Néonicotinoïdes : les alternatives doivent être mises à l’épreuve sur le terrain
Les travaux doivent être poursuivis pour rendre opérationnelles les alternatives aux néonicotinoïdes, note l’Inrae qui a passé au crible six filières fragilisées. La lutte doit également être menée au-delà de la parcelle, à l’échelle des territoires.
Agroécologie | 30.10.2025 |https://www.actu-environnement.com/ae/news/alternatives-neonicotinoides-pesticides-biocontrole-lutte-biologique-inrae-47014.php4#ntrack=cXVvdGlkaWVubmV8Mzg4MQ%3D%3D%5BNDExMDgz%5D

© S. Leitenberger – stock.adobe.comLa filière de la betterave cherche des pistes pour lutter contre le puceron vecteur de la jaunisse.
« Des transformations essentielles sont en cours, avec la constitution d’approches combinatoires de référence, le développement du biocontrôle et la généralisation de la prophylaxie. Il sera nécessaire de mettre en place une coordination des acteurs pour développer des approches territoriales », note l’Inrae, dans son rapport sur les alternatives aux néonicotinoïdes (1) , remis le 28 octobre à la ministre de l’Agriculture, à l’origine de cette saisine.
L’institut a passé à la loupe les stratégies de lutte de six filières particulièrement dépendantes aux insecticides néonicotinoïdes. Betteraves, noisettes, pommes, cerises, navets et figues… Toutes « sont fragilisées par le manque de solutions opérationnelles et disponibles pour la protection contre certains ravageurs, mais à des degrés divers et sans se trouver dans la même urgence temporelle », souligne le rapport. Toutes sont également impliquées dans des démarches actives de recherche d’alternatives.
Le rapport recommande de systématiser les approches de prévention en amont (prophylaxie), de développer des démarches territoriales et interfilières pour éviter les contaminations entre cultures, de construire et diffuser des références techniques solides et de faciliter, via la réglementation et l’homologation, l’usage des solutions alternatives. L’Inrae estime également que la mise en place de stratégies assurancielles est nécessaire pour accompagner la prise de risque des agriculteurs dans la mise en place de ces solutions.
Betterave : des fermes pilotes et des usages dérogatoires nécessaires
Sans doute l’une des plus médiatisée, la filière betterave cherche activement des pistes pour lutter contre le puceron vecteur de la jaunisse, note le rapport. La menace est variable selon les années et peut parfois entraîner des pertes importantes de rendement. « Des pistes prometteuses ont été identifiées et un réseau de fermes pilotes a été mis en place par l'[Institut technique de la betterave (ITB)] pour faciliter leur évaluation en conditions de production », note l’Inrae.
Ainsi, la prévention et l’épidémiosurveillance ont obtenu de bons résultats depuis 2021. La prophylaxie doit passer par la suppression systématique des foyers de virus (résidus de récolte, repousses) et une meilleure répartition des cultures pour réduire les contaminations réciproques, analyse le rapport. Le développement des produits et techniques de biocontrôle nécessite la construction de références techniques solides en mobilisant le réseau de fermes pilotes d’expérimentation. La filière compte aussi sur le développement de variétés résistantes à moyen terme.
Dans tous les cas, seule une approche combinant ces différents niveaux de lutte permettra de se passer des produits de synthèse, analyse le rapport. En attendant, « tant que les alternatives ne sont pas pleinement opérationnelles et maîtrisées par les producteurs, un accès à deux produits phytopharmaceutiques semble incontournable afin de pouvoir réaliser des alternances de traitement et éviter l’apparition de résistances dans les populations de ravageurs », estime l’Inrae, qui juge le recours au Movento (spirotetramate) et au Teppeki (flonicamide) encore nécessaire.
Pommes, cerises : sécuriser l’usage de traitements alternatifs
Pour la filière pomme, fragilisée par les pucerons et l’anthonome, le recours aux traitements de synthèse est également nécessaire dans l’attente de solutions alternatives et d’itinéraires techniques solides, note le rapport. Cependant, « l’usage renforcé des pyréthrinoïdes, de plus en plus utilisés pour compléter les programmes de protection, représente un recul sur le plan environnemental car ces produits éliminent la faune auxiliaire s’ils sont employés trop fréquemment », prévient l’Inrae, qui recommande de sécuriser de manière réglementaire le socle de produits de traitement efficaces (de synthèse ou de biocontrôle) alternatifs à court terme.
La mise en garde de Générations futures
Si elle salue les conclusions et les recommandations de l’Inrae, l’association Générations futures appelle à la prudence. « La sécurisation des filières ne peut se faire au détriment de la santé humaine et de l’environnement » au travers d’usages dérogatoires de substances interdites, souligne-t-elle. Par ailleurs, la recherche de rentabilité doit passer par une meilleure rémunération des producteurs et non pas par des rendements toujours plus élevés, analyse l’ONG.
Même conclusion pour la filière cerise, qui se spécialise peu à peu et monte en technicité pour lutter contre la mouche à fruits, une espèce invasive. Si les filets de protection ont prouvé leur efficacité, ils s’accompagnent de contraintes et doivent être combinés avec d’autres approches de lutte, notamment à l’échelle du territoire. Pour réduire le risque global, la lutte biologique (auxiliaire et insecte stérile) doit en effet être coordonnée au-delà de la parcelle. « Des perspectives d’homologation de nouveaux produits (huiles, médiateurs chimiques, …) ou organismes de biocontrôle (champignons entomopathogènes, acariens…) pourraient renforcer les solutions actuelles », note le rapport, qui recommande néanmoins de sécuriser l’accès aux produits de lutte efficaces « qui ne sont actuellement autorisés que sous dérogation annuelle ou sont en passe de disparaître ».
Noisette : un plan d’action pour qu’émerge l’alternative au plus vite
Enfin, la filière de la noisette, en situation de crise à cause de la punaise diabolique, un insecte invasif, a pu bénéficier, en 2025, des dérogations pour les traitements à base de pyréthrinoïdes afin de « tenter de sauver la récolte ». Mais, note le rapport, « cette surutilisation de pyréthrinoïdes est une réponse d’urgence à une situation de crise, mais n’est pas durable. » Les solutions alternatives, comme la lutte biologique (parasites), ne sont pas encore opérationnelles. « Le développement d’une capacité de production suffisante ainsi que l’engagement dans un programme régional, voire national, sont maintenant des priorités. Il est essentiel de mener à terme ces travaux pour aboutir au plus vite à une solution susceptible de réduire à grande échelle les incidences de ce ravageur. »1. Consulter le rapport de l’Inrae
https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/synthese_rapport_nni-vf-27oct25.pdf
Sophie Fabrégat, journaliste
Cheffe de rubrique énergie / agroécologie