Crédits carbone bleu : Surfrider publie un rapport critique
« Cette nouvelle génération d’instruments sera-t-elle en mesure d’éviter les erreurs passées [greenwashing, absence d’additionalité, incertitudes scientifiques] ou ne constituera-t-elle qu’une requalification discursive, entérinant un désengagement du secteur public dans la conservation des écosystèmes ? » (Alain Karsenty chercheur)
Gouvernance | Aujourd’hui à 12h56 |https://www.actu-environnement.com/ae/news/credits-carbone-bleus-rapport-surfrider-47042.php4#xtor=EPR-50

« À bien des égards, le crédit carbone semble incarner un dispositif en perte de légitimité, fragilisé par une défiance croissante, et son extension bleue comme particulièrement inadaptée aux spécificités écologiques et sociales des écosystèmes marins. » C’est la conclusion à laquelle parvient la Surfrider Foundation Europe dans un rapport (1) publié le 5 novembre et portant sur la perception des parties prenantes sur les crédits carbone bleu. Ces outils financiers, incarnés par le label bas carbone en France, sont destinés à financer des actions de protection et de restauration des écosystèmes marins et côtiers (herbiers marins, mangroves, prés salés, etc.), reconnus pour leur grande efficacité à séquestrer le carbone.
L’ONG a analysé les visions de 19 acteurs européens : scientifiques, gestionnaire d’une aire marine protégée, lobbyiste, expert en financement, assureur, etc. « Les résultats montrent que, sur le terrain, les approches sont souvent plus nuancées que l’image positive renvoyée par les discours politiques et économiques actuels », indique Surfrider, après avoir rappelé que la présidente de la Commission européenne avait apporté son soutien à ces instruments lors de la présentation du Pacte européen pour les océans, en juin dernier. Les positions des parties prenantes se révèlent en fait très partagées. « Tandis que certains acteurs tentent de mobiliser ces crédits de manière opportuniste, en réponse à la demande du secteur privé et un déficit de financement public, d’autres les disqualifient comme étant structurellement inadaptés, porteurs de dérives éthiques et peu compatibles avec une gouvernance publique et inclusive des écosystèmes », rapportent les auteurs de l’enquête.
Ceux-ci relèvent également « d’importants obstacles » sur le terrain : coûts d’accréditation, complexité des méthodologies, incertitudes scientifiques, dissonance entre les objectifs de long terme de la conservation et les logiques de rentabilité de court terme recherchées par les financeurs. « Les crédits carbone bleu ne peuvent (…) pas remplacer des politiques publiques limitant les pratiques nocives pour l’environnement ou soutenant la régénération des écosystèmes », en conclut Rémy Moreau, chef de projet carbone bleu pour Surfrider.
L’ONG s’interroge également sur l’émergence des crédits biodiversité, inscrits dans une feuille de route par la Commission européenne, relayant une interrogation du chercheur Alain Karsenty : « Cette nouvelle génération d’instruments sera-t-elle en mesure d’éviter les erreurs passées [greenwashing, absence d’additionalité, incertitudes scientifiques] ou ne constituera-t-elle qu’une requalification discursive, entérinant un désengagement du secteur public dans la conservation des écosystèmes ? »
1. Télécharger le rapport
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-47042-raport-credits-carbone-bleus-surfrider.pdf
« La finance carbone n’est pas adaptée aux projets des ONG, nous lançons donc un mécénat climatique »
La finance carbone mobilise un gros volume financier, mais qui revient peu aux ONG. Planète Urgence, spécialisée dans la lutte contre la déforestation, va lancer un mécénat climatique. Détails avec le directeur du développement, Guillaume Tauveron.
Entretien | Gouvernance | 30.10.2023 | https://www.actu-environnement.com/ae/news/entretien-planete-urgence-produrable-mecenat-climatique-42839.php4
À travers des projets de stockage de carbone, financés bien souvent par des entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre, le marché de la compensation carbone volontaire se développe. En 2020, environ 190 millions de tonnes équivalent CO2 de crédits carbone ont été échangées sur le marché mondial, soit presque le double par rapport à 2019. Les prévisions confirment cette tendance : la demande mondiale en crédits carbone volontaires pourrait être multipliée par 15 d’ici à 2030, et par 100 d’ici à 2050, selon les chiffres avancés par le ministère de l’Agriculture.
L’argent mis sur la table pour financer des projets de compensation est donc une manne intéressante qui pourrait profiter aux ONG mondiales. Mais qui finalement le fait très peu, selon Guillaume Tauveron, directeur du développement de l’ONG Planète Urgence, spécialisée dans la lutte contre la déforestation : « On a étudié les règles de la finance carbone et on s’est rendu compte que 40 à 60 % des fonds investis revenaient aux intermédiaires pour la labélisation des projets et les aspects administratifs. Cela nous dérange. C’est de l’argent en moins pour les projets. »
L’ONG a donc travaillé sur un projet spécial en adaptant les règles de la finance carbone, afin d’avoir le moins d’intermédiaires possible.
Aujourd’hui, elle veut faire profiter toutes les ONG de son expérience et va prochainement lancer un mécénat climatique, un nouvel instrument de financement mieux adapté aux ONG. « Ce mécénat répondra à une attente forte des entreprises qui ne veulent pas se contenter d’avoir des crédits carbone, mais qui veulent s’assurer que leur financement a un réel impact sur le terrain », détaille Guillaume Tauveron, rencontré à l’occasion du salon Produrable.
Florence Roussel, journaliste
Directrice de la rédaction et rédactrice en Chef d’Actu-Environnement