Le lac Ontario ouvre ses vannes pour alimenter le fleuve Saint-Laurent
Regard sur ce rare exercice qui vise à atténuer l’importante sécheresse qui touche le Québec.
Publié le 17 octobre


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Pour la première fois depuis 2012, les vannes du lac Ontario menant vers le fleuve Saint-Laurent se sont ouvertes vendredi, ce qui permet donc pendant 36 heures, soit jusqu’à 19 h 01 samedi, d’augmenter le débit sortant à 500 mètres cubes par seconde. Un prêt d’eau éphémère qui ne réglera pas l’importante sécheresse qui touche le Saint-Laurent et une bonne partie du Québec, mais qui permettra notamment aux plaisanciers d’extirper leur bateau du sol du fleuve avant l’arrivée du gel.
Pourquoi est-ce si rare de voir cette solution en action ? « Généralement, il y a assez d’eau dans les cours d’eau autour du fleuve pour l’alimenter », résume d’emblée Richard Arsenault, membre du laboratoire HC3 de l’École de technologie supérieure (ETS), qui se spécialise en hydrologie. « Là, l’enjeu, c’est que la rivière des Outaouais est sèche, tout comme tous les apports naturels. Donc la seule option qui reste pour s’assurer d’une quantité d’eau suffisante, c’est d’ouvrir les vannes du lac Ontario à titre de supplément », poursuit celui qui est également professeur au Département de génie de la construction de l’ETS.
S’ajoute à la rareté du phénomène des normes et ententes « assez strictes », note Michel Baraër, collègue de M. Arsenault au laboratoire HC3 et à l’ETS. C’est la Commission mixte internationale (CMI), un groupe qui gère l’utilisation des eaux communes entre les États-Unis et le Canada, notamment celle des Grands Lacs, qui a décidé d’augmenter le débit sortant du lac Ontario.
Pour ce faire, la Commission doit respecter des règles qui limitent les déviations à un niveau mineur et qui peuvent être mises en place uniquement lorsque certains seuils de sécheresse sont atteints. Dans le cas de l’ouverture des vannes en cours, le niveau de l’eau du lac Ontario devrait descendre de 0,34 cm, selon les estimations de la CMI.
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Solution éphémère
Malgré l’importante quantité d’eau que le lac Ontario perdra, l’effet sur son niveau sera minime. « C’est l’équivalent de vider une grande piscine avec un trou fait par une petite paille » tant le lac est immense, illustre Richard Arsenault.
Les conséquences seront d’autant plus mineures que la durée de l’ouverture est limitée et sporadique, ajoute-t-il.
Reste qu’il y a une réticence à recourir à cette solution, car une fois relâchée, « l’eau, elle ne revient pas », souligne Michel Baraër. « On déshabille Pierre pour habiller Paul », explique le professeur, qui souligne l’importance d’un processus « prudent ». « Ce n’est pas de la nouvelle eau qu’on met dans le système. »
L’augmentation du niveau d’eau du Saint-Laurent ne durera « pas plus que deux ou trois jours », après quoi l’eau du lac Ontario se retrouvera loin, vers l’estuaire du fleuve, indique M. Baraër.
La procédure permettra surtout aux plaisanciers de déloger leurs embarcations. Richard Arsenault explique qu’elle pourra avoir une incidence sur les nappes phréatiques, le commerce maritime ou sur la biodiversité, mais ces effets seront bien limités en raison du caractère éphémère de la mesure. « Tout le monde attend les précipitations » qui apporteront du répit aux cours d’eau québécois, dit-il.
Pourquoi le niveau de l’eau est-il aussi bas au Québec?
«Le Devoir» fait le point avec des experts.
Publié et mis à jour le 16 octobre https://www.ledevoir.com/actualites/environnement/925749/secheresse-pourquoi-niveau-eau-est-il-aussi-bas-quebec?


Le fleuve Saint-Laurent est à son niveau d’eau le plus bas depuis la sécheresse de 2012 et il n’est pas le seul cours d’eau québécois à souffrir du phénomène qualifié de « sévère » par des experts. Quelle est la raison de cette situation et quelles sont les conséquences qui y sont reliées ? Le Devoir fait le point avec des experts.
Pourquoi le niveau d’eau est-il bas ?
« On est dans des conditions de sécheresse sévères, voire exceptionnelles », soutient d’emblée Philippe Gachon, professeur au Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). C’est particulièrement le sud du Québec et de l’Ontario, ainsi qu’une partie des États-Unis et de l’Ouest canadien, qui sont concernés par ce « déficit de précipitations » depuis la mi-juillet, explique l’expert en hydrologie.
« On est dans la période de l’année, en septembre, octobre, puis aussi novembre, qui s’en vient, où on a normalement beaucoup de systèmes météo qui nous viennent de l’Atlantique. On a parfois aussi des cyclones tropicaux qui remontent dans nos régions. Mais cette année, c’est sec : on a beaucoup de jours consécutifs sans pluie », détaille-t-il.
Sans précipitations, les cours d’eau ont donc de la difficulté à garder un niveau adéquat et le débit ralentit, ce qui freine encore plus le transfert de l’eau entre les fleuves, les rivières et les lacs. C’est notamment pour cette raison que le fleuve Saint-Laurent est particulièrement touché, lui qui est alimenté par les Grands Lacs.

Le tout est couplé au niveau des nappes phréatiques — l’eau dans le sol — qui sont anormalement basses pour la saison et qui peinent à alimenter les cours d’eau, note M. Gachon.
Qu’est-ce qui cause ce manque de précipitations ? « Ce sont les changements climatiques », répond sans hésiter l’expert, qui a déjà travaillé à Environnement et Changements climatiques Canada. En plus de faire baisser le niveau de l’eau, ce manque de pluie est aussi mis en cause dans plusieurs des importants feux de forêt qui continuent de toucher le pays.
Quelles sont les conséquences ?
Un niveau d’eau anormalement bas est synonyme d’une myriade de conséquences, tant sur la biodiversité que sur l’activité humaine liée aux cours d’eau.
Les plaisanciers peuvent moins ou ne peuvent plus se déplacer en bateaudans plusieurs cas, indique Maëlle Tripon, chargée de projet à la Fondation Rivières, un organisme qui cherche à protéger et à valoriser les plans d’eau. « On n’a pas assez d’eau pour faire circuler des bateaux », résume-t-elle.
Certains cours d’eau, comme le fleuve Saint-Laurent — l’une des voies maritimes les plus importantes en Amérique du Nord —, sont aussi des lieux importants économiquement. Plus le niveau de l’eau est bas, plus la cargaison des navires doit être légère, ce qui amène invariablement un ralentissement économique, observe Mme Tripon.
Renée Larouche, directrice des communications au Port de Montréal, assure que le bas niveau de l’eau « n’est pas une surprise ». « C’est une situation qu’on suit au jour le jour, ça fait partie de notre rôle », explique-t-elle.
Pour s’assurer qu’aucun navire ne se voit refuser l’accès au Port de Montréal en raison d’une cargaison qui serait dangereuse lorsque le niveau de l’eau est bas, le Port « envoie un bulletin d’information aux compagnies maritimes pour qu’elles puissent avoir un niveau de prévisibilité sur le niveau du fleuve sur environ quatre semaines », poursuit Mme Larouche. À moins d’un changement de dernière minute en dehors des prévisions, ces compagnies peuvent adapter leur cargaison en conséquence. « C’est un cycle annuel, observe-t-elle. Et les compagnies maritimes adaptent leurs cargaisons en fonction de ce cycle annuel qu’ils connaissent bien. »
En date du 15 octobre, aucun navire n’a été détourné en raison du faible niveau de l’eau, soutient la directrice des communications.
Pour remédier au bas niveau du Saint-Laurent, le lac Ontario ouvrira ses vannes pendant 36 heures, vendredi et samedi, ce qui permettra de faire remonter le niveau du fleuve et, notamment, de sortir les embarcations des marinas.