Tout comprendre aux aliments ultratransformés, nouvel enjeu de santé publique
Gâteaux secs, céréales colorées, pain de mie industriel… L’alimentation dite « ultratransformée » remplit nos étagères. Ses impacts négatifs sur la santé sont pourtant de plus en plus documentés.
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Y aurait-il urgence à mieux lire et mieux comprendre les étiquettes des aliments industriels qui peuplent nos étagères ? Emulsifiants, édulcorants, arômes alimentaires… Ces termes, qui échappent pour la plupart au grand public, renvoient à des ingrédients caractéristiques d’aliments qui se sont massifiés depuis les années 1970 et la montée en puissance de l’industrie agro-alimentaire : gâteaux secs, céréales de petit déjeuner, soda, yaourts aromatisés, pains de mie et brioches sous plastique, glaces onctueuses, saucisses à hot dog sous vide…
Cette alimentation industrielle très transformée présente de nombreux avantages : peu chère et souvent très attractive, elle se conserve généralement longtemps. Mais depuis une quinzaine d’années, les travaux scientifiques documentent de plus en plus précisément les risques qu’ils présentent pour la santé.
Qu’est-ce qu’un aliment « ultratransformé » ?
Cette appellation émerge en 2009, lorsque l’équipe du chercheur brésilien Carlos A. Monteiro propose de classer les aliments (dont les boissons) en fonction de leur degré de transformation, afin de faciliter la recherche sur l’impact des régimes alimentaires sur la santé. Cette catégorisation, baptisée Nova (pour « nova classificação » en portugais) et régulièrement affinée, distingue quatre types d’aliments :
- Les aliments bruts ou minimalement transformés, tels que les fruits et légumes, les œufs ou encore le riz et les pâtes. S’ils ont été transformés, ils l’ont été par des procédés simples.
- Les ingrédients culinaires transformés, comme le beurre, l’huile, le sel, la farine. Ils sont dérivés d’aliments bruts par des procédés simples comme le pressage ou la meunerie.
- Les aliments transformés, tels que des produits fermentés ou marinés, des conserves dans lesquelles ont été ajoutées du sel, le pain, le poisson fumé… Malgré la transformation, l’aliment originel reste reconnaissable.
- les aliments ultratransformés (AUT), qui ont subi d’importants procédés de transformation biologiques, chimiques, physiques, et/ou dont la formulation contient des ingrédients industriels qui n’existent pas dans une cuisine traditionnelle ou des additifs ajoutés pour changer la couleur, le goût ou la texture de l’aliment (colorants, émulsifiants, édulcorants, etc.).
Quelques questions basiques aident à repérer les AUT :
- Est-ce que cet aliment existe tel quel dans une cuisine traditionnelle ? Non.
- Est-ce que je serai capable de fabriquer cet aliment tout seul ? Non.
- Est-ce que l’étiquette fait référence à plusieurs ingrédients au nom compliqué, telle que la carboxyméthylcellulose ? Oui.
- Est-ce que mon aliment est classé C, D ou E au Nutri-Score ? Souvent, oui. « Les AUT sont en moyenne des aliments plus gras, sucrés, salés, et contenant moins de vitamines et de fibres », pointe Mathilde Touvier, directrice de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (CRESS-EREN) à l’Inserm.
Pour autant, des aliments qui ne sont habituellement pas considérés comme de la « malbouffe » peuvent être des AUT. Des laits végétaux tels que certains laits d’amande sont remplis d’additifs (comme des agents humidifiants) permettant d’obtenir l’aspect crémeux et onctueux qui n’existe pas naturellement lorsqu’on extrait le jus d’amandes.
Quelle part de notre alimentation représentent-ils ?
La part d’aliments ultratransformés dans le régime alimentaire des adultes

| pays | Part d’AUT dans le régime alimentaire des adultes |
|---|---|
| Italie | 18 |
| Taïwan | 20 |
| Brésil | 22 |
| Grèce | 22 |
| Espagne | 25 |
| Belgique | 30 |
| Mexique | 30 |
| France | 31 |
| Irlande | 34 |
| Allemagne | 38 |
| Suède | 42 |
| Royaume-Uni | 57 |
| Etats-Unis | 58 |
Source : données issues d’un article paru en 2023 dans le British Medical Journal
La progression de l’alimentation transformée est le résultat d’innovations majeures, notamment dans le domaine de la chimie, à partir des années 1950, qui permettent entre autres de mieux conserver les aliments et de les rendre plus sûrs.
La cuisine familiale s’en trouve bousculée dès les années 1960, d’abord aux Etats-Unis, avec l’arrivée de plats et aliments « standardisés, prêts à manger » et « présentés comme un gain de temps », rappelle Natacha Cingotti, de l’ONG Foodwatch, qui milite pour le droit à se voir proposer des aliments de qualité.
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Pourquoi cette alimentation pose-t-elle problème ?
La communauté scientifique s’inquiète de ses impacts sur la santé depuis une quinzaine d’années. « Si la recherche fut historiquement d’abord centrée sur le gras, le sucre, le sel, les vitamines, qui sont des paramètres très importants, on s’intéresse désormais aussi à la manière dont les aliments sont transformés, aux ingrédients qui sont ajoutés lors de leur formulation industrielle, et aux contaminants qui peuvent venir des modes de production (les pesticides), de transformation et des emballages », explique l’épidémiologiste Mathilde Touvier.
Plusieurs types d’études scientifiques complémentaires sont menées autour des AUT :
- les grandes études épidémiologiques qui s’intéressent aux liens entre la consommation de ces aliments et des événements de santé. En France, la cohorte Nutrinet-santé permet ainsi de suivre sur le long terme le mode de vie, le régime alimentaire et l’état de santé de plus de 180 000 personnes depuis la fin des années 2010. C’est la première au monde à avoir recherché et observé des liens entre les AUT et des risques de maladies (et il est toujours possible pour les citoyens d’y participer).
- les essais contrôlés randomisés qui permettent de tester à court terme l’impact de l’exposition aux AUT sur des marqueurs précoces de santé (variation de poids, cholestérol sanguin). Ils ne durent que quelques semaines, pour ne pas mettre en danger la santé des participants, mais fournissent de précieux renseignements sur les mécanismes impliqués.
- les études expérimentales, qui portent par exemple sur les impacts sur la santé d’un additif particulier, d’un cocktail d’additifs ou encore de contaminants alimentaires.
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Depuis 2015, plusieurs études montrent ainsi l’impact très négatif de certains additifs emblématiques des AUT, tels que les émulsifiants, sur le microbiote intestinal (composé de microorganismes qui ont un rôle bénéfique pour la santé en nous protégeant de mauvaises bactéries, en nous aidant à digérer, à réguler nos humeurs, etc.). Ce dernier « tolère mal ces additifs et devient en réaction agressif en se retournant contre notre intestin », explique Benoit Chassaing, directeur de recherche à l’Inserm. « Mais tous les additifs n’agissent pas de la même manière, insiste le biologiste, à la tête d’une équipe de recherche en microbiologie à l’Institut Pasteur qui a réalisé plusieurs études-clés. Certains pourraient être complètement inoffensifs, ce qui est une bonne nouvelle puisque nous sommes chaque jour exposés à des dizaines d’entre eux. »
Quels risques pour la santé ont été identifiés ?
Le lien entre la consommation d’AUT et le risque de développer certaines maladies est donc désormais attesté par de nombreuses études. Parmi les pathologies identifiées avec la plus grande densité de preuves, on peut citer :
- le risque de surpoids et d’obésité ;
- les maladies cardiovasculaires ;
- le diabète de type 2 ;
- les symptômes dépressifs.
La densité de preuves est à ce jour moins grande sur les risques posés par les AUT en matière de cancers, de déclin cognitif ou de santé dermatologique, même si plusieurs études pointent des liens.
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Mais alors pourquoi restent-ils sur le marché ?
Rien n’interdit les aliments ultratransformés en tant que catégorie d’aliments. D’ailleurs, il n’existe à ce stade aucune définition légale pour les regrouper dans la réglementation en Europe.
En revanche, les substances qui les composent nécessitent une autorisation européenne, accordée après une évaluation de leurs effets. L’Union européenne autorise ainsi quelque 330 additifs pour l’alimentation conventionnelle et une cinquantaine en label bio. « Mais l’évaluation de ces substances est en grande partie basée sur des études fournies par les entreprises, qui prennent rarement en compte notre exposition simultanée à un mélange d’additifs », regrette Natacha Cingotti, de l’ONG Foodwatch. Elle pointe en outre le fait qu’une partie importante des autorisations accordées n’ont pas de date butoir et qu’elles sont très rarement révoquées, « surtout dans un contexte de manque de moyens au sein de l’Autorité européenne de sûreté alimentaire ».
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Comment s’y retrouver ?
Actuellement, il n’existe pas encore d’initiative des pouvoirs publics pour faire figurer le niveau de transformation des aliments sur les emballages, sur le modèle du Nutri-Score pour leur valeur nutritionnelle.
Le Programme national nutrition santé et son site officiel mangerbouger.fr préconisent toutefois de privilégier les aliments ayant le moins possible de marqueurs d’ultra-transformation. Une quinzaine de pays ont ainsi intégré dans leurs recommandations nutritionnelles officielles le fait de limiter les AUT.
A défaut d’affichage clair sur les emballages, la base de données participative et en libre accès Open Food Facts mène ce travail d’information grand public. Y sont recensés plus d’un million de produits alimentaires accompagnés d’une série d’indicateurs dès qu’ils sont disponibles : le Nutri-Score, le niveau de transformation suivant l’échelle Nova, la liste d’additifs, ou encore l’impact environnemental de l’aliment. Chacun peut accéder et contribuer à cette base de données en scannant, à l’aide de l’application éponyme, le code-barres de produits alimentaires.