Le PS propose une version très allégée de la taxe Zucman qui épargnerait les milliardaires

Taxe sur les ultrariches : le pari bancal du Parti socialiste

Brandissant la menace de la censure, le PS a obtenu une petite concession du gouvernement sur l’imposition des grands groupes. Il propose désormais une version très allégée de la taxe Zucman qui épargnerait les milliardaires. Pas de quoi changer le caractère profondément injuste du projet de budget 2026. 

Mathias Thépot et Pauline Graulle

27 octobre 2025 à 20h54 https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/271025/taxe-sur-les-ultrariches-le-pari-bancal-du-parti-socialiste?utm_source=quotidienne-20251027-201443&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20251027-201443&M_BT=115359655566

Chaque jour depuis le début des débats budgétaires, le Parti socialiste (PS) agite la menace de censurer le gouvernement de Sébastien Lecornu s’il ne lui accorde pas des concessions sur la taxation des ultrariches et des grands groupes. Pour rappel, sachant que le Rassemblement national (RN) et le reste de la gauche se sont déjà prononcés en faveur d’une censure, il suffirait mathématiquement des voix du PS pour faire voter à tout moment une motion qui renverserait le gouvernement.

Sur le fond, les socialistes ont donné leurs conditions : si le gouvernement ne trouve pas 15 milliards d’euros de recettes fiscales sur les ultrariches et les grands groupes en 2026, il censurera. Première étape ce lundi 27 octobre, où la surtaxe concernant l’impôt sur les bénéfices des sociétés réalisant entre 1 et 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires était en discussion.

Le gouvernement proposait dans l’article 4 de son projet de loi de finances pour 2026 de réduire de moitié la surtaxe exceptionnelle qui s’est appliquée en 2025, en faisant passer son rendement pour les caisses de l’État de 8 milliards d’euros en 2025 à seulement 4 milliards d’euros en 2026.

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Les députés socialistes lors d’un débat sur le budget du gouvernement, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 25 octobre 2025.  © Alain Jocard / AFP

Après d’âpres débats dans l’hémicycle – et une pression constante exercée par les député·es du PS –, la baisse de la surtaxe en 2026 a été réduite de 4 à 2 milliards d’euros par un amendement déposé en cours de séance par le gouvernement. Un amendement voté par la gauche dans son ensemble – des Insoumis aux socialistes, en passant par les communistes et les écologistes –, mais pas par le bloc central, qui s’est abstenu, alors que la droite et l’extrême droite ont voté contre.

Petite victoire pour la gauche

Ainsi, concrètement, si le budget était voté en l’état, le taux d’impôt sur les bénéfices déclarés en France par les groupes réalisant plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires baisserait de 35 % en 2025 à 32,5 % en 2026, alors que le projet de budget 2026 prévoyait de l’abaisser de manière plus prononcée à 30 %.

En outre, il faut dire que les forces de gauche ont accepté d’épargner les entreprises réalisant entre 1 et 3 milliards d’euros de chiffres d’affaires : en l’état, le taux d’impôt sur les bénéfices les concernant passerait de 30 % en 2025 à 26,25 % en 2026, alors que le projet de budget proposait de baisser de manière moins prononcée cette surtaxe à 27,5 %.

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Globalement, c’est tout de même une petite victoire pour la gauche. « On prend », a déclaré le député socialiste Laurent Baumel salle des Quatre-Colonnes après le vote de l’amendement. Même si on est encore bien loin des 15 milliards d’euros espérés par son parti. 

« Le compte n’y est pas encore sur les dépenses fiscales. Néanmoins, nous pouvons considérer que cette concession du gouvernement est l’effet de notre exigence », s’est pour sa part félicité Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée. « Nous ne sommes pas encore au bout et nous disons au bloc central qu’il faudra aller plus loin, notamment sur la taxation des milliardaires, dont on ne peut pas accepter qu’ils soient proportionnellement moins imposés que les boulangers », a-t-il cependant rappelé.

La taxation des milliardaires : c’est là le prochain point d’achoppement des débats dans l’hémicycle. Elle devrait être discutée mercredi 29 octobre. Jusqu’ici, la gauche brandissait à l’unisson la proposition de taxe dite « Zucman » – du nom de l’économiste qui en a eu l’idée –, qui pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros par an aux caisses de l’État. Une taxe qui a déjà fait l’objet d’une proposition de loi votée en première lecture à l’Assemblée nationale avec les voix de la gauche – dont celles du PS –, mais qui a ensuite été rejetée au Sénat avec les voix de la droite.

Cette taxe, qui propose d’appliquer un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, fait ainsi l’objet d’un amendement au projet de loi de finances 2026 déposé par la députée du groupe écologiste et social Éva Sas. Celle-là même qui avait porté la proposition de loi Zucman en début d’année 2025. 

Mais face à la fronde généralisée – du bloc central à l’extrême droite – contre le principe d’une telle taxe, le PS a eu l’idée, via un autre amendement, d’une contre-proposition de taxe allégée qui pourrait rapporter, selon son chiffrage, entre 5 et 7 milliards d’euros.

Elle consisterait concrètement à augmenter le taux de la taxe à 3 % et à baisser le seuil à 10 millions d’euros de patrimoine. Mais, en contrepartie, pour exonérer les entreprises dites « familiales », elle exclurait de son champ les actionnaires détenant plus de 50 % des titres de leur entreprise, ainsi que les propriétaires d’entreprises dites « innovantes ». 

Bolloré et Arnault épargnés 

Problème : en introduisant des exceptions, le PS joue sur un terrain glissant. L’économiste Gabriel Zucman n’a d’ailleurs pas tardé à le démontrer sur son compte X. Selon lui, dans la contre-proposition du Parti socialiste, « une grande partie du patrimoine des ultrariches est d’emblée sortie du dispositif. Par exemple, Vincent Bolloré possède 70 % du groupe Bolloré : il ne serait donc pas taxé ».

Par ailleurs, le taux de 50 % de détention permettra des ajustements rapides pour éviter l’impôt. « Par exemple, Bernard Arnault possède avec sa famille actuellement 48,2 % de LVMH : on pourrait donc penser qu’il serait imposé, ce qui alourdirait sa facture fiscale de 4,5 milliards d’euros environ, détaille Zucman. Mais en réalité il pourrait aisément échapper à ce nouvel impôt : en rachetant 2 % de LVMH, il dépasserait le seuil fatidique de 50 %. Et c’est 4,5 milliards d’euros de recettes fiscales qui ainsi s’évaporeraient. »

En d’autres termes, « créer des exonérations, c’est lancer la machine à optimisation qui lamine le rendement budgétaire », assène l’économiste. Le rendement espéré par le PS est donc loin d’être acquis.

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Par ailleurs, l’exonération des entreprises « innovantes » dans la contre-proposition du PS est aussi sujette à questionnement. Elle répond aux arguments des macronistes et de la droite qui estiment que les propriétaires des entreprises françaises du secteur du numérique, comme Mistral AI, ne pourraient pas s’acquitter de la taxe Zucman, car la valeur de leur société serait beaucoup trop élevée au regard de leurs revenus réels.

Un argument que cet expert en fiscalité, qui témoigne anonymement, a du mal à comprendre : « On nous rejoue le syndrome du retraité de l’île de Ré qui n’avait pas les moyens de payer son l’ISF car la valeur de sa résidence secondaire s’était appréciée malgré lui, dit-il. Or ce n’est pas le cas pour la taxe Zucman : les ménages très fortunés en patrimoine ont le plus souvent de la trésorerie dans leurs holdings personnelles, ou peuvent faire des levées de dette en mettant en garantie les titres de leurs sociétés. Ils ont toujours in fine la capacité de s’acquitter de leurs impôts, que ce soit sur les successions, le revenu ou le patrimoine. »

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De passage à l’Assemblée nationale en septembre, le « prix Nobel d’économie » Joseph Stiglitz, qui répondait aux critiques disant que les contribuables concerné·es ne pourraient pas s’acquitter de la taxe Zucman faute de liquidités disponibles, allait dans le même sens : « Il n’y a aucune preuve pour appuyer cette idée. Si vous avez des centaines de millions ou même des milliards à votre disposition, vous pouvez tout à fait convertir une partie de cette richesse en liquidités et payer 2 % d’impôts. »

Bref, en cédant aux injonctions de la droite et du bloc central, le PS montre qu’il n’est en fait pas réellement convaincu par la taxe Zucman, et risque de participer à la vider intégralement de sa substance. La gauche l’avait érigée en totem, oubliant peut-être d’en faire de même avec d’autres sujets tout aussi importants, tels que le réinvestissement dans les services publics, la préservation du modèle social ou la transition écologique.

Car, pour l’heure, le budget en cours de construction devrait épargner assez largement les ultrariches et les grands groupes, et imposera certainement l’austérité à la santé, ainsi qu’un coup de rabot dans les services publics et les aides sociales.

Mathias Thépot et Pauline Graulle

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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