Santé environnementale : une politique publique à réformer
Le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan a analysé la politique française en matière de santé environnementale et met en lumière ses réussites, ses failles et ses incohérences, appelant à une réforme tous azimuts.
Risques | 30.10.2025 https://www.actu-environnement.com/ae/news/rapport-haut-commissariat-strategie-politique-sante-environnementale-47016.php4

© shockyLe rapport du haut-commissariat aborde les questions des PFAS, des pesticides, des particules fines dans l’air et du bruit.
Selon l’OMS, en France, les facteurs environnementaux causeraient autant de décès que le tabac, soit 75 000 morts par an. Un chiffre inquiétant remis en lumière par le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (HCSP, ex-France Stratégie), qui vient de livrer une « étude de politique publique la plus complète et la plus à jour », selon le haut-commissaire, Clément Beaune. Sur quel sujet ? La santé environnementale (1) . Et pour la première fois, ce type d’étude a été réalisé à la demande de l’Assemblée nationale, via le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC).
Ce travail conséquent, livré en cinq tomes, s’est appuyé sur des facteurs environnementaux qui diffèrent par leur nature, leur impact et les outils de politique publique afférents : les PFAS (2) ; les pesticides (3) ; les particules fines dans l’air (4) ; et le bruit (5) . De cette étude, le HCSP formule de nombreuses propositions, mais surtout de grands principes qui devraient dicter une réforme de cette politique publique.
Assurer la pérennité des mesures
« Le plus important, en termes d’action publique, est que l’efficacité est possible, face à ces polluants ! » assène Clément Beaune, s’appuyant sur l’exemple des particules fines dans l’air. Les émissions de PM2,5 ont diminué de 56 % entre 2000 et 2023 en France hexagonale, ce qui a entraîné une baisse de la mortalité mais aussi de la morbidité associées. Parmi les facteurs de réussite le Haut-Commissariat cite la stabilité des politiques menées. « Le débat récent sur les ZFE apparaît ainsi d’autant plus absurde que les politiques de restriction de la circulation existent déjà, sont largement répandues dans nos municipalités, et produisent des résultats puissants », renchérit M. Beaune.
Autre exemple en matière de bruit : le Haut-Commissariat constate que l’arrêt, en 2012, de l’obligation de suivi audiométrique des salariés exposés a privé de données épidémiologiques sur ce sujet et d’outils de prévention. De même, depuis la fin du Plan bruit (mené de 2009 à 2015 par l’Ademe), aucun autre plan national n’est venu prendre la relève. Le suivi de la résorption des points noirs du bruit demeure parcellaire. Ce qui fait de ce facteur sanitaire omniprésent le « parent pauvre » de la santé environnementale, et une source de contentieux avec l’Europe.
Mettre la science au cœur des choix
Autre facteur de réussite selon le Haut-Commissariat : l’accumulation de connaissances scientifiques suffisantes pour sensibiliser aux enjeux et agir à bon escient. « La question des PFAS l’illustre : leur connaissance dans l’opinion a explosé à la suite d’investigations médiatiques en 2022. Cette prise de conscience a conduit à la loi du 27 février 2025, qui instaure leur interdiction progressive dans de nombreux produits », rappelle Clément Beaune.“ On constate un manque de coordination institutionnelle et des tensions entre les objectifs de santé, environnementaux et économiques ”Mathilde Viennot, Haut-Commissariat à la stratégie et au plan
À travers plusieurs recommandations, l’institut veut donc donner toute sa place à la science et à la connaissance. Il recommande par exemple d’améliorer le processus d’autorisation des pesticides en intégrant les résultats les plus récents de la recherche. « Les dossiers d’autorisation sont fournis par les industriels, qui doivent respecter des lignes directrices normées dans le choix des études scientifiques. Ce qui empêche de prendre en compte la recherche académique. La France doit porter une refonte de ces lignes directrices », estime Hélène Arambourou, adjointe au directeur du département environnement du HCSP. Tout en donnant les moyens à l’Anses de réexaminer rapidement les substances en cas de nouvelles données scientifiques.
Sur plusieurs polluants (PFAS, pesticides), le HCSP recommande également de soutenir les études d’imprégnation des populations et les études épidémiologiques tout en renforçant la stratégie de recherche nationale sur ces sujets. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), regroupant des députés et des sénateurs, devrait selon lui jouer un rôle plus actif dans l’élaboration de la politique de santé environnementale : former et sensibiliser les parlementaires, discuter des décisions de l’Anses ou encore améliorer l’application du principe de précaution.
Instaurer des mesures contraignantes
Néanmoins, rien n’avancera sans la mise en place de mesures contraignantes « réglementaires ou fiscales, suivies et bien appliquées via des contrôles et sanctions », prévient Clément Beaune. Dans plusieurs domaines, le Haut-Commissariat estime qu’il faut prendre des mesures fortes. Exemple avec les pesticides : « il faut diriger les efforts sur la protection de la ressource en eau, en interdisant les pesticides sur les aires d’alimentation des captages d’eau potable ».
Sur les PFAS, il est temps que la France se positionne en faveur d’une « restriction ambitieuse » sur le plan européen. À date, trois propositions, caractérisées par des gradients de restriction différents, ont été étudiées dans le cadre du règlement Reach. Le comité de pilotage du plan interministériel sur les PFAS devait plancher sur l’option de restriction la plus large, ses implications socioéconomiques et l’accompagnement des filières. Mais pour l’instant, aucune position n’a été arrêtée. Pour le HCSP, la France doit aussi défendre une refonte européenne des teneurs maximales dans les aliments pour tenir compte des résultats les plus récents de la recherche : extension des valeurs maximales aux végétaux, élargissement des PFAS surveillés à ceux susceptibles d’être présents dans les emballages et baisse des teneurs maximales dans les produits solides et l’eau.
Accompagner financièrement
Si le Haut-Commissariat avoue ne pas avoir chiffrer l’ensemble des mesures proposées, il est bien conscient qu’un accompagnement financier sera nécessaire pour relancer la politique de santé environnementale. Selon lui, inutile d’aller chercher bien loin, les outils actuels doivent être utilisés en ce sens. Ainsi, en matière de pesticides, le premier pilier de la politique agricole commune (PAC), qui représente 80 % des dépenses, devrait être réorienter vers des pratiques sobres en intrants chimiques. Aujourd’hui, les aides consacrées à la réduction de l’usage des pesticides ne représentent que 8 % du budget annuel. L’interdiction des pesticides sur les aires d’alimentation des captages serait financée par la création de paiements pour services environnementaux (PSE). « Leur financement pourrait être assuré par une augmentation des redevances pour pollutions diffuses ainsi que par la mobilisation de la PAC », selon le HCSP.
En matière de PFAS, l’augmentation de la taxe pollueur-payeur de la loi de 2025 semble être une nécessité pour couvrir les coûts liés à la dépollution des eaux et des sols (à travers le Fonds friches). « Cette redevance est fixée à 100 euros/100 g de PFAS. S’il est sans doute irréaliste de porter son taux à hauteur du coût sanitaire ou du coût nécessaire pour traiter les PFAS d’ici à 2030, une augmentation progressive devrait être envisagée. »
Une gouvernance cohérente
Dernier élément, et non des moindres, la réussite d’une politique de santé environnementale passera par plus de cohérence dans le portage politique. « Cette politique est aujourd’hui fragmentée, parfois contradictoire et souvent curative. On constate un manque de coordination institutionnelle et des tensions entre les objectifs de santé, environnementaux et économiques », résume Mathilde Viennot, cheffe de projet au Haut-Commissariat. Pour y remédier, elle propose qu’une nouvelle Stratégie nationale en santé environnementale voit le jour, sous le pilotage interministériel du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), donc sous l’égide de Matignon. Et surtout, que les décisions prises en la matière soient discutées et transparentes.
Le Haut-Commissariat va jusqu’à proposer la création d’une convention citoyenne sur ce sujet pour « rendre visibles non seulement les certitudes et les incertitudes sur le risque associé à une substance chimique, mais aussi les effets économiques et sociétaux des choix politiques envisagés ». Le succès de la pétition anti-loi Duplomb contre la réautorisation des néonicotinoïdes laisse à penser que les citoyens seraient au rendez-vous. Mais seraient-ils entendus ?
1. Télécharger le rapport transversal du HCSP sur la politique de santé environnementale
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-47016-HCSP-sante-environnemental-rapport-transversal-octobre-2025.pdf2. Télécharger le rapport sur les PFAS
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-47016-HCSP-sante-environnementale-pfas-octobre-2025.pdf3. Télécharger le rapport du HCSP sur les pesticides
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-47016-HCSP-sante-environnementale-pesticides-octobre-2025.pdf4. Télécharger le rapport du HCSP sur les particules fines dans l’air
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-47016-HCSP-sante-environnementale-particule-octobre-2025.pdf5. Télécharger le rapport du HCSP sur le bruit
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-47016-HCSP-sante-environnelentale-bruit-octobre-2025.pdf
Florence Roussel, journaliste
Directrice de la rédaction et rédactrice en Chef d’Actu-Environnement