Et l’on se plaint désormais qu’il y aurait trop d’étudiants en médecine !
Quentin Haroche | 14 Octobre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/et-lon-se-plaint-désormais-quil-y-aurait-trop-2025a1000rmx?ecd=wnl_all_251021_jim_excnew_&uac=368069PV&impID=7813685&sso=true
La conférence des doyens de médecine s’inquiète des difficultés que rencontre l’université française pour faire face à l’augmentation du nombre d’étudiants en médecine, notamment s’agissant de l’organisation du « concours » de l’internat.
Si pendant des années, le fameux (et très critiqué) numérus clausus a fortement réduit le nombre d’étudiants en médecine, sa suppression en 2020 a conduit à une forte augmentation des carabins. Le nombre d’étudiants admis en 2ème année de médecine est ainsi passé de 8 000 à 12 000 par an entre 2014 et 2024. Et il devrait encore continuer à augmenter ces prochaines années, puisque le Parlement a voté en juin dernier une loi prévoyant la suppression du numerus apertus. On évoque ainsi un chiffre de 16 000 étudiants en médecine d’ici 2027.
Si cet accroissement augmentation est évidemment plutôt une bonne nouvelle à l’heure des difficultés croissantes d’accès aux soins et de la « désertification » médicale, nos gouvernants n’avaient pas forcément anticipé que les facultés de médecine n’étaient pas prêtes à faire face à cet afflux de carabins. En mai dernier, lors de l’examen de la loi sur la fin du numerus apertus, la conférence des doyennes et doyens de médecine (CDD) avait déjà exprimé ses réticences, indiquant que « nos Facultés de Médecine manquent cruellement d’enseignants, de personnels de scolarité, de locaux ».
Plus d’étudiants d’accord, mais à condition d’augmenter les moyens
A l’occasion de sa conférence de rentrée ce jeudi, la CDD a une nouvelle fois tiré la sonnette d’alarme. « L’augmentation du nombre d’étudiants en seconde année de médecine doit être réfléchie » lance la conférence des doyens. « Pour maintenir la qualité de la formation des étudiants en médecine, une augmentation ne sera envisageable qu’à condition d’allouer des moyens supplémentaires aux universités : création de postes d’enseignants chercheurs (1000 sur 10 ans, dont 450 d’ici 2029), création de postes d’agents de scolarité et d’agents administratifs, allocation de locaux supplémentaires ».
Un sujet inquiète particulièrement la CDD: l’organisation du « concours » de l’internat. En effet, la hausse des étudiants commence à entraîner des répercussions sur le nombre d’internes : d’un peu moins de 9 000 en 2022, le nombre d’étudiants débutant leur 3ème cycle devrait dépasser les 11 000 en 2026. Or, depuis 2024, l’examen d’entrée en 3ème cycle comprend désormais une épreuve orale, les examens cliniques d’objectifs structurés (ECOS), forcément de plus en plus difficile à organiser avec la hausse du nombre d’étudiants.
Ces épreuves consistent en effet en des mises en situations appelés « stations » (l’épreuve en comporte dix) durant lequel l’étudiant doit faire face à un cas clinique. Déjà lors des deux dernières éditions, nombreux sont les étudiants qui se sont plaints de nombreux dysfonctionnements lors de ces épreuves : grilles d’évaluation indisponibles, notation arbitraire, faux « patient » qui se trompe lors de la mise en situation etc.
Des ECOS sur plusieurs fuseaux horaires
La CDD craint que la hausse du nombre de candidats ne vienne amplifier ces difficultés. Et ce d’autant plus que, lors des ECOS 2026, programmés pour le printemps prochain, l’épreuve sera pour la première fois organisé aux Antilles et à La Réunion, ce qui « impose une synchronisation nationale des ECOS sur plusieurs fuseaux horaires et sur plusieurs jours ». « Cette augmentation du nombre d’étudiants et du nombre de sites, à fortiori dans les territoires ultramarins, sont autant de facteurs qui augmentent les risques de dysfonctionnements susceptibles de désorganiser l’ensemble de la chaîne nationale : pannes informatiques, incidents logistiques, évacuations de locaux pour raisons de sécurité, imprévu organisationnel » craint la CDD.
Evoquant la « fragilité opérationnelle de l’épreuve », la CDD demande au centre national de gestion (CNG) de « sécuriser » les épreuves, par exemple en gardant une copie locale des notes avant leur centralisation, « pour avoir une sauvegarde en cas de panne réseau ou informatique » et de se montrer plus souple. Ainsi, si par malheur, une station de l’épreuve devait être annulé pour une raison quelconque, la CDD estime que l’étudiant doit pouvoir être noté sur seulement neuf, huit, voire sept stations, sans être pénalisé.
Cependant le CNG ne semble pas beaucoup donner du sien dans cette politique de simplification des épreuves poursuivis par la CDD. Les doyens regrettent ainsi de n’avoir toujours pas pu avoir accès aux données des deux premières éditions des ECOS, en 2024 et 2025. « Ces données sont nécessaires pour proposer une simplification des épreuves (…) sans analyse précise de ce qui a été réalisé sur les deux premières années de la réforme, toute évolution du dispositif reste aveugle et risquée » explique la CDD.
En mars dernier*, l ’Ordre des Médecins s’était inquiété que la hausse du nombre d’étudiants allait aboutir, d’ici 2040, à un trop grand nombre de médecins. Il est donc possible que, dans un mouvement de balancier, d’ici quelques années, certains en appellent au retour du numerus clausus honni.
*A contre-courant, l’Ordre s’inquiète d’un surplus de médecins
Quentin Haroche | 22 Avril 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/contre-courant-lordre-sinquiète-d-surplus-médecins-2025a10009nk?ecd=wnl_all_251021_jim_excnew_&uac=368069PV&impID=7813685&sso=true
L’Ordre des Médecins estime que la France comptera trop de médecins en 2040, s’opposant ainsi aux propositions du gouvernement.
Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs se sont engagés dans une politique d’augmentation du nombre d’étudiants en médecine, afin de faire face à la pénurie de médecins et à la désertification médicale. Le numerus clausus a d’abord été élargi dans les années 2000, puis abandonné en 2020 et remplacé par le numerus clausus.
Il y a un an presque jour pour jour en avril 2024, le Premier Ministre Gabriel Attal proposait également de faire passer le nombre d’étudiants en médecine formés chaque année de 11 000 actuellement à 16 000 en 2027. Et vendredi prochain, son successeur François Bayrou devrait de nouveau, dans le cadre d’un plan plus général de renforcement de l’offre de soins, annoncer une augmentation du nombre de futurs médecins.
Une hausse tous azimuts des effectifs qui va peut-être trop loin. C’est l’alerte, quelque peu contre-intuitive, lancée le mois dernier par l’Ordre des médecins. Dans son atlas annuel de la démographie médicale, publié le 27 mars dernier, le conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) notait que le nombre de médecins en activité avait déjà augmenté de 12 % depuis 2010.
Il se prêtait ensuite au jeu des projections : selon le CNOM, au vu du nombre de médecins formés, de l’âge de départ en retraite des praticiens et de l’arrivée en France de médecins étrangers, notre pays devrait connaitre d’ici 2040 une augmentation de 30 % de ses effectifs médicaux, soit 70 000 médecins supplémentaires.
Plus de médecins pour moins d’habitants
« C’est considérable, pour une population qui n’augmentera plus, mais qui vieillira en revanche » analyse ce lundi sur France info le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du CNOM. En effet, selon une récente étude de l’Institut national d’études démographiques (INED), en raison de la baisse des naissances, la population française ne devrait que faiblement augmenter d’ici 2040, pour atteindre les 70 millions d’habitants, avant de commencer à diminuer.
L’Ordre des médecins appelle également à prendre en compte les nouvelles technologies et notamment l’intelligence artificielle qui pourrait, à l’avenir, diminuer le nombre de médecins nécessaire pour assurer l’accès aux soins.
« Les discours malthusiens risquent de s’inviter dans les débats, à l’instar de ce qu’ils furent à la fin des années 70 » écrit le CNOM dans son Atlas. Dans les années 1970, c’est en effet la crainte d’un trop plein de médecins qui avait conduit les autorités à mettre en place un numerus clausus dans les études médicales. « Il faut se poser d’ores et déjà la question de savoir si nous ne sommes pas en train de former trop de médecins » ajoute le CNOM.
Le gouvernement estime que la pénurie médicale durera jusqu’en 2050
L’Ordre des médecins n’est pas la seule institution à adopter cette position, qu’il reconnait « contre-intuitive », selon laquelle la France s’expose à un trop plein de médecins. Au cours d’un colloque à l’Académie de médecine en octobre dernier, certains intervenants, dont le doyen de la faculté de médecine de Tours le Pr Patrice Diot, avait déjà évoqué le risque d’une « pléthore médicale » dans les prochaines années.
Le gouvernement ne partage en tous les cas pas cette analyse et estime que la France manquera de médecins au moins jusqu’en 2050. « On forme actuellement le même nombre de médecins qu’en 1970, nous étions 15 millions d’habitants en moins et la population a vieilli » répond ainsi Yannick Neuder à l’Ordre des médecins. « Il y a aussi un facteur important que personne ne remet en cause, c’est le rapport au travail, il a frappé tous les milieux professionnels et le milieu de la santé aussi » rajoute le ministre.
Selon lui, les jeunes médecins, qui préfèrent le salariat à la médecine libérale, travaillent moins que leurs ainés, dans un souci de mieux concilier vie privée et vie professionnelle. L’exécutif est donc déterminé à continuer d’augmenter le nombre de médecins formés.