TotalEnergies est condamné par la justice pour greenwashing
Après un recours déposé par trois associations écologistes, le tribunal judiciaire de Paris a condamné le groupe jeudi 23 octobre pour pratiques commerciales trompeuses, en raison de communications mensongères sur son ambition climatique.
C’est un jugement historique. TotalEnergies a été condamné jeudi 23 octobre par le tribunal judiciaire de Paris pour avoir recouru à des pratiques commerciales trompeuses, en se présentant comme un « acteur majeur de la transition énergétique » qui vise la « neutralité carbone en 2050 ».
Cette décision fait suite à un recours déposé en mars 2022 par Les Amis de la Terre, Notre Affaire à tous et Greenpeace, qui visait à faire reconnaître par la justice que des publicités « vertes » de TotalEnergies sont synonymes de pratiques déloyales sur le fondement des articles L 121-1 et suivants du Code de la consommation.
Les trois associations ont tout particulièrement ciblé un impressionnant plan de communication de la multinationale mené depuis 2021 autour de la nouvelle dénomination du groupe Total en TotalEnergies. Les ONG estiment que ces publicités qui, à grand renfort d’images d’éoliennes, présentent auprès de millions de Français·es le groupe comme engagé dans la transition, ne sont en réalité qu’une « vaste campagne de greenwashing ».

Après une audience au fond le 5 juin dernier, la 34e chambre du tribunal judiciaire de Paris a jugé qu’en se référant dans ses communications commerciales « à la double ambition d’atteindre la neutralité carbone […] et d’être un acteur majeur de la transition énergétique », TotalEnergies a « délibérément » induit en erreur les consommateurs en leur laissant croire que, en achetant ses produits ou ses services, ils participaient « à l’émergence d’une économie à faible intensité carbone ».
Mensonges climatiques
Le tribunal, pour justifier sa décision, cite dans son jugement les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sur la nécessaire sortie des énergies fossiles pour freiner le changement climatique ou encore l’Agence internationale de l’énergie, qui recommande l’arrêt de tout nouveau projet d’exploitation fossile comme condition sine qua non à l’atteinte de la neutralité carbone.
Or, comme l’ont rappelé les ONG dans leur action en justice contre TotalEnergies, le groupe continue d’investir dans de nouvelles infrastructures pétrogazières à travers le monde. La compagnie a même prévu d’augmenter sa production de gaz fossile de un tiers d’ici à 2030. Enfin, selon les associations demanderesses, plus de 97 % de l’énergie produite par TotalEnergies en 2024 était encore issue des hydrocarbures.
TotalEnergies devra publier la décision de justice sur la page d’accueil de son site pendant six mois.
« Ce jugement souligne l’écart irréconciliable entre la réalité des activités de TotalEnergies, encore fondées sur les énergies fossiles, et sa communication. La neutralité carbone n’est pas un terme manipulable à souhait par les multinationales », a indiqué à Mediapart Juliette Renaud, coordinatrice des Amis de la Terre France.
Le tribunal a toutefois rejeté les autres demandes du trio d’associations fondées sur les allégations du pétrolier relatives au gaz fossile et aux agrocarburants. Les publicités de TotalEnergies, notamment sur les réseaux sociaux, mentionnent en effet le gaz comme une énergie nécessaire à la transition – alors que, pour sauver le climat, sa production doit baisser de 3 % par an selon les scientifiques – et les « biocarburants » comme une « alternative bas-carbone ».
« Le tribunal a considéré que la communication de TotalEnergies sur ces sujets ne visait pas directement la promotion ou la vente d’un produit ou d’un service », explique Clémentine Baldon, avocate des associations.
Une première mondiale
Concrètement, le tribunal ordonne à l’industriel de retirer de son site, dans le délai de un mois, ses messages climatiques mensongers tels que l’allégation « Notre ambition est d’être un acteur majeur de la transition énergétique tout en continuant à répondre aux besoins en énergie des populations ». Par ailleurs, le groupe devra publier sur la page d’accueil de ce même site la décision de justice, et ce durant six mois.
« Pour un pétrolier qui se présente comme un champion de la transition, c’est un revers, car le tribunal dit noir sur blanc que son ambition d’être dans le futur neutre en carbone est fausse. Ce rendu est très intéressant, car beaucoup d’entreprises se prévalent d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 dans leur communication », poursuit Clémentine Baldon.
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Contacté par Mediapart, TotalEnergies a dit prendre acte du jugement et de ses conséquences, tout en relevant que « le jugement ne vise aucune de ses campagnes publicitaires passées ou actuelles concernant ses offres d’électricité et de gaz au consommateur en France » (voir la totalité de sa réponse en annexe).
Cette condamnation s’inscrit dans la constellation des plus de 2 000 contentieux climatiques à travers le globe contre des États ou des entreprises, notamment pour écoblanchiment. Pour exemple, en 2023, le groupe avait déjà été condamné en Allemagne après avoir promu un mazout de chauffage qui serait sans impact pour le climat. Puis, l’année suivante, le régulateur sud-africain de la publicité avait jugé« trompeuse » une campagne de TotalEnergies « pour le développement durable ».
« Qu’une multinationale fossile soit condamnée par un tribunal pour sa communication globale en matière de transition énergétique est une première mondiale. À la veille de la COP30, cette décision vient mettre un bâton dans les roues de l’industrie pétrogazière qui se met en scène comme faisant partie de la solution pour sauver le climat », conclut Juliette Renaud, des Amis de la Terre France.