
Fabrice Pestel, IPA, Marion Parade, secrétariat, Aurélie Févre, IPA santé mentale, Claire Dumas, assistante médicale, et le Dr Jonathan Gonzva, généraliste (crédit photo : Fanny Napolier)
Généraliste dans un désert : « Les infirmières en pratique avancée sont la solution »
En 2021, le Dr Jonathan Gonzva s’installe dans un petit village de Dordogne avec une conviction : les infirmières en pratique avancée (IPA) sont une solution au manque de médecins. Quatre ans plus tard, dans les locaux d’une vaste maison pluridisciplinaire de santé, l’expérience semble lui donner raison.
22/10/2025 Par Fanny Napolier
« Je ne voulais pas exercer seul, encore moins en zone de désert médical« , raconte le Dr Jonathan Gonzva, médecin généraliste installé à Ribagnac, petit village de Dordogne, à quelques kilomètres au sud de Bergerac. Et il n’a effectivement pas fait les choses à moitié. Depuis un an, il consulte dans une maison de santé pluridisciplinaire de 600 m2 flambante neuve, au sein d’une Sisa* qui salarie une secrétaire et un agent d’entretien, entouré de deux autres médecins généralistes, de trois infirmiers en pratique avancée (IPA), d’une infirmière en protocoles de coopération, d’une assistante médicale mais aussi de deux kinésithérapeutes, d’une ostéopathe…
« En 2021, je suis allé voir le maire avec Fabrice Pestel, infirmier, qui était à l’époque mon assistant médical. Nous avions entendu qu’il avait un projet de maison de santé. On lui a dit : ‘Faites-nous confiance. Pour le moment, nous sommes deux, mais on sera plus nombreux à l’avenir' », se souvient le médecin. Le maire de la petite commune de 350 habitants, située à quelques pas des vignobles de Monbazillac, est partant mais leur demande d’étoffer l’équipe avant de se lancer dans la construction d’un bâtiment.
« On a donc travaillé pendant trois ans dans des cabanes Kiloutou, se souvient le médecin en riant. Ça fait des souvenirs ! Le chauffage était régulièrement en panne, je consultais en manteau ! Mais malgré les conditions de travail, c’était une belle époque. On ne refusait aucun patient. L’équipe s’agrandissait. Certains patients pleuraient de joie d’avoir trouvé un médecin. »

Aujourd’hui, Jonathan Gonzva suit quelque 3 200 patients. « Et tout ça en travaillant quatre jours par semaine et en prenant la moitié des vacances scolaires. Je fais une quarantaine de consultations par jour, de 15 minutes, préparées par une assistante médicale. Ce sont de très bonnes conditions de travail qui me permettent d’avoir un réel équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle« , souligne le généraliste.
Le secret de cette réussite ? Les infirmiers en pratique avancée. « La collaboration IPA – médecin est la solution aux déserts« , assure le généraliste, qui a tout de suite perçu les avantages de cet exercice coordonné. C’est ainsi qu’en 2023 Fabrice Pestel, infirmier depuis 30 ans, retourne sur les bancs de la fac pour deux ans d’études et un diplôme d’IPA en pathologies chroniques stabilisées. Il a rencontré Jonathan Gonzva quelques années auparavant alors qu’ils exerçaient tous deux aux urgences de l’hôpital. Ces deux-là se connaissent bien et se font confiance. « C’est primordial de travailler avec un médecin quand on est IPA libéral, souligne Fabrice Pestel. C’est grâce à ça que mon planning est complet. Des neuf collègues de la formation avec qui je suis resté en contact, je suis le seul qui ait une activité aussi importante. On se complète bien. Le docteur gère l’aigu, et nous le chronique. Ça permet un accès facilité au médecin pour les patients qui en ont besoin. »
Bien sûr, il a fallu éduquer un peu les patients dans les premiers temps. Mais très vite, la plupart ont été satisfaits de trouver un professionnel pour répondre à leurs besoins. »Certains médecins ont peur qu’on les remplace, raconte l’infirmier en levant les yeux au ciel. C’est nous faire beaucoup d’honneur ! Ils nous flattent ! Depuis quand peut-on devenir médecin en deux ans ? Je ne suis pas médecin. Je n’ai pas cette prétention. » De fait, les infirmiers en pratique avancée doivent encore souvent affronter la méfiance voire l’agressivité de certains praticiens**. Caroline Use, IPA en pathologies chroniques stabilisées, s’est formée à Poitiers. « Je n’ai pas trouvé là-bas de médecin avec qui travailler. Les portes se fermaient. C’est pour cela que je suis venue travailler ici », raconte l’infirmière.
C’est rassurant d’être dans une équipe et de pouvoir compter sur le médecin quand on a une inquiétude
Depuis septembre, une troisième IPA est venue compléter l’équipe. Aurélie Fèvre, elle, est spécialisée en psychiatrie et santé mentale. »Plusieurs psychiatres du secteur sont partis à la retraite ces dernières années, il y a de gros besoins. Autant dire que mes premières semaines ont été bien remplies. Pour le moment, même si les patients peuvent me consulter en accès direct, 80% me sont adressés par le Dr Gonzva. Beaucoup de gens vont très mal, il y a des retards de prise en charge, je ne m’attendais pas à ce que la situation soit si critique« , raconte l’infirmière, très heureuse de son arrivée au sein de l’équipe. « On travaille dans de très bonnes conditions, c’est rassurant d’être dans une équipe et de pouvoir compter sur le médecin quand on a une inquiétude, sur les résultats d’un examen par exemple« , ajoute Aurélie Fèvre.
Seul bémol, précise-t-elle, l’infirmière n’a pas encore trouvé de psychiatre référent. « C’est quelque chose que je savais, je l’avais anticipé. Il y a un tel manque de psychiatres que ceux qui exercent n’ont pas le temps. Du coup, quand j’ai besoin, je prends des rendez-vous avec mes patients sur Livi… Je me débrouille comme ça pour l’instant« , explique l’infirmière.
Autre difficulté : créer un réseau. Là encore, l’étiquette « IPA » semble en refroidir certains. « A mon installation, j’ai envoyé un courrier pour me présenter aux psychiatres, à l’hôpital, au CMP… Je n’ai eu aucune réponse. Aucune« , confie Aurélie Fèvre qui ne s’attendait pas à un tel accueil. Mais la situation pourrait bien se débloquer progressivement. Près de deux mois après son installation, l’hôpital vient tout juste de lui proposer une rencontre, et le CMP lui adresse un premier patient. « Je viens d’arriver. Beaucoup de choses sont encore à construire« , lâche-t-elle dans un sourire.

« Le plus important finalement, c’est que nos patients sont satisfaits et que nous avons une bonne qualité de prise en charge« , souligne Jonathan Gonzva. Celui qui est aussi maître de stage met en avant une étude réalisée par l’un de ses internes en 2025 sur le suivi de l’hypertension artérielle par l’équipe de soins coordonnés. Résultat : grâce à un protocole de coopération, 81% des patients suivis avaient une hypertension contrôlée à six mois. « C’est un excellent résultat quand on sait que la moyenne est plutôt à 50% »,se réjouit le médecin. « A tel point que les cardiologues du Centre d’excellence du CHU de Bordeaux ont demandé à connaître notre protocole. Nous avons eu des échanges et nous sommes régulièrement invités pour en parler et mettre en avant cette réussite », se félicite le médecin.
Lire aussi : Primo-prescription : le syndicat des IPA dénonce les « pressions corporatistes » de l’Ordre des médecins
La tâche n’a pourtant pas été facile. Ensemble, le généraliste et l’infirmier en pratique avancée ont dû créer le protocole en partant d’une feuille quasi-vierge. »Rien ne définit avec précision les conditions d’une collaboration IPA-médecin. Tout est à créer : quel motif ? À quelle fréquence ? Quand renvoyer vers le médecin ? Quand j’ai réfléchi à ce que je pouvais déléguer à Fabrice, j’ai rapidement pensé à l’hypertension, qui est un motif récurrent de consultation. L’objectif était de gagner du temps médical et de ne pas laisser de patients sur le carreau. » Finalement, 90% des patients acceptent le suivi conjoint qui permet des consultations rapprochées (plus de quatre en six mois) qui peuvent durer 30 minutes et qui offrent de meilleurs résultats.
Dans la foulée, quatre autres protocoles sont élaborés concernant les dopplers, le suivi de l’hypothyroïdie, du diabète de type 2 et du cholestérol. « Ce qui est très appréciable, c’est que les patients valorisent le travail de toute l’équipe. S’ils traitent un problème avec Fabrice ou Caroline, ou même avec Claire qui est assistante médicale, ils vont prendre le temps d’aller les remercier eux ! Ils savent qu’en tant que médecin, je suis derrière, mais ils leur sont reconnaissants. Ils comprennent que le médecin ne fait pas tout, que nous sommes une équipe », se réjouit Jonathan Gonzva. Une équipe qui se retrouve d’ailleurs régulièrement pour débriefer les patients, faire des revues de dossier, mettre à jour les recommandations… Et qui se réunit tous les jours à l’heure du déjeuner, où la pause repas devient une occasion de se soutenir ou de discuter d’un patient.
« Notre modèle peut très bien être calqué ailleurs !« , encourage Jonathan Gonzva. « Le problème, c’est que les étudiants ne connaissent pas les IPA. Rien n’est prévu dans leur formation et il y a encore très peu de terrains de stage avec des IPA, déplore le généraliste. Notre cabinet est le seul dans toute la Dordogne, par exemple. Moi je n’y vois que des avantages. Certains médecins ont peur d’être lésés financièrement mais c’est faux ! Je m’y retrouve largement, notamment grâce à la Rosp. J’augmente ma patientèle sans travailler plus, je délègue les consultations simples pour garder les plus complexes, la qualité de la prise en charge est améliorée, les délais de rendez-vous sont réduits…
Le seul bémol, et il est vraiment tout petit, c’est qu’on est sollicité deux ou trois fois dans la journée par les IPA pour une question sur un patient ou une difficulté. Il faut faire de la pédagogie, comme on le ferait avec un interne, ni plus ni moins. Si les médecins acceptent de mettre un peu leur ego de côté, tout le monde est gagnant. »
*Société interprofessionnelle de soins ambulatoires
Auteur de l’article
journaliste pigiste
Voir aussi:
Les médecins libéraux sont en grève, en plus de la consultation à 50€, contre davantage d’autonomie aux infirmiers-ères de pratique avancée (IPA) https://environnementsantepolitique.fr/2023/02/13/41377/
*SISA : ce statut juridique conçu spécialement pour les MSP
L’équipe éditoriale MACSF
Le 03.08.2023 https://www.macsf.fr/exercice-liberal/exercer-en-groupe/l-essentiel-sur-la-sisa
À 15:00
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4 min
1. La SISA, ça consiste en quoi ?
La SISA, qui existe depuis 2011, relève du Code civil et non du régime des sociétés commerciales. Pensée pour répondre aux besoins des MSP, elle a pour objet l’exercice en commun, par ses associés, d’activités de coordination thérapeutique, d’éducation thérapeutique et de coopération.
La SISA peut également permettre la mise en commun de moyens, de manière à faciliter l’activité de ses associés.
2. Quel est l’intérêt de la SISA ?
Avec la SISA, les MSP et autres structures d’exercice coordonné pluriprofessionnelles accèdent au versement de financements publics. C’est, par exemple, le cas avec les NMR (nouveaux modes de rémunération) : des dotations spécialement créées pour soutenir l’activité des MSP. Les associés d’une SISA peuvent ainsi percevoir collectivement des subventions, dans un cadre juridique et fiscal pleinement adapté.
Prévus par l’Accord conventionnel interprofessionnel (ACI) de 2017, les NMR sont reversés aux membres d’une SISA pour rémunérer leurs activités réalisées en commun au sein de celle-ci.
La rémunération prévue par l’ACI est, par défaut, répartie entre les membres de la SISA selon leurs droits dans le capital. Dans les faits, elle l’est le plus souvent en fonction du temps que chacun alloue aux activités de la société.
3. Qui peut être associé d’une SISA ?
Cette structure juridique est réservée aux professions relevant du Code de la santé publique. Pour être membre d’une SISA, il faut donc exercer une profession médicale, d’auxiliaire médical ou de pharmacien.
Sont concernés, par ordre alphabétique :
- les audioprothésistes,
- les chirurgiens-dentistes,
- les diététiciens,
- les ergothérapeutes,
- les infirmiers,
- les manipulateurs radio,
- les masseurs-kinésithérapeutes,
- les médecins,
- les opticiens-lunetiers,
- les orthésistes,
- les orthophonistes,
- les orthoptistes,
- les pédicures-podologues,
- les pharmaciens,
- les psychomotriciens,
- les prothésistes,
- les sages-femmes,
- les techniciens de laboratoire médical.
Certaines professions, à l’image des psychologues ou des ostéopathes, ne peuvent ni constituer ni rejoindre une SISA.
Rien ne les empêche néanmoins de prendre part à l’activité d’une SISA comme salariés, vacataires ou membres de l’association loi 1901 qui regroupe très souvent les professionnels des maisons de santé, qu’ils relèvent ou non du Code de la santé publique.
Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, les associés d’une société civile professionnelle (SCP) ou d’une société d’exercice libéral (SEL) peuvent aussi être associés d’une SISA.
Indispensable
Qu’ils exercent ou non au sein d’une SISA, tous les professionnels de santé libéraux doivent être couverts par une RCP-PJ.
4. Quelle est la fiscalité de la SISA ?
Une SISA bénéficie de plein droit du régime fiscal des sociétés de personnes. Ce dernier implique que chaque associé déclare sa quote-part de bénéfices sur sa déclaration d’impôt sur le revenu (IR) :
- dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) pour les pharmaciens,
- dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) pour les autres professionnels de santé.
Il en va de même pour toute somme perçue par la SISA pour une activité exercée en son sein, dont celles relevant de l’ACI.
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5. Quand et comment créer une SISA ?
Il est beaucoup plus simple de choisir ce statut dès la création d’une MSP que de transformer une société existante en SISA. Retenez également que, pour être constituée, une SISA doit compter au moins deux médecins généralistes et un professionnel paramédical parmi ses membres.
1. Le diagnostic et le projet de santé
Si vous envisagez de créer une SISA, il vous faut d’abord établir un diagnostic de l’offre de soins et des besoins de santé sur le territoire d’implantation. Une fois ses bases posées, votre projet de soins doit en outre :
- attester de la volonté de l’ensemble de l’équipe d’exercer de façon coordonnée,
- se structurer autour des trois axes que sont l’accès aux soins, l’organisation du travail en équipe et l’organisation du partage d’informations entre professionnels,
- être cohérent avec les priorités identifiées par l’Agence régionale de santé (ARS) dont vous dépendez.
2. La rédaction des statuts de la SISA
Constituer une SISA requiert différentes pièces justificatives : formulaire Cerfa M0, acte de nomination du gérant quand il n’est pas désigné par les statuts, pièces d’identité du gérant et des associés, déclaration de non-condamnation et de filiation pour les gérants, etc.
Parmi les documents à fournir figurent les statuts de la SISA, rédigés sur la base de statuts-types ou avec l’aide d’un notaire ou d’un juriste. On y retrouve, entre autres :
- la forme et la dénomination de la SISA,
- son objet,
- son siège,
- les conditions d’entrée et de sortie des membres…
Un exemplaire original signé des statuts constitutifs de la SISA doit ensuite être transmis aux Ordres des différentes professions représentées dans la SISA et à l’ARS dont elle dépend.
3. La procédure d’immatriculation de la SISA
Plusieurs formalités restent à accomplir pour finaliser la création d’une SISA :
- l’enregistrement des statuts de la SISA auprès du service des impôts, dans un délai d’un mois à compter de leur mise à jour,
- l’annonce de la création de la SISA par une publication au Journal d’annonces légales (JAL),
- l’immatriculation de la SISA, en ligne ou directement auprès du greffe du Tribunal de commerce compétent, avant la publication d’un avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC),
- l’ouverture d’un compte bancaire.
6. Des mesures pour favoriser la création de SISA
Dix ans après son apparition, deux textes ont fait évoluer le régime juridique des SISApour mieux répondre aux attentes des MSP et des professionnels de santé qui y exercent.
Avec l’ordonnance du 12 mai 2021 relative aux communautés professionnelles territoriales de santé et aux maisons de santé, ainsi que le décret du 9 juin 2021 relatif aux conditions de constitution d’un groupement d’employeurs au sein d’une SISA, les pouvoirs publics ont souhaité :
- favoriser la création de SISA à travers le territoire,
- assouplir les conditions de fonctionnement des MSP,
- étendre l’objet de la SISA (notamment afin de permettre le salariat et d’encourager l’emploi des assistants médicaux via la constitution de groupements d’employeurs),
- durcir le dispositif de dissolution des SISA pour favoriser la pérennité de ces sociétés.
Le décret paru au Journal officiel le 19 juillet 2023 précise que la SISA désireuse de salarier un praticien doit avoir préalablement demandé son inscription au tableau de l’ordre du professionnel concerné.
Les mesures prises sont détaillées dans des fiches dédiées, mises à disposition sur le site du ministère de la Santé et de la Prévention.