Au CHU de Caen, les urgences contraintes de se passer d’internes, faute de médecins pour les encadrer
A compter du 3 novembre, le service hospitalier, déjà en sous-effectif, ne pourra plus accueillir de jeunes médecins en formation, à la suite de la suspension de son agrément de stage.

La nouvelle a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen, à compter du lundi 3 novembre, il n’y aura plus d’internes de médecine en stage (après la sixième année d’études), ni de « docteurs juniors » (en dernière année), ou d’externes (quatrième et cinquième années). Soit tous ces jeunes médecins en formation, qui apparaissent, à l’heure où l’hôpital souffre de la pénurie médicale, des plus indispensables pour maintenir l’offre de soins.
La décision apparaît exceptionnelle dans un service d’urgence d’un centre hospitalier universitaire : l’agrément de stage a été suspendu, pour six mois, par la faculté de médecine, en raison de difficultés d’encadrement. La direction du CHU l’a annoncé aux syndicats de personnel, lundi 27 octobre. Cela touchera bien les 14 postes remplis jusqu’ici par des internes de médecine générale, comme cela avait été communiqué dès septembre, mais aussi les 16 postes d’internes dits « de spécialité », c’est-à-dire en médecine d’urgence ou en gériatrie, dont le sort n’était pas encore décidé. Ces derniers ont été relocalisés, à la dernière minute, vers d’autres établissements du territoire, confirme-t-on à la faculté. Au total, en comptant les externes, le service disposera donc d’une cinquantaine de jeunes professionnels en moins.
A l’origine de la décision, les alertes des internes qui se sont multipliées : « Les conditions d’accueil et d’encadrement du service ne sont plus du tout adéquates, en raison d’un déficit de médecins seniors », explique Mélanie Debarreix, présidente de l’Intersyndicale nationale des internes, qui salue cette décision « extrêmement rare ». Peu de précédents sont connus, hormis celui des urgences du Kremlin-Bicêtre (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), dans le Val-de-Marne, dont l’agence régionale de santé avait suspendu l’agrément en juillet 2021.
« Pas d’autre choix »
Aux urgences de Caen, « il n’y avait vraiment pas d’autre choix face au niveau de détresse psychique », soutient la jeune médecin. Le doyen de la faculté, Paul-Ursmar Milliez, l’assume : « Nous savons qu’il s’agit d’une décision très lourde de conséquences pour l’hôpital, mais nous sommes garants de la formation, de la sécurité, et de l’encadrement des internes. »
Lire aussi Après un été difficile, les urgentistes appellent à un « sursaut » des pouvoirs publics
Du côté des soignants, on accuse le coup, alors que le service se trouve en sous-effectif depuis des mois. Quand bien même les internes ne sont pas censés combler les manques de personnel, ils sont, de facto, un soutien de taille. « On ne voit vraiment pas comment on va tenir la semaine prochaine, ne serait-ce que physiquement, s’alarme une source syndicale, sous le couvert de l’anonymat. Les urgences vont se retrouver avec deux docteurs, pour gérer plus d’une centaine de patients sur vingt-quatre heures, quand ils étaient, jusqu’à aujourd’hui, entourés d’au moins six internes et autant d’externes… Ça paraît impossible. » Certains médecins vont jusqu’à plaider pour une « fermeture » des urgences, en réalité une limitation des prises en charge aux seules urgences vitales, soit de 10 % à 20 % de l’activité.
Le service est loin de tourner à plein effectif : 15 postes (équivalent temps plein) de praticiens sont actuellement pourvus, soit de 35 % à 40 % des postes nécessaires, selon la direction, pour 170 passages de patients en moyenne chaque période de vingt-quatre heures. Le recours aux médecins intérimaires permet de combler certains postes. La tension est d’autant plus grande que plusieurs urgences d’établissements publics et privés alentour ferment de plus en plus régulièrement, rapporte-t-on aussi de source syndicale. A l’été 2024, une grève des médecins – elle est symbolique, car les praticiens sont réquisitionnés – a duré plusieurs semaines pour dénoncer la situation. Cet été encore, des soignants ont alerté face au manque de ressources médicales.
« Spirale infernale »
« A Caen comme ailleurs, le CHU fait face à un triple défi, un afflux constant de patients, souvent âgés, parfois sans autre solution que l’hôpital, une difficulté majeure de recrutement de médecins urgentistes, et une difficulté récurrente à trouver des lits d’aval dans les établissements du territoire », souligne, par écrit, la direction, en rappelant que, malgré ce contexte, le service « n’a jamais connu de fermeture ». A compter de lundi, la direction espère trouver « des renforts issus des autres spécialités du CHU », ainsi que recruter des praticiens sur des postes sous le statut de « faisant fonction d’interne » (FFI), un contrat notamment utilisé pour des médecins dont les diplômes ont été obtenus hors de l’Union européenne.
Lire aussi (2024) | Hôpital : aux urgences, le « désengorgement » promis par Emmanuel Macron n’a pas eu lieu
L’agence régionale de santé de Normandie l’assure : outre les recherches de solutions internes au CHU, un travail est en cours avec la médecine de ville pour renforcer l’offre de soins non programmés, tandis qu’un courrier a été adressé à l’ensemble des praticiens urgentistes des établissements de proximité pour leur demander de « libérer du temps médical »afin de venir prêter main-forte ces prochains mois au CHU. « L’accès aux services d’urgences du Calvados est régulé vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis le 1er juillet [avec appel au 15 obligatoire] », rappelle également l’agence, ce qui doit permettre de « limiter la surcharge ».
Mais difficile de croire que ces solutions vont suffire à éviter la « catastrophe qui s’annonce », reprend-on dans les rangs syndicaux : « On ne voit pas qui voudra venir dans cet enfer, on souffre déjà d’un immense déficit d’attractivité. » Comme de nombreux services d’urgence, celui de Caen se retrouve dans une « spirale infernale », avec des départs de médecins qui ont provoqué une charge de travail toujours plus grande pour ceux qui restent, engendrant encore de nouveaux départs… Avec, désormais, cette inquiétude supplémentaire, d’un cercle vicieux, après cet agrément suspendu : les stages d’internes sont précisément l’une des principales voies de recrutement de futurs médecins.
Lire aussi (2024) A l’hôpital, plus d’un tiers des postes de praticien sans titulaire
Réactions:
Romuald Di Notto:
🔴 Au CHU de Caen, les urgences doivent se passer d’internes, faute de médecins pour les encadrer !
🏥 «Ce ne sera physiquement pas tenable. On a peur pour nous et on a peur pour les patients. On va forcément faire des bêtises. On n’est pas surhumain.», témoigne un urgentiste.
❓Quelle sera la prochaine étape du délabrement de nos services publics essentiels ?
🤷♂️ Au risque de tomber dans une forme de populisme (qui est en fait de l’exaspération, une nausée chaque jour un peu + forte), je ne peux, à l’instar de nombre de nos concitoyens, m’empêcher de constater que notre État n’a aujourd’hui pas la volonté d’assurer une certaine sécurité sanitaire pour sa population (certains hôpitaux en étant réduits à faire des…appels aux dons afin de pouvoir ouvrir des lits), de mettre un enseignant correctement formé devant chaque classe dans ses écoles, collèges et lycées (les fameux job datings organisés par le Ministère de l’Éducation nationale…), de mettre en oeuvre des parcours de réinsertion pour nos détenus, de lutter contre les diverses addictions…
💰 …par contre, verser 1.000 €/mois aux maires d’arrondissement parisiens (bien plus pour la Maire de Paris) pour remplir leur garde-robe, aller au restaurant ou chez le coiffeur, salarier des cuisiniers et des porte-parapluie pour nos ministres, engraisser des cabinets de conseil producteurs de slides creuses ou passer des marchés publics qui aboutissent à payer des billets de train ou des fournitures deux fois plus cher que leur prix en boutique, consentir des exonérations de charges et des subventions aux entreprises de tous types et toutes tailles sans contrepartie et sans en contrôler l’utilisation (lisez « Le grand détournement », de aron matthieu et Caroline Michel-Aguirre)…ça c’est possible ! Il faut croire que l’argent magique existe, mais qu’il est utilisé de manière sélective.
Frédéric Paing: vice Président du Collectif Sante en Danger
L‘exemple grandeur nature de la catastrophe que tous les soignants prédisent depuis longtemps. Tout le monde alerte. Personne n’écoute ou même n’entend. De déni de réalité en explications fallacieuses en passant par d’énormes mensonges, le pouvoir a occulté, s’est surtout occupé à trouver des coupables et fuir ses responsabilités, et n’a jamais fait de la santé des Français une priorité. Inévitablement, la bombe à retardement explose et la déflagration aura des effets dévastateurs : les patients caennais sont en danger ! Pendant ce temps, les parlementaires et le gouvernement s’emploient à démanteler la médecine libérale en particulier (probablement inutile à leurs yeux… à moins que ce ne soit que le fruit d’une incompétence crasse) et tout le reste du système de santé en général au travers d’un PFLSS2026 qui a tout d’un requiem…
Boutinon Patrick:
c’est le résultat du pillage de notre système de santé par les acteurs industriels : surfacturation des médicaments par les labos, surfacturation des équipements, (IRM, Scanner, etc), surfacturation des bâtiments par les géants du BTP etc.. toutes ces surfacturations qui coûtent des dizaines de milliards tous les ans sont autant de financements qui font défaut pour embaucher en nombre suffisant des personnels soignants (correctement renumerés) et qui sont en partie la cause des fermetures de lits . tant que l’on ne s’attaquera pas à l’origine du mal , la situation actuelle perdurera voir s’aggravera.. Concernant l’industrie pharmaceutique il serait judicieux de relire les dossiers publiés sur bastamag en 2018 ( Pharma papers) .. Tant que les services de l’État se désintéresseront des marges pratiquées dans tous ces secteurs, le pillage continuera et notre système de santé en patira.
« »Il va y avoir du renfort » : la ministre de la Santé fait appel à la réserve sanitaire au CHU de Caen »
Date de publication : 4 novembre 2025 Temps de lecture: 2 min https://www.mediscoop.net/index.php?pageID=2bfeb9a53d5fe0055200f1472525e20d&id_newsletter=22772&liste=0&site_origine=revue_mediscoop&nuid=44baf5968540a6248a8065e80f2f7273&midn=22772&from=newsletter

Libération note que « le gouvernement a promis des «renforts» au CHU de Caen, établissement dans lequel les services d’urgences sont contraints de fonctionner sans internes depuis ce lundi, faute de médecins expérimentés pour les encadrer ».
Stéphanie Rist, ministre de la Santé, a ainsi déclaré : « J’ai fait débloquer de la réserve sanitaire pour qu’il y ait des médecins supplémentaires qui viennent aux urgences, pour faire en sorte que des internes puissent revenir dans les 6 prochains mois ».
Le journal rappelle que « la Réserve sanitaire est un dispositif de professionnels de santé volontaires et mobilisables par l’Etat dans un délai très court pour des situations exceptionnelles ».
Le quotidien ajoute que « les stages des internes aux urgences ont été suspendus, mais «le service continue d’assurer l’accueil des patients 24 heures sur 24 et sept jours sur sept», a affirmé pour sa part la direction de l’établissement, en soulignant qu’elle organisait «des renforts médicaux depuis d’autres services du CHU et de l’extérieur» ».
Libération souligne que « la situation alarme pourtant les syndicats, alors que les discussions à l’Assemblée nationale sur le budget de la Sécurité sociale font redouter de nouvelles coupes dans les dépenses de santé ».
« Et ces problèmes ne sont pas propres au CHU de Caen. Les services d’urgence du CHU de Toulouse ont d’ailleurs restreint ce lundi et au moins jusqu’à fin décembre leur capacité d’accueil, faute d’effectifs suffisants », relève le journal.
Il note ainsi que « la direction du centre hospitalier a annoncé une «organisation temporaire des urgences adultes» pour novembre et décembre, avec une activité «recentrée» sur la «prise en charge des patients nécessitant des soins hospitaliers ou une hospitalisation» ».