Hospitaliser depuis les urgences : la stratégie de grande prudence est-elle la bonne ?
TRANSCRIPTION
Bonjour, je suis Dominique Savary. Je travaille au département de médecine d’urgence du CHU d’Angers et je vous retrouve sur Medscape pour évoquer l’étude de Coussens et al. sortie en 2025 dans le JAMA Internal Medicine et qui s’est intéressée à la propension des médecins urgentistes à hospitaliser les patients et le lien avec la mortalité de ces patients. [1]
Et donc c’est une étude qui a eu lieu aux États-Unis, qui a été réalisée entre 2011 et 2019 et qui a comparé des urgentistes de différents services d’urgence. Cette étude a porté sur plus de 2000 médecins qui ont vu plus de 2 millions de patients dans 101 services d’urgence. Et donc le travail s’est limité aux motifs de passage, à trois motifs de passage : la douleur thoracique, la douleur abdominale et la détresse respiratoire.
Résultats de l’étude : la moyenne d’âge des patients était de 63 ans, avec une proportion de femmes assez faible (autour de 10 %). Le taux d’hospitalisation moyen s’élevait à 41,2%, avec une mortalité moyenne à 30 jours de 2,5%. Ceci, bien sûr, est ajusté sur la pathologie des patients et les comorbidités.
Quand on regarde la proportion des [praticiens] qui avaient tendance à plus hospitaliser les patients, ils admettaient autour de 56% de patients comparés à ceux qui hospitalisaient le moins, qui étaient autour de 32%. Précisément, pour ceux qui avaient tendance à beaucoup hospitaliser les patients, on s’apercevait que la proportion de ceux qui sortaient le jour suivant était beaucoup plus importante que pour les praticiens qui avaient tendance à moins hospitaliser (31 % versus 24%). Ce qui correspond un peu à notre unité d’hospitalisation de courte durée où on met les patients en observation pour pouvoir les laisser sortir le lendemain.
La stratégie de grande prudence n’apparaît pas justifiée. Elle est coûteuse et sans bénéfice pour les patients.
En pratique : Globalement, ce qu’il faut retenir de cette étude, c’est que la stratégie de grande prudence n’apparaît pas très justifiée, sinon qu’elle est coûteuse et qu’elle est sans bénéfice pour les patients.
Et si on s’intéresse aux tendances, quelles sont les choses qui font que les praticiens vont plus hospitaliser les patients ? On n’a pas de réponse dans cette étude, mais dans l’étude de Venkatesh et al. sortie dans Medical Care en 2015, on sait que ce sont souvent les médecins les plus jeunes qui ont tendance à hospitaliser. [2] Et que, dès lors qu’il y a de la tension dans les services, il y a moins d’hospitalisations. C’est aussi le cas lorsque la structure est beaucoup plus importante et où la capacité d’hospitalisation est beaucoup plus importante.
Donc même si on n’a pas de données françaises pour pouvoir comparer avec la stratégie qui est développée dans cette étude, on peut imaginer, au vu des trois pathologies proposées, qu’on ne serait pas très loin de ces pratiques. On a pu voir au cours de deux enquêtes DREES (2013 et 2023), qu’on a eu tendance à moins hospitaliser les patients depuis les services d’urgence en 10 ans, probablement par un manque de lits dans nos unités puisqu’on a perdu cinq points sur le taux d’hospitalisation globale entre ces deux enquêtes DREES.
Voilà, j’espère que cette étude vous aura intéressé. Je vous dis à bientôt sur Medscape France.
- Coussens S, Ly DP. Variation in Emergency Department Physician Admitting Practices and Subsequent Mortality. JAMA Intern Med. 2025 Feb 1;185(2):153-160. doi: 10.1001/jamainternmed.2024.6925. PMID: 39714798; PMCID: PMC11791704.
- Venkatesh AK, Dai Y, Ross JS, Schuur JD, Capp R, Krumholz HM. Variation in US hospital emergency department admission rates by clinical condition. Med Care. 2015 Mar;53(3):237-44. doi: 10.1097/MLR.0000000000000261. PMID: 25397965; PMCID: PMC4858175.