Plus de 10 000 femmes sont en attente d’un don. 50% de femmes seules, 38% de femmes en couple et 17% en couple hétérosexuel.
Pour les PMA avec don de spermatozoïdes, un système de soins encore sous tension
Quatre ans après l’ouverture de ces parcours aux femmes seules et en couple homosexuel, les hôpitaux ont dû absorber cette nouvelle demande, qui reste soutenue. Le délai d’attente demeure élevé, à près de dix-huit mois en moyenne, avec de fortes disparités selon les territoires.

Chez les soignants de procréation médicalement assistée (PMA), comme chez les patients qui suivent ces parcours, la question se pose désormais de manière aiguë : comment faciliter le don de gamètes, en premier lieu de spermatozoïdes, le nerf de la guerre, face à des besoins qui ont explosé ? Pour y répondre, et pour la deuxième année d’affilée, un bus de l’Agence de la biomédecine a sillonné dix villes pendant un mois pour sensibiliser les populations, avec une dernière étape prévue vendredi 17 octobre. A l’automne 2024, les candidats au don avaient doublé à l’issue de ce tour de France.
D’un service hospitalier à l’autre, on dresse le même constat : le soufflé ne retombe pas, constate l’ensemble des acteurs de santé. La demande soutenue met toujours sous pression le système de soins, plus de quatre ans après le vote de la loi de bioéthique, en 2021, qui a ouvert la PMA aux femmes et aux couples de femmes, avec don de spermatozoïdes.
Un indicateur est particulièrement scruté : celui du délai d’attente, crucial pour ces processus où l’âge de la femme fait partie des principaux critères de succès, et d’échec. Et là, le bât blesse : près de dix-huit mois d’attente sont nécessaires, en moyenne, pour accéder à une PMA avec don de spermatozoïdes, selon le bilan arrêté par l’Agence de la biomédecine au 31 décembre 2024 (contre 15,5 mois en 2023).
Plus de 10 600 femmes sont en attente d’un don, dont près de la moitié de femmes seules, 38 % de femmes en couple, 17 % en couple hétérosexuel. Avec près de 47 000 demandes au total enregistrées de la part de femmes seules ou en couple, l’activité nécessitant un don de spermatozoïdes, qui ne représente qu’une petite part de l’assistance médicale à la procréation (AMP), a été multipliée par 8,5 depuis la loi.
« Demande inabsorbable »
« La demande ne se tarit pas, relève Marine Jeantet, directrice de l’Agence de la biomédecine. Au départ, cela a été un tsunami pour les centres d’assistance médicale à la procréation, on ne savait pas si c’était un “effet de rattrapage”, mais il semble bien, aujourd’hui, qu’on soit dans un phénomène structurel. Il faut continuer à adapter l’offre de soins de manière durable. »
Avec au moins un constat rassurant : le nombre de donneurs de spermatozoïdes a légèrement augmenté, atteignant un millier en 2024, alors que la crainte était celle d’un recul du don, avec la levée de l’anonymat actée par la loi bioéthique. Concernant les ovocytes, les chiffres n’ont pas bougé, avec 900 donneuses environ chaque année.
Sur le terrain, les médecins rapportent des situations hétérogènes. Chez la professeure Christine Decanter, au CHU de Lille, le sentiment est au « mieux » : « Nous avons toujours énormément de demandes, mais aujourd’hui, nous sommes à douze mois d’attente pour une PMA avec don de sperme », décrit la cheffe de service. Du mieux, aussi, sur la « sérénité » retrouvée dans ses couloirs : « Nous avons eu, au début, beaucoup de femmes de 35 ans, 36 ans, qui venaient dans une grande urgence, souvent après de premières tentatives en Belgique, relate-t-elle. Aujourd’hui, nous voyons arriver des couples de femmes plus jeunes, qui viennent en sachant qu’il y a ce délai d’attente, c’est plus fluide. »Descendre à six mois serait un délai d’attente « raisonnable », estime-t-elle, quand d’autres confrères l’estiment à trois mois.
« Ce qui nous pose vraiment souci, en revanche, c’est la préservation ovocytaire sans raison médicale, là c’est la catastrophe, on fait face à une demande inabsorbable », juge-t-elle. Cette autre nouveauté, ouverte par la loi de 2021, met fortement sous tension les services hospitaliers, avec plus de 15 550 nouvelles demandes comptabilisées en 2024, pour seulement 6 510 prises en charge, et un temps d’attente moyen évalué à treize mois.
A Lille, les femmes qui souhaitent en bénéficier doivent attendre un an pour réaliser cette ponction d’ovocytes, mais il leur faut aussi, en amont, attendre au moins un an pour obtenir la première consultation. « Quand nous avons ouvert les rendez-vous, à la rentrée, en une journée toute l’année a été remplie, reprend Mme Decanter. On fait beaucoup de mécontentes, mais on doit limiter cette activité, car il faut bien avoir conscience qu’elle entre en concurrence avec le reste de l’activité, pour les places au bloc opératoire, en consultation d’anesthésie… C’est-à-dire pour les FIV [fécondations in vitro] ou la préservation de fertilité pour raison médicale [cancer, endométriose], qui peuvent difficilement être différées. »
« Inégalités d’accès aux soins »
Au CHRU de Tours, sa consœur endocrinologue Olivia Gervereau ne voit, elle non plus, « aucune baisse de la demande »depuis que son service a multiplié par dix l’activité avec don de sperme. C’est pourtant un délai de six à huit mois qu’il a réussi à maintenir, grâce à une « banque de gamètes qui fonctionne très bien ». « On arrive quand même à un moment où l’équipe est épuisée, on est toujours sous l’eau », souligne la responsable clinique, qui espère toujours des bras en plus. Certains délais commencent, eux, à s’allonger, comme celui pour obtenir un premier rendez-vous, qui est passé, depuis septembre, de quatre mois à six mois.
« Nous n’avons pas fini de mesurer l’ampleur du changement et toutes ses implications, juge Thomas Fréour, au CHU de Nantes. Chaque population a des parcours, des attentes, des contraintes qui ne sont pas les mêmes, on doit continuer de s’ajuster. » Chez lui aussi, le délai est plutôt favorable par rapport aux chiffres nationaux – entre neuf et douze mois d’attente pour un parcours avec don de sperme. « Mais ça ne reflète pas la grande hétérogénéité sur le territoire, c’est difficile de comprendre comment on peut s’accommoder de tolérer de telles inégalités d’accès aux soins », juge-t-il. Lui, comme d’autres, en témoigne : il doit refuser les demandes qui viennent de partout en France.
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Comment faire mieux ? Pour les médecins de la reproduction, il y a urgence à élargir l’offre de soins, en premier lieu face à la demande de préservation de fertilité. « Nous avions, avec le gouvernement démissionnaire, identifié une trentaine de centres supplémentaires qui pourraient pratiquer ces préservations, alors qu’il n’y en a que quarante-trois, rapporte Samir Hamamah, chef de service au CHU de Montpellier et président de la Fédération française d’étude de la reproduction. Il faut délivrer les autorisations au plus vite, et aussi autoriser plus de centres à l’activité de dons. » Lui plaide aussi pour une autre possibilité, souvent méconnue, qui ne fait pas forcément consensus chez ses confrères : il est possible, aujourd’hui, conformément au droit européen, de demander, avec l’accord de l’Agence de la biomédecine, d’importer des gamètes issus de banques de sperme d’autres pays européens.
Chez les patients, on soulève d’autres pistes face à ces « délais désespérants », selon les termes de Virginie Rio. « Il est temps de rendre plus efficiente l’assistance médicale à la procréation, en optimisant des étapes-clés que sont le diagnostic ou le transfert d’embryon, estime la cofondatrice de l’association Collectif BAMP !, qui réunit patients et ex-patients de l’AMP. Nous attendons avec impatience une nouvelle loi de bioéthique, pour pouvoir enfin utiliser des outils comme celui de la génétique, encore interdits en France, alors que la quasi-totalité des pays européens y ont recours. Cela permettrait d’arrêter des parcours d’échecs à répétition qui durent des années, alors qu’ils auraient pu être évités. » Autant de limites qui expliquent, selon elle, que des femmes et des couples continuent d’être « contraints » de partir à l’étranger, quand ils en ont les moyens.
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PMA : face au manque de donneuses d’ovocytes, l’idée d’une indemnisation fait son chemin
Alors que la gratuité du don est un principe en France, des professionnels de la procréation médicalement assistée s’affirment favorables à un défraiement. D’autant que la démarche consiste en un lourd parcours médical.

Indemniser les donneuses d’ovocytes ? Dans un pays où la gratuité du don d’éléments du corps humain est érigée en principe fondateur de la bioéthique, l’idée peut surprendre. Elle fait pourtant son chemin chez des professionnels de la procréation médicalement assistée (PMA) qui tentent de faire entendre leur voix. Avec un constat : celui du manque de candidates au don d’ovocytes, alors que la demande s’accroît, notamment en raison de l’autorisation en France, depuis la loi de bioéthique de 2021, du recours au double don de gamètes – la fécondation des ovocytes d’une donneuse avec le sperme d’un donneur –, jusqu’ici interdit.
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Selon les derniers chiffres nationaux de l’Agence de la biomédecine, 929 donneuses d’ovocytes étaient comptabiliséesen 2024, quand 2 770 couples ou femmes seules se trouvaient, dans le même temps, sur liste d’attente pour une PMA avec don d’ovocytes. Le délai d’attente atteignait vingt-quatre mois, alors que le temps est, dans ces parcours, l’un des facteurs-clés de succès.
Face à la pénurie, est-il temps de remettre en cause l’absence de contrepartie au don, consacrée dans les premières lois de bioéthique, en 1994 ? Examens médicaux, prises de sang, échographies, stimulation ovarienne, ponction sous anesthésie au bloc opératoire… Encore plus que le don de sperme, également en tension, le don d’ovocytes requiert un engagement important, qui peut demander, au-delà de l’aspect médical, de poser des jours de congé au travail, entraîner des frais de transport ou une organisation pour faire garder ses enfants.
Proposer une indemnisation permettrait de « valoriser » ce geste altruiste, défend Mikaël Agopiantz, médecin de la reproduction au CHU de Nancy et président de l’Association nationale du don d’engendrement. Au sein de cette association créée durant l’été, qui réunit à la fois des professionnels de santé, des chercheurs et des représentants de personnes concernées, l’indemnisation des donneuses (et des donneurs) fait partie des pistes défendues pour améliorer les prises en charge.
« Sortir de l’hypocrisie »
Selon quelles modalités ? Plusieurs options sont sur la table, quand bien même tous se refusent à employer le mot « rémunération ». Le professeur Agopiantz avance l’idée d’une « indemnisation forfaitaire, affichée dès le départ, pour anticiper les frais engagés par la donneuse », sans indiquer de montant précis. Sa collègue Joëlle Belaisch-Allart, présidente d’honneur du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, évoque, elle, une « indemnisation raisonnable, de l’ordre de quelques centaines d’euros », versés au début du parcours. Mais « sans aller jusqu’au modèle espagnol, qui rémunère les femmes à hauteur d’un millier d’euros ».
Nul doute que la question alimentera les débats autour de la prochaine loi de bioéthique, qui démarrent avec l’organisation, à compter de janvier 2026, des Etats généraux de la bioéthique. Michaël Grynberg, gynécologue-obstétricien spécialisé dans les traitements de la fertilité exerçant à l’hôpital Béclère, à Clamart (Hauts-de-Seine), défend, lui, un « dédommagement » qui pourrait représenter jusqu’à un millier d’euros. « Il faut arrêter de fermer les yeux et sortir de l’hypocrisie actuelle : parce que nos délais d’attente sont trop longs, on envoie nos patientes dans des cliniques espagnoles, qui ont des ovocytes, et font payer 8 000 à 10 000 euros le parcours. La France l’accepte, la Sécurité sociale rembourse même 1 500 euros à la patiente dans ce cas ! Pourquoi ne pas utiliser plutôt cet argent pour dédommager les donneuses ? », interroge-t-il. Et d’ajouter des garde-fous écartant, selon lui, tout caractère « lucratif » : le nombre de dons pourrait être limité à deux ou trois sur une vie.
Pour les adversaires d’un tel changement, l’idée d’une indemnisation s’oppose au modèle français du « don bénévole volontaire », cette « particularité française, noble », salue le professeur Jean-Marc Ayoubi, chef du service de gynécologie-obstétrique et de la reproduction à l’hôpital Foch, à Suresnes (Hauts-de-Seine), qui a réalisé avec son équipe les premières greffes d’utérus en France. « Bien sûr que le coût qui incombe à la personne doit être totalement pris en charge et remboursé, pour tous ses frais, mais ce n’est pas une rémunération. Bénévole, cela veut dire sans contrepartie », insiste-t-il. « Certains disent 1 000 euros, comme en Espagne, pourquoi pas 5 000 euros alors ? Et combien pour un utérus, un rein ? Même si on l’appelle différemment, si on atteint de telles sommes, on sort du système français », estime le médecin, en reconnaissant défendre une position « minoritaire » au sein de la profession.
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