au Covid-19, qu’ils sont des piliers de notre cohésion nationale. Dans le même temps, les dérives de la financiarisation de pans entiers de la médecine privée, des grands groupes de maisons de retraite aux multinationales des cliniques, de l’imagerie médicale à la biologie, ont été largement documentées, notamment par l’Assurance-maladie, qu’on ne saurait suspecter d’un gauchisme désinhibé. Qu’il soit désormais largement admis que les soignants et notre service public méritent un soutien durable est, en soi, un progrès.
Mais une petite musique, fondée sur un malentendu et parfois relayée comme une évidence, continue de circuler : nos hôpitaux seraient mal gérés et compteraient une proportion d’administratifs pléthorique, supérieure à celle de tout autre système de santé. Le chiffre de 35 % est souvent avancé. C’est une absurdité. Il traduit à la fois une mauvaise lecture des statistiques et, surtout, une méconnaissance profonde du monde hospitalier.
Lire aussi le reportage (2024) | Aux Hôpitaux de Marseille, les raisons d’un déficit inquiétant, commun à tous les CHU
Oui, deux tiers des personnels hospitaliers sont médecins, infirmiers, aides-soignants. Mais le troisième tiers n’est pas constitué d’« administratifs » : ce sont des secrétaires médicales qui assurent le suivi des malades, des travailleurs sociaux qui accompagnent les plus précaires, des professionnels de la recherche qui développent l’innovation thérapeutique, des équipes informatiques, des formateurs qui préparent les générations futures de soignants, des techniciens ou des logisticiens qui garantissent chaque jour la restauration, le linge ou les transports.
Ce sont ces fonctions de support, aussi peu visibles qu’indispensables, qui permettent à l’hôpital de tenir debout. Colporter cette fausse information selon laquelle plus de 30 % des professionnels hospitaliers constitueraient l’armée discrète d’une bureaucratie d’un autre âge est doublement indélicat.
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D’abord pour les professionnels qui, ni médecins ni paramédicaux, participent pourtant directement au soin, comme ces 700 secrétaires médicales de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), réparties dans près de 300 services, qui organisent le million de venues de patients et assurent la prise de rendez-vous et la rédaction de comptes rendus, ou comme la cinquantaine d’assistantes sociales qui accompagnent les patients en difficulté. Et que serait l’accueil à l’hôpital sans des experts de la logistique ? Sans professionnels de l’hygiène, de la restauration, de la stérilisation ?
Ce discours sans fondement est aussi inaudible pour les équipes administratives, qui ne représentent que de 5 % à 6 % des effectifs et assurent la gestion des ressources humaines ainsi que celle des services financiers ou juridiques de nos hôpitaux. Nous mettons au défi n’importe quelle entreprise d’assurer les ressources humaines de 20 000 professionnels ou d’engager 800 millions d’euros d’achats avec des équipes administratives aussi peu nombreuses et modestement rémunérées que celles du service public hospitalier. Les plans d’économies de ces dernières années ont beaucoup pesé sur ces équipes, et ces services ne cessent d’essayer de faire mieux avec, souvent, moins de moyens humains.
Débureaucratiser la médecine
Après des années de rigueur budgétaire, nos hôpitaux ne sont pas suradministrés ; ils manquent, au contraire, d’appuis administratifs et logistiques pour soulager les soignants. Quel témoignage sur l’hôpital ne fait pas référence au fait que médecins ou paramédicaux sont accaparés par des tâches administratives ? Ajouter du personnel administratif en appui des médecins, ce n’est pas bureaucratiser l’hôpital, mais débureaucratiser la médecine.Pour en savoir plus sur la législation française :Tester gratuitement
Dans le contexte actuel de nos finances publiques et du nécessaire équilibre de nos dépenses sociales, nous avons la responsabilité de gérer au mieux l’argent qui finance nos hôpitaux, et constitue autant de charges pour nos entreprises et pour ceux qui travaillent. Nous savons que nous pouvons faire mieux, notamment avec la révolution numérique en cours. Nos hôpitaux publics marseillais n’ont aucunement l’intention de s’exonérer de cette responsabilité.
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Les fausses informations sont autant d’écrans de fumée qui dissimulent les réelles transformations à engager pour soigner mieux sans dépenser toujours plus. De grands défis nous attendent : une meilleure prévention de la dépendance, très coûteuse lorsqu’elle s’installe ; une prescription plus attentive des médicaments ou examens ; une meilleure coordination de la prise en charge des malades, pour éviter de multiplier les consultations ou les transports inutiles lorsqu’une prise en charge à proximité aurait été possible.
Pour respecter au mieux les équilibres économiques et préserver le régime de sécurité sociale, engageons-nous vraiment dans une priorité à la prévention, faisons de la pertinence des soins un totem pour éviter les mesures inutiles, et rendons possible une profonde réorganisation de l’offre de soins sur nos territoires, plutôt que de nous contenter de subir les résistances aux changements.
Il faut donc souhaiter que le débat parlementaire à venir s’appuie sur des bases réelles et saines : tenir compte de l’urgence financière, ramener le pays dans un cadre budgétaire soutenable, mais aussi garder le cap sur l’avenir. Car, dans une démocratie, les services publics sont les institutions qui structurent notre vie collective. Souvent critiqués, nos services publics sont toujours regrettés lorsqu’ils se dégradent ou s’éloignent du quotidien des Français.
François Crémieux est directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) ; Jean-Luc Jouve est président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HM.
François Crémieux (Directeur général de l’AP-HM) et Jean-Luc Jouve (Président de la CME)