Mohammad Ali Amir-Moezzi et John Tolan, livrent dans un entretien , la substantifique moelle de leurs recherches sur Mahomet et l’histoire

« Ce que l’historien peut savoir de manière certaine sur Mahomet n’excède pas deux pages »

Propos recueillis par e

aujourd’hui à 06h30, modifié à 11h00

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ENTRETIEN

A l’instar de la plupart des fondateurs de religion, le dernier prophète musulman reste à bien des égards énigmatique. Sommités des études sur l’islam, Mohammad Ali Amir-Moezzi et John Tolan, qui viennent de diriger un monumental « Mahomet des historiens », livrent dans un entretien au « Monde » la substantifique moelle de leurs recherches.

C’est une somme sans équivalent sur Mahomet que viennent de publier les Editions du Cerf : 50 chercheurs internationaux, sous la direction des professeurs Mohammad Ali Amir-Moezzi et John Tolan, deux épais volumes comptabilisant un total de plus de 2 200 pages, 45 études passionnantes et accessibles au grand public, le tout permettant d’approcher comme jamais ce personnage capital dans l’histoire de l’humanité.

Il ne s’agit pourtant pas d’une énième biographie, version XXL, du Prophète. Loin de la légende dorée aussi bien que des controverses, ce monumental ouvrage décortique par le menu l’ensemble des sources, islamiques et non islamiques, qui nous renseignent sur la figure de Mahomet à travers les siècles, du Coran à la Sîra et aux hadiths (biographie, paroles et actes du Prophète), en passant, entre autres, par les textes juifs et chrétiens, et en mobilisant les disciplines les plus variées, de la théologie à la mystique ou au droit, de la littérature au cinéma…

En résulte un ensemble qui donne à voir la richesse extraordinaire de la représentation de Mahomet à travers le temps et les cultures. Directeur d’études émérite à l’Ecole pratique des hautes études (Paris), Mohammad Ali Amir-Moezzi avait déjà codirigé Le Coran des historiens (Editions du Cerf, 2019). John Tolan, professeur émérite à l’université de Nantes, est directeur du programme au Conseil européen de la recherche et a publié Mahomet l’Européen. Histoire des représentations du Prophète en Occident (Albin Michel, 2018).

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Le sujet du fondateur de l’islam est particulièrement sensible. Or l’approche historico-critique que vous utilisez peut susciter des crispations, une telle démarche étant parfois perçue comme dangereuse pour la foi. Que répondez-vous à ceux qui vous accuseraient de vouloir déconstruire l’islam ?

M. A. A.-M. Je ne pense pas que le sujet soit si inflammable que cela – d’ailleurs, aucun des chercheurs sollicités pour ce projet n’a décliné notre invitation , pour la simple et bonne raison que nous mobilisons en premier lieu des sources islamiques. Notre travail ne vise pas la déconstruction. C’est une vertu du chercheur que de rester respectueux de son objet tout en s’en tenant à distance et dans une perspective non confessionnelle. Une approche historienne intelligente cherche à poser des questions pertinentes plutôt que de reprendre des réponses toutes faites et des certitudes quelque peu illusoires.

Il suffit de voir, par exemple, l’extrême pluralité des idées dans la tradition islamique. Parfois, les musulmans sont oublieux de leur propre passé. Prenez le Coran : alors que beaucoup considèrent que l’ensemble des musulmans étaient d’accord sur son contenu du vivant même du Prophète, il y a eu en réalité plus de trois siècles de débats, et parfois de conflits armés, entre les musulmans à ce sujet, et ce n’est qu’au Xe siècle que le Coran « officiel » a été adopté.

Concernant le Prophète, avant l’harmonisation de la Sîra décidée par le pouvoir califal à la même époque, les biographies plus ou moins partielles de Mahomet expriment nombre de contradictions, y compris sur les données les plus élémentaires de sa vie : ses dates de naissance et de décès, celle de l’hégire (ou « émigration » : persécuté par les Mecquois hostiles à sa prédication, Mahomet s’était alors installé à Médine, actuellement en Arabie saoudite, avec la toute jeune communauté des fidèles), le nombre de ses enfants et de ses épouses, etc. L’historien doit prendre au sérieux l’ensemble des sources et des données, afin de décortiquer ces divergences.

Le titre de votre ouvrage désigne le prophète de l’islam par l’appellation francisée « Mahomet ». Cette dernière fait l’objet de protestations de la part de certains musulmans, qui insistent pour que l’on utilise son nom en arabe. D’où vient cette polémique ?

J. T. : Effectivement, en arabe, le prophète s’appelle Muhammad ou Mohammed – noms que nous employons à l’intérieur du livre. Dans les ouvrages scientifiques en français, aujourd’hui, la forme arabe est de plus en plus employée. Néanmoins, pour le grand public francophone, le nom du prophète de l’islam est Mahomet, et il aurait été moins parlant de l’appeler autrement. La francisation des noms propres est très courante et elle s’applique à d’autres figures religieuses : Jésus pour Yeshoua, Moïse pour Moshé, etc. Il n’y a pas de quoi s’en offusquer. Toutes les langues, du reste, pratiquent cette déformation : en Afrique subsaharienne, Mahomet est appelé Mamadou, en Turquie, Mehmet, tandis que Jésus est prénommé Issa en arabe, par exemple. Il n’y a là aucun caractère offensant.

Depuis quelques années, une polémique affirme qu’il y aurait une connotation négative dans le terme « Mahomet » – qui signifierait soi-disant « celui qui n’est pas loué », alors que son nom en arabe dit exactement le contraire. Or la francisation du nom du Prophète s’est faite au Moyen Age, popularisée par l’auteur de la Chanson de Roland, à la fin du XIe siècle, ne connaissait rien de l’arabe – ses lecteurs encore moins. Il aurait été incapable de faire un jeu de mots en arabe. Cette controverse sur l’appellation Mahomet, en réalité très récente, émane de groupes musulmans fondamentalistes qui veulent diffuser l’idée que les Français seraient islamophobes.

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Que sait-on, précisément, de l’historicité du prophète de l’islam ? Son existence ne fait-elle aucun doute ?

M. A. A.-M. : La thèse selon laquelle Mahomet n’aurait pas existé, défendue jusqu’à il y a une quarantaine d’années par certains historiens, n’est pas soutenable. Le fait que des textes non arabes – sources juives en hébreu, chrétiennes en syriaque… – pratiquement contemporains du Prophète parlent de lui suffit à le démontrer. D’aucuns ont aussi affirmé que Jésus n’avait jamais existé, mais cette thèse a été battue en brèche. **En revanche, d’autres personnages plus anciens, tels Moïse ou Abraham, pourraient être légendaires.

Pour autant, si l’existence historique de Mahomet ne fait pas de doute, il est faux de dire, comme le faisait l’historien Ernest Renan à la fin du XIXe siècle, que de tous les grands prophètes Mahomet est le seul dont on connaît la vie pratiquement au jour le jour.

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Justement, quels sont les points de sa biographie qui nous sont connus avec certitude ?

M. A. A.-M. : Ce que l’historien peut savoir de manière certaine sur Mahomet n’excède peut-être pas deux pages. En se fondant sur le Coran et sur ce que disent les sources non islamiques contemporaines à son sujet, on peut dire que nous avons affaire à un prophète, au sens biblique du terme, apparu en Arabie occidentale à la fin du VIe siècle, porteur d’un message que de nombreux historiens qualifient de biblique, c’est-à-dire qu’il se situe dans la tradition monothéiste juive et chrétienne. Mahomet annonce la fin du monde et invite les gens à se repentir, à être pieux, à pratiquer l’aumône, à se montrer bons les uns envers les autres pour être épargnés par la colère de Dieu.

Des données plus subtiles peuvent aussi être glanées dans le Coran sur la spiritualité de Mahomet, grâce à un vocabulaire extrêmement riche autour du cœur – désigné par au moins quatre mots différents toujours suivis par l’invitation à la prière. Or, dans la mystique chrétienne syro-orientale, on sait que la prière du cœur est très importante. Ce type d’indice peut laisser penser que Mahomet et son entourage proche ont peut-être évolué dans un milieu initiatique d’origine syriaque.

J. T. : Par ailleurs, si la tradition musulmane souligne que le paganisme dominait La Mecque avant la prédication de Mahomet, la lecture du Coran montre qu’en réalité la population semblait très largement familiarisée avec l’univers monothéiste, puisqu’il est fait régulièrement allusion aux histoires bibliques – en particulier celles des prophètes de l’Ancien et du Nouveau Testament – de manière allusive, comme si elles étaient déjà connues de tous.

Mahomet se situe dans la lignée des prophètes juifs et chrétiens, mais se distingue-t-il d’eux sur certains points ? Et, puisqu’il revendique cette tradition abrahamique, a-t-il réellement voulu fonder une nouvelle religion ?

M. A. A.-M. : Le Coran ne le précise pas, et ce texte est présenté comme le prolongement de la Torah de Moïse et de l’Evangile de Jésus (sourate 5, 46). Prenons ce qu’on appelle la profession de foi musulmane (« Il n’y a de dieu que Dieu et Mahomet est son prophète ») : elle proclame l’unicité de Dieu – Dieu est un – et le prophétisme, c’est-à-dire que Dieu transmet son message à son peuple, le Jugement dernier, par l’intermédiaire d’un messager ; à la fin des temps, les gens seront récompensés ou châtiés selon leurs actes.

Ces thèmes apocalyptiques sont clairement juifs et chrétiens. Ce qui est peut-être assez singulier et novateur dans le Coran, c’est que Dieu parle régulièrement à la première personne – ce qui est rarement le cas dans les sources scripturaires du judaïsme et du christianisme.

Le Coran ne cite que quatre fois le nom de Mahomet et le présente comme « un homme comme les autres » (sourate 41, 6). Comment expliquer, dès lors, la vénération absolue dont il fait l’objet ?

M. A. A.-M. : L’islam et la représentation de Mahomet ne se limitent pas au Coran. Et en effet, bien que le Prophète soit rarement désigné dans le texte coranique, il est présenté comme un humain tout à fait exceptionnel, un saint. C’est un homme qui peut entrer en contact avec Dieu, recevoir son message et le transmettre. A partir de là, plusieurs figures saintes du Prophète vont être développées dans des champs intellectuels variés (philosophie, mystique, droit, exégèse coranique, littérature, etc.) et les différentes cultures, où l’image que l’on s’en fait prend des teintes quelque peu divergentes.

J. T. : Pour simplifier, une ligne de fracture importante se situe entre ceux qu’on peut appeler les légalistes, qui voient Mahomet surtout comme quelqu’un ayant transmis des règles venant de Dieu, et les spiritualistes, notamment les soufis (la tradition mystique de l’islam), qui, à partir du IXe siècle, invitent à retrouver la spiritualité du Prophète. On a là deux visions complètement différentes à la fois du Prophète et de l’islam.

M. A. A.-M. : C’est la raison pour laquelle je pense que le sujet n’est pas aussi inflammable qu’on pourrait le croire : les musulmans sont conscients de cette pluralité, et depuis toujours. Les soufis ont coutume de dire que le Prophète portait trois vêtements : le vêtement du combat, soit celui du guerrier ; le vêtement de la loi, c’est-à-dire les normes ; et le vêtement de la pauvreté, à savoir la spiritualité. Eux affirment faire le choix du troisième vêtement. Ce faisant, ils indiquent explicitement qu’ils ont effectué une sélection dans ces différentes figures du Prophète pour choisir celle qui va dans le sens d’une purification de soi, d’un cheminement spirituel, en mettant de côté le prophète des légistes et des guerriers. Les djihadistes, au contraire, font le choix du vêtement de combat.

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Est-ce parce que, au contraire du catholicisme, l’islam n’est pas une religion centralisée et organisée de manière verticale que cette pluralité de vues a pu subsister ?

M. A. A.-M. : Certainement. Il y a bien des clercs en islam, c’est-à-dire des gestionnaires du religieux, mais ils ne constituent pas une autorité centrale. Il est souvent dit que la mosquée Al-Azhar, au Caire, est l’autorité de l’islam sunnite. C’est sans doute le cas pour un bon nombre de sunnites, mais pas pour tous.

Schématiquement, la vie de Mahomet se divise en deux périodes : la période mecquoise et la période médinoise, avant et après l’hégire. Elles donnent à voir un Mahomet très différent, passant de la prédication pacifique au guerrier farouche. Votre somme permet-elle de résoudre l’énigme d’un tel hiatus entre ces deux figures ? Comment comprendre, en particulier, l’évolution du rapport du Prophète à la violence ?

M. A. A.-M. : Il y a une trentaine d’années, l’historienne Jacqueline Chabbi a publié un article très pertinent, dans la revue Arabica, intitulé « La biographie impossible de Mahomet ». Faire une biographie historique du Prophète me semble, de fait, irréalisable. Si vous parvenez à écrire une telle biographie, c’est que vous n’êtes pas dans une approche critique des textes. Et si vous voulez adopter une approche critique des textes, il devient tout bonnement impossible d’écrire une telle biographie.

M. A. A.-M. : Cette division est en effet mise en avant par la tradition musulmane. Les historiens actuels, eux, sont néanmoins beaucoup plus circonspects et ne recourent plus trop à cette périodisation. De fait, à l’intérieur des sourates mecquoises du Coran, se trouvent des versets médinois, et vice versa. Tout est mêlé. En outre, pour la période dite médinoise du Coran, il y a certes des allusions à des batailles, des prises de position agressives à l’égard, notamment, des juifs et des chrétiens, mais ces dernières s’avèrent contredites par des passages à l’inverse très élogieux sur ces communautés.

En réalité, ces contradictions traduisent sans doute la superposition des discours de deux groupes de disciples : les fidèles non militants, qui parlent de la fin du monde, de la piété ; et les militants, qui entendent préparer la fin du monde par la guerre sainte. Les contradictions qui apparaissent dans la tradition musulmane reflètent peut-être une juxtaposition, voire un compromis, entre ces deux types de discours.

Dans un des chapitres du livre, la chercheuse tunisienne Hela Ouardi met précisément en avant les nombreuses contradictions des récits constituant la Sîra, c’est-à-dire des textes canoniques sur la vie du Prophète. Est-ce à dire qu’écrire une biographie fiable de Mahomet est impossible ?

M. A. A.-M. : Il y a une trentaine d’années, l’historienne Jacqueline Chabbi a publié un article très pertinent, dans la revue Arabica, intitulé « La biographie impossible de Mahomet ». Faire une biographie historique du Prophète me semble, de fait, irréalisable. Si vous parvenez à écrire une telle biographie, c’est que vous n’êtes pas dans une approche critique des textes. Et si vous voulez adopter une approche critique des textes, il devient tout bonnement impossible d’écrire une telle biographie.

Le Mahomet des chiites est-il très différent du Mahomet des sunnites ?

M. A. A.-M. : Dans les deux cas, il s’agit bien sûr d’un être tout à fait exceptionnel, je dirais un être de lumière. Dans la mystique sunnite, on parle de la lumière muhammadienne, qui est en quelque sorte la plus haute manifestation de Dieu dans l’homme. Dans le chiisme aussi, le Prophète est un être théophanique, c’est-à-dire quelqu’un qui, à travers son existence et son enseignement, manifeste le divin.

Ce qui est peut-être différent, c’est que, dans le sunnisme, cette lumière du Prophète se transmet à travers un livre – le Coran –, alors que dans le chiisme sa lumière passe par les imams – Ali et ses descendants. Le sunnisme est donc, en quelque sorte, la religion de Dieu faite livre grâce à Mahomet, tandis que le chiisme est la religion de Dieu faite homme, également grâce à Mahomet.

Mais Mahomet est aussi un nourrisson comme les autres. A l’instar de tous les nouveau-nés, on lui rase la tête : ses cheveux sont mis sur le plateau d’une balance et leur poids en or est distribué aux pauvres.

En quoi le Mahomet des djihadistes diffère-t-il de celui des musulmans traditionnels ?

J. T. : Il diffère par sa violence. Les musulmans lambda ne comprennent pas le djihadisme, dont ils sont d’ailleurs eux-mêmes les victimes. Ils ne reconnaissent pas cette représentation violente du Prophète et cette instrumentalisation politique et religieuse de sa figure.

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On oublie souvent qu’aujourd’hui il y a davantage de musulmans d’origine asiatique qu’arabe. Le Mahomet indonésien présente-t-il des différences notables avec celui des Arabes ?

M. A. A.-M. : C’est vrai qu’il y a toujours un amalgame entre l’islam et l’arabité. Or, les Arabes ne constituent que de 15 % à 17 % des musulmans dans le monde. Les plus grands pays musulmans sont l’Indonésie et le Nigeria : nous sommes très loin de la langue et de la culture arabes ! Et la moitié de la population mondiale musulmane se trouve dans le subcontinent indien, entre trois pays : le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh. Sans parler de l’islam centrasiatique, de langue turque, et de l’islam persan en Iran, en Afghanistan ou au Tadjikistan.

Le Mahomet indonésien est imprégné de la culture asiatique, où le bouddhisme, l’hindouisme et même des traditions animistes sont très présents. Cela dit, même au sein des populations arabes, la perception du Prophète diffère entre islam marocain, saoudien ou irakien, par exemple. Tout l’intérêt de notre Mahomet des historiens est précisément de mettre en avant cette impressionnante diversité de la figure du Prophète.

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Vous montrez qu’en France, à l’époque des Lumières et au XIXe siècle, le prophète de l’islam était perçu comme un grand réformateur. Quelle a été l’évolution de la vision de notre pays sur Mahomet ?

J. T. : Je pense que, pour comprendre la perception française de Mahomet, il faut remonter bien plus tôt dans l’histoire et étudier l’image que des non-musulmans, en l’occurrence les chrétiens européens, avaient de lui au Moyen Age. Les intellectuels pensaient alors que la fin du monde était proche ; classifier le phénomène de l’islam et de son prophète n’était pas évident. Dans un premier temps, l’idée a prévalu qu’il s’agissait forcément d’un faux prophète, d’autant que l’Evangile avait annoncé la survenue de personnages de ce type. Mahomet, avec son Coran reprenant des éléments bibliques, fait alors également figure d’hérétique.

Par conséquent, jusqu’au XVIe siècle, les érudits européens qui s’intéressent à Mahomet le font dans la perspective de combattre cette hérésie. Le moment de bascule a lieu en 1543, avec la traduction latine du Coran [1141-1143] préfacée par Martin Luther : les auteurs protestants trouvent dans le texte musulman des arguments contre les catholiques. La même année, Guillaume Postel [1510-1581], professeur au Collège royal, publie son Livre de la concorde entre l’Alcoran, ou loi de Mahomet, et les évangélistes (c’est-à-dire les protestants), dans lequel il renvoie dos à dos les deux « hérésies » – le protestantisme et l’islam. Si la perception de l’islam reste négative, c’est peut-être un moindre mal par rapport aux catholiques, du point de vue des protestants, et inversement.

Mais aux XVIIe et XVIIIe siècles, des auteurs commencent à voir Mahomet comme un héros anticlérical qui a cassé le pouvoir d’un clergé corrompu, un grand réformateur, et l’islam comme le monothéisme le plus pur.

Par la suite, l’approche de l’islam se fera plus scientifique, avec le développement des sciences des religions, qui visent à étudier les cultes de manière comparative et sans en faire l’apologie ni polémiquer. C’est aussi au XIXe siècle que les romantiques vont développer une vision très positive de Mahomet, perçu comme un grand spirituel et poète, notamment par Goethe et Victor Hugo, avec l’idée que les musulmans ont gardé une spiritualité que les Européens ont perdue avec la modernité. De son côté, Napoléon le considérait comme un grand législateur.

En somme, c’est surtout à partir de la révolution iranienne, en 1979, et l’émergence d’un islam politique inquiétant, que la religion musulmane et son prophète apparaissent comme menaçants.

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M. A. A.-M. : Ce que j’appelle la révolution philologique, au XIXe siècle, constitue un tournant très important dans la compréhension de l’islam. Avec l’intérêt pour l’apprentissage des langues anciennes, les chercheurs commencent à découvrir l’autre à travers ses textes, et non plus avec leurs propres lunettes. Ils comprennent que les autres ne sont pas des sauvages et ont une culture – une théologie, une mystique, une poésiequi leur est propre. En d’autres termes, ils découvrent l’altérité. Cela constitue, je pense, une véritable révolution et un chemin vers la tolérance.

Vous écrivez que ce Mahomet des historiens vise aussi à « apaiser les esprits, neutraliser les fanatismes et les incompréhensions ». Votre travail porte-t-il, au-delà de la démarche savante, une intention politique ?

J. T. : Absolument, une intention civique et politique dans le bon sens du terme, c’est-à-dire le vivre-ensemble. Notre approche peut aider à changer les regards. A la fois celui des musulmans sur leur propre tradition, mais également celui des non-musulmans à l’égard des musulmans, en montrant l’extrême diversité de l’islam. Contextualiser les sujets et créer une distance critique salutaire va dans le sens de l’apaisement. Je suis convaincu que donner une épaisseur historique au sujet permet d’en désamorcer le côté potentiellement toxique.

.« Le Mahomet des historiens », dirigé par Mohammad Ali Amir-Moezzi et John Tolan (Cerf, 2 224 pages, 59 euros jusqu’au 31 janvier 2026, puis 79 euros). 

Rectificatif le 1er novembre à 10 h 50 :correction d’une erreur dans la retranscription des propos de M. Amir-Moezzi : « Les plus grands pays musulmans sont l’Indonésie et le Nigeria » (et non le Niger).Virginie Larousse

Voir aussi:

Les grandes étapes de la vie de Mahomet, entre histoire et légende dorée

Les sources manquent pour retracer avec précision la vie du prophète de l’islam, dont une partie du monde musulman commémore la naissance lors des célébrations du « Mawlid » (littéralement, « la naissance »). La lecture des récits de la tradition permet toutefois de dresser un portrait en filigrane, entre mythe et réalité. 

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le 08 octobre 2022 à 12h00, modifié le 08 octobre 2022 à 12h00 https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2022/10/08/les-grandes-etapes-de-la-vie-de-mahomet-entre-histoire-et-legende-doree_6144986_6038514.html

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Naissance du prophète Mahomet, image tirée de Jami al-tawarikh, Iran (Tabriz)
Naissance du prophète Mahomet, image tirée de Jami al-tawarikh, Iran (Tabriz)  WIKIMEDIA

Mahomet serait né, d’après la tradition, en 570 ou 571, dans la tribu des Qoraychites, à La Mecque. La tribu se subdivise elle-même en une dizaine de clans. Celui de Mahomet est chargé d’approvisionner les pèlerins de la Kaaba en eau, une fonction prestigieuse. Toutefois, la puissance de son clan n’est plus ce qu’elle était.

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La tradition nimbe de merveilleux la naissance du prophète d’Allah. Les juifs de l’oasis de Yathrib (future Médine) en auraient été informés par l’apparition d’une étoile dans le ciel, et les mages de Perse auraient vu s’éteindre le feu sacré qui brûlait dans leur temple depuis mille ans… D’autres récits racontent que l’on n’eut pas besoin de couper le cordon ombilical du nouveau-né, la Providence y ayant déjà pourvu, que des anges le lavèrent et que les femmes le trouvèrent aussi propre que du cristal.

Une enfance entre le désert et les voyages

Mahomet est orphelin de père. La coutume enjoint d’envoyer les enfants des clans prestigieux de La Mecque en nourrice dans les tribus nomades du désert : l’air y étant plus pur, l’enfant deviendra plus robuste. Cette pratique permet, en outre, de contracter des alliances entre tribus, l’enfant devenant le frère de lait d’autres Bédouins.

En Syrie, il rencontre un moine chrétien qui lui aurait déclaré : « Tu es l’Envoyé de Dieu »

A l’âge de 6 ans, il est repris par sa mère à Yathrib. Mais, à la suite du décès de celle-ci, le petit garçon est placé sous la protection de son oncle mecquois, Abou Talib, un commerçant qu’il suit lors de ses voyages. A Bosra, en Syrie, il rencontre un moine chrétien nommé Bahira, qui aurait vu en Mahomet un futur prophète et lui aurait déclaré : « Tu es l’Envoyé de Dieu, le Prophète qu’annonce mon Livre saint, la Bible. »

Mahomet, très pauvre, est apparemment resté célibataire plus longtemps que ne le voulait la coutume. Si le mariage idéal, chez les Bédouins, se fait entre cousins, c’est en vain que le jeune homme aurait demandé la main de sa cousine à Abou Talib.

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Mahomet est alors l’homme de confiance d’une riche veuve, Khadija, qui a déjà été mariée deux fois et dirige seule ses affaires. Elle souhaite l’épouser, au grand dam de son clan, qui voit d’un très mauvais œil leur différence d’âge (elle a près de 40 ans et lui 25) et de situation économique. Le mariage est néanmoins célébré en 595. Et si la coutume permet une polygamie presque illimitée, Mahomet restera fidèle à Khadija tant qu’elle vivra, bien que les fils qu’elle lui donna soient morts en bas âge.

La révélation (ou « nuit du destin ») à 40 ans

A presque 40 ans, Mahomet a pris l’habitude de se retirer pour méditer, la nuit, dans une caverne de la colline de Hira, non loin de La Mecque. En 610 ou 611, une créature éclatante lui serait apparue, le réveillant par ces mots : « Proclame !/ Lis ! » (sourate 96, 1), « Tu es l’Envoyé de Dieu, le Prophète de Dieu ! ». La tradition rapporte que Mahomet, terrifié, se demande s’il a vu Satan ou l’ange Gabriel (Djibril). Il faudra plusieurs révélations pour le convaincre. Cette nuit-là, il n’aurait osé se confier qu’à Khadija, qui sera longtemps sa seule confidente et le soutiendra indéfectiblement.

Nul n’est prophète en son pays, et Mahomet en a fait la difficile expérience

Les premiers disciples de Mahomet seront ses plus proches parents : Khadija, ainsi qu’Ali et Zayd, qu’il a adoptés. Il parvient, par ailleurs, à convaincre Abou Bakr, un marchand aisé qui consacrera sa fortune à acheter et à affranchir des esclaves convertis à l’islam. Néanmoins, nul n’est prophète en son pays et Mahomet en a fait la difficile expérience. Méprisé, le prophète d’Allah est tourné en dérision. Rester à La Mecque devient périlleux. Surtout après le décès de Khadija et de son oncle protecteur Abou Talib, en 619.

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Si le Coran insiste à plusieurs reprises sur le caractère humain du Prophète, la tradition lui a attribué nombre d’actions extraordinaires, au premier rang desquelles le voyage nocturne et l’ascension vers Dieu.

Peu de temps après la mort de son épouse, Khadija, et de son oncle, Mahomet aurait été transporté de La Mecque à Jérusalem au cours d’un voyage nocturne (isra), accompagné par l’ange Gabriel et monté sur le dos d’une jument à tête de femme nommée Bouraq. Il aurait ensuite été élevé vers les cieux (miraj) pour s’entretenir avec des prophètes, avant de rencontrer Dieu, qui lui aurait prescrit les cinq prières quotidiennes que les musulmans doivent accomplir.

C’est pour commémorer ce voyage qu’a été édifiée, en 692, la Coupole du Rocher à Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam, après La Mecque et Médine. Le monument abrite en effet le « rocher de la fondation », où Mahomet serait arrivé depuis La Mecque lors de l’isra, et d’où il serait monté vers les cieux.

En 622, l’exil à Médine et la naissance de l’islam

Devant l’hostilité des Mecquois, Mahomet et ses compagnons s’exilent à Yathrib. Cette émigration est un événement capital dans l’histoire de l’islam, désormais divisée en deux périodes : avant, c’était l’époque de l’organisation tribale et du paganisme ; après s’ouvre une ère nouvelle, fondée sur un islam qui se présente comme un message autant religieux que communautaire. Le calendrier musulman prend pour point de départ la date de l’hégire, le 24 septembre 622, tandis que Yathrib change de nom pour devenir Madinat Al-Nabi, « la ville du Prophète ».

A Médine, Mahomet est autant prophète que chef de groupe. Car, contrairement à Jésus, son royaume est aussi de ce monde. Pratiquant la razzia pour obtenir de quoi subsister, Mahomet et ses compagnons ne tardent pas à vouloir imposer leur autorité aux Mecquois impies.

En 624, ils remportent une victoire décisive contre eux lors de la bataille de Badr. Par la suite, plusieurs combats opposeront Mecquois et Médinois. C’est en marge de ces affrontements que Mahomet entre en conflit avec les tribus juives de Médine, qui l’auraient trahi. En 630, les musulmans se rendent définitivement maîtres de La Mecque.

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La mort de Khadija, après vingt-cinq ans de mariage, avait plongé Mahomet dans une profonde tristesse. Il prit d’autres épouses (entre onze et treize au total, selon la tradition), ainsi que des concubines, soit plus que ce que préconise la réglementation coranique (qui limite à quatre le nombre d’épouses). La tradition précise que ces mariages avaient vocation à protéger les veuves et les orphelins, conformément à la loi du désert, ou à contracter une alliance politique avec un clan opposé. Elle explique aussi que l’épouse préférée du Prophète était Aïcha, fille d’Abou Bakr.

Deux ans après sa victoire sur La Mecque, Mahomet se rend en pèlerinage à la Kaaba. De retour à Médine, il tombe malade. En juin 632, il serait mort dans les bras d’Aïcha. La tombe du Prophète est érigée dans sa maison-mosquée de Médine, où Abou Bakr et Omar seront plus tard enterrés. C’est là que sera construite la Grande Mosquée de Médine, qui compte parmi les lieux saints les plus importants de l’islam. La discorde s’installe entre ses disciples, et l’avenir de la plus jeune religion monothéiste semble alors compromis. Pourtant, quelques décennies plus tard, un empire musulman verra le jour.

Cet article a initialement été publié en juin 2017 dans le hors-série du Monde des religions « Mahomet et les origines de l’islam ».

Quelles sont les sources historiques sur sa vie ?

Mahomet ne donne pas beaucoup de prise aux historiens. Si peu nient son existence, la plupart soulignent que les seules sources à son sujet – la Sîra (sa « biographie » traditionnelle) et la Sunna (recueil de ses faits et paroles) – sont hagiographiques, tardives et lacunaires, c’est-à-dire peu fiables, selon leurs critères.

« Figure complètement reconstruite » d’après l’historienne Jacqueline Chabbi, il n’est cité que quatre fois par le Coran, et le premier récit de sa vie en notre possession est celui d’Ibn Ishaq (mort vers 768) remanié par Ibn Hichâm (mort vers 830).

L’islam serait-il né avant son prophète ?

Les graffitis et inscriptions proto-islamiques récemment exhumés en Arabie saoudite ne se réfèrent pas à Mahomet, et il faut attendre 738-739 pour que son nom y apparaisse. Hors d’Arabie (Egypte, Jérusalem), quelques occurrences matérielles datant de 685-690 l’évoquent peut-être, mais elles demeurent ambiguës.

L’extrême rareté de ces « traces » ne manque pas d’interroger. Certains chercheurs font même l’hypothèse d’un Mahomet « composé » a posteriori sur le modèle des prophètes bibliques ; ou d’un islam né avant lui, et/ou en Syrie et non à La Mecque. « On ne peut écrire une biographie historique du Prophète, résume l’islamologue Harald Motzkisans être accusé de faire un usage non critique des sources ; mais lorsqu’on en fait un usage critique, écrire un tel récit devient simplement impossible. » Eric Vinson

Cet article a initialement été publié en novembre 2016 dans « Le Monde de religions » n° 80

*A la recherche du Mahomet de l’histoire

Les sources concernant Mahomet ont été écrites des décennies après sa mort, et peuvent donc donner une image biaisée du prophète de l’islam. Dès lors, qui était-il vraiment ? Le point avec Jacqueline Chabbi, spécialiste de l’islam classique. 

Propos recueillis par 

le 07 juin 2020 à 06h00, modifié le 26 juin 2020 à 10h43 https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2020/06/07/a-la-recherche-du-mahomet-de-l-histoire_6042044_6038514.html

Temps de Lecture 17 min.

« Le Voyage nocturne (Miraj) du Prophète, chevauchant le cheval Bouraq, entouré d’anges », miniature issue du « Khamsé », de Nizami, attribué au Perse Sultan Muhammad (XVIe siècle).
« Le Voyage nocturne (Miraj) du Prophète, chevauchant le cheval Bouraq, entouré d’anges », miniature issue du « Khamsé », de Nizami, attribué au Perse Sultan Muhammad (XVIe siècle).  WIKIPEDIA

Professeure honoraire des universités, éminente connaisseuse de l’arabe classique, Jacqueline Chabbi a profondément renouvelé l’approche des origines de l’islam. Sa démarche : prendre de la hauteur par rapport à l’histoire sacrée, qu’elle passe au crible de l’anthropologie historique. A la manière d’une enquêteuse, elle reconstitue avec minutie la vie du fondateur de l’islam, en la replaçant dans le contexte particulier qui était le sien : celui des tribus claniques du désert arabique. De là se dessine le passionnant portrait en filigrane d’un homme aux prises avec les réalités spatio-temporelles de son temps.

Quels sont les éléments de la biographie de Mahomet que nous connaissons avec certitude ?

« Dans sa tribu, la parole de Mahomet n’est écoutée par personne. Il finit par être banni de son clan et doit quitter La Mecque »

Il faut ramener Mahomet à son statut d’homme de tribu. On sait qu’il est mecquois puisqu’il faisait partie de la tribu des Qoraychites qui résidait dans la ville. La Mecque était de longue date un site sacralisé du fait qu’on y avait trouvé un point d’eau qui ne tarissait pas. Un culte saisonnier faisait circuit – comme aujourd’hui – autour des pierres sacrées (les bétyles) portées par les murs de la Kaaba. Abraham, que le Coran institue comme fondateur de la Kaaba (2, 127), en marge du conflit avec les juifs médinois, n’y est évidemment pour rien.

Au sein de sa tribu, Mahomet souffrait d’un double handicap : orphelin de père, ce qui était très gênant dans ce type de société, il est épousé (et non l’inverse !) par Khadija, une femme deux fois veuve et de vingt ans son aînée. De plus, bien qu’il ait eu des fils avec cette épouse, tous meurent en bas âge. Or, ne pas avoir de descendants masculins, en Arabie, était perçu comme une véritable tare. Cela explique l’insulte lancée contre lui à La Mecque quand il est traité de « châtré »(Coran 108, 3).

Par conséquent, son statut n’a rien à voir avec ce que décrit l’histoire sacrée, qui le présente comme un homme respecté de tous. Dans sa tribu, la parole de Mahomet n’est écoutée par personne, pas même par ses oncles. Il finit par être banni de son clan et doit quitter la ville.

Quel est le sens de son prêche ?

« L’inspiration première de Mahomet consiste à “avertir” la tribu que si elle persiste dans cette conduite inique, elle va en subir les conséquences »

Ce que Mahomet demande initialement à sa tribu, c’est plus de solidarité. Contrairement à une idée reçue, les Mecquois n’étaient pas de grands caravaniers. Mais ils semblent avoir réussi à mettre sur pied, à la fin du VIe siècle, un modeste trafic de deux voyages, l’un d’hiver vers la frontière du Yémen et l’autre de printemps qui aurait longé la côte de la mer Rouge en direction du nord (Coran 106, 2). Certains clans se seraient alors enrichis, mais auraient refusé de se montrer solidaires avec ceux restés sur place, pour s’occuper notamment du culte de la Kaaba. L’inspiration première de Mahomet consiste à « avertir » la tribu que si elle persiste dans cette conduite inique, elle va en subir les conséquences. Un homme de tribu devait en effet avertir les siens de tout danger qui les menacerait.

Sa tribu le prend-elle au sérieux ?

Pas du tout. On lui rit au nez. C’est à ce moment-là que commencent à se développer des thématiques issues du monde biblique. Il faut savoir que le judaïsme était implanté au Yémen depuis un peu plus de deux siècles. Le christianisme avait suivi à un siècle d’écart. Mahomet a dû avoir accès à des récits provenant de cette source. La première thématique empruntée à la Bible est celle de l’eschatologie [la fin des temps] : si vous n’écoutez pas les avertissements, vous allez être jugés et la tribu va disparaître.

Le Coran dit que « celui dont la balance ne sera pas suffisamment lourde », c’est-à-dire lourde de bonnes actions, ira dans un « lieu de feu ». Il faut entendre par là une relégation dans le désert brûlant où l’on serait à jamais séparé des siens, image terrifiante pour un sédentaire d’Arabie. Au contraire, si votre balance est lourde (d’actions solidaires), vous resterez réunis aux vôtres (Coran 101). Dans ce passage ancien, il n’est pas encore question de paradis. Mais cette menace ne fait ni chaud ni froid à son entourage.

Lire  Des vidéos en série pour chasser les idées reçues sur l’islam

Devant cette indifférence, comment réagit Mahomet ?

Pour contrer le refus d’écoute, d’autres thématiques vont apparaître dans son discours, notamment celle du Dieu créateur, emprunté là encore au judaïsme et au christianisme. Au début, ce dieu porte encore le nom local de rabb, le « Seigneur (maître de territoire) » (87, 1). C’était le titre donné au protecteur du point d’eau mecquois (Coran 106, 3). Le nom divin Allah, qui signifie « le Dieu » avec valeur de nom propre, ne s’impose que lorsque a été gagné ce que j’appelle « la bataille des dieux ». Durant une grande partie de la période dite « mecquoise », c’est-à-dire la plus ancienne du Coran, le rabb déclaré créateur doit en effet affronter les trois divinités féminines locales (53, 20-21) pour montrer que c’est lui seul qui garantit la prospérité de la tribu. C’est ainsi qu’une première forme de monothéisme pragmatique s’invite dans le discours.

Les sources qui nous renseignent sur le prophète de l’islam ne lui sont pas contemporaines. Existe-t-il des doutes sur le fait qu’il ait réellement existé, comme cela est parfois dit au sujet de Jésus par les tenants de la thèse mythiste, qui récusent son historicité ?

Cette thèse a pu être avancée. En effet, les sources concernant Mahomet lui sont toutes postérieures. Les épigraphistes qui travaillent sur le terrain en Arabie ont mis en évidence que l’on ne trouve guère le nom de Mahomet dans les inscriptions qu’ils ont relevées avant la fin du VIIe siècle [Mahomet serait mort en 632]. Pour ma part, je considère qu’il a forcément existé, car son ascendance tribale est incontestable. S’il y a bien une chose à laquelle tiennent les Arabes, c’est leur généalogie tribale. Or, des descendants de Mahomet se sont battus pour le pouvoir pendant trois siècles, sans que leur généalogie ne soit contestée.

Vous dites cependant que le prophète de l’islam ne s’appelait peut-être pas Muhammad.

Muhammad signifie « celui qui est louangé » – non par les hommes, mais par Dieu. Cette dénomination se trouve inscrite à plusieurs reprises sur la coupole du Rocher, à Jérusalem, achevée en 692 à l’époque omeyyade, comme pour faire un affichage destiné à être vu urbi et orbi. S’agit-il de son nom réel ? Sans doute pas. Il est possible qu’il s’agisse d’un nom destiné à renforcer son prestige. Certaines sources lui donnent un autre nom plus ordinaire : Qutham (qui signifie « celui qui distribue sa part de butin »).

La coupole du Rocher, à Jérusalem.
La coupole du Rocher, à Jérusalem.  VIRTUTEPETENS/WIKIPEDIA

Mahomet a-t-il vraiment souhaité fonder une nouvelle religion ou, à l’instar de Jésus, réformer l’existante ?

Mahomet n’a pas voulu fonder une nouvelle religion. Son objectif était de réunir les tribus dans une alliance qui profite à tous. Ce qui était recherché, c’est avant tout la prospérité terrestre. Dans un milieu aride et hostile règne la terreur du lendemain. Le Dieu protecteur doit donner un avenir au groupe humain qu’il protège.

Je suis persuadée que les hommes de tribu n’ont jamais cru aux promesses de paradis ni aux menaces de l’enfer qui étaient étrangères à leur imaginaire collectif. Leur obsession était de continuer à vivre ici et maintenant. C’était d’autant plus le cas à La Mecque, qui n’était pas une oasis. Il n’y avait aucune production agricole locale. Il fallait aller chercher l’approvisionnement à plusieurs jours de marche au pas des chameaux. La sourate 106, 4 souligne que c’est le « Rabb de la Demeure » (la Kaaba) qui fait échapper la cité à la famine et à la peur (des attaques).

Pourquoi Mahomet, en butte à l’hostilité des Mecquois, choisit-il de se réfugier à Médine en 622 ?

Parce qu’il aurait eu une grand-mère paternelle issue d’un clan médinois, et non parce qu’il était attendu en tant que prophète, comme le fantasme la tradition musulmane postérieure. Contrairement à La Mecque, Médine était une grande oasis prospère qui nourrissait cinq tribus. L’exil médinois de Mahomet lui donne des moyens d’action dont il ne disposait pas à La Mecque. Il n’est plus contraint à la loyauté envers sa tribu d’origine, puisqu’elle l’a banni. Il va donc pouvoir se lancer dans un jeu politique alternant actions de force et négociation dès que cela devient possible. Son but est en effet de devenir un interlocuteur politique crédible. Deux ans avant sa mort, il prend le contrôle de La Mecque à l’issue d’une négociation avec son clan, dont sortira plus tard la dynastie omeyyade.

Si la négociation est souvent privilégiée, les choses ont néanmoins très mal fini avec une tribu juive de Médine, que Mahomet a éliminée.

C’est vrai, mais les raisons sont politiques et non religieuses. Les juifs de Médine, organisés en trois tribus, étaient des membres à part entière de la communauté médinoise, qui comptait également deux tribus arabes, dont celle à laquelle Mahomet aurait été apparenté. Mais sur le plan religieux, les notabilités juives refusent catégoriquement de discuter avec Mahomet, qui ne trouve aucun compromis pour les rallier à sa cause. Ses rabbins ne peuvent prendre au sérieux les récits bibliques coranisés.

Mahomet ne peut toutefois pas adopter un axe d’attaque idéologique, les règles de l’alliance intertribale ne le permettant pas. Il va d’abord trouver des prétextes politiques pour faire expulser deux tribus. Et au moment où les Mecquois font le siège de Médine, la troisième tribu aurait pactisé avec les assaillants, ce qui entraîne une riposte tribale automatique. Les hommes sont exécutés, les femmes et les enfants réduits en esclavage.

Cet épisode n’est pas sans poser problème, car il vient accréditer chez certains l’idée que l’islam serait par essence violent. Qu’en dites-vous ?

« L’idée de se faire sauter, comme le font les terroristes de Daech, est aux antipodes de la pensée des origines de l’islam »

A examiner la politique très pragmatique de Mahomet à Médine, on cherche en vain la violence sans frein prêtée à l’islam premier. On ne retient que quelques passages coraniques sans les contextualiser ni voir leur portée seulement conjoncturelle, et on ne dit rien des passages qui appellent à la retenue (Coran 2, 190). Cette société était régie par la loi du talion qui limitait efficacement les pulsions massacreuses. En outre, la hantise des groupes tribaux était de perdre des hommes. C’est pourquoi l’idée de se faire sauter ou de mourir volontairement au combat, comme le font les terroristes de Daech, est aux antipodes de la pensée des origines de l’islam.

Des passages extrêmement violents existent aussi dans l’Ancien Testament, comme en Nombres 31, avec le massacre des Madianites. Ce n’est pas pour autant que l’on décrète que le judaïsme est violent par essence. Mais il est tout aussi absurde de décréter que le Coran est pacifique. Tout comme la Bible, le Coran reflète les conflits de son temps.

Thomas Römer, professeur au Collège de France, souligne à propos du corpus biblique qu’il ne faut pas confondre un discours violent et ce qui se passe dans la réalité. Ce type de discours peut avoir une fonction compensatoire, les propos menaçants reflétant une impuissance à agir. Ce n’est pas le Coran qui impose des règles à la société de son temps. C’est la société qui impose des règles au Coran, lequel prend bien soin de ne jamais les transgresser. Sinon, il aurait été impossible à Mahomet de réussir en politique.

Comment Mahomet appréhende-t-il la notion de « djihad » ?

« Il y a donc un profond malentendu sur la violence dans le Coran. Ce n’est en aucun cas une violence religieuse »

Le djihad désigne l’effort que l’on fait pour aboutir à un objectif. Dans la partie mecquoise du Coran, il est dit que si des parents « font le djihad », donc « tous leurs efforts », contre leur enfant pour l’écarter de la voie d’Allah, il ne faut pas leur obéir (31, 15) : c’est le sens de base. A Médine, lorsque Mahomet voulait lancer une action, il devait faire appel aux volontaires car on était dans une société où nul ne pouvait contraindre quelqu’un à s’engager. Cela valait au cas par cas, pour chaque action en particulier. Le djihad dans la voie d’Allah est donc simplement le fait d’accepter de s’engager temporairement dans une action.

L’appel se répète et devient insistant, car les volontaires ne se bousculaient pas (4, 75). Il y a donc un profond malentendu sur la violence dans le Coran. Ce n’est en aucun cas une violence religieuse. Les actions de force s’inscrivent dans les règles communes de l’Arabie tribale.

Mahomet a-t-il pensé fonder une religion universelle ?

Bien sûr que non ! C’était au-delà de ses horizons de pensée. Mahomet s’adresse initialement à sa seule tribu. A partir du moment où il est banni, son horizon s’élargit. Mais cela ne va pas au-delà de sa société. C’est d’un point de vue tribal que Mahomet réussit à rallier ses contemporains, pas en tant que prophète.

Avant sa mort, il réussit à mettre sur pied, non un Etat musulman, mais une confédération tribale conforme au modèle politique que lui permet sa société. La socialité tribale reposait sur le principe de l’alliance. Mahomet est obligé de se plier à ce jeu. On attendait de l’allié divin qu’il garantisse à la fois la sécurité des tribus, leurs moyens d’existence et si possible leur expansion. Le Coran ne se lasse pas d’apporter des assurances sur ce plan.

Après la mort de Mahomet, en 632, le moteur des conquêtes que l’on dit « musulmanes » mais qui sont, en réalité, une expansion tribale, repose sur la conviction que l’allié divin donne la victoire. Quand cette victoire se concrétise, la conquête ne peut que s’étendre tant qu’elle ne rencontre pas d’obstacle.

« Muhammad » en calligraphie arabe, sur le mur d’une mosquée d’Edirne, en Turquie.
« Muhammad » en calligraphie arabe, sur le mur d’une mosquée d’Edirne, en Turquie.  NEVIT DILMEN/WIKIPEDIA

Une autre polémique concerne les relations du Prophète avec les femmes. Mahomet était-il féministe, comme d’aucuns l’affirment, ou a-t-il au contraire contribué à figer la condition féminine dans des normes archaïques ?

On ne peut pas parler de normes archaïques : c’était celles de cette époque et de cette société. Je dirais qu’il a été relativement favorable aux femmes, sauf en politique, domaine réservé des hommes. Dans l’économie de survie qui était celle de l’Arabie aride, il arrivait, en cas de famine, notamment chez les nomades, que l’on supprime les nouveau-nées ; on leur préférait les garçons, car ils étaient les futurs défenseurs de la tribu. Mahomet, dont seules les filles sont arrivées à l’âge adulte, a dénoncé ce comportement (Coran 16, 58-59).

De même, on glose souvent sur le fait rapporté par la tradition musulmane qu’il aurait épousé Aïcha alors qu’elle n’aurait eu que 9 ans. Mais c’est ce qui se faisait à l’époque. Le mariage était un moyen de contracter une alliance. En Occident, on faisait de même avec les mariages royaux sous l’Ancien Régime. Il ne s’agissait nullement de pédophilie, puisque le mariage n’était jamais consommé avant la puberté. On ne peut porter de jugement de valeur sur des sociétés qui ne sont pas les nôtres.

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Peut-on dire que Mahomet a inventé l’islam politique ?

Non ! Le mot islam lui-même est très peu présent dans le Coran. On le traduit habituellement par « soumission ». Ce n’est pas du tout cela. Ce mot dérive plutôt de salamshalom : « la paix ». L’islam, c’est le fait de se mettre sous la sauvegarde d’un protecteur dans le cadre d’une alliance avec lui. De même, c’est à tort que l’on emploie le mot « croyant » : dans cette société-là, on ne croit pas, on s’allie. Le croyant, c’est celui qui se rallie fidèlement parce qu’il veut être en sécurité, et qui agit en fonction de cette alliance, laquelle lui donne certes des droits, mais aussi des devoirs. Le croyant dans la voie d’Allah est celui qui se montre fidèle à l’alliance d’Allah.

Comment expliquer que Mahomet n’ait pas cherché à organiser davantage sa succession ?

Dans les sociétés tribales, on n’organise pas sa succession, ce sont les survivants qui décident de la suite. On ne choisit jamais un enfant, mais l’homme le plus apte, car il s’agit d’une société de pragmatisme total.

Alors que le Coran précise que Mahomet n’est « qu’un homme comme les autres » (41,6), il fait l’objet d’une vénération particulière. Comment l’expliquer ?

Ce sont les convertis du IXe siècle qui ont développé cette figure sacralisée de Mahomet car ils ont fantasmé le passé, ayant besoin de se rattacher à un mythe unificateur. Le problème du monde musulman, c’est qu’il est resté ancré dans l’histoire sacrée et n’a pas accompli sa révolution critique. Aujourd’hui encore, si on a envie de connaître l’histoire de la première période, on ne trouve qu’une histoire sacrée en face de soi.

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Justement, quelles sont les sources qui nous informent sur la naissance de l’islam et la vie du Prophète ?

Les sources qui nous renseignent sur Mahomet consistent en deux corpus, qu’il faut séparer. Le Coran, tout d’abord ; la Sîra et le Hadith, ensuite. La rédaction finale du Coran est à situer entre le milieu et la fin du VIIe siècle, sous le contrôle encore arabe et tribal des Omeyyades. S’ils ont gouverné un empire de 661 à 750, leur mentalité était restée tribale. Ils ont refusé la conversion des non-Arabes. Pour entrer dans l’alliance d’Allah, il fallait parvenir à se rattacher à une tribu. Les conversions furent donc en nombre infime.

Cela change un siècle plus tard, quand les Abbassides, pourtant eux aussi d’origine mecquoise, renversent les Omeyyades. Ce qui restait du système tribal disparaît. Le calife devient un potentat. Le nouveau pouvoir commande une biographie de Mahomet, la Sîra, qui met en scène son statut prophétique, faisant de lui le héros de l’islam des origines. C’est aussi à cette époque que s’ouvre largement la porte des conversions pour toutes les populations de l’empire. Les premiers convertis appartiennent à l’élite proche du pouvoir, notamment des théologiens initiés à la philosophie grecque qui leur avait été transmise par les chrétiens syriaques.

Un siècle après, au IXe siècle, c’est au tour des populations des grandes cités de l’empire de se convertir. Le corpus du Hadith (paroles attribuées à Mahomet) date de cette seconde époque. Il reflète le regard que portent sur le « Prophète » ces convertis qui sont à la recherche d’une figure fondatrice qu’ils vont sacraliser. Le Hadith se fabrique à partir d’éléments divers comme un énorme bricolage. Mahomet se mue alors en figure modèle donnée à imiter.

« Si on part de l’histoire sacrée pour en faire la critique, on tourne en rond »

C’est par l’anthropologie historique que l’on peut entrevoir la part de vraisemblance dans ces sources postérieures et la part de fantasme. Il faut travailler sur le sens des mots en rapport avec la structure sociale et le mode de vie de chaque époque. On a alors des chances de détecter ce qui est « trop musulman » pour correspondre à la première période. Il faut essayer de retrouver différentes couches de représentation dans ces sources, comme si on faisait de l’archéologie. Si, en revanche, on part de l’histoire sacrée pour en faire la critique, on tourne en rond.

En dehors du texte du Coran, le seul élément de réalité dont nous disposons pour la première période, c’est le terrain social, géographique, et ce qu’on appelle « l’imaginaire collectif », tel qu’il se reflète dans la langue. Il faut travailler à la manière dont l’ont fait Georges Duby ou Jacques Le Goff sur le Moyen Age occidental.

Vos travaux sur les origines de l’islam sont assez iconoclastes. Comment sont-ils accueillis par les musulmans ?

Ils commencent à intéresser. Deux de mes livres vont être traduits en arabe. Je n’ai jamais eu de retour vraiment négatif sur mon travail, en tout cas pas de la part de gens sérieux : ma connaissance de l’arabe classique fait qu’on ne peut pas me raconter n’importe quoi. J’ai toujours été respectée pour cela, de la même manière que je respecte les musulmans. Je discute, mais sans faire de concession.

Actuellement, les fondamentalistes se revendiquent d’un retour aux origines de l’islam. Qu’en est-il réellement ?

Les djihadistes mélangent les périodes historiques. Ils ne comprennent pas que l’on ne peut pas prendre l’événementiel du Coran pour quelque chose d’intemporel. En prélevant, comme ils le font, des versets du Coran sans les ramener à la conjoncture historique auxquels ils se rattachent, ni même à leur insertion dans l’ensemble du corpus coranique lui-même, on peut leur faire dire n’importe quoi.

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Quel regard portez-vous sur le monde musulman d’aujourd’hui ?

Le monde musulman ne sait pas où il en est. Il a été totalement bouleversé par la colonisation, puis par la décolonisation. Ajoutez à cela les enjeux économiques et les guerres récentes. Puisqu’il n’y a pas de solution politique depuis l’échec du nationalisme arabe, on va chercher des solutions idéologiques et on fantasme le passé. Il existe d’ailleurs aussi des fantasmes pacifiques de la part de certains intellectuels arabes. Chacun essaie de se consoler comme il peut face aux drames actuels. Mais les djihadistes sont les fils du chaos contemporain, pas du passé. Ils n’ont rien à voir avec le Mahomet historique, qu’ils ne connaissent pas. La clé de tout, pour moi, c’est le savoir historique. Or, il est malheureusement gravement en déficit aujourd’hui.

Jacqueline Chabbi est agrégée d’arabe, professeure émérite des universités, spécialiste des origines de l’islam. Elle est en particulier l’auteure de : Le Seigneur des tribus. L’islam de Mahomet (rééd. CNRS Editions, 2013), Les Trois piliers de l’islam. Lecture anthropologique du Coran (Seuil, 2016), On a perdu Adam. La création dans le Coran (Seuil, 2019).

« Le Coran des historiens » : le livre saint de l’islam comme document historique de première importance

Le travail critique sur le Coran, ses sources et sa construction, est en pleine évolution. C’est ce dont rend compte l’impressionnant et précieux « Coran des historiens ». 

Par  (historien)

Publié le 19 décembre 2019 à 08h00, modifié le 02 novembre 2020 à 10h11 https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/12/19/le-coran-des-historiens-le-livre-saint-de-l-islam-comme-document-historique-de-premiere-importance_6023418_3260.html

Temps de Lecture 5 min.

ALE+ALE

« Le Coran des historiens », sous la direction de Guillaume Dye et Mohammad Ali Amir-Moezzi, Cerf, trois volumes sous coffret, 3 408 p., 59 €.

Pour Theodor Nöldeke, islamologue allemand dont LHistoire du Coran (1860) fut l’un des textes fondateurs de l’étude du Coran en Occident, le livre saint de l’islam reflète fidèlement la prédication du prophète Mahomet. Nöldeke exprimait ce qui était alors, et a longtemps été depuis, le consensus des orientalistes européens, fondé sur l’avis de la plupart des exégètes musulmans depuis le IXe siècle : le Coran transmet le message que Mahomet (571-632) révéla à son entourage à La Mecque (vers 610-622), puis à Médine (622-632). Mais, depuis les années 1970, cette certitude fait l’objet de débats, grâce à de nouvelles connais­sances du contexte (ou des contextes) de formation du texte coranique, et à la mobilisation de nouvelles sources, arabes et non arabes.

Lire  François Déroche rend au Coran sa fluidité

La somme impressionnante dirigée par Guillaume Dye et Mohammad Ali Amir-Moezzi, Le Coran des historiens, fait donc la synthèse d’une quarantaine d’années de « bouillonnement scientifique ». Le premier tome, Etudes sur le contexte et la genèse du Coran, ancre l’émergence de l’islam dans un contexte riche et complexe. L’Arabie préislamique du VIIe siècle qu’il dépeint n’est pas un monde à part, mais la partie intégrante d’une région accablée par des guerres entre Perses et Byzantins, parcourue par les concurrences confessionnelles entre juifs, zoroastriens, païens, chrétiens d’Eglises diverses, et troublée par les espoirs et craintes apocalyptiques. Plutôt que de voir l’islam comme une nouvelle religion née toute faite, comme Athéna sortie de la tête de Zeus, les vingt-huit auteurs montrent sa continuité avec les courants spirituels de l’époque, ainsi que les tâtonnements, pendant les deux siècles qui ont suivi la mort du prophète Mahomet, pour établir sa doctrine et sa loi.

Processus de canonisation

Si bon nombre d’islamologues affirment encore aujourd’hui que le Coran a été composé du vivant de Mahomet, pour Guillaume Dye certains passages ont pu être ajoutés après : la collation d’éléments divers, parfois dans la même sourate, pourrait indiquer l’intervention de plusieurs auteurs. Le processus de canonisation du texte coranique prend plusieurs décennies : au temps des premiers califes, on ne trouve que très peu de citations coraniques dans les documents administratifs, les inscriptions épigraphiques et sur les monnaies. Ce n’est qu’à l’époque des Omeyyades que cela devient la norme, surtout chez Abd Al-Malik (calife de 685 à 705), qui frappa monnaie avec des citations coraniques, fit de l’arabe la langue de l’administration et fit construire le dôme du Rocher à Jérusalem, orné d’inscriptions coraniques. C’est son règne, aussi, qui constitue « une période cruciale dans la dissémination du texte et dans le développement d’une idéologie et d’une mémoire collective islamiques ».

Or cette époque était une période de conflits violents au sein de la jeune communauté musulmane, notamment entre les Omeyyades et la famille du prophète – le quatrième calife, Ali (656-661) et ses fils Hassan et Hussein –, qui, après la mort de Hussein à Karbala (680) face aux troupes omeyyades, aboutiront à la rupture entre les chiites (partisans de la famille d’Ali) et les sunnites (Omeyyades). Les chiites ne reconnaissent pas la légitimité des trois premiers califes, ni de la dynastie omeyyades, estimant que Mahomet avait désigné Ali comme son successeur, et qu’ensuite seuls ses descendants directs étaient légitimes.

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Du coup, comme le montre Mohammad Ali Amir-Moezzi, certains exégètes chiites récusent le texte canonique du Coran, estimant qu’il a été falsifié, notamment en évacuant la succession entre Mahomet et Ali. D’autres acceptent ce texte imparfait comme un « Coran silencieux » qui serait incompréhensible sans le secours du « Coran parlant », à savoir l’imam, guide spirituel et politique infaillible des chiites. Et Amir-Moezzi de revenir en conclusion à ce premier tome sur le rôle central d’Abd Al-Malik dans l’établissement du « Coran officiel ». Les sources issues des milieux chiites ne sont bien entendu pas plus « objectives » que celles des Omeyyades. Mais ces oppositions soulignent l’ancrage des Ecritures dans le contexte politique et social de leur époque.

Un outil incontournable

Le second tome (en deux volumes) consiste en un commentaire continu de l’ensemble du Coran. Chaque sourate est confiée à un ou deux auteurs, qui présentent d’abord le contenu et la structure globale de la sourate, puis un commentaire détaillé par verset (ou groupe de versets), expliquant l’histoire de l’exégèse de ces passages. En résulte un outil de grande qualité qui donne un compte rendu détaillé de l’état actuel des recherches sur le texte coranique. Ce travail monumental, réunissant les contri­butions d’une équipe internationale remarquable de spécialistes, sera désormais un outil incontournable pour ceux qui cherchent à comprendre le Coran comme un document historique de première importance, et à le situer au cœur d’un réseau culturel, confessionnel et historique complexe.

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Dans le contexte actuel, les auteurs font un travail didactique précieux. Ils démontrent l’enracinement du Coran et de l’islam dans une culture commune, qui implique des affinités profondes avec divers courants du christianisme et du judaïsme : preuve, s’il en fallait, de l’absurdité de dire que l’islam ne ferait pas partie d’une culture « judéo-chrétienne ». C’est aussi un argument de poids contre les intégristes qui refusent l’approche scientifique des textes sacrés. Encore faudrait-il que les uns comme les autres soient prêts à écouter.

Parution sur le même thème

Essai. « La Crise du discours religieux musulman. Le nécessaire passage de Platon à Kant », de Lahouari Addi

Que les sociétés musulmanes soient en crise, Lahouari Addi est loin d’en disconvenir : il en fait l’objet de son nouvel essai. Mais cette crise est-elle celle de l’islam ? ­L’intérêt de la démarche du sociologue, chercheur à l’université Georgetown (Washington), est de distinguer fermement entre religion et culture, foi et système implicite d’interprétation de son contenu. Un système qui, selon lui, resterait marqué chez les musulmans par le dualisme, la dévaluation de la vie terrestre inspirés de Platon, influence dont le christianisme serait progressivement sorti au profit d’une lucidité sur la part de subjectivité des croyances, qu’Addi symbolise à travers la figure de Kant. Si ce schéma se révèle, du point de vue de l’histoire des méta­physiques, rigide à l’excès, l’invitation à l’examen critique d’« une interprétation culturelle qui se veut universelle et atemporelle » montre avec force, dans ce livre dense et rigoureux, sa fécondité. Fl. Go.

« La Crise du discours religieux musulman. Le nécessaire passage de Platon à Kant », de Lahouari Addi, Presses universitaires de Louvain, « Pensées musulmanes contemporaines », 266 p., 25 €.

**Jésus a-t-il vraiment existé ? Les arguments des historiens face à la thèse mythiste

Née à la fin du XVIIIe siècle, la thèse « mythiste » conteste la réalité historique de Jésus. Si elle a suscité et suscite encore de nombreux débats, elle se trouve aujourd’hui largement décrédibilisée. 

Propos recueillis par 

le 25 décembre 2021 à 07h00, modifié le 20 décembre 2024 à 09h00 https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2021/12/25/jesus-a-t-il-vraiment-existe-les-arguments-des-historiens-face-a-la-these-mythiste_6107263_6038514.html

Temps de Lecture 6 min.

« Sermon sur la montagne », de Carl Heinrich Bloch, 1877.
« Sermon sur la montagne », de Carl Heinrich Bloch, 1877.  WWW.FREECHRISTIMAGES.ORG

Entretiens croisés. Jésus de Nazareth figure parmi les personnages les plus étudiés au monde. Pourtant, aujourd’hui encore, de nombreuses zones d’ombre subsistent. Aussi certains auteurs remettent-ils en question des épisodes de sa vie, dans lesquels ils voient l’inspiration de cultures voisines du christianisme ancien. Les plus radicaux d’entre eux, qui défendent la thèse dite « mythiste », vont jusqu’à douter de la réalité historique de Jésus. Née à la fin du XVIIIe siècle, la thèse mythiste est contestée par le monde académique, mais continue à être débattue, particulièrement dans les pays anglo-saxons.

Sur quels arguments s’opposent les spécialistes ? Nous avons donné la parole à Robert M. Price, théologien américain qui défend la thèse mythiste, auquel répond Simon-Claude Mimouni, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études à Paris, qui réfute cette théorie.

Robert M. Price : NON, JÉSUS N’A PAS EXISTÉ

Quels sont vos arguments pour dire que Jésus n’a pas existé ?

Robert M. Price. Merci tout d’abord de noter que je ne « crois » pas que Jésus n’a pas existé. Tout cela ne peut être ni plus ni moins que des hypothèses historiques. Mais je crois en revanche qu’il incombe à ceux qui affirment l’existence d’un Jésus historique de fournir les preuves.

Les Evangiles sont constitués en grande partie de récits de miracles et de paroles de sagesse, qui peuvent également se rencontrer, pour la plupart, dans les sources contemporaines juives et grecques, et qui ont donc pu leur être empruntés.

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L’une des raisons de le penser est que les Lettres de Paul, considérées comme plus anciennes que les Evangiles, ne relatent rien de tel. Pourquoi, si ce type de propos circulait déjà ? Cela implique que ces récits ont été imputés plus tard à Jésus. De même, les miracles ressemblent à des légendes de cette époque. S’il existait réellement un « Superman » comme Jésus, pourquoi n’est-il jamais mentionné par les écrivains contemporains ? Si l’on met de côté les miracles, Jésus devient un rabbin comme un autre.

« Il y a peut-être eu un Jésus historique, mais il n’y a pas de raison particulière de le penser »

Je vous l’accorde, des légendes circulent tout aussi bien au sujet de César ou de Cyrus. Mais nous savons qu’ils ont bel et bien existé parce qu’ils sont inextricablement liés aux événements du monde. Ce n’est pas le cas de Jésus. Les contes évangéliques qui le relient à Hérode le Grand, Ponce Pilate et au grand prêtre Caïphe sont des fictions, comme tous les universitaires – et pas uniquement les partisans de la thèse mythiste – l’admettent. Il est frappant de constater que presque toutes les histoires relatées dans les Evangiles peuvent être comprises comme une réécriture chrétienne de tel ou tel passage de l’Ancien Testament.

Qu’est-ce qui semble le plus plausible : qu’un homme ait multiplié les pains pour la foule, ou que quelqu’un ait réécrit une ancienne et très célèbre histoire où le prophète Elisée fait de même (2 Rois 4, 38-44) ? Donc, que reste-t-il de Jésus ? Il y a peut-être eu un Jésus historique, mais il n’y a pas de raison particulière de le penser.

Mais pourquoi les premiers chrétiens auraient-ils inventé un maître mis à mort à la manière d’un esclave ?

Cette région était très syncrétique, avec beaucoup de religions qui se nourrissaient les unes des autres. Le christianisme a débuté comme une forme hybride du gnosticisme, des cultes des héros et des religions à mystères, avec leurs dieux sauveurs mourants puis renaissants. Les héros crucifiés étaient familiers dans la littérature antique : les partisans de Spartacus, par exemple, étaient morts de cette manière.

Si, selon vous, Jésus n’a pas existé, le christianisme est-il nul et non avenu ? Une religion peut-elle être légitime quand bien même son origine reposerait sur un malentendu ?

L’hindouisme n’a pas de fondateur. Et nombreux sont les bouddhistes qui estiment secondaire de savoir si un Bouddha historique a réellement vécu. L’éthique chrétienne est fondée sur ce qui est dit dans les Evangiles, peu importe qui l’a dit. Avez-vous besoin d’une incarnation divine pour vous prouver qu’il faut pardonner ? Qu’il faut aimer les autres et conduire du mieux possible la vie qui vous a été donnée ? Si les chrétiens n’avaient jamais été informés de l’existence d’un Jésus historique, il ne leur manquerait pas.

« La thèse mythiste n’implique ni ne présuppose l’athéisme. Même s’il n’y a pas eu de Jésus, Dieu peut bien exister »

Soit dit en passant, la thèse mythiste n’implique ni ne présuppose l’athéisme. Même s’il n’y a pas eu de Jésus, Dieu peut bien exister. Et même si Dieu n’existe pas, il a bien pu exister un Jésus historique d’un genre ou d’un autre. Je vote « non » aux deux questions, mais elles sont séparées : l’une est philosophique, l’autre historique.

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Comment la thèse mythiste est-elle accueillie en Amérique du Nord ?

La plupart la considèrent comme une théorie excentrique, à la manière du négationnisme ou des climatosceptiques. Peu la prennent suffisamment au sérieux pour s’y attarder un minimum. Nous sommes de vilains « hérétiques ».

L’ironie, c’est que les universitaires qui croient en l’existence historique de Jésus défendent des théories le concernant tellement éloignées les unes des autres que l’on ne pourrait guère imaginer qu’ils parlent de la même personne. Cela m’est égal. Je ne prêche pas un dogme. Je me moque du « consensus des spécialistes ». Souvenez-vous, dans les Evangiles, il y avait consensus des savants sur le fait que Jésus devait être mis à mort.

Ancien ministre baptiste, l’Américain Robert M. Price est titulaire d’un doctorat en théologie et d’un doctorat en Nouveau Testament. Il enseigne la théologie et les études bibliques dans un séminaire privé, le Johnnie Colemon Theological Seminary (Floride). Il est l’auteur de nombreux ouvrages (non traduits en français), en particulier Deconstructing Jesus (Prometheus Books, 2000).

Simon-Claude Mimouni : OUI, JÉSUS A EXISTÉ

Pourquoi, selon vous, l’existence de Jésus ne fait-elle aucun doute ?

Simon-Claude Mimouni. Rien, d’un point de vue historique, ne me permet de la remettre en question. La thèse mythiste est indéfendable historiquement : elle ne s’appuie sur aucune preuve et ne date que du XVIIIe siècle. Dans l’Antiquité, personne n’a mis en doute l’historicité de Jésus – ni ses disciples, ni ses ennemis, ni même les juifs qui lui étaient opposés.

Les partisans de la thèse mythiste estiment que les sources sont pratiquement toutes chrétiennes. Mais les sources sur Jules César et Néron, par exemple, sont essentiellement romaines ; ce n’est pas pour autant qu’il faut les discréditer d’emblée. Et le fait que les auteurs païens contemporains de Jésus ne parlent pas de lui n’a rien d’étonnant : au Ier siècle, le « fait » Jésus est mineur. Il n’y avait aucune raison de le mentionner.

S’il est nécessaire d’être critique envers les Evangiles, dire que Jésus n’a jamais existé, qu’il est une figure inventée par des disciples, ne tient pas. Aujourd’hui, ceux qui adhèrent à la thèse mythiste sont des gens un peu illuminés, non de vrais universitaires. Ce n’était pas le cas au XIXe ou au XXe siècle : ainsi, Prosper Alfaric (1876-1955), qui a défendu cette thèse, était un très grand savant, professeur en histoire des religions, candidat au Collège de France.

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Pourquoi la thèse mythiste, qui nie la réalité historique de Jésus, est-elle désavouée par la communauté scientifique française, y compris chez les historiens non chrétiens, alors qu’elle rencontre un petit écho dans les pays anglo-saxons ?

Je ne crois pas que l’on puisse opposer l’écho suscité dans les pays anglo-saxons et l’absence d’écho dans les pays européens. En France, des gens continuent à penser que Jésus n’a jamais existé – j’en ai fréquemment rencontré. De même, je ne pense pas qu’il faille opposer historiens croyants et non croyants. Au contraire, les personnes adhérant à la thèse mythiste sont peut-être plus croyantes que les autres.

« Dans l’Antiquité, personne n’a mis en doute l’historicité de Jésus, même ceux qui lui étaient opposés »

Deux partisans français de la thèse mythiste, Paul-Louis Couchoud (1879-1959) et Prosper Alfaric, étaient de grands savants croyants. Pourtant, ils ne croyaient pas à l’existence historique de Jésus, mais en faisaient un mythe, l’émanation d’un dieu solaire ou autre. Ils voyaient Jésus comme un dieu, et uniquement un dieu. Ils croyaient en la divinité de Jésus, mais pas en son aspect humain.

Je vais aller plus loin : ce qui les dérangeait était non seulement l’aspect humain, mais aussi l’identité juive de Jésus. Les partisans de la thèse mythiste étaient-ils antijuifs ? Voilà un angle qu’il serait intéressant d’étudier.

Cependant, une partie de la vie de Jésus, telle que relatée dans les Evangiles, ne relève-t-elle pas davantage du mythe que de la réalité ?

Le théologien David Strauss, au XIXe siècle, n’a jamais estimé que Jésus était un personnage mythique, mais que les sources parlant de Jésus le présentaient de manière mythique, ce qui est très différent ! Si, en tant que récits narratifs, les Evangiles peuvent rapporter des éléments qui ne sont pas nécessairement historiques, cela ne permet pas pour autant de dire que le personnage lui-même n’a pas existé. De même, ce n’est pas parce que la Guerre des Gaules contient des épisodes peu fiables que l’existence de Jules César relève du mythe.

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Pour Jésus, on ne peut que difficilement contester les passages relatifs à sa mort, contrairement aux éléments « légendaires » concernant sa conception et sa naissance. La Passion peut être datée entre 28 et 33, ce qui ne veut pas dire que la présentation qui en est faite ne relève pas, au moins en partie, de la fiction littéraire. La question de la résurrection, quant à elle, relève de la foi. En tant qu’historien, je ne peux pas affirmer qu’elle ne se soit pas produite, ni qu’elle se soit produite.

Historien, Simon-Claude Mimouni est directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études. Spécialiste du judaïsme et du christianisme antiques, il est notamment l’auteur de : Le Christianisme des origines à Constantin (avec Pierre Maraval, PUF, 2006), et Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth (Bayard, 2015).

Cet article a initialement été publié dans Le Monde des religions n° 80, novembre-décembre 2016.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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