HADRIEN MATHOUX
DIRECTEUR ADJOINT DE LA RÉDACTION MARIANE
Dénonciation des accords franco-algériens par l’Assemblée : bien plus qu’un symbole
Ce jeudi 30 octobre, pour la première fois de son histoire, et près de quarante ans après son arrivée à l’Assemblée nationale, le Rassemblement national est parvenu à faire adopter un texte. Le coup s’est joué à rien, puisque les députés ont adopté à 185 voix pour et… 184 contre, la proposition portée par le parti nationaliste : une dénonciation des accords de 1968 entre la France et l’Algérie, qui permettent aux ressortissants algériens de bénéficier de conditions particulièrement favorables pour venir s’installer dans l’Hexagone.
Juridiquement, la résolution parlementaire ne comporte aucune dimension contraignante, et c’est avant tout un symbole qui s’est joué ce jeudi. Mais quel symbole : après près de quarante années de mise en oeuvre du « cordon sanitaire », qui empêchait les partis politiques de voter un texte présenté par le FN/RN même quand ils le trouvaient judicieux, voilà que l’ostracisation prend fin, et sur le sujet phare porté par le parti de Marine Le Pen : l’immigration.
Cyrielle Chatelain, la présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, en avait les larmes aux yeux. Dénonçant l’absence des macronistes, elle a décrit la victoire d’un « texte raciste », une « victoire de l’extrême-droite ». La députée verte a bien cerné les enjeux, et devine sans doute la vaste recomposition politique qui se profile derrière ce simple vote parlementaire. Car la configuration du « front républicain », qui dresse l’ensemble des partis contre un RN diabolisé, si elle continue largement de structurer les représentations mentales à gauche, ne correspond plus à la réalité des rapports de force.
Avec 30 à 40% des intentions de vote, le RN n’est plus un parti marginal qu’on peut isoler facilement. Ses idées sur l’immigration, la sécurité et l’identité sont majoritaires dans le pays, et notamment dans les formations de droite, comme LR et Horizons, dont de nombreux députés ont voté la résolution sur les accords franco-algériens. Si les macronistes étaient absents, c’est bien parce qu’ils étaient gênés aux entournures : Renaissance et Gabriel Attal ont mis en oeuvre le « front républicain » aux dernières législatives, mais deux têtes d’affiche macronistes, Charles Rodwell et Mathieu Lefèvre, ont récemment produit un rapport dénonçant le statut privilégié des ressortissants algériens en France.
La gauche, quant à elle, se structure de plus en plus autour du thème de l’identité, déterminée à défendre la vision d’une France ouverte et multiculturelle en opposition aux idées du RN. À telle enseigne que, comme on l’a vu, la dénonciation de l’accord avec l’Algérie, pourtant critiqué jusqu’au centre-droit dans un contexte de fortes tensions diplomatiques, est presque unanimement qualifiée de « raciste » dans les rangs de l’ex-NFP. La radicalité de certains éléments de LFI, comme le député Abdelkader Lahmar qui estime que « le mot « harki » veut dire « traître » », participe de la mise en minorité progressive de la gauche, qui n’a aucun intérêt à ce que la question identitaire devienne le clivage structurant du jeu politique. Car si cela se produit, tout indique qu’elle sera perdante.
Le jour où l’Assemblée nationale a voté un texte de l’extrême droite
Les députés ont adopté, jeudi 30 octobre, à une voix près, une proposition de résolution inscrite à l’ordre du jour par le Rassemblement national et visant la dénonciation de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
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Le cordon sanitaire marginalisant le Rassemblement national (RN) ne tenait plus qu’à un fil. Il s’est rompu jeudi 30 octobre. Pour la première fois depuis 1958 et l’instauration de la Ve République, l’Assemblée nationale a voté un texte porté par l’extrême droite. Par 185 voix contre 184, les députés ont adopté une proposition de résolution visant la dénonciation de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, inscrite à l’ordre du jour par le RN dans le cadre de sa niche parlementaire.
Juridiquement, ce scrutin n’est pas contraignant : Emmanuel Macron peut balayer la demande de l’Assemblée nationale d’abroger la convention instituant un régime dérogatoire au droit commun des étrangers. Symboliquement, il offre aux héritiers du Front national une victoire institutionnelle historique. Le tout sur son sujet de prédilection : la lutte contre l’immigration. « Ce n’est pas un tournant, c’est une marche », s’est empressée de saluer Marine Le Pen, dubitative, la veille encore, sur ses chances de succès dans la configuration actuelle de l’Hémicycle.
C’était compter sans le soutien massif et inédit apporté à ses troupes par Les Républicains (LR) et Horizons. Cette droite qui, en 1986, lors de l’arrivée à l’Assemblée nationale d’un groupe mené par Jean-Marie Le Pen, avait érigé un cordon contre l’extrême droite. Tout en rejetant toujours le concept d’« union des droites » électorale, le RN n’en a pas moins savouré cette alliance de fait au Palais-Bourbon ; jusqu’à y voir les prémices d’une future prise de pouvoir. « Ce vote prouve que nous sommes capables de travailler avec d’autres groupes : on a transformé notre majorité très relative en majorité absolue en convainquant d’autres forces de nous rejoindre, se réjouit Renaud Labaye, secrétaire général du groupe. Le signal est clair, on arrive ! »
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« Inquiétude particulière »
Chez les deux appuis de circonstance du RN, on feignait de ne pas voir la dimension historique de ce vote. « Ce n’est pas la question de la fin du cordon sanitaire. Dans cette Assemblée, il arrive que les groupes votent les uns avec les autres »,explique Fabien Di Filippo (Moselle, LR), un des 26 députés sur 50 du groupe des LR (Droite républicaine) à avoir voté la proposition de résolution du RN. Mardi, en réunion, consigne avait été donnée par le chef du groupe, Laurent Wauquiez, d’être présent. L’élu LR des Hauts-de-Seine Jean-Didier Berger a même couru vers son pupitre pour, lui aussi, voter « pour », en vain.
La droite fait désormais fi de l’origine d’une loi. « Quand le RN porte des projets ou des convictions que nous partageons, il n’y a aucune raison d’être dans des postures politiciennes », explique Laurent Wauquiez. En 2023, LR avait proposé un texte similaire dans sa niche parlementaire, à l’initiative de Michèle Tabarot, députée des Alpes-Maritimes et fille d’un ancien agent de liaison de l’Organisation armée secrète (OAS). « J’aurais préféré que ce soit notre niche comme il y a deux ans, là on donne une victoire politique à Le Pen », déplore un député LR absent.
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« Ce vote ne fait que confirmer ce que l’on sent, voit et entend depuis des mois : une partie de la droite républicaine bascule vers l’extrême droite et serait prête, demain, à participer à une même majorité », constate Richard Ramos (MoDem). Pour l’élu du Loiret, « un texte de loi, c’est comme les blagues : tout dépend de ceux qui les font. Et quand a lieu la niche RN, il faut monter au combat ».
A ce titre, il évoque son « inquiétude particulière » relative au soutien déterminant apporté à la résolution lepéniste par Horizons : « J’espère que cette journée ne préfigure pas la future campagne présidentielle, avec un Edouard Philippe lancé sur les pas de Marine Le Pen… » « Il s’imagine toujours un destin présidentiel ?, se demandait, dépité, le socialiste Paul Christophle (Drôme). Si c’est une stratégie consciente et pensée, il devra quand même expliquer en quoi il est différent de Marine Le Pen… C’est la pire manière de faire de la politique : copier pour limiter la fuite d’électeurs. »
La gauche sonnée
Sitôt la victoire du RN entérinée, les troupes de l’ancien premier ministre (2017-2020) ont brandi les mêmes justifications que leurs collègues LR. Edouard Philippe n’avait-il pas relancé le débat sur l’accord avec l’Algérie en juin 2023, dans un entretien au Point ? « Nous avons déposé quatre fois ce texte, note Sylvain Berrios (Val-de-Marne). Nous sommes cohérents par rapport à notre ligne. Il n’y a pas de raison qu’on change sous prétexte qu’il s’agit d’une niche RN. »Quitte à servir sur un plateau une victoire historique à l’extrême droite ? « Ce qui est historique, c’est la rupture du régime algérien [avec la France], défend le vice-président du groupe Horizons. Nous ne sommes pas prisonniers de cette confrontation permanente du chaos entre le RN et LFI [La France insoumise]. »
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Edouard Philippe n’a pas seulement contribué au succès de Marine Le Pen en poussant ses élus au vote, il a également ouvert une scission dans le bloc macroniste. Ses partenaires du MoDem et de Renaissance ont vite dénoncé la prise d’indépendance du maire du Havre (Seine-Maritime), craignant qu’elle ne s’inscrive dans une droitisation de sa course à l’Elysée. « Le bloc central perd ses repères, rumine Guillaume Gouffier Valente, député (Renaissance) du Val-de-Marne. D’un côté, Horizons offre une victoire à un RN animé par un esprit de revanche, qui n’a jamais fait le deuil de l’Algérie française. De l’autre, nous, comme le MoDem, avons été peu présents. Tout cela donne le sentiment que nous abandonnons le combat contre le RN, comme une espèce d’accoutumance, et c’est insupportable. »
Sonnés par la victoire de l’extrême droite, les partis de gauche tempêtaient contre un « texte raciste » porté par un député (Guillaume Bigot, Territoire de Belfort) les assimilant à un « parti de l’étranger ». Chacun a regretté l’absence d’une voix pour inverser l’issue ; tout en remarquant la particulière mobilisation de leurs effectifs (de 73 % à 84 %), communistes mis à part (33 % présents). A l’heure de l’explication, ils en voulaient moins à Edouard Philippe – dont les consignes étaient connues – qu’à Gabriel Attal. L’ex-chef du gouvernement a déserté l’Assemblée nationale toute la matinée, comme une majorité de son groupe (33 députés sur 85 pouvant siéger étaient présents, 30 ont voté « contre »). Gabriel Attal intervenait à un forum consacré au tourisme.
« Où est Gabriel Attal ? »
Défaut coupable d’anticipation ou malaise devant les dissensions créées par le sujet dans ses rangs ? Au-delà de son cas personnel, ses bancs déserts, comme ceux du MoDem (13 députés sur 36, 10 « contre »), ont fait bondir la gauche. « Où est Gabriel Attal ?, a répété Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste. Etre un parti de gouvernement, c’est être dans l’Hémicycle quand il y a un combat important. Etre un parti de gouvernement, c’est faire barrage, digue, contre le RN. »
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Gabriel Attal et plusieurs de ses proches ont réapparu à 15 heures, au terme de la pause déjeuner. Leur retour a empêché une deuxième victoire de l’extrême droite, sur un autre texte tiré du programme du RN : une proposition de loi pour le rétablissement du délit de séjour irrégulier. De la gauche au centre, des élus ont pris la parole pour rappeler l’essence discriminatoire et xénophobe du projet lepéniste. De la gauche au centre, le barrage s’est à nouveau dressé à l’Assemblée nationale, une Marseillaise a retenti, sans affecter la glorieuse journée de Marine Le Pen. Les textes suivants – sur l’étiquetage des produits alimentaires ou la gratuité des parkings d’hôpitaux publics –, défendus jusqu’à minuit, ont également été rejetés.
Sébastien Lecornu s’est chargé d’apporter au RN la deuxième victoire qui lui échappait dans l’Hémicycle. En marge d’un déplacement dans la Manche, le premier ministre a refusé de commenter la victoire de l’extrême droite, mais il y a fait droit. « Il faut renégocier [l’accord de 1968] parce qu’il appartient à une autre époque », a-t-il plaidé, tout en rappelant que la décision revenait au chef de l’Etat. Par sa réaction, positive, le chef du gouvernement a confirmé que le triomphe du RN n’avait rien de symbolique et qu’il débordait largement de l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Corentin Lesueur, Alexandre Pedro et Marie Pouzadoux
Voir aussi:
Sébastien Lecornu dit qu’il faut « renégocier » l’accord franco-algérien de 1968, après l’adoption d’un texte du RN en ce sens
Le premier ministre a réagi, jeudi, au vote à l’Assemblée nationale d’un texte du Rassemblement national visant à « dénoncer » cet accord, qui offre aux Algériens des clauses spécifiques en matière de circulation, d’immigration et de séjour.

L’affaire n’a pas fini de provoquer des secousses. Sébastien Lecornu a déclaré, jeudi 30 octobre, qu’il fallait « renégocier » l’accord franco-algérien de 1968, dont la dénonciation a été demandée jeudi par l’Assemblée nationale dans le cadre d’une résolution présentée par le Rassemblement national (RN). C’est la première fois qu’un texte du parti d’extrême droite est approuvé par les députés.
Cet accord, signé six ans après la fin de la guerre d’Algérie (1954-1962), offre aux Algériens des clauses spécifiques en matière de circulation, d’immigration et de séjour en France. Il permet aux ressortissants algériens d’obtenir un titre de séjour de dix ans selon une procédure accélérée. Dans le cadre d’un regroupement familial, les membres de la famille reçoivent également un certificat de résidence de dix ans dès leur arrivée si la personne qu’ils rejoignent possède ce titre.
« Il faut le renégocier parce qu’il appartient à une autre époque » et « on voit bien qu’on n’est plus du tout dans la même période », a déclaré le premier ministre, en marge d’un déplacement à Carentan (Manche). Il a précisé que « c’est le président de la République qui est garant des traités, qui les négocie et qui les signe » et que « la politique étrangère de la France, elle n’est pas faite par des résolutions au Parlement. Ce qui n’empêche pas de respecter le vote de ce matin ».
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Emmanuel Macron doit « assumer la fermeté avec l’Algérie »
A peine le texte approuvé – à une voix près –, le président des Républicains, Bruno Retailleau, a appelé Emmanuel Macron à ne pas s’en détourner. « Le président de la République, qui a choisi de s’en remettre à la démocratie parlementaire pour sortir de la crise politique, ne peut ignorer ce vote », a-t-il déclaré dans un communiqué.
« Emmanuel Macron doit donc assumer la fermeté avec l’Algérie », a ajouté M. Retailleau, estimant que « la diplomatie des bons sentiments a échoué et les privilèges accordés aux Algériens n’ont plus lieu d’être ».
Du RN jusqu’aux rangs d’Edouard Philippe, les voix de l’extrême droite et de la droite se sont jointes à l’Assemblée nationale pour « dénoncer » cet accord. Pour le plus grand bonheur de l’allié du RN, Eric Ciotti, ex-président de LR qui plaide pour « l’union des droites ».
Le Monde avec AFP
Dénonciation de l’accord franco-algérien : la responsabilité d’Emmanuel Macron
Grâce à ses alliés actifs de droite et tacites du centre, l’extrême droite est parvenue à faire voter une proposition de résolution revancharde suintant le ressentiment. Dans l’incapacité de la France à reconnaître le fait colonial, le laisser-faire du président est patent.
L’honneurL’honneur de la représentation nationale a fini par sombrer, englouti dans les flots de l’indignité républicaine, sous les hourras de l’extrême droite. Pour la première fois, jeudi 30 octobre, un texte présenté par le Rassemblement national (RN) a été adopté à l’Assemblée nationale. Et pas n’importe lequel : la proposition de résolution dénonçant l’accord franco-algérien de 1968 est mue par la négation de l’histoire coloniale et la haine raciste et xénophobe, à l’image d’un parti cofondé par un ancien Waffen-SS et un cadre d’une organisation terroriste, l’OAS.
Symbole stupéfiant, le résultat du vote (185 voix pour, 184 contre) a été claironné dans l’hémicycle par le vice-président RN de l’Assemblée, Sébastien Chenu, officiant comme président de séance, qui a lui-même pris part au vote, contrairement à l’usage. Offerte par Les Républicains (LR) et les macronistes, cette victoire concrétise, à l’échelon législatif, la fusion des droites sur un terrain identitaire revanchard, celui d’un passé qui ne passe pas, de la part d’un personnel politique résolu à dresser les Français·es les un·es contre les autres et à attiser le rejet de l’étranger.

Car c’est bien de cela qu’il est question : l’accord de 1968, signé six ans après la fin de la guerre d’Algérie, qui a ravagé le pays de 1954 à 1962, après cent trente-deux ans de domination et d’expropriation française par la violence, fait bénéficier les Algérien·nes de clauses spécifiques en matière de circulation, d’immigration et de séjour en France.
En théorie tout du moins, il permet aux ressortissant·es algérien·nes d’obtenir un titre de séjour de dix ans selon une procédure accélérée et aux membres de leur famille de recevoir, dans le cadre du regroupement familial, dès leur arrivée en France, un certificat de résidence de la même durée.
Certes, il constituait déjà en 1968 un recul par rapport aux accords d’Évian de 1962, qui avaient instauré la libre circulation entre les deux pays pour que les personnes nées en Algérie, françaises de nationalité, puissent se déplacer librement d’une rive à l’autre après l’indépendance. Certes, il n’a cessé de subir des restrictions au fil du temps, à coups d’avenants successifs. Mais il n’en demeure pas moins que le cadre général du régime migratoire entre les deux pays reste, aujourd’hui encore, un peu moins défavorable que la réglementation prévalant pour les autres étrangers hors Union européenne.
Une montée en tension programmée
Conclu à l’origine dans un esprit d’apaisement, associant un réel souci de réparation autant qu’un moins avouable besoin de main-d’œuvre, ce texte est devenu le chiffon rouge d’une extrême droite qui s’est construite dans son opposition à l’indépendance de l’Algérie, après avoir activement soutenu la guerre – jusqu’à, pour son chef historique, Jean-Marie Le Pen, être accusé de pratiquer la torture, comme l’a documenté l’historien Fabrice Riceputi.
Déversoir de sa haine raciste et xénophobe, l’accord lui sert depuis des années à régler ses comptes à l’égard non seulement du pouvoir algérien, mais aussi des Algérien·nes et des Franco-Algérien·nes, premières victimes de cet acharnement. Depuis autant d’années, il cache un ressentiment latent, comme s’il symbolisait cette « repentance » honnie par la droite et l’extrême droite, comme si la France n’avait pas à accorder de prétendus « privilèges » à un pays qu’elle a été contrainte de quitter.
Cette fois-ci, dans l’hémicycle, le RN a eu gain de cause.
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Arraché à une voix près, le vote n’est pas un accident de parcours. Il est l’aboutissement de la crise politique et diplomatique avec l’Algérie, savamment entretenue au printemps par l’ex-ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, sous le prétexte fallacieux de dénoncer l’injustifiable incarcération de l’écrivain Boualem Sansal.
Mediapart s’était alors rendu en reportage à Perpignan pour raconter le désarroi et la colère de ressortissants binationaux : se sentant pris au piège de cette montée en tension, ils dénonçaient l’instrumentalisation de leur histoire et de leurs conditions administratives au bénéfice de l’extrême droite.
Parmi eux, Mohamed Moulay, militant du Collectif pour une histoire franco-algérienne, avait donné rendez-vous à notre journaliste sur l’esplanade Pierre-Sergent, du nom de cet ancien député des Pyrénées-Orientales que le maire frontiste de la ville, Louis Aliot, présente comme un « ancien résistant », plutôt que comme l’un des représentants de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), qui a fait de très nombreuses victimes en menant des actions terroristes pour maintenir la France en Algérie.
La « plasticité idéologique du centre »
Au lieu de faire barrage aux pyromanes qu’il a lui-même accueillis au sommet de l’État, Emmanuel Macron a tergiversé. De la « guerre des valises diplomatiques » de juillet à sa « lettre de fermeté », puis aux accusations croisées de « mensonges » en août, l’escalade avec l’Algérie s’est poursuivie jusqu’à la rupture.
La reconnaissance de la responsabilité de la France dans les assassinats de Maurice Audin et d’Ali Boumendjel paraît loin. La tradition de rapprochement d’un certain gaullisme encore plus. La déchirure actuelle est en effet le fruit d’un double mouvement : d’une part, l’alignement progressif de la droite, notamment depuis la mandature de Nicolas Sarkozy, sur les idées de l’extrême droite ; de l’autre, le laisser-faire, voire les encouragements de la Macronie. Le vote d’aujourd’hui en témoigne : l’absentéisme de la plupart des député·es du groupe Ensemble pour la République, dont leur chef de file, Gabriel Attal, a permis à l’alliance entre le RN, LR et Horizons de fonctionner à plein.
Cette perméabilité croissante est documentée par un article récent de la très sérieuse Revue française de science politique : après avoir épluché l’ensemble des déclarations de politique générale des premiers ministres depuis les débuts de la Ve République, Tristan Boursier, chercheur associé au Cevipof (le Centre de recherches politiques de Sciences Po), et Antoine Lemor, chercheur à l’université de Sherbrooke (Canada), observent la « progression continue » de thématiques prisées de l’extrême droite – de la défense de l’identité nationale à l’exaltation de l’autorité, en passant par le rejet de l’immigration et de l’égalité – chez des premiers ministres de droite ou centristes, « souvent perçus comme plus modérés » et aux « discours se voulant consensuels ». Analysant « la plasticité idéologique du centre », ils rappellent que la première convergence notable se situe au moment de la guerre d’Algérie…
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En pleine crise de régime, alors qu’une nouvelle dissolution fait dangereusement peser le risque de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, cette stratégie d’alliances est suicidaire pour un pays qui a placé l’égalité à l’article 1er de sa Constitution et dont le président, lors de sa candidature en 2017, qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité ». Mediapart ne cesse de chroniquer depuis huit ans les digues qui cèdent les unes après les autres : force est de constater qu’y compris en l’absence de majorité au Parlement, le RN ancre profondément ses obsessions au cœur des pouvoirs exécutif et législatif.
« Il n’y a d’histoire qu’au présent », disait l’historien Marc Bloch. L’éternel retour en arrière sur la reconnaissance du fait colonial en France lui donne raison. En témoigne, encore et toujours, l’incapacité des dirigeants de ce pays à regarder le passé en face et, de manière inversement proportionnelle, leur capacité à s’acclimater au pire. « Nous devons reprendre le contrôle de notre vie démocratique », déclarait, la veille du vote fatidique, Emmanuel Macron, pour faire face à l’internationale fasciste, à l’occasion d’un fumeux Forum de Paris sur la paix. Il semble qu’il soit bien tard pour s’en préoccuper.