La Cour des comptes réclame de lourdes sanctions contre d’anciens élus de la Coordination rurale
La peine maximale a été requise jeudi à l’encontre de Serge Bousquet-Cassagne, figure du syndicat agricole proche de l’extrême droite, pour les infractions commises lorsqu’il était président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne. Le préjudice pour cette dernière est évalué à 5,7 millions d’euros.
Dans la salle d’audience de la chambre du contentieux de la Cour des comptes, jeudi 16 octobre à Paris, les mots de la procureure pèsent lourd. « Népotisme des dirigeants », « infractions à caractère délibéré, répété et revendiqué », « atteinte grave à l’État de droit », « organisation clanique et familiale »… : le réquisitoire du ministère public est déflagratoire pour les élus qui étaient à la tête de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne de 2013 à 2024.
Au cœur de l’affaire : la gestion de la chambre quand l’exploitant agricole Serge Bousquet-Cassagne, élu du syndicat de la Coordination rurale (CR), en était le président, et notamment l’utilisation qui a alors été faite des finances publiques pour la construction illégale du lac de Caussade à l’hiver 2018-2019. Cette retenue d’eau pour l’irrigation agricole, en fonctionnement depuis, bénéficie à une vingtaine d’exploitations agricoles.
C’est un rapport au vitriol de la Cour des comptes sur la gestion de cette chambre départementale, publié en juin 2024, qui est à l’origine de cette procédure de contentieux. L’affaire arrive dans un contexte où les chambres d’agriculture, ces institutions clés de la politique agricole française, sont scrutées de près : début octobre, un nouveau rapport de la Cour des comptes a pointé des dérives importantes dans ce réseau aux missions de service public.

Sur le banc des mis en cause, jeudi, siège donc Serge Bousquet-Cassagne, figure notoire de la CR aux méthodes contestées en interne. Mais aussi son fils, Nicolas, qui fut comptable de la chambre, et Patrick Franken et Christian Girardi, anciens vice-présidents, également élus sous la bannière de la CR.
Les faits examinés sont « d’une particulière gravité », a exposé un peu plus tôt l’avocate générale, revenant sur les griefs relevés au cours de l’enquête. Le premier, et le principal, c’est la construction et l’exploitation de la retenue d’eau de Caussade sur la base de dépenses publiques. Cette construction, effectuée sans l’autorisation environnementale nécessaire au préalable, a coûté 1,3 million d’euros. « Ce projet illicite n’aurait jamais dû avoir lieu », a indiqué l’avocate.
Pas de mise en concurrence
Pour faire aboutir ce projet, la chambre d’agriculture alors présidée par Serge Bousquet-Cassagne a passé commande de gré à gré auprès de sociétés sans les mettre en concurrence, comme l’imposent pourtant les règles de marché public. Et des problèmes de sécurité sont apparus sur l’ouvrage.
L’avocate générale relève par ailleurs d’autres griefs : les amendes, auxquelles Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken ont été condamnés par la cour d’appel d’Agen, en 2022, n’ont pas été payées dans le délai imparti ; les comptes de la chambre, particulièrement en ce qui concerne la retenue de Caussade, sont « insincères », et des éleveurs élus de la chambre ont bénéficié d’aides illégales dans le cadre du Plan de relance national.
Entre 2019 et 2022, une somme de 101 341 euros a ainsi été distribuée à des éleveurs, mais aussi une aide en nature : des bovins pour une valeur de 185 472 euros, dont l’achat, auprès d’élus de la CR, n’avait pas été mis en concurrence. Or les chambres d’agriculture n’ont pas la faculté de verser des aides publiques aux exploitant·es agricoles.
En octobre 2021, enfin, ce n’est autre que le fils du président, Nicolas Bousquet-Cassagne, qui est recruté comme comptable de la chambre d’agriculture. Il vient de sortir d’école, c’est son premier emploi. Une « infraction au Code des juridictions financières », note l’avocate générale, qui fait valoir que le président « a tiré profit de ce recrutement ». Alors qu’il était en poste, le jeune comptable a en effet procédé, à la demande de son père, à des paiements irréguliers.
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Répondant à la procureure, Véronique Hamayon, qui le questionne sur l’utilisation de l’argent public, l’ancien élu botte en touche. « Toutes les décisions sont prises en bureau de chambre d’agriculture. À aucun moment le préfet n’a fait le signalement que vous êtes en train de faire, et la DGFIP[Direction générale des finances publiques – ndlr] n’a rien trouvé à redire. »
La réponse ne satisfait pas la procureure, qui rebondit. « Vous dites que le contrôle ex post n’a pas fait son travail. Mais pourquoi n’avez-vous pas écouté les recommandations de votre directeur à l’époque ? » Celui-ci « jouait un rôle de vigie et d’alerte ». Puis il est parti.
Serge Bousquet-Cassagne aquiesce. « Entre le lac et les bovins, ça a été dur pour lui. Il a démissionné. C’était normal. » Quant à l’absence de mise en concurrence pour l’achat des bovins, l’ancien élu l’explique par un paysage agricole où les fermes disparaissent. « Bientôt les éleveurs n’existeront plus… », plaide le Lot-et-Garonnais.
Patrick Franken, lui non plus, ne voit pas où est le problème quand la procureure s’adresse à lui. « Personne n’a trouvé à redire sur le fonctionnement de la retenue, et plus personne n’est inquiet sur sa sûreté », dit l’ancien vice-président pour justifier l’aménagement du lac sans respecter les règles de la commande publique.
C’est finalement tout un système malhonnête et clientéliste, au profit d’intérêts particuliers, que la procureure décrit dans son réquisitoire. « Le choix a été fait de mettre l’État devant le fait accompli […]. Toutes les règles ont été foulées au pied. Non pas par inadvertance ni par méconnaissance. Mais volontairement. » Tout cela justifie, selon elle, « des sanctions exemplaires ».
Et ce, même si une procédure de régularisation de l’ouvrage est actuellement en cours : « Cela ne remet pas en cause le caractère illégal de la construction au moment où elle a eu lieu », précise la procureure. Le coût de la remise en conformité de la construction illégale a par ailleurs été évalué en 2021 à 1,75 million d’euros.
« Extrême gravité des faits »
Mais c’est surtout le montant du préjudice financier pour la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne que l’on découvre à la lumière de l’audience : le ministère public le chiffre à 5,7 millions d’euros. Une somme qui comprend le coût originel de la construction de la retenue d’eau, et les amendes et astreintes qui se sont ensuivies.
Ce préjudice financier, toutefois, ne pourra être réparé. À la Cour des comptes, si les responsabilités individuelles sont recherchées, elles ne conduisent pas à de lourdes condamnations comme on peut le voir au pénal. Elles conduisent à des amendes d’ordre symbolique au regard des sommes manipulées par les agents de la puissance publique.
Il n’empêche, au regard de « l’extrême gravité des faits », la procureure a requis la peine maximale pour Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken, soit une amende fixée au plafond du Code de juridiction financière : six mois de rémunération de leur poste d’élu à la chambre d’agriculture.
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Les deux hommes n’ayant pas communiqué au cours de l’enquête le montant de leurs indemnités, la procureure n’a pas pu préciser davantage. Selon les calculs de Mediapart, si la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne respectait les rémunérations statutaires, cela équivaudrait à une amende d’environ 13 900 euros brut.
Pour Nicolas Bousquet-Cassagne, qui était salarié de de la chambre, l’amende requise, également fixée au plafond, s’élève à 13 460 euros, tandis que pour Christian Girardi, ancien élu, l’amende requise est fixée à 50 % du plafond.
Invités à réagir à l’audience, les mis en cause ont assumé leur gestion. « Vous pouvez nous accuser de tout, Madame la procureure, mais pas de servir nos intérêts particuliers », a dit Serge Bousquet-Cassagne. « On s’est attachés à servir les agriculteurs de tout le département, a renchéri Patrick Franken. Ce lac de Caussade, on l’a fait parce que qu’on ne peut pas supporter la mainmise parisienne. »
La Cour des comptes suivra-t-elle les réquisitions de la procureure ? Son arrêt, mis en délibéré, sera connu dans quelques semaines.
Lac de Caussade : le préfet du Lot-et-Garonne propose une solution de sagesse
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La vie a repris le dessus au lac de Caussade. La photo date de cet été Gérard Gouyou
Agriculture, Environnement, Pinel-Hauterive
Publié le 20/12/2024 à 15:36 https://www.ladepeche.fr/2024/12/20/lac-de-caussade-le-prefet-du-lot-et-garonne-propose-une-solution-de-sagesse-12404477.php#:~:text=Le%20préfet%20Daniel%20Barnier%20dit,la%20raison%20et%20du%20droit.
l’essentielLe préfet Daniel Barnier dit offrir à la chambre d’agriculture et l’Asa Caussade « une fenêtre d’opportunités pour se remettre dans la légalité ».
Dans le dossier du lac de Caussade, le préfet de Lot-et-Garonne Daniel Barnier se présente aujourd’hui comme la voix de la raison et du droit. Son annonce, ce vendredi après-midi, se veut une solution de sagesse pour se diriger vers une mise en conformité progressive de ce barrage de catégorie C selon le code de l’environnement. C’est un épisode de plus dans cette saga entamée il y a 8 ans.
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En janvier 2016, à l’occasion de la traditionnelle cérémonie des vœux à la chambre d’agriculture, le président Serge Bousquet-Cassagne clame haut et fort que « le lac se fera ». Il s’est fait sur le territoire de la commune de Pinel-Hauterive. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. « Caussade » a été au cœur de multiples rebondissements judiciaires. Les tensions entre les associations de protection de l’environnement et les agriculteurs sont-elles apaisées ? Des procédures sont toujours en cours.
Cette retenue de 20 hectares pour un volume d’eau stockée de 920 000 m3 a été construite illégalement après une première autorisation in fine retirée (*). Fin 2018, après intervention des ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture, l’arrêté préfectoral autorisant initialement les travaux avait été annulé. Cette marche arrière a pesé lourd dans cette affaire qui s’apprête à prendre un nouveau virage.
Mise en demeure
Fort des travaux préparatoires d’une experte de haut niveau et avec l’aval des deux ministères concernés à savoir celui de l’agriculture et celui de l’environnement, le préfet a signé un arrêté qui ouvre une porte.
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Il met en demeure conjointement la chambre d’agriculture et l’ASA de Caussade de désigner un cabinet d’experts agréés dans les trois mois pour réaliser un diagnostic de la digue actuelle. Le cabinet aura neuf mois pour rendre ses conclusions assorties d’une liste de travaux obligatoires pour garantir la sécurité de la digue et son fonctionnement (débit, étiage, etc). S’il n’est pas entendu, il y aura une astreinte financière. Son montant n’est pas fixé. Il peut atteindre les 4 500 € par jour.
Une fois que la chambre et Asa auront déposé ce dossier complet avec liste de travaux, le préfet pourra prononcer une autorisation provisoire d’exploitation de la digue.
Il insiste pour lever toute ambiguïté. « Ce n’est pas, dit-il, une légalisation. C’est une démarche de mise en conformité, progressive, exigeante et sous conditions. La chambre et l’ASA ont une fenêtre d’opportunités pour se remettre dans la légalité. ».
La chambre, qui devra rémunérer le cabinet et financer les travaux éventuels, n’a pas découvert cet arrêté vendredi matin à l’occasion du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderts). Il y a une période contradictoire entre le 5 et le 15 décembre. Il y a eu un dialogue. Si la chambre refuse toutefois, le code de l’environnement parle de remise en état du site. « Ce n’est pas mon option pour le moment ». Tout comme des sanctions pénales.
Aucun préfet ne pourra accepter à terme l’existence d’une telle masse d’eau sans aucune existence légale. La digue ne peut pas être assurée. Il n’en reste pas moins que l’arasement de la digue paraît improbable. Il ne pourrait être réalisé sans lancer dans des procédures environnementales pour prouver que cet arasement n’est pas nuisible à l’environnement. La vie a repris le dessus.
(*) Jugement de la cour d’appel administrative de Bordeaux en février 2021
« C’est une énième reculade pour nous calmer », Serge Bousquet-Cassagne pas convaincu par les déclarations du préfet sur le lac de Caussade
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Le lac de Caussade en mars 2023 archives – Gérard Gouyou
Agriculture, Lot-et-Garonne, Pinel-Hauterive
Publié le 12/02/2024 à 19:51 , mis à jour à 19:57 https://www.ladepeche.fr/2024/02/12/cest-une-enieme-reculade-pour-nous-calmer-serge-bousquet-cassagne-pas-convaincu-par-les-declarations-du-prefet-sur-le-lac-de-caussade-11761225.php
l’essentiel
Le président de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne annonce que des travaux ne seront pas effectués sur la digue du lac de Caussade. Il demande la régularisation de la retenue d’eau « sans délais».
Alors que, lundi matin, le préfet Daniel Barnier a communiqué sur le lac de Caussade en indiquant que des procédures seront lancées en 2024 pour une mise en conformité en 2025, Serge Bousquet-Cassagne a envoyé sa lettre ouverte quotidienne à la préfecture. Elle a pour objet la légalisation du lac de Caussade qui est toujours illégal.
Le président de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne s’appuie sur interview donnée par le ministre de l’agriculture du LCI le 4 février dernier.
« Marc Fesneau a repris notre slogan L’eau de l’hiver pour l’été, écrit Serge Bousquet-Cassagne. Il a tout simplement décrit notre stratégie engagée depuis des décennies avec les retenues collinaires construites sous l’ère Jean-François Poncet, homme visionnaire qui avait tout compris au cycle de l’eau. Et une fois de plus, l’Etat nous donne raison ».
« On ne fera pas de travaux sur la digue »
Il n’empêche que le président Bousquet-Cassagne n’est pas convaincu par les annonces du préfet. « Pour moi, explique-t-il, c’est une énième reculade pour nous calmer. Le lac sera régularisé à condition de sécuriser la digue et de faire des travaux. Or nous ne ferons plus de travaux. L’expert ne pourra que conclure que la digue est supposée être faible. Pourquoi pas ne pas régulariser le lac de Caussade sans délais. Et pourquoi ne pas rompre le contrat avec l’experte de haut niveau nommée en avril 2023 que je n’ai rencontrée qu’une fois ».
Dans son courrier au préfet, il dévoile le salaire annuel de cette dernière. « Les chiffres en notre possession font état d’un salaire brut entre 87 500 € et 118 700 € auxquels peut s’ajouter une prime annuelle de 13 800 € brut.
Pour lui, ce salaire s’ajoute à l’intégralité des dépenses engagées par l’Etat « depuis qu’il a décidé d’empêcher la construction de ce lac ». Il évoque « les survols d’hélicoptères, les études de sécurité, les visites hebdomadaires des agents de l’Etat et l’ensemble des coûts salariaux de chaque fonctionnaire de niveau départemental, régional ou national qui ont travaillé pour torpiller ce dossier ». Il demande à être informé publiquement du montant de ces dépenses.
**BARRAGE DE CAUSSADE : HISTOIRE D’UN PROJET ILLÉGAL ET DANGEREUX POUR LE LOT-ET-GARONNE
Publié le 23 juin 2022 https://fne.asso.fr/dossiers/barrage-de-caussade-histoire-d-un-projet-illegal-et-dangereux-pour-le-lot-et-garonne
SOMMAIRE
- LAC DE CAUSSADE : HISTOIRE D’UN BARRAGE CONSTRUIT EN TOUTE ILLÉGALITÉ
- LE BARRAGE DE CAUSSADE AGGRAVE LES SÉCHERESSES QU’IL EST CENSÉ COMBATTRE
- CAUSSADE : UN ÉTAT LÂCHEMENT COMPLICE
- BARRAGE DE CAUSSADE : UN DANGER IMMÉDIAT POUR LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
- FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT RESTE MOBILISÉE
Inadapté, dangereux et profondément injuste : le barrage illégal de Caussade, dans le Lot-et-Garonne, est un véritable cas d’école des tensions qui règnent autour de l’eau. Quel est ce projet ? Pourquoi la SEPANLOG, la SEPANSO Aquitaine, France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine et France Nature Environnement s’y opposent-elles ? Découvrez tout ce qu’il faut savoir sur cet incroyable dossier.
Dossier mis à jour le 22 janvier 2025 – initialement publié le 2 juillet 2020
L’actualité du dossier – janvier 2025
Alors que le cabinet de Marc Fesneau, Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire assurait en novembre 2023 , «il n’y a aucune ambiguïté : toutes les retenues illégales seront bien évidemment vidées et démontées”, celle de Caussade est toujours en place et exploitée, malgré les multiples décisions de justice en notre faveur.
FNE et ses associations membres ont mis en cause l’État en 2023 pour les fautes multiples commises dans cette affaire et pour le préjudice écologique causé par cette retenue. Le tribunal administratif de Bordeaux rendra sa décision en février 2025. L’État n’a pas fait respecter ses propres décisions exigeant notamment la remise en état des lieux.
Pire, l’État a pris un nouvel arrêté le 17 décembre 2024 dans lequel il abroge ses propres décisions qui n’ont jamais été mises en œuvre. L’État poursuit son renoncement. Il confirme sa complicité dans l’exploitation actuelle du barrage qui porte atteinte au bon état des eaux et ne respecte pas le droit.
Malgré cette porte de sortie offerte par le préfet qui leur est particulièrement favorable, les délinquants environnementaux, ont exprimé un clair refus de se conformer à ce nouvel arrêté. “Nous ne ferons rien de ce que nous demande le préfet.”.
Une fois de plus, l’inaction conciliante de l’État encourage la stratégie du fait accompli et dénote que le respect du droit ne s’applique pas à tous
Le barrage de Caussade en bref
Dans les affaires suivies par les associations du mouvement France Nature Environnement, certains projets ont le don de cumuler les injustices. À lui seul, le barrage de Caussade combine le vol d’une ressource commune, un projet plusieurs fois déclaré illégal par la justice et pourtant jamais arrêté, la promesse d’un assèchement durable du territoire, un plein soutien à l’agriculture intensive, une fausse solution face au dérèglement climatique, des stratégies d’intimidations et de violences récompensées par l’État, une mise en danger immédiate des riverains… Bref, un vrai condensé de ce qu’il ne faut surtout pas faire pour une gestion durable et équitable de l’eau.
De façon plus concrète, le barrage de Caussade est un ouvrage construit illégalement qui retient 920 000 m³ d’eau. Il s’étale sur 378 mètres de large et 12,5 mètres de haut pour barrer le lit du ruisseau de Caussade, au niveau de la commune de Pinel-Hauterive dans le Lot-et-Garonne. Auparavant, il s’agissait d’un site naturel. Plusieurs espèces florales protégées (Tulipe des bois, Lotier grêle, Groseiller rouge et Glaieul des moissons) s’y côtoyaient, ainsi que des animaux tels que des chiroptères mais leur inventaire se montre très incomplet, tout comme les mesures de compensations proposées.
Le projet, initié dans les années 80 et relancé en 2011, a été pensé pour irriguer les champs d’une poignée d’exploitations agricoles. Une structure dirigée par la Coordination Rurale, le Syndicat Départemental des Collectivités Irrigantes du Lot-et-Garonne, a imaginé et monté le dossier de ce projet pour servir un petit regroupement de vingt exploitations agricoles présidé par… l’ancien président de la Coordination Rurale départementale.
Le financement, estimé à 3 millions d’euros, devait être assuré aux deux-tiers par des fonds publics (p.65 du dossier d’autorisation environnementale). Dès le début, ce barrage n’était pas légitime mais, entre tergiversations et faiblesses face aux promoteurs du barrage, l’État a contribué à installer une situation conflictuelle sur la durée.
LAC DE CAUSSADE : HISTOIRE D’UN BARRAGE CONSTRUIT EN TOUTE ILLÉGALITÉ
Un racket de l’eau organisé par une minorité
La première curiosité dans les décisions de l’État date du 29 juin 2018. Sa représentante, la préfète du Lot-et-Garonne, autorise le barrage malgré des alertes qui se multiplient du côté des experts : avis réservé de l’Autorité Environnementale, non pas un, mais deux avis défavorables de l’Agence Française de la Biodiversité (devenue OFB), avis défavorable du Conseil National de Protection de la Nature, contradiction totale avec les orientations du Comité de Bassin Adour-Garonne notamment traduites dans son Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux.
De plus, les porteurs du projet (quitte à ne pas bénéficier des aides financières de l’Agence de l’eau Adour-Garonne) ont toujours refusé la démarche de « projets de territoire », méthode de concertation instaurée par l’Etat en 2015 pour associer toutes les catégories d’usagers autour d’une réflexion commune. Elle a notamment été mise en place pour éviter les dérives et appropriations sauvages en termes de gestion de l’eau, telle que l’on a pu en connaître avec le drame de Sivens.
La justice déclare le projet de Caussade illégal
Face à un projet aussi illogique que destructeur, nos associations déposent un recours en annulation de l’autorisation préfectorale devant le Tribunal administratif de Bordeaux en septembre 2018. Le lendemain, les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement demandent à la préfète du Lot-et-Garonne le retrait de l’autorisation
Un long feuilleton commence alors, mêlant décisions de justice, passages en force sur le terrain et attitude étrange sinon complaisante de l’État. Le 15 octobre 2018, la préfète retire son arrêté autorisant le chantier du barrage (et sera bientôt mutée). Puis par 5 fois, la justice donne raison aux associations du mouvement France Nature Environnement : le projet est totalement illégal.
Malgré les interdictions, la Coordination Rurale saccage le site naturel de Caussade
Pourtant, toutes ces décisions censées arrêter le projet n’y font rien. La Coordination Rurale, syndicat agricole à la tête de la Chambre d’agriculture du département, s’est saisi elle-même des pelleteuses et a engagé les travaux, en saccageant le site naturel. Les délinquants environnementaux se filment fin février 2019 en sabrant le champagne pour « l’inauguration » de la digue.
LE BARRAGE DE CAUSSADE AGGRAVE LES SÉCHERESSES QU’IL EST CENSÉ COMBATTRE
Caussade, projet nuisible pour l’ensemble du Lot-et-Garonne
Le 28 mars 2019, soit un mois après la construction illégale de la digue, le jugement de fond intervient. Le Tribunal administratif de Bordeaux confirme l’illégalité du projet en rappelant qu’un tel barrage ne répond en rien à une gestion soutenable de l’eau pour les habitants d’un territoire où l’eau manque régulièrement. La Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne fait appel de cette décision, mais la Cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux confirme l’illégalité du projet dans un arrêt du 23 février 2021, en soulignant les effets néfastes du projet sur la gestion des eaux et leur qualité.
Les barrages perturbent le cycle de l’eau
Selon les exploitants du barrage, il suffirait de stocker l’eau l’hiver pour faire face aux sécheresses l’été. Simple ? Imparable ? Non : dangereusement faux.
Les retenues d’eau assèchent durablement le territoire. En effet, l’eau s’inscrit dans un cycle. La stocker, c’est priver les sols et les milieux aquatiques et humides de l’eau dont ils ont besoin pour se régénérer.
C’est aussi favoriser l’évaporation de l’eau qui se réchauffe en stagnant. Une longue analyse des sécheresses entre 1945 et 2005 (lien en anglais) en Espagne montre ainsi que les bassins versants comportant le plus de barrages sont également ceux qui connaissent le plus de sécheresses. C’est aussi sur ces bassins que les épisodes secs sont les plus sévères et les plus longs.
Quoi qu’en dise le lobby de l’irrigation, les faits se montrent têtus : faire un barrage dans ces conditions, c’est accentuer les sécheresses du territoire.
Quand l’eau vient à manquer, il faut l’économiser
Stocker l’eau ne crée pas de ressource supplémentaire et n’invite pas à réduire sa consommation. Sur le bassin Adour Garonne, auquel appartient le barrage de Caussade, c’est un déficit en eau d’un milliard de m³ qui est prévu d’ici 2050, soit la moitié de la consommation actuelle.
Créer un barrage pour irriguer les exploitations d’une minorité d’agriculteurs revient à prendre une part plus importante d’un gâteau alors même que celui-ci se réduit. À la place, il est essentiel de réduire la consommation, et donc d’adapter les systèmes de culture, notamment en réduisant la culture intensive de maïs, mal adaptée à ce territoire. Les experts en soulignent l’urgence à longueur d’études.
- En savoir plus avec notre dossier : Sècheresse : les barrages, fausse solution face aux dérèglements climatiques
CAUSSADE : UN ÉTAT LÂCHEMENT COMPLICE
Des représentants de l’État complices
Depuis octobre 2018, le barrage de Caussade s’est construit en toute illégalité sans que le saccage ne soit jamais arrêté. Une seule fois, en janvier 2019, les gendarmes se sont rendus sur place pour poser des scellés sur les engins de construction. Les images rapportées par la presse témoignent d’une simple visite de courtoisie. Il a suffi d’un « non » de quelques agriculteurs parfaitement avertis de cette visite et ayant mobilisé force soutien sur place, pour que la gendarmerie rebrousse chemin.
La préfète du Lot-et-Garonne d’alors a certes ordonné par arrêté du 3 mai 2019 la cessation des travaux, la suppression de l’ouvrage et la remise en état du site sous peine de sanctions administratives… Seulement, elle s’est rapidement ravisée et a déclaré elle-même « suspendre l’exécution de cet arrêté ». Constatant la défaillance de l’État au regard du droit national mais aussi européen, France Nature Environnement a donc déposé une plainte auprès de la Commission européenne le 26 juillet 2019, et lui a adressé en juin 2021 un récapitulatif de cette affaire ubuesque.
Menaces de morts, insultes : l’impossible dialogue ?
Attachées aux vertus du dialogue, nos associations ont également accepté, dans un premier temps, la concertation mise en place par l’État. Mais à l’occasion d’une de ces réunions, le 30 septembre 2019, le président de la Coordination Rurale de Lot-et-Garonne a directement menacé de mort les représentants de France Nature Environnement. Bondissant sur eux, il affirmait – entre autres – « vous nous ferez plus chier quand vous serez au fond du lac ».
Il faut dire que plusieurs dirigeants de la Coordination Rurale 47 sont coutumiers des menaces de mort envers les personnes ne partageant pas leur point de vue et autres outrages à des agents publics. Un vocabulaire violent et guerrier, dont la presse locale se fait régulièrement écho. « Tenez-vous prêts et le moment venu, venez défendre ce lieu sacré. Il y avait Lourdes, il y aura Caussade », lançaient-ils à la presseavant d’appeler à la révolte en mai 2019. « L’eau du lac irriguera nos champs, comme le sang irrigue notre corps, vitaux tous les deux. Si l’une est versée, le nôtre le sera aussi », affirmaient-ils en mars 2020. Des propos qu’ils tenaient en mettant en place des barrages filtrants pour… empêcher l’accès du site de Caussade à tout fonctionnaire d’État. Ce site est devenu une zone durable de non-droit.
Stratégie payante ? Il faut croire : une enquête de Bastamag met en lumière les difficultés de la police environnementale face aux nombreuses concessions des préfets cédant au lobby de l’irrigation. Le barrage de Caussade n’y fait aucunement exception : l’État laisse faire. Les principaux protagonistes de la construction illégale de ce barrage ont toutefois été poursuivis et condamnés par le tribunal correctionnel d’Agen par jugement du 10 juillet 2020 : la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne elle-même, son président et son vice-président honoraire ont ainsi été condamnés ès qualité à des peines d’amende et de prison ferme (huit et neuf mois), au regard de leur passé judiciaire (jalonné de multiples condamnations) et de la gravité des faits ; ils ont fait appel.
Des délinquants environnementaux soutenus par nos élus
Dans l’intervalle, dans un souci d’apaisement et sous la pression de nombreux élus locaux soutenant les délinquants environnementaux, le gouvernement a diligenté en mai 2020 une mission d’inspection visant à analyser les risques et les conditions de “retour à la légalité” du barrage. Les associations environnementales ont refusé d’y participer.
Le rapport de cette mission, initialement prévu pour la fin du mois de juillet 2020 et finalement conclu en novembre 2020, n’a pas été rendu public malgré notre demande : le ministère de l’écologie, ignorant volontairement la loi environnementale, s’y refuse, au motif du caractère préparatoire à des décisions environnementales de ce rapport. Un recours contre ce refus illégal de transmettre le document a été introduit devant le Tribunal administratif de Paris en juin 2021.
Une version partielle et atténuée de ce rapport d’inspection a été communiquée par le préfet du Lot-et-Garonne à la chambre d’agriculture 47 le lendemain de l’audience devant la Cour d’appel d’Agen du 28 octobre 2021. Quelques mois plus tard, par arrêt du 13 janvier 2022, la Cour d’appel confirmait une fois de plus les culpabilités de la chambre d’agriculture et de ses deux dirigeants.
Le tribunal administratif a finalement donné tort au Gouvernement en 2023, et nous avons enfin pu prendre connaissance du rapport de cette mission avec 3 ans de retard, le 16 août 2023. La « solution » proposée par le rapport : laisser les choses en l’état et ignorer les (nombreuses) procédures judiciaires qui ont déclaré le barrage de Caussade illégal. L’Etat prend donc parti pour des délinquants environnementaux, propose d’effacer les conséquences de leurs actions et confirme son échec à faire respecter le droit.
BARRAGE DE CAUSSADE : UN DANGER IMMÉDIAT POUR LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
Etudes d’impact alarmantes : la Chambre d’Agriculture fait de la rétention d’informations
En plus de représenter un danger à moyen et long terme pour la ressource en eau du territoire, cette construction illégale est également une menace à très court terme à Pinel-Hauterive. Toutes les études n’ont pas été rendues publiques, ni transmises à l’État. Pourtant, une des synthèses qu’il a reçues s’est avérée si inquiétante que dès réception, la préfète a ordonné une vidange immédiate et sans délai du barrage. Nous étions alors en février 2020.
Que dit cette étude ? La Chambre d’Agriculture fait tout pour garder cela secret. Notre mouvement réclame lui aussi à la chambre d’agriculture une transmission complète des documents, au nom du droit d’accès à l’information environnementale : en vain. Un autre recours est engagé en mars 2021 devant le Tribunal administratif de Bordeaux pour faire respecter la loi.
Rupture, crues : le barrage de Caussade met en danger les riverains
L’étude se fait attendre mais d’autres analyses multiplient les alertes sur le danger immédiat que présente ce barrage comme France Nature Environnement le dévoile dans son communiqué du 2 juillet 2020. Notre mouvement a eu accès à plusieurs avis et rapports écrits par des experts techniques : voir notamment l’Inspection visuelle préalable à la surveillance renforcée, établie par le bureau IES en date d’avril 2020, l’analyse de ce rapport par l’INRAE en date d’avril 2020, l’avis de l’INRAE sur le rapport géotechnique Geofondation en date du 27 mars 2020 sur l’ouvrage de Caussade (47) ou encore l’Avis de la Direction générale de la prévention des risques d’avril 2020.
Tous sont connus de l’État et chacun d’entre eux pointe de nombreuses malfaçons. Ils alertent sur les risques de rupture de la digue écrivant par exemple que « plusieurs défauts majeurs de réalisation sont apparents. La mise en charge de l’évacuateur de crue lors d’une crue significative (pas nécessairement exceptionnelle) conduirait à des désordres majeurs, voire la ruine du barrage », selon le bureau IES en avril 2020. Des inquiétudes partagées par les services de la Direction générale de la Prévention des risques du ministère de l’environnement. Le danger pour les habitantes et habitants est donc réel, immédiat et connu de l’État, mais ce dernier n’agit pas.
FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT RESTE MOBILISÉE
Confrontées à la mise en exploitation illicite de ce barrage dépourvu d’autorisation par l’Association syndicale autorisée de Caussade depuis le printemps 2020,
- France Nature Environnement, la SEPANSO et la SEPANLOG ont de nouveau déposé une plainte en mai 2021 devant le procureur de la République près le tribunal judiciaire d’Agen, pour recel de l’eau exploitée à partir d’un barrage illicite et exploitation illégale d’un barrage malgré une mesure de suppression administrative.
- France Nature Environnement a également alerté en septembre 2021 le Directeur départemental des territoires du Lot-et-Garonne sur la situation des agriculteurs qui utilisent illégalement l’eau du barrage. En effet, les agriculteurs sont subventionnés par la collectivité nationale et européenne dans le cadre de la Politique Agricole Commune. Dans ce cadre, des sanctions financières sont prévues en cas d’infractions. Or, les irrigants membres de l’Association syndicale autorisée de Caussade exploitent l’eau du barrage de manière illégale, volontaire et revendiquée.
- En juin 2022 notre mouvement vient de demander réparation à l’Etat du préjudice subi par ses nombreuses fautes et son inaction : réparation du préjudice écologique par la réalisation d’office des travaux de suppression de l’ouvrage et de remise en état du site ; et réparation de nos préjudices moraux.
De toute évidence, une zone de non-droit s’est établie de fait dans la région du lac de Caussade, en connaissance de cause, et avec le soutien public de bon nombre d’élus locaux soutenant la délinquance environnementale et manifestement incapables de réfléchir et d’engager la transition agroécologique en Lot-et-Garonne, malgré le soutien financier public considérable irrigant l’agriculture.
Affaire à suivre…
Que faire aujourd’hui ? Les demandes du mouvement France Nature Environnement
Ainsi, à ce jour, l’État est aux abonnés absents. L’intimidation de la Coordination rurale et ses barrages filtrants sur les routes semblent l’avoir emporté sur le droit, l’environnement et la sécurité des habitant·es.
Pour le respect de l’État de droit et de l’intérêt général, la SEPANLOG, la SEPANSO Aquitaine, France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine et France Nature Environnement demandent :
- La vidange immédiate de l’ouvrage, conformément à l’arrêté préfectoral du 3 mai 2019 (art. 2) pour prévenir les risques de rupture de la digue du barrage et interdire son usage illicite ;
- La suppression de l’ouvrage et la remise en état du site, conformément à l’arrêté préfectoral du 3 mai 2019 (art. 3 & 4), non mis en œuvre à ce jour ;
- La transparence sur les données, notamment la diffusion par la Chambre d’agriculture des études de sécurité ;
- La mise en place d’un véritable projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) à l’échelle du bassin du Tolzac, comportant un volet de sobriété des usages et une évolution vers des modes de production agroécologiques car le partage de l’eau est une obligation d’intérêt général.
Le barrage de Caussade est devenu le symbole de trop nombreux maux. Cette situation n’est pourtant pas une fatalité. Face au manque d’eau, dans le Lot-et-Garonne comme ailleurs, une démarche raisonnable consiste à réunir tous les usagers locaux de la ressource en eau pour étudier des alternatives.
Adapter les cultures en privilégiant les plus économes en eau, se tourner vers des modes de production agroécologiques, optimiser le cas échéant la gestion de l’eau des retenues existantes… Des solutions durables existent et sont déjà mises en œuvre dans d’autres territoires.
Pour un retour à une situation apaisée, il est désormais de la responsabilité de l’État de mettre fin au clientélisme et aux rapports de force, de faire respecter la loi et l’ordre public environnemental, de mettre enfin en œuvre ses propres décisions, y compris celles de la justice, de gérer avec précaution le patrimoine commun de la nation que constitue l’eau, de protéger les citoyen·nes et de garantir la sécurité publique. C’est aujourd’hui un préalable indispensable pour permettre à tous et toutes de vivre sur un territoire vivant et vivable, pour les générations présentes comme futures.