La consommation de soja, cacao ou café en France provoque la destruction de près de 137 000 hectares de forêt à l’étranger chaque année
Pour la première fois, un rapport publié par l’ONG Envol vert quantifie la surface de forêt détruite à l’étranger en raison de la consommation nationale. Les importations de soja pour la nourriture animale sont les plus dévastatrices.
Toutes les trois minutes, l’équivalent de la superficie d’un terrain de football est déforesté pour la production de matières premières agricoles importées en France. Soja, cacao, café, caoutchouc sont produits à l’étranger, comme au Brésil ou en Côte d’Ivoire, où la forêt est remplacée par des cultures. Au total, 137 848 hectares d’arbres sont coupés chaque année rien que pour la consommation française. Ces données correspondent à l’« empreinte forêt » du pays. Elles sont publiées dans un rapport diffusé le 14 octobre par l’association Envol vert.
D’après le document, la première matière responsable de cette déforestation importée est le soja. Cette culture représente 44,4 % de l’empreinte forêt française, notamment en raison de la dégradation induite au Brésil, mais aussi en Argentine, aux Etats-Unis et en Inde. « Le soja importé est produit pour l’alimentation animale, qui est à distinguer de la production pour la consommation humaine », rappelle Marion Duffieux. La légumineuse est suivie par le cacao, responsable de 31,1 % de la déforestation importée. Les responsabilités du caoutchouc (7 %), du café (6 %), de l’huile de palme (2,4 %) et du cuir (2,4 %) ont aussi été calculées.
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L’ONG, qui œuvre pour la protection de la biodiversité, a utilisé une méthodologie développée par le Comité scientifique et technique Forêt, un groupe mêlant experts et autorités publiques : pour chaque matière première consommée en France, la surface nécessaire à sa production est multipliée par le taux de dégradation qui lui est associé dans chacun des pays producteurs. « C’est la première fois que l’empreinte forêt d’un pays est calculée », souligne Marion Duffieux, coordinatrice France d’Envol vert.
Plus compliqué sur le plan géopolitique
Les sept matières étudiées dans le rapport correspondent à celles qui sont ciblées par le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE). Ce texte vise à interdire la commercialisation en Europe de tous ces produits s’ils proviennent de terres déboisées après décembre 2020. En septembre 2025, l’entrée en vigueur de ce règlement a été reportée d’un an, à fin 2026, au grand dam des associations de protection de l’environnement.
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« Ce report correspond à une année de plus où les entreprises vont pouvoir importer des produits issus de la déforestation sans avoir de contrôle et de potentielles sanctions », regrette Baptiste Vicard, chargé de plaidoyer d’Envol vert. La France avait été « assez motrice » dans le portage du RDUE au niveau européen, mais « c’est beaucoup moins le cas désormais », assure-t-il.
Si, politiquement, l’application de cette loi est « primordiale » dans la lutte contre la déforestation importée, « géopolitiquement parlant », cela s’avère plus compliqué, indique Philippe Ciais, directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement de Saclay. « En général, l’Europe propose des régulations pour l’environnement et les Etats-Unis protestent, rappelle le chercheur. Mais ensuite, des régulations similaires sont mises en place aux Etats-Unis. Ces normes américaines deviennent un standard dans beaucoup de pays. » Mais avec Donald Trump au pouvoir, Philippe Ciais « doute que les Etats-Unis emboîtent le pas de l’Europe et décident de faire quelque chose en termes de régulation ».
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Pour Envol vert, l’application du RDUE est l’une des principales conditions pour mettre fin à la déforestation importée, même si ce règlement n’est pas parfait aux yeux de l’ONG. « Le RDUE ne prend pas en considération certaines zones, car il considère qu’une forêt fait plus de 5 mètres de haut, détaille Marion Duffieux. Des espaces de savane arborée tels que le Cerrado au Brésil, qui est pourtant une très grosse zone de production de soja, sont ignorés. »
En 2018, la France a été le premier pays du monde à adopter une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI), avec un objectif zéro déforestation importée en 2030. « En adoptant une SNDI, la France s’est engagée à mesurer sa déforestation importée. Mais aujourd’hui, elle ne le fait pas », dénonce Marion Duffieux. Le premier calcul a été réalisé par Envol vert, mais l’ONG espère que les prochaines années l’Etat s’engagera à mesurer lui-même « l’évolution de l’impact de la France année après année ».
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