90% ou plus de dépassements en secteur privé lucratif

Les dépassements d’honoraires.
Pratiques des médecins, part dans leurs revenus et impacts pour les patients

Legal R.Vincent R.Bonal M. (Irdes). En collaboration avec le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (Hcaam)

Rapport n° 596 – Octobre 2025 – 130 pages – Prix : 30 €

https://www.irdes.fr/recherche/rapports/596-les-depassements-d-honoraires-pratiques-des-medecins-part-dans-leurs-revenus-et-impacts-pour-les-patients.pdf

Résumé

Les dépassements d’honoraires des médecins sont aussi anciens que l’Assurance maladie. Pour autant, c’est réellement avec la convention médicale de 1980, qui crée le secteur 2, que ces dépassements connaissent véritablement leur essor. Leur montant n’a cessé de progresser depuis, pour atteindre 4,5 milliards d’euros en 2024. Parmi les médecins spécialistes libéraux, plus d’un sur deux exerce en secteur 2 en 2024 et cette proportion est amenée à croître à l’avenir, compte tenu de l’attrait pour le secteur 2 des nouvelles générations de médecins.

Pour les professionnels, les dépassements d’honoraires apportent des compléments de revenus importants, mais génèrent des disparités de revenus avec les médecins de secteur 1.

Par ailleurs, les dépassements d’honoraires peuvent conduire les médecins à réduire leur activité, et donc la quantité totale de soins délivrés.

Pour les assurés, les dépassements peuvent potentiellement alourdir significativement les restes à charge, notamment pour ceux ayant une faible couverture complémentaire et de faibles ressources financières. Pour autant, il n’est pas toujours possible de les éviter :

dans certaines zones géographiques, il n’existe plus d’offre en secteur 1, ce qui conduit à supporter inéluctablement des dépassements en cas de recours aux spécialistes.


Pour éclairer ces questions, l’Irdes a réalisé plusieurs travaux, avec le soutien financier du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (Hcaam), regroupés dans ce rapport.

La première étude met en évidence une forte hétérogénéité des pratiques de dépassements d’honoraires entre les médecins d’une même spécialité.

Pour de nombreuses spécialités, pratiquer des dépassements plus élevés permet d’augmenter les revenus tout en réalisant moins d’actes. De forts effets d’âge dans les niveaux de dépassements pratiqués sont également mis en évidence, mais sans effets de générations marqués.

La deuxième étude analyse, pour les médecins de secteur 2 et dans chaque spécialité, la part des revenus issue des dépassements d’honoraires, la contribution des dépassements aux écarts de revenus entre secteurs et à la progression du revenu moyen entre 2005 et 2021.

Les résultats sont fortement contrastés entre les spécialités.

La troisième analyse, pour quatre épisodes de soins, les montants atteints par les dépassements lorsqu’ils se cumulent sur plusieurs actes et médecins au cours d’un épisode de soins. Elle montre que les dépassements sont fréquents, et que leurs montants cumulés peuvent être conséquents pour les patients.

Dans certains départements, les patients des communes défavorisées non protégés par la Complémentaire santé solidaire (C2S) sont confrontés à des dépassements fréquents et élevés.

La quatrième étude porte sur une sélection de 14 actes techniques et montre que la concentration des dépassements chez les patients des communes les plus favorisées est plus ou moins importante selon les actes, et d’autant plus marquée que l’offre à tarif opposable est importante.

Enfin, la dernière étude explore, sur le même champ, la question du « tact et mesure ». L’approche utilisée appelle des travaux complémentaires, mais

les résultats semblent indiquer que la modulation des tarifs en fonction des caractéristiques sociales des patients est peu répandue.

Extraits

Les revenus tirés des dépassements représentent un poids du revenu libéral très variable selon les spécialités

Sous l’hypothèse où les dépassements supportent les charges au prorata de leur poids dans l’ensemble des honoraires, chez les spécialistes de secteur 2, les revenus tirés des dépassements représentent un poids du revenu libéral très variable selon les spécialités (Graphique 1). Ainsi, les dépassements représentent : • près de 40 % du revenu libéral pour les psychiatres et neuropsychiatres • près d’un tiers pour les chirurgiens, gynécologues, dermatologues, ophtalmologues, anesthésistes-réanimateurs, pédiatres, rhumatologues et radiologues • un quart pour les radiologues et les gastro-entérologues • 16 % pour les cardiologues • 5 % pour les radiothérapeutes

Évidemment, les écarts sont marqués entre les médecins adhérents à l’Optam et les non-Optam, le poids des dépassements dans le revenu libéral étant sensiblement plus élevé pour les non-Optam, et ce, quelle que soit la spécialité (Graphique 2).

Le revenu libéral des médecins de secteur 2 est jusqu’à 40 % plus élevé environ en moyenne que celui des médecins de secteur 1 pour les ophtalmologues, les gynécologuesobstétriciens ou les chirurgiens (Graphique 4). Pour quelques spécialités, l’écart joue en sens inverse. Cela résulte soit d’un moindre volume d’activité des médecins en secteur 2, soit d’un effet de composition générationnel (pour cette spécialité, le secteur 2 est récent, si bien que les médecins en secteur 2 sont beaucoup plus jeunes). Enfin, il existe un certain nombre de spécialités pour lesquelles les revenus sont sensiblement équivalents (à 5 % près). C’est le cas des oncologues médicaux, des gastro-entérologues, des rhumatologues, des cardiologues, des psychiatres et neuropsychiatres, et des radiologues (Graphique 4).

Les dépassements d’honoraires creusent l’écart du revenu libéral moyen entre médecins de secteur 2 et de secteur 1, avec une ampleur plus ou moins forte selon les spécialités

De façon globale, pour l’ensemble des spécialités, on observe, comme attendu, que les charges des médecins du secteur 2 sont toujours plus élevées que celles des secteur 1, quelle que soit la spécialité. Par conséquent, les charges tirent systématiquement à la baisse l’écart de revenus entre les médecins du secteur 2 relativement à ceux du secteur 1. Les dépassements d’honoraires tirent à la hausse l’écart entre secteur 2 et secteur 1, dans une ampleur toutefois très variable selon les spécialités. Pour les ophtalmologues, les gynécologues ou les chirurgiens, ils permettent toutes choses égales par ailleurs de majorer en moyenne de 50 % les revenus libéraux des médecins du secteur 2 par rapport au secteur 1. Inversement, pour certaines spécialités pour lesquelles les secteur 2 ont des faibles taux de dépassements, comme les radiothérapeutes, les médecins nucléaires ou les anatomo-cytopathologistes, les dépassements contribuent très peu à l’écart de revenus entre secteur 2 et secteur 1, de l’ordre de quelques points de pourcentage seulement.

Pour certaines spécialités, l’augmentation des charges entre 2005 et 2021 l’a emporté sur l’augmentation des dépassements

Le tableau 3 présente les résultats détaillés de la décomposition pour chaque spécialité. Les spécialités y sont classées par ordre croissant de la valeur de la contribution des dépassements à l’évolution du revenu moyen d’activité entre 2005 et 2021, des anatomo-cyto-pathologistes (en haut du tableau) aux ophtalmologues (en bas du tableau).

Pour comprendre comment opère la décomposition, considérons le cas des psychiatres et neuropsychiatres. Pour cette spécialité, le montant moyen des dépassements par médecin de secteur 2 a augmenté en euros constants entre 2005 et 2021, contribuant à augmenter le revenu moyen d’activité de ces médecins de 5 points de pourcentage, toutes choses égales par ailleurs. Les honoraires opposables ont aussi augmenté, contribuant à accroître le revenu moyen d’activité de 3 points de pourcentage entre les deux dates, toutes choses égales par ailleurs. Mais ces effets haussiers n’ont pas suffi à compenser les effets baissiers sur le revenu induits par la baisse du revenu moyen d’activité4 et l’augmentation des charges sur la période5 . Par conséquent, le revenu d’activité moyen des psychiatres et neuropsychiatres de secteur 2 est plus faible de 8 % (en euros constants) en 2021 par rapport à 2005.

La contribution de l’évolution des honoraires opposables (en euros constants) à l’évolution du revenu d’activité moyen entre 2005 et 2021 est toujours positive, quelle que soit la spécialité considérée. Pour une spécialité donnée, une augmentation du montant moyen des honoraires opposables en euros constants peut tenir à plusieurs facteurs éventuellement cumulables : une augmentation de l’activité, une orientation de l’activité vers des actes mieux rémunérés, l’apparition de nouveaux actes plus rémunérateurs, et une augmentation des tarifs conventionnels. L’effet haussier sur le revenu moyen d’activité de l’augmentation des honoraires opposables est toutefois d’ampleur très inégale selon les spécialités : nul pour les radiologues et très élevé pour les radiothérapeutes6 .

La contribution de l’évolution des charges à l’évolution du revenu d’activité moyen entre 2005 et 2021 est toujours négative, quelle que soit la spécialité considérée. L’effet baissier sur le revenu moyen d’activité de l’augmentation des charges est toutefois d’ampleur très inégale selon les spécialités : de – 6 points de pourcentage environ pour les pneumologues ou les dermatologues, à 30 points pour les ophtalmologues, les radiothérapeutes ou les anatomo-cyto-pathologistes.

Pour les chirurgiens, les radiologues, les anesthésistes-réanimateurs et les psychiatres et neuropsychiatres, les résultats indiquent que l’augmentation des charges entre 2005 et 2021 l’a emporté sur l’augmentation des dépassements, si bien que pour ces spécialités, le revenu d’activité moyen a baissé sur cette période.

Conclusion première partie:

La part du revenu libéral issue des dépassements varie fortement entre les spécialités et selon que le médecin est adhérent ou non à l’Optam, les adhérents ayant des dépassements plus faibles que les non-adhérents, et donc une part moindre du revenu libéral issue des dépassements.

Quelle que soit la spécialité analysée, la contribution des dépassements aux écarts de revenus entre médecins de secteur 2 et de secteur 1 est importante, toutes choses égales par ailleurs.

Aussi, pour la grande majorité des spécialités, le revenu libéral moyen des médecins de secteur 2 est sensiblement plus élevé que celui des médecins de secteur 1.

Néanmoins, pour certaines spécialités, les charges plus importantes et parfois les volumes d’activité sensiblement plus faibles des médecins de secteur 2, gomment le surcroît de revenu libéral fourni par les dépassements.

Pour certaines spécialités, ces effets l’emportent même, de telle sorte que les médecins de secteur 2 ont alors des revenus plus faibles que leurs confrères de secteur 1.

L’augmentation des dépassements entre 2005 et 2021 a tiré à la hausse les revenus d’activité des médecins de secteur 2, et ce pour chacune des spécialités étudiées. Toutefois, pour certaines d’entre elles (Psychiatres, Radiologues, Isotopiques, Anatomopathologie, Pneumologues), compte tenu de l’évolution des charges à l’œuvre dans le même temps, cette hausse n’a pas suffi à assurer en moyenne une augmentation de leur revenu d’activité entre 2005 et 2021.

Des dépassements très fréquents (90% ou plus) pour les patients hospitalisés dans le secteur privé, mais qui existent aussi en amont et en aval de l’hospitalisation pour les patients hospitalisés dans le secteur public 

Les patients hospitalisés dans le secteur public (hors activité libérale des praticiens hospitaliers) ne peuvent pas payer de dépassements au cours de leur hospitalisation.

En revanche, dans la mesure où les médecins des cliniques privées sont très majoritairement libéraux, un patient pris en charge par un médecin de secteur 2 dans ce type d’établissements pourra se voir facturer des dépassements d’honoraires.

La part de patients confrontés à un dépassement au cours de leur EDS est donc par construction plus importante chez les patients hospitalisés dans le secteur privé : de l’ordre de 80 % pour l’EDS associé à une coloscopie, à 90 % et plus pour les trois autres EDS, contre 30 % à 40 % selon les EDS des patients hospitalisés dans le secteur public (Graphique 2).

Ces écarts de proportions entre secteurs public et privé s’accompagnent d’écarts sur les montants cumulés moyens des dépassements (sachant que dans le public, s’il y a dépassement, celui-ci ne peut intervenir qu’en amont ou en aval de l’hospitalisation). Selon les EDS, ces dépassements varient de 60 à 115 euros pour les patients hospitalisés dans le public, contre 175 à 800 euros pour ceux hospitalisés dans le privé (dans ce cas, les dépassements sont réalisés sur l’ensemble de l’EDS : amont de l’hospitalisation, hospitalisation et aval de l’hospitalisation) [Graphique 2].

Quand un dépassement est pratiqué sur l’acte principal, il représente alors une part prédominante dans le montant cumulé de dépassements réalisés lors de l’épisode de soins

En cas d’hospitalisation dans le privé, la probabilité de payer un dépassement d’honoraires sur l’acte principal est élevée : 46 % pour l’accouchement, 71 % pour la cataracte, 87 % pour la prothèse totale de hanche et 34 % pour la coloscopie. A contrario, cette probabilité est, de fait, nulle dans le public, sauf lorsque la prise en charge relève de l’activité libérale du praticien hospitalier.

Dans ce cas, les dépassements sont, à l’exception de l’accouchement (51 %), moins fréquents qu’en clinique privée : 50 % pour la cataracte, 42 % pour la prothèse totale de hanche et 11 % pour la coloscopie. En revanche, leurs montants sont plus élevés qu’en clinique privée : 450 euros contre 425 euros pour l’accouchement, 350 euros contre 235 euros pour la cataracte, 745 euros contre 590 euros pour la prothèse totale de hanche et 210 euros contre 130 euros pour la coloscopie.

Toutefois, compte tenu de la faible part des actes principaux réalisés dans le public, qui relèvent de l’activité libérale, (0,4 % des accouchements, 6,2 % des cataractes, 7,2 % des prothèses totales de hanche et 4,5 % des coloscopies), il convient de nuancer ce constat. Ainsi, sur la totalité des hospitalisations réalisées dans le public, la fréquence des dépassements sur l’acte principal (due à l’activité libérale des praticiens hospitaliers) reste extrêmement faible et concerne 0,2 % des patients pour l’accouchement, 3,1 % pour la cataracte, 3,1 % pour la prothèse totale de hanche et 0,5 % pour la coloscopie.

Des territoires où les patients défavorisés, non protégés par la C2S, sont néanmoins confrontés à des dépassements fréquents et élevés

Dans cette section, l’analyse se centre sur les patients des communes les plus défavorisées [appartenant au premier quintile de l’Indice français de désavantage social (Fdep)] et sur les disparités départementales de leur exposition aux dépassements, à la fois en proportion et en montants. Il s’agit de voir s’il existe des départements dans lesquels les populations défavorisées, non protégées par la C2S, sont soumises à des niveaux importants de dépassements. Les résultats font apparaître de forts contrastes entre les départements, à la fois dans les proportions de patients exposés à des dépassements lors de l’EDS et dans les montants, lorsqu’un dépassement ou plus ont été facturés (6) . C’est en région parisienne, en région lyonnaise, en Alsace et sur la côte d’Azur que l’exposition est la plus forte (Cartes 1, 2 et 3).

Dans certains départements, l’exposition aux dépassements est particulièrement importante. Ainsi, dans le Bas-Rhin, près de 9 patients sur 10 ayant été opérés pour une prothèse totale de hanche ont payé des dépassements au cours de leur EDS, pour un montant avoisinant les 1 000 euros en moyenne (Carte 2). De même, dans les Alpes-Maritimes, cela a été le cas pour la moitié des patientes ayant accouché en 2021, pour un montant avoisinant les 500 euros en moyenne (Carte 2).

Comment les dépassements d’honoraires sont-ils distribués selon les patients ? 

L’approche en montant est intéressante, puisqu’elle permet d’appréhender la somme non prise en charge par la Sécurité sociale, et donc à la charge du patient avant intervention éventuelle de son assurance complémentaire santé. Pour autant, si l’objectif vise plutôt à comparer les pratiques de dépassements entre les actes, l’approche en taux de dépassements – consistant à rapporter le montant du dépassement à la base de remboursement de l’acte par l’Assurance maladie – est plus adaptée. Elle offre un autre regard que l’approche en montant, et conduit parfois même à inverser les résultats. C’est le cas pour les deux exemples précédents : le taux moyen de dépassements est de 168 % pour la conisation du col de l’utérus contre 103 % pour la prostatectomie (Tableau 2).

Un poids de l’hôpital public variable selon les actes

La structure de l’offre varie très largement entre les 14 actes étudiés. Ainsi, près de 80 % des accouchements par voie naturelle et 70 % des césariennes programmées sont réalisés à l’hôpital public. Inversement, les opérations des ligaments croisés ou l’extraction des quatre dents de sagesse sont réalisées à plus de 80 % en libéral (Graphique 3). Au regard du poids de l’hôpital public versus secteur libéral, trois groupes d’actes se dégagent : les trois actes d’accouchement réalisés très majoritairement à l’hôpital public ; la conisation du col de l’utérus et la prothèse totale de hanche, réalisées environ à parts égales à l’hôpital public et en libéral ; tous les autres actes, réalisés majoritairement – à plus de deux tiers – en libéral (Graphique 3).

Les dépassements sont d’autant plus concentrés chez les habitants des communes les plus favorisées que l’offre de secteur 1 a un poids important dans l’offre totale – secteurs 1 et 2 confondus – au niveau national (Graphique 4).

Analyses territorialisées

Les dépassements sont d’autant plus concentrés chez les plus favorisés que l’offre de secteur 2 se concentre dans les départements les plus riches Selon les actes, la pratique des dépassements d’honoraires peut être répandue sur l’ensemble du territoire, ou au contraire concentrée dans certains départements. Par exemple, pour l’accouchement par voie naturelle, les dépassements sont rares (seulement 10 % des actes donnent lieu à dépassement, Tableau 2) et dans un nombre élevé de départements, cet acte est pratiqué sans dépassement (Carte 4).

À l’inverse, pour la sleeve gastrectomie, les dépassements sont fréquents (58 % des actes donnent lieu à dépassement, Tableau 5), si bien que les départements dans lesquels l’acte ne donne jamais lieu à dépassement sont moins nombreux que pour l’accouchement par voie naturelle. Dans les départements où la pratique des dépassements existe, ces derniers y sont plus fréquents et plus élevés que dans le cas de l’accouchement (Cartes 4 et 2). Des analyses complémentaires (non présentées ici) montrent que dans un département donné, les dépassements sont d’autant plus fréquents et importants que le niveau de vie des habitants du département est élevé

Sur l’ensemble des 14 actes, quelle relation existe entre le niveau de concentration spatiale des dépassements et le degré de concentration « sociale » des dépassements chez les patients les plus aisés ?

Les pratiques de dépassements ayant tendance à être plus importantes dans les départements où le niveau de vie des habitants est élevé, conformément à ce qui est attendu, plus l’offre de secteur 2 est concentrée – par conséquent dans les départements riches –, plus les dépassements sont concentrés chez les plus favorisés 

Si les patients les moins favorisés sont moins confrontés aux dépassements, c’est en premier lieu parce qu’ils résident dans des départements où existe une offre à tarif opposable suffisante

L’analyse précédente montre l’importance des effets de localisation des fournisseurs de soins dans la concentration « sociale » des dépassements chez les patients les plus aisés. Mais le fait que ces derniers vivent en général dans des territoires où les dépassements d’honoraires sont plus répandus n’est pas le seul facteur susceptible d’expliquer pourquoi ils paient davantage de dépassements que les patients moins favorisés. En effet, à offre donnée, il est attendu que les patients les plus favorisés aient des modes de recours aux soins différents, dans le sens où ils sont plus susceptibles de consulter des médecins de secteur 2, et le cas échéant, de consulter des médecins réalisant des dépassements importants. Ces deux autres facteurs peuvent aussi contribuer à la concentration sociale des dépassements.

Les résultats montrent que le poids de chacun des facteurs est variable selon les 14 actes, mais que les effets de localisation sont toujours prépondérants : ils expliquent entre 63 % et 80 % de l’indice de concentration, selon les actes. La concentration « sociale » des dépassements s’explique ensuite par la propension plus forte des plus aisés à recourir aux médecins de secteur 2 (entre 8 % et 26 % des indices de concentration, selon les actes) ; les effets de recours différenciés aux médecins de secteur 2 n’intervenant qu’en troisième position (entre 3 % et 24 %).

Finalement, nos analyses montrent que si les patients les moins favorisés sont moins confrontés aux dépassements, c’est surtout parce qu’ils résident dans des départements où existe une offre à tarif opposable suffisante, et moins parce qu’ils s’orientent mieux dans le système ou que les praticiens les appréhendent différemment.

Conclusion

Cette analyse originale sur une sélection de 14 actes techniques fréquents réalisée en mobilisant les données du Système national des données de santé (SNDS) vient enrichir la connaissance sur les dépassements d’honoraires et leur impact sur les patients.

Elle complète utilement le corpus de travaux portant sur la caractérisation des patients qui supportent les dépassements. Plusieurs enseignements peuvent être retirés de cette étude.

En premier lieu,

l’importance des dépassements est très variable selon les actes. Par exemple, seuls 10 % des accouchements par voie naturelle font l’objet de dépassements d’honoraires, alors que ceux-ci concernent 70 % des opérations des ligaments croisés : les dépassements sont donc sept fois plus fréquents dans ce second cas.

Ces écarts, très importants d’un acte à l’autre, sont à relier aux disparités d’offre, notamment au poids plus ou moins élevé de l’hôpital public dans la fourniture de l’acte. Ainsi, pour reprendre les exemples précédents, 78 % des accouchements par voie naturelle sont réalisés à l’hôpital publichors activité libérale des professionnels hospitaliers –, contre 18 % des opérations des ligaments croisés.

En deuxième lieu,

la concentration des dépassements d’honoraires chez les patients des communes les plus favorisées est elle aussi très variable selon les actes. Les valeurs des indices de concentration mesurant la concentration « sociale » des dépassements chez les habitants des communes les plus favorisées vont de 0,09 pour la sleeve gastrectomie à 0,40 pour l’accouchement par césarienne programmée, soit des écarts de 1 à 4. Ces écarts sont à relier au résultat précédent : les dépassements sont d’autant plus concentrés chez les patients des communes les plus favorisées que le poids de l’offre à tarif opposable est important.

En troisième lieu,

Les analyses territoriales menées au niveau départemental montrent que les dépassements sont d’autant plus concentrés chez les habitants des communes plus favorisées que l’offre de secteur 2 se concentre dans les départements les plus riches.

Enfin,

l’importance des effets de localisation des médecins de secteur 2 dans la concentration « sociale » des dépassements est confirmée par une analyse originale en décomposition. Celle-ci démontre sans ambiguïté que si les habitants des communes les moins favorisées non protégés par la C2S sont moins confrontés aux dépassements, c’est surtout parce qu’ils résident dans des départements où il y a une offre à tarif opposable suffisante, et moins parce qu’ils s’orientent mieux dans le système ou que les praticiens les appréhendent différemment.

Il conviendra de prolonger ces travaux, notamment en affinant la décomposition mise en œuvre. Il serait notamment intéressant d’isoler le fait que lorsqu’ils recourent à un médecin de secteur 2, les habitants des communes les moins favorisées ont des dépassements moins élevés (troisième terme de la décomposition), ce qui tient à un recours différencié de ces patients aux médecins ayant adhéré à l’Optam, ou aux comportements de différenciation tarifaire des médecins (le « tact et mesure »).

En définitive, nos résultats soulignent les enjeux d’accessibilité financière dans les territoires, notamment les plus défavorisés socialement. Ils démontrent le fait que si l’on souhaite que les dépassements soient moins élevés, il importe de garantir une offre à tarif opposable sur l’ensemble du territoire. De ce point de vue, les travaux de zonage réalisés par l’Irdes à partir de trois spécialités (cardiologues, dermatologues et ophtalmologues) seront précieux pour poser des diagnostics précis sur l’accessibilité financière à la médecine spécialisée dans les territoires à un niveau géographique fin.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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