La santé doit aussi être comprise comme un facteur de production, et donc de croissance économique, de bien-être et de réduction des inégalités sociales.(Dr Braun)

François Braun, ancien ministre de la santé : « Une nouvelle démocratie sanitaire et un financement ajusté aux besoins s’imposent »

Tribune

A l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le médecin plaide, dans une tribune au « Monde », pour un profond changement de paradigme dans le domaine de la santé publique et défend le « passage à un système fondé sur l’accès à la santé pour tous ».

Publié hier à 14h00  Temps de Lecture 3 min.

Comme chaque année, les débats autour du projet de loi de financement de la Sécurité sociale devraient être l’occasion d’analyser les défaillances de notre système de santé et de proposer des solutions globales et structurelles plutôt que sectorielles et conjoncturelles. Malheureusement, nous constatons une fois de plus le corporatisme exacerbé d’un écosystème où chacun défend son pré carré, et le populisme de celles et ceux qui, plutôt que de s’intéresser aux questions de fond, préfèrent mettre en avant le prix du parking des hôpitaux.

Construit à l’aube des années 1960, notre système de santé centré sur le soin n’est plus adapté aux évolutions de ces dernières décennies, mal anticipées tant par les politiques que par les acteurs de la santé publique dans leur ensemble. Nous devons aujourd’hui faire face à une transition plurielle. En premier lieu, cette transition est d’ordre démographique, avec une augmentation du nombre de personnes âgées parfois dépendantes, mais aussi d’ordre épidémiologique, avec l’accroissement des pathologies chroniques, des maladies liées à la pollution et au réchauffement climatique, et l’explosion des troubles de la santé mentale chez les jeunes.

Soulignons également l’importance de la transition technologique, avec les progrès de la recherche et l’irruption de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé, et, enfin, d’une profonde transformation sociale, dont les professionnels de santé ne sont pas exclus, et qui implique une modification profonde de notre rapport au travail, une volonté toujours accrue d’« immédiateté » dans les réponses, ainsi qu’une meilleure reconnaissance des pathologies féminines.

Territorialisation de la santé

Si l’« effet ciseaux » entre une augmentation de la demande de soins et une raréfaction de l’offre est répété à l’envi, se contenter de cette vision binaire de la situation nous précipite, à coup sûr, dans l’abîme. Il est aujourd’hui illusoire de vouloir résoudre les problèmes d’accès aux soins, de financement de la santé, d’insatisfaction de nos concitoyens sans une réforme en profondeur fondée sur un réel changement de paradigme qui seul permettra la préservation de notre système social. Cette rupture indispensable passe par une nouvelle doctrine, une architecture adaptée, une démocratie sanitaire rénovée et un financement ajusté aux besoins.

Changer de doctrine, c’est passer d’un système d’accès aux soins à un système fondé sur l’accès à la santé pour tous, englobant la prévention, le dépistage, le soin et la réhabilitation des patients dans le but d’accompagner leur retour à la vie active.

La reconnaissance au plus haut niveau de l’Etat d’une « politique de santé publique » régalienne, qui investit sur le capital humain en santé en maximisant l’espérance de vie en bonne santé de toutes les classes sociales, est indispensable.

La santé doit aussi être comprise comme un facteur de production, et donc de croissance économique, de bien-être et de réduction des inégalités sociales.

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Ce nouveau système de santé ne doit plus être piloté par l’offre, mais par la réponse aux besoins de santé de la population. Le pilotage par l’offre est consubstantiel à un système concurrentiel dont on voit aujourd’hui les limites et les dérives tant financières qu’organisationnelles, alors que le pilotage par la réponse aux besoins de santé impose une complémentarité entre les acteurs, les structures, et un décloisonnement entre les professionnels de santé. S’attacher aux besoins de santé de la population, c’est aussi accepter une part de territorialisation de la santé, les besoins n’étant pas les mêmes selon les territoires.

Une nouvelle démocratie sanitaire s’impose, fondée sur une organisation territoriale de la santé et sur la participation de chacun dans la perception, l’analyse et la maîtrise de son risque de santé. Impliquer tous les acteurs de terrain, élus, usagers, permettra aux professionnels de santé de redonner du sens à leur action et de favoriser l’innovation au plus près des territoires. Le Conseil national de la refondation en santé était l’embryon de ce changement.

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Dans cette organisation territoriale rénovée, les professionnels de santé disposent d’une délégation de service public afin de réaliser, équitablement, les missions de service public : accès aux soins, prévention, urgences, permanence et continuité des soins. Elle s’accompagne d’une dissociation entre les missions de service public qui s’imposent à tous et le statut de la fonction publique hospitalière, libérant les énergies et favorisant les initiatives.

Pour accompagner ce changement de paradigme lié à « la santé pour tous », il est indispensable de passer à un financement qui dépende de la situation sanitaire du patient, plutôt que de l’acte médical en lui-même. Cette évolution s’accompagnerait d’un nouvel « objectif national des dépenses de l’assurance-santé », en remplacement de l’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance-maladie), construit sur la réponse aux besoins de santé – prévention, dépistage, soins urgents, soins courants, soins chroniques, réhabilitation – d’une part, et sur le type de dépenses, d’autre part – recherche, formation, produits de santé.

Réforme structurelle

Une clarification de « qui paye quoi » accompagne ce changement. L’Assurance-maladie, devenant « assurance-santé », rembourserait seule l’essentiel des dépenses de soins, les assureurs privés, encadrés, se concentrant sur les soins non remboursés par la Sécurité sociale, dans la prévention et la réhabilitation.

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Conduire cette réforme structurelle ne peut se concevoir sans une loi de planification et de programmation de notre système de santé sur cinq ans, proposée en début de quinquennat et annuellement évaluée par le Parlement.

Nous, concitoyens, professionnels de santé, politiques, n’avons plus le droit de procrastiner. Nos voisins espagnols, britanniques, québécois, ont déjà entamé une réforme structurelle de leurs systèmes de santé. Nous avons un an pour préparer cette réforme et la proposer aux prochains candidats à l’élection présidentielle qui devront présenter leurs priorités en santé. Ce nouveau cadre permettra une comparaison transparente des projets et constitue un véritable choix de société.

François Braun est médecin hospitalier, ancien ministre de la santé et de la prévention (2022-2023).

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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