L’émergence dans LFI de « profils inquiétants » liés au frérisme et à une faible considération pour les combats des travailleurs entraînent la démission d’un conseiller régional du Nord.

Entretien. Entrisme islamiste et mépris de classe… Un conseiller régional claque la porte de LFI

MARTIN LOMJournaliste

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Publié le 6 octobre 2025 à 14h05
Modifié le 6 octobre 2025 à 14h31 https://charliehebdo.fr/2025/10/politique/gauche/entretien-entrisme-islamiste-et-mepris-de-classe-un-conseiller-regional-claque-la-porte-de-lfi/

Figure de la lutte syndicale dans le Nord depuis plus de vingt ans, Cédric Brun a décidé de claquer la porte de La France insoumise dont il était militant depuis 2017. Conseiller régional, il justifie son choix par l’émergence de « profils inquiétants » liés au frérisme et à une faible considération du mouvement de Jean-Luc Mélenchon pour les combats des travailleurs. Entretien

Charlie Hebdo : Vous êtes secrétaire général de la CGT d’une usine importante du Nord, Stellantis à Valenciennes. Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre Jean-Luc Mélenchon en 2017 ?

Cédric Brun : L’idée de La France insoumise (LFI), c’était de mener un projet de gauche offensif après le quinquennat de François Hollande. Face à cette gauche de trahison qui avait mené à une politique ultralibérale contre les intérêts des travailleurs, je voulais être dans une gauche de rupture. Je trouvais le Parti communiste un peu rabougri et pas assez offensif. Mélenchon, lui, portait des principes de partage, de laïcité et de soutien au monde du travail dans ses revendications. Alors je les ai rejoints. On a organisé des groupes d’actions insoumis sur Denain et Valenciennes avec une vraie politique alternative en accompagnant les associations locales et les luttes syndicales. On a recruté des militants, jeunes et moins jeunes, syndicalistes, personnes issues de l’immigration pour créer, tous ensemble, du commun. Au début, tout se passait très bien.

Vous expliquez votre démission par l’arrivée de profils proches des Frères musulmans au sein du mouvement. Quand commencez-vous à vous poser des questions ?

Je suis sur le terrain depuis plus de 20 ans avec les copains de la CGT. Les gens de chez moi, je les connais. Alors quand je vois arriver chez LFI des profils qui ont manifesté contre le mariage pour tous, qui tiennent des propos antisémites, ou qui font des quenelles, je me pose des questions. À Grande-Synthe, chez ArcelorMittal, une ancienne camarade a commencé à porter des revendications communautaires en exigeant notamment du halal à la cantine. Alors que nous, avec la CGT, nous estimions que ce n’était absolument pas pertinent au regard des vrais sujets qui menacent les salariés, elle a été soutenue par des militants de LFI qui ont traité les copains de la CGT ArcelorMittal de racistes. C’est un virage.

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Vous dénoncez aussi la place prise par Soufiane Iquioussen, fils de l’imam Iquioussen désormais expulsé, au sein de LFI à Denain. Soufiane Iquioussen assure pourtant ne pas être sur la même ligne que son père. Êtes-vous sûr des accusations graves que vous portez ?

Soufiane Iquioussen mène un groupe avec Youssouf Feddal qui est très inquiétant. Ensemble, ils ont monté un groupe d’action LFI à Denain, concurrent à celui monté plusieurs années avant avec d’autres camarades. Je les connais bien puisque je suis du coin et que les personnages sont connus, ils faisaient campagne aux dernières municipales pour la maire socialiste actuelle qui s’en est depuis éloignée. Elle m’a elle-même mis en garde quand ils sont arrivés à LFI. J’ai décidé d’échanger avec un membre de leur groupe pour leur demander quelle était leur vision politique pour les prochaines municipales. Il m’a dit texto : « On fait une liste d’Arabes. » Je pensais qu’il plaisantait mais il était très sérieux. Je lui ai répondu : « Vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Ici, c’est une circo où le RN fait 57 %, et vous allez les faire grimper de 10 points ! »

Pour vous, le 7 octobre 2023 est un tournant ?

Le 7 octobre, je hurle. On est en réunion de bureau avec tous les collègues LFI de la région et je pète un câble. Je ne comprends pas pourquoi le mot de terrorisme n’est pas employé par le parti. Je leur dis : « La population ne comprendra pas, on sera inaudible. »Comment on peut enlever et assassiner des gens et nous expliquer que ce n’est pas une attaque terroriste ? J’annonce que l’on passera pour des antisémites pro-Hamas, et c’est ce qui s’est passé. On doit pouvoir parler de terrorisme tout en soutenant le peuple palestinien. Au début, j’ai cru à une simple erreur de communication. Mais pas du tout. En fait, on laisse sciemment la porte grande ouverte à des profils inquiétants. D’ailleurs, ce que j’observais avant le 7 octobre se confirme. Juste après, les revendications communautaires sont arrivées en masse.

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C’est également ce que vous constatez sur la question du lycée Averroès ?

Il y a quelques années, on disait encore qu’on défendait l’école publique et que notre rôle n’était pas de défendre les écoles privées, qu’elles soient musulmanes, catholiques ou juives. Après les attaques du 7 octobre, Averroès c’est devenu la grande lutte, le grand étendard de LFI dans le Nord et Paul Vannier s’en est emparé. Moi ça m’a sidéré. On m’a dit que je n’évoluais pas et que j’étais un vieux de la CGT anti-musulman. Ma grande ligne ça a toujours été que l’école publique est notre trésor. Pas l’école privée. D’autant que je sais très bien ce qu’est Averroès. On a tous des amis musulmans qui y ont mis leurs gamins et qui les ont retirés à cause des messages qui y sont véhiculés. D’ailleurs, La France insoumise de Denain menée par Iquioussen a organisé une soirée autour d’un film pour défendre Averroès [en accord avec le diffuseur MayaPlus, plateforme de vidéos islamiques, ndlr].

Vous êtes ouvrier, délégué de la CGT. Quelle est la place donnée aux revendications des travailleurs dans tout cela ?

On les a complètement oubliées. Dans une réunion à Paris, Jean-Luc Mélenchon nous a expliqué que, dans le Nord et le Pas-de-Calais, on ne pouvait plus rien faire pour les ouvriers et les classes populaires qui votaient à l’extrême droite. Il nous a dit de nous concentrer sur les votes des quartiers et de ne plus perdre notre temps à chercher des voix ingagnables. La lutte des classes, c’est fini. Quand j’ai osé prendre la parole pour m’opposer, tout le monde m’a regardé comme si j’étais fou. Mélenchon n’accepte pas la contradiction. Pourtant, La France insoumise est bien devenue une machine à perdre.

Au vu de votre profil, comment vivez-vous ce que vous décrivez comme un abandon des revendications des travailleurs ?

Comme beaucoup de copains, je ne m’y retrouvais plus. Quand je suis arrivé au conseil régional et que j’ai dû travailler avec les cadres de LFI à Lille et Paris, j’ai trouvé des gens qui m’ignoraient. Quand vous avez tenu des luttes, des occupations d’usine, que vous avez fait face au patronat pendant des années, que vous avez donné physiquement dans ces luttes, et que vous avez des mecs, des petits bourgeois, qui sortent de Sciences Po et qui vous expliquent la vie… C’est très particulier. Mes projets sur les entreprises et les luttes à mener, ça ne les intéressait pas ou très peu. Mais ma position à la CGT, c’était un faire-valoir pour eux. Si je n’étais pas là, on les envoyait chier sur les piquets de grève. J’ai toujours connu ces manoeuvres des partis qui tentent de récupérer les mouvements des travailleurs. La veille de mon départ, ils m’ont dit : « De toute façon, tu n’as jamais été des nôtres. Estime-toi heureux d’avoir été conseiller régional, tu n’aurais jamais dû avoir la place, tu n’avais pas le niveau. » En gros, tu n’es qu’un ouvrier, on est supérieurs à toi, on a fait des études, toi tu n’es qu’un idiot. Ce sont les paroles qui m’ont le plus blessé. On sent la haine de classe, c’est extrêmement violent. Je l’ai très mal vécu parce que j’ai compris que, que l’on soit en entreprise, en société, ou dans un groupe de gauche, quand on est un ouvrier, on reste un ouvrier. Et on nous remet à notre place d’ouvrier.

Et pourtant, vous êtes resté. Quel est l’élément déclencheur qui vous fait quitter LFI à la fin du mois dernier ?

Je ne voulais pas faire de bruit au sujet de l’entrisme islamiste parce qu’il reste des Insoumis qui font du bon boulot et que dès que vous abordez la question de l’islamisme vous êtes renvoyé à l’extrême droite. Alors, j’ai prévenu les députés du Nord que je connaissais et avec qui je travaillais [David Guiraud, Ugo Bernalicis et Aurélien Le Coq, ndlr]. J’ai demandé une réunion immédiate. J’ai vu qu’ils étaient gênés mais ils m’ont assuré qu’ils allaient s’en occuper. Pourtant, ils ne sont jamais revenus vers moi. J’ai donc décidé de prévenir le comité électoral dirigé par Paul Vannier, avec Manuel Bompard en copie, et je leur ai demandé si la ligne a changé et si ces profils doivent être intégrés. Ils m’ont répondu qu’ils ne bougeraientt pas le petit doigt. Puis, le mois dernier, Manuel Bompard s’affiche avec Youssouf Feddal lors d’un meeting à Maubeuge. Je comprends qu’ils ne prennent pas au sérieux mes alertes et que, pire, le numéro deux du parti vient adouber un profil inquiétant.

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Soufiane Iquioussen et Youssouf Feddal vont prendre les rênes de LFI pour l’élection municipale de Denain, avec un groupe insoumis concurrent de celui que vous aviez fondé en 2017. Est-ce une raison qui explique votre décision de quitter La France insoumise ?

Ce n’est pas une guerre d’ego ou de petites places. C’est une guerre de ligne politique. J’ai reçu un coup de fil du comité électoral du parti, on m’a dit : « On peut régler la situation. Tu demandes à un de tes gars d’être tête de liste et Iquioussen et sa bande on les met derrière. » Nous, on savait que la seule manière de peser c’était de discuter avec les communistes, pas de se corrompre.

Vous avez quitté La France insoumise mais vous restez conseiller régional. Que comptez-vous faire désormais ?

Je reste dans le groupe régional en indépendant. Je vais continuer à traiter les problèmes d’industrie avec le plus d’efficacité possible, tout en menant les batailles avec la CGT. Et puis en 2028, retour à l’usine. Et ce n’est pas un problème. Mais plus aucun travailleur ne sera représenté. J’étais le seul ouvrier au conseil régional. Pour moi, c’était une fierté. Pour mon parti, c’était plutôt une tare.

Propos recueillis par Martin Lom.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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