La gestion de crise du Covid-19 par la Cour de justice de la république; Agnès Buzyn, Olivier Véran et Edouard Philippe et un grand absent Manuel Macron échappent a toute sanction.

« L’Etat a respecté ses obligations légales » : le Conseil d’Etat rejette l’indemnisation de proches de personnes décédées du Covid

Saisi par des proches de personnes décédées du Covid qui demandaient à être indemnisés, le Conseil d’Etat a rejeté ce jeudi leurs recours. La plus haute juridiction a jugé que « l’Etat s’est préparé depuis 2004 à l’émergence d’un agent respiratoire hautement pathogène et a mis en œuvre, dès le début et au cours de la pandémie, des mesures appropriées au contexte et cohérentes avec les recommandations scientifiques ». 

16/10/2025 https://www.egora.fr/actus-pro/judiciaire/letat-respecte-ses-obligations-legales-le-conseil-detat-rejette-lindemnisation?check_logged_in=1

Par Sandy Bonin

Conseil d'Etat

Crédit photo : Romain P19 – stock.adobe.com

Plusieurs familles de personnes décédées du Covid avaient saisi le Conseil d’Etat pour demander une indemnisation des préjudices subis du fait de fautes qui auraient été commises par l’Etat dans la préparation et la gestion de la crise. Les plaignants estimaient que l’Etat « n’avait pas constitué un stock suffisant de masques en amont de l’épidémie et qu’il avait commis des fautes dans la gestion de la crise, en particulier s’agissant de la communication sur l’utilité du port du masque par la population, de la gestion de la pénurie de masques et de gel hydroalcoolique, de la stratégie de dépistage et de la date, qu’elles jugeaient trop tardive, à laquelle a été prise la décision de confiner la population », rapporte le Conseil d’Etat, dans sa décision du jeudi 26 octobre. 

S’agissant de la préparation à la crise du Covid, le Conseil d’Etat relève que l’Etat a identifié dès 2004 le risque d’émergence d’un agent respiratoire hautement pathogène et qu’il a constitué un stock stratégique national de 100 millions de masques chirurgicaux destinés aux personnes malades, et à leur entourage. 

Le Conseil d’Etat juge qu’une telle préparation à la crise ne traduit pas de faute. Le fait d’avoir pu constater, a posteriori, que le nombre de masques disponibles au sein du stock national s’était révélé insuffisant pour répondre aux besoins de protection de toute la population ne conduit pas à retenir que l’Etat aurait manqué à ses obligations légales en matière de préparation aux crises sanitaires susceptibles de survenir, pointe la justice administrative.

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En ce qui concerne la réponse à la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid, le Conseil d’Etat relève d’abord que la communication en deux temps des autorités publiques qui a consisté, entre fin février et fin mars 2020, à préconiser que le port du masque soit réservé en priorité aux personnes symptomatiques et aux professionnels de santé, puis, à partir de début avril 2020, à inciter le grand public à porter des masques « alternatifs », était cohérente avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, du Haut Conseil de la santé publique et des sociétés savantes, et adaptée au contexte de pénurie mondiale de masques.

Rejet des demandes d’indemnisation

Le Conseil d’Etat observe également que des commandes massives de masques ont été effectuées par Santé publique France dès la fin du mois de février 2020, complétées par des réquisitions auprès des personnes morales de droit public et privé, et que le choix de distribuer ces masques en priorité aux professionnels de santé et aux établissements de santé était cohérent avec les recommandations scientifiques. 

Il estime, enfin, que des mesures ont été rapidement prises pour faciliter la production de solutions hydroalcooliques, que la stratégie de dépistage retenue était adaptée aux difficultés d’approvisionnement en réactifs chimiques et que la situation constatée en France avant le 16 mars 2020, eu égard au nombre de contaminations et au nombre de patients hospitalisés, ne justifiait pas de prendre, avant cette date, une mesure de confinement généralisé de la population. 

Le Conseil d’Etat en déduit donc que l’Etat a respecté ses obligations légales en matière de réponse aux alertes et crises sanitaires et rejette la demande d’indemnisation des familles. 

Auteur de l’article

Sandy Bonin

Cheffe de rubrique Actualités

Covid-19 : le document judiciaire qui critique la gestion du gouvernement en 2020

Par  et 

le 16 octobre 2025 à 06h45, modifié hier à 09h58 https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/10/16/covid-19-le-document-judiciaire-qui-critique-la-gestion-du-gouvernement_6647097_823448.html?lmd_medium=email&lmd_campaign=trf_newsletters_lmfr&lmd_creation=larevuedumonde&lmd_send_date=20251017&lmd_email_link=la-revue-du-monde_les-essentiels_lien-lire-la-suite_titre_3&M_BT=53496897516380

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Enquête« 

Le Monde » s’est plongé dans les 1 482 pages de l’arrêt rendu le 7 juillet par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République. Au-delà du non-lieu prononcé en faveur d’Agnès Buzyn, Edouard Philippe et Olivier Véran, ce texte, appelé à faire date, relève de graves manquements.

Voilà un document bâti pour l’histoire. Rendu en catimini le 7 juillet, au terme de cinq ans d’investigations, l’arrêt de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) pose un regard cru sur la manière dont l’exécutif – en l’occurrence un premier ministre (Edouard Philippe) et deux ministres de la santé (Agnès Buzyn, puis Olivier Véran) – a géré la crise liée au Covid-19, entre janvier et juillet 2020, période visée par l’enquête. Long de 1 482 pages, cet arrêt de non-lieu général, dont Le Monde révèle le contenu, s’apparente en réalité à un impitoyable réquisitoire. Il pourrait aussi faire office de salutaire rappel à l’ordre…

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Les trois magistrats de la CJR étrillent une gestion gouvernementale émaillée, selon eux, de multiples dysfonctionnements. Révélant les erreurs – et, parfois, les mensonges – de l’exécutif, ils concluent que nombre de décès, sur les 32 000 recensés de janvier à juillet 2020, auraient pu être évités. En pointant de graves défaillances, notamment « un manque d’anticipation crucial » ou encore « l’inefficacité structurelle d’un système », ils s’inscrivent à rebours de la doxa selon laquelle la crise aurait été gérée au mieux. A en croire leur arrêt, au contraire, « le pays était mal préparé et mal équipé, il a connu une insuffisance des stocks stratégiques, une politique de dépistage tardive, une crise logistique, un défaut d’anticipation ou une minoration de la deuxième vague, une gouvernance peu lisible ».

Au cours de leurs investigations, les magistrats ont dû lever bien des obstacles, tant ils se sont heurtés à la mauvaise volonté des responsables politiques. Malgré ces difficultés, ils sont convaincus d’avoir fait leur devoir en conscience. « Il est définitivement vain de rechercher dans la présente information un acharnement procédural », insistent-ils.

Un principe de base soutient leur enquête : « Chacun sait que le temps en matière d’épidémie est primordial, (…) la vitesse de réaction fait tout. » Conclusion : « Plus le temps de réaction est long, et plus la question d’une éventuelle qualification pénale se pose. » La commission s’est donc attelée à déterminer si les autorités avaient pris rapidement la mesure du péril, comme elles le prétendent. Pour ce faire, il a d’abord fallu reconstituer avec minutie la chronologie des faits.

Une « alerte que les autorités ne pouvaient ignorer »

Les trois premiers cas de Covid-19 sont détectés dans l’Hexagone le 24 janvier 2020, alors qu’Agnès Buzyn, ministre de la santé, affirme avoir eu connaissance du virus lors de Noël 2019. Un mois de latence, donc, durant lequel il ne se passe pas grand-chose. Comment l’expliquer ? Les trois ministres mis en cause avancent la même défense : le pouvoir chinois n’aurait pas suffisamment alerté du danger. Un argument battu en brèche par la CJR. « Il n’est pas possible d’évoquer une absence d’information des autorités chinoises ou une impossibilité pour les autorités françaises d’en disposer », accuse-t-elle.

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De fait, les enquêteurs ont identifié et fait traduire de nombreux documents produits par les autorités sanitaires et la presse chinoises, à partir du 31 décembre 2019, avertissant du caractère mortel du virus, et ce, alors que, entre janvier et la mi-février 2020, de 10 à 15 avions en provenance de Chine atterrissaient chaque jour en France. Seule réponse du pouvoir, en France : la distribution de « flyers » aux passagers dans les aéroports.

Dès le 3 janvier 2020, les Chinois parlaient pourtant de 44 patients atteints par une « pneumonie virale » et évoquaient une « épidémie ». Selon les juges, à cette date, « l’existence d’un nouveau coronavirus était établie, les contaminations admises par dizaines, plusieurs hors de Chine, des décès étaient déjà intervenus. Autant de critères susceptibles de commander une prudence extrême ». Au total, révèle la Cour de justice de la République, pas moins de 78 communiqués ont été émis par Pékin de fin décembre 2019 à fin janvier 2020, tous avertissant de la dangerosité de ce virus identifié le 9 janvier comme « un nouveau coronavirus ».

TITWANE

Il faut attendre le 11 janvier 2020 pour qu’Agnès Buzyn alerte, par SMS, Edouard Philippe et Emmanuel Macron de l’imminence du danger. Visant aussi bien le président de la République – à l’abri de toute poursuite du fait de l’immunité attachée à sa fonction — que son premier ministre de l’époque, les juges s’étonnent : « Il reste à comprendre pourquoi les deux têtes du pouvoir exécutif français n’auraient été avisées du risque d’émergence de ce nouveau virus, de manière officieuse, que le 11 janvier 2020. » Les magistrats déplorent qu’« en raison de l’immunité pénale du président de la République ses conseillers santé et diplomatie n’[aient] pas été entendus par la commission sur ce point ».

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La chronologie est frappante. Le 10 janvier, la séquence génomique – autrement dit la carte d’identité scientifique du virus – est transmise au monde entier. Cinq jours plus tard, Pékin recommande le port de « masques médicaux ». Dès le 20 janvier apparaît l’hypothèse des patients asymptomatiques susceptibles de transmettre le virus. Le 22 janvier, « la transmission interhumaine » est certifiée par les autorités chinoises. L’âge et les comorbidités apparaissent déjà clairement comme des facteurs aggravants. « Il y avait donc là deux axes majeurs pour les actions de prévention à instaurer », insiste la Cour.

A Paris, seule la ministre de la santé semble aux aguets. En atteste un SMS saisi par les juges, envoyé le 24 janvier par Agnès Buzyn à Jérôme Salomon : « Oups ! Cela va vite », dit-elle au sujet de la propagation. Les Italiens, eux, réagissent très rapidement ; l’ambassade de France à Rome en fait d’ailleurs état au Quai d’Orsay, le 29 janvier. Pourquoi, dès lors, l’ex-premier ministre Edouard Philippe affirme-t-il ne pas avoir été alerté par le réseau diplomatique ? « Il est douteux que les autorités françaises n’aient pas eu connaissance [de ce suivi de l’ambassade] », balaient les juges.

Au vu de ces éléments très vite connus, la CJR critique la réponse française : « Dès le 3 janvier 2020, toute référence au terme de “grippette” aurait dû être largement combattue », alors qu’a contrario la « communication [de l’exécutif] tendait à minimiser le risque présenté par l’épidémie ». Et d’ajouter : « Les autorités françaises connaissaient ou auraient pu anticiper, dès fin janvier 2020, la nature du sinistre sanitaire annoncé. » « Ni M. Philippe ni Mme Buzyn n’ont jamais fait publiquement état de tels renseignements fin janvier-début février 2020 », insistent les magistrats.

Les autorités sanitaires, elles aussi, en prennent pour leur grade, devant l’accumulation des messages d’alerte émanant de multiples structures internationales, tels ProMED-mail ou l’Organisation mondiale de la santé, laquelle préconise, dès le 25 janvier, le recours aux masques. Citant de nombreuses publications de ce même mois de janvier 2020, les juges en concluent que « cet échantillonnage démontre la précocité de parutions scientifiques relatives à l’épidémie de même que leur communication rapide aux autorités gouvernementales. (…) L’ensemble de ces parutions constituaient donc, dès janvier 2020, un élément majeur de l’alerte que les autorités sanitaires françaises ne pouvaient ignorer ». Les magistrats, cinglants, soulignent « la constance avec laquelle les mis en cause ont omis de consulter lesdites publications ».

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Le premier décès en France, celui d’un touriste chinois âgé de 80 ans, survient dans la nuit du 14 au 15 février 2020. Six jours plus tard, un nouveau rapport international relate l’apparition de cas groupés en Italie, les fameux « clusters ». Cela « laissait peu de doutes sur la dissémination du virus et sa probable arrivée massive et rapide en France », écrivent les juges, avant d’asséner : « Il y a là un élément factuel susceptible de caractériser le retard dans la réaction des autorités françaises, contrairement à ce qu’elles ont continuellement prétendu. »

Le 23 février 2020, le dispositif Orsan-REB (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles pour risque épidémique et biologique connu ou émergent) est déclenché afin de coordonner la riposte. Un plan dont Agnès Buzyn se vante devant les juges d’avoir amélioré l’efficacité. Mais les magistrats notent que dans un message adressé sur Telegram à Jérôme Salomon, elle écrit, le 28 juin 2020, peu avant d’être entendue par les députés : « Par ailleurs, c’est quoi le plan Orsan-REB ? » La Cour de justice de la République « ne peut que s’étonner de la nature des questions posées par Mme Buzyn, alors qu’elle n’a eu de cesse de répéter à la commission d’instruction combien elle avait été présente sur la mise en œuvre du plan Orsan-REB ».

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Et puis il y a ce « mystère », comme le qualifient les juges : « L’absence d’échanges entre Mme Buzyn et M. Salomon sur la messagerie Telegram entre le 13 septembre 2019 et le 11 avril 2020. » En clair, la Cour suspecte le duo – qui s’en défend – d’avoir effacé toutes ses conversations datant de cette période. De quoi intriguer les juges : qu’auraient donc à cacher les autorités ? Peut-être ce qu’il convient d’appeler l’affaire des masques… « Les masques, principale question posée dans les plaintes », rappelle la CJR, qui en a fait le fil rouge de son enquête.

« Un discours public qui dissimule »

Après avoir examiné toute la littérature scientifique possible, les magistrats en tirent une triple certitude : les masques étaient indispensables ; les autorités le savaient ; elles l’ont caché. « La commission d’instruction, écrivent-ils, ne peut que relever, d’une part, l’énoncé de règles déjà produites lors d’une précédente crise sanitaire et donc censément connues des autorités, d’autre part leur caractère extrêmement précis, enfin le fait qu’elles concernent pour la plupart autant le malade que ses contacts ».

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Or, quand le virus déferle sur la France, une fiche officielle publiée le 7 février 2020 à destination des employés des aéroports, gares et ports évoque un « risque de contamination limité » et assure que « le port du masque n’est pas nécessaire pour le personnel ». Doublement faux. Alors que les études, y compris françaises, pullulent à ce sujet, Agnès Buzyn maintient : « Quand je dis [à l’époque] que les masques sont réservés aux malades et aux soignants (…), je n’ai pas trouvé une seule recommandation qui dise l’inverse. » Inexact, là encore, d’après les juges. Et la CJR de le marteler : « Les recommandations en France sur le port du masque ont été en début de pandémie dictées en grande partie par [leur] indisponibilité. »

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Le 9 mars 2020, Jérôme Salomon communique à Olivier Véran – successeur d’Agnès Buzyn – les chiffres qui font mal : alors que le stock minimal devait être d’un milliard, il reste à peine… 86 millions de masques chirurgicaux, et plus aucun FFP2 ! « La pénurie, concluent les juges, est avérée et a pour conséquence de priver de masques des catégories socioprofessionnelles. Dans le même temps, le discours public dissimule l’ensemble de ces éléments. » Une sorte de mensonge d’Etat, au moins par omission.

Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, va ainsi affirmer que le masque « n’est pas nécessaire si on n’est pas malade ». Agnès Buzyn surenchérira : « Il n’y a aucune indication à porter un masque. » Le premier ministre, Edouard Philippe, assurera, pour sa part, que « porter un masque en population générale, ça ne sert à rien ». Pourtant, face aux juges, l’ex-locataire de Matignon maintient : « A votre question de savoir si j’ai menti aux Français, je ne crois pas. »

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Mais que s’est-il passé pour que ce stock disparaisse ? « Le coût financier pèse nécessairement dans la balance », avancent les juges. « Les autorités ne semblent pas avoir pris la mesure du stock de masques », affirment-ils encore, mettant en exergue un SMS de Jérôme Salomon à sa ministre, le 23 janvier. « Pas d’inquiétude sur les stocks de masques », assure-t-il !

En réalité, l’hémorragie dramatique de masques était connue de la direction générale de santé depuis, au moins, le 3 octobre 2018 et une note d’alerte retrouvée par les magistrats. « Aucun message sur cette question ne m’a été adressé », proteste Agnès Buzyn. « Cette position, rétorquent les juges, surprend d’autant plus que tous les ministres ayant précédé Mme Buzyn ont déclaré être informés des difficultés relatives aux stocks stratégiques et il n’apparaît pas incongru qu’un ministre s’assure de l’état des stocks au regard de leur importance. (…) Il est possible de s’interroger sur un certain manque de curiosité de sa part. »

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Pour étayer leur démonstration, ils citent Geneviève Chêne, patronne de Santé publique France durant la crise : « S’il y avait eu pléthore de masques, la décision aurait pu être différente et préconiser le port du masque en population générale. » François Baroin, alors président de l’Association des maires de France, enfonce le clou. Amer et ironique, le maire de Troyes hésite entre « un mensonge habillé d’une pénurie » et une « pénurie habillée d’un mensonge ».

Au-delà des soignants, qui ont payé un lourd tribut au Covid-19, l’ensemble de la population a pâti de ce fiasco d’Etat. « La France n’a pu bénéficier de ces masques dont elle avait pourtant tant besoin à cette époque, blâment les juges. Se pose alors la question de la réactivité des autorités sanitaires françaises. Pourquoi ne pas avoir anticipé davantage ? (…)Loin de constituer une stratégie, l’évolution des commandes [de masques] révèle davantage une certaine impréparation et impéritie de l’Etat à contenir l’épidémie. »

S’agissant des équipements de protection en général, le constat des magistrats est accablant : « Absence de masques FFP2, lunettes, surchaussures… réutilisation des masques, réutilisation des blouses, surblouses remplacées par des sacs plastique… Tous ces éléments, faisant l’objet de multiples témoignages, ne peuvent que conduire à s’interroger sur la protection effective des soignants dans les premiers temps de la crise sanitaire, quels que soient par ailleurs les propos rassurants des responsables politiques, voire leur négation d’une absence (…) de ces dispositifs et équipements. »François Baroin parle même d’un « effondrement de l’Etat ».

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Parmi d’innombrables exemples de cette bérézina, citons un étonnant message, daté du 16 mars 2020, émanant du ministère de la santé, alors dirigé par Olivier Véran – il a succédé à Agnès Buzyn un mois plus tôt –, et adressé à tous les professionnels du secteur. Les juges ont eu la surprise de découvrir deux versions de ce document : la première certifie que « l’utilisation d’un masque chirurgical avec un délai de dépassement de la date de péremption supérieure à six mois n’est pas possible » ; la seconde, plus souple, que l’utilisation est « possible sous réserve d’un contrôle visuel » ! Cette incohérence – une « contradiction complète », d’après l’arrêt – n’est pas la seule relevée par les enquêteurs.

« Aucune mesure particulière concernant les Ehpad »

Ainsi du sort réservé aux personnes âgées : le 13 mars 2020, Olivier Véran recommande d’« accélérer les sorties des patients à domicile » pour « libérer de la capacité d’hospitalisation ». Les « anciens » sont les principaux concernés. « Une telle politique de “déshospitalisation”, observent les juges, aurait dû impliquer la mise en place de précautions sanitaires. » Or, ce ne fut pas le cas. « Restreindre fortement l’accès des personnes âgées aux établissements hospitaliers, tout en ne les protégeant pas assez dans les Ehpad ou à domicile, a contribué à aggraver leur situation et explique en partie le bilan des décès chez les plus âgés au cours de la première vague », constatent les magistrats.

Olivier Véran n’est pas le seul à être critiqué. « Aucune mesure particulière concernant les Ehpad ne semble avoir été anticipée lorsque Mme Buzyn était encore ministre », souligne la CJR. La première directive remonte, en effet, au 28 février 2020, douze jours après que celle-ci a quitté le gouvernement pour se lancer en catastrophe dans la course à la Mairie de Paris. A ce sujet, les juges s’étonnent qu’elle « démissionne deux jours après le premier décès en France», pour s’empresser de « partag[er] avec M. Véran, le 17 février, son “intuition : un scénario endémique guette la planète” ».D’une manière générale, les magistrats constatent que les ministres « n’ont jamais démontré s’être assurés de l’effectivité des mesures par eux prescrites ».

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Autre anomalie très française, « la complexité organisationnelle » du paysage médical. Les juges ont saisi de nombreux documents attestant la désorganisation et la cacophonie ambiantes. Ainsi, l’ajout de nouvelles structures de conseils – le conseil scientifique, le comité citoyen sur les vaccins, etc. – « peut légitimement étonner », relève la Cour de justice de la République, avant de « s’interroger sur la constitution d’un nouveau conseil scientifique [décidée par Emmanuel Macron]en présence de compétences préexistantes au sein des agences sanitaires ». Car tout se décide à l’Elysée. A défaut du chef de l’Etat lui-même – le grand absent de cette procédure –, les juges auraient bien voulu interroger ses conseillers. Mais, regrettent-ils, la conseillère santé, Marie Fontanel, a « refusé de répondre à la quasi-totalité des questions qui lui ont été posées ». Sa successeure, Anne-Marie Armanteras, a également refusé « de s’exprimer sur son rôle ».

Les magistrats ont tout de même fait de curieuses découvertes, au fil de leur enquête. Ainsi, un jour avant son audition, le 30 juin 2020, par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la gestion du Covid-19, Agnès Buzyn échange-t-elle avec le président de la mission, Julien Borowczyk, député La République en marche (LRM) de la Loire. « Tu veux que je t’envoie par mail mon travail s’agissant des auditions ? », s’enquiert-il. « Oui, ce serait utile », répond Agnès Buzyn. « Tu n’hésites pas à me dire ce que tu veux modifier », répond le parlementaire, censé l’interroger le lendemain.

S’agissant des questions, « j’ai carte blanche pour les répartir demain, écrit M. Borowczyk. Ci-joint la note des administrateurs. (…) Cette note est confidentielle, car dans les mains de Ciotti [le rapporteur de la mission d’enquête] officiellement. Ça te donne une bonne orientation sur les questions à venir ». Et les juges de pointer : « Tout ceci sans qu’apparemment l’ancienne ministre ne s’en offusque… » Avant d’être interrogée, cette fois par le Sénat, en septembre 2020, Agnès Buzyn récidivera, envoyant même ce message au sénateur (LRM) des Yvelynes, Martin Lévrier : « Voici quelques questions que tu pourrais me poser demain… » Les magistrats s’indignent : « Tous les acteurs de la gestion de la crise se sont largement concertés avant les auditions. »

C’est qu’à cette époque les rapports défavorables s’accumulent. Outre les deux enquêtes parlementaires très critiques, le général Richard Lizurey, mandaté en mars 2020 par Matignon pour effectuer un audit, rend, début juillet, de sévères conclusions. Le 13 octobre 2020, c’est au tour du professeur Didier Pittet, infectiologue et épidémiologiste suisse chargé d’une mission d’évaluation de la gestion de la crise, de remettre sa copie. Quarante pages au vitriol, dont les juges ne manquent pas de rappeler les conclusions : « La diffusion de l’épidémie n’a pas été correctement appréciée au cours des deux premiers mois de 2020et le niveau de préparation s’est révélé insuffisant. »

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Tout montre que ces documents ont été superbement ignorés. « Je n’ai lu aucun des rapports sortis après la crise », assume, par exemple, Agnès Buzyn, qui, si elle a quitté le gouvernement le 16 février 2020, a toujours assuré s’être préoccupée ensuite de l’évolution du virus.

« A ce jour, conclut la CJR, aucun document ne permet de déterminer si les recommandations préconisées par la commission Pittet pour remédier aux défaillances constatées dans la gestion de la crise ont été observées par les autorités publiques françaises. » Un constat assez inquiétant.

« Les pseudo-interrogations de M. Philippe »

Au terme de leur enquête, au moment d’évaluer l’éventuelle responsabilité pénale de l’ancienne ministre de la santé, les magistrats le rappellent : « Il n’a jamais été reproché à Mme Buzyn une abstention totale dans l’action, mais des manquements graves dans la préparation d’une réponse efficace à une crise sanitaire. » Les arguments invoqués par elle à propos du stock de masques – « ce n’est pas du niveau d’un ministre »«ça ne remonte pas à la ministre » … – n’ont pas convaincu les magistrats. « Mme Buzyn n’a eu de cesse de restreindre le champ de ses obligations », estime la CJR, pour qui, « contrairement à ce qu’affirme Mme Buzyn, il incombait à l’Etat de procéder à la commande de masques ».

Des manquements, certes, mais un délit est-il pour autant constitué ? La question se pose également pour Edouard Philippe. Les juges évoluent en terrain miné, ils n’ignorent pas que le mettre en examen et, a fortiori, le renvoyer ensuite en procès pourrait porter un coup à ses ambitions présidentielles.

Peu amènes avec l’ancien premier ministre, qui le leur a bien rendu, les enquêteurs notent son exaspération d’avoir à répondre de ses actes. Les magistrats déplorent, en outre, que l’ancien locataire de Matignon n’ait pas, lui non plus, « lu les nombreux rapports annonçant une crise sanitaire », ou encore qu’il ne connaisse « que vaguement Santé publique France ».

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Pendant la crise, ajoutent-ils, « il paraît ignorer le caractère exponentiel des contaminations », ferme trop tard les frontières, et son discours « ne tend qu’à minimiser le risque de transformation de l’épidémie en pandémie ». Et, pourtant, rappellent les enquêteurs, les « alertes ont été nombreuses. Elles ont été soit ignorées, volontairement ou non, soit négligées, alors que le risque nécessitait de réagir vite ». Selon eux, Edouard Philippe « renvoie la responsabilité non à l’organisation qu’il a mise en place, mais à ceux qui y travaillent ». En clair, il se défausse sur ses subordonnés.

« Les pseudo-interrogations de M. Philippe balayent les affirmations des scientifiques dont il affirme avoir suivi les consignes », fustigent encore les juges. « Il a tardé, même s’il le conteste, à prendre l’exacte mesure de la crise », assènentils, lui reprochant un « défaut d’anticipation, de préparation, une insuffisance ». « M.Philippe, ajoutent-ils,comme une forme d’excuse, insiste sur le fait qu’il était surtout absorbé par la réforme des retraites et en campagne électorale [au Havre, en Seine-Maritime] ». Et puis, bien sûr, il y a cette pénurie de masques, qu’il réfute.

Les explications d’Edouard Philippe n’ont pas davantage convaincu la CJR que celles d’Agnès Buzyn. L’arrêt souligne que, le 6 mars 2020, le directeur de cabinet du premier ministre, Benoît Ribadeau-Dumas, note lors d’une réunion :« Masques : on n’en aura pas assez. » Conclusion : « A la date du 6 mars 2020, M. Philippe savait nécessairement qu’aucun stock n’était disponible. » Les juges se désolent que le président d’Horizons ait recouru devant eux à une« esquive » afin de « ne pas se prononcer sur l’état de pénurie des stocks stratégiques ». Mais, concluent-ils, et c’est essentiel sur le plan juridique, « la responsabilité de la constitution des stocks incombe (…) à la ministre en charge de la santé et non au premier ministre ». Si un délit a été commis, c’est donc vers l’Avenue de Ségur plutôt que vers la Rue de Varenne qu’il faut se tourner…

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Le cas d’Olivier Véran est beaucoup plus vite expédié, les juges lui faisant finalement peu de griefs. Il est vrai qu’il a débarqué au ministère de la santé alors que la crise avait déjà commencé. Contrairement aux deux autres mis en cause, avancent par ailleurs les magistrats, « seul M. Véran esquisse un aveu d’impréparation dont il ne saurait, au demeurant, être déclaré comptable, au regard de la date de prise de ses fonctions ». Mais les magistrats notent tout de même à son sujet qu’il a « adopté une présentation fallacieuse des capacités françaises de tests ».

Les juges relèvent un point commun dans la défense du trio : « La capacité des femmes et hommes politiques à s’excuser, en comparaison des pays voisins, a donné lieu à des interrogations. » Ils reprochent aux anciens ministres de n’avoir « jamais reconnu la moindre erreur » ni marqué la moindre marque d’empathie envers les 170 000 victimes françaises du virus en général, et les plaignants en particulier…

« Il n’est pas établi qu’il ait eu la volonté de ne pas agir »

Les responsabilités de chaque ministre étant ainsi établies, fallait-il les renvoyer devant la juridiction de jugement de la Cour de justice de la République ? Les magistrats savent le piège qui leur est tendu : « Recenser les décisions prises ou non prises peut être confondu avec l’appréciation d’une responsabilité politique. »

Alors, jusqu’au bout, ils ont cherché sur quels fondements juridiques ils pourraient poursuivre les ministres. Dans leur arrêt, ils décrivent leur mission en ces termes : « L’existence de manquements susceptibles de caractériser une infraction pénale à l’encontre des ministres concernés peut être envisagée s’il est établi que n’ont pas été données les instructions appropriées permettant d’anticiper une crise sanitaire due à un virus et s’il est survenu un retard dans la mise en place des instruments de lutte. » En réalité, les textes de loi sont flous.

Les magistrats ont néanmoins exhumé un article du code de la défense qui énonce ceci : « Le ministre de la santé est responsable de l’organisation et de la préparation du système de santé et des moyens sanitaires nécessaires à la connaissance des menaces graves, à leur prévention. » S’il revenait à Agnès Buzyn de s’assurer de l’efficacité du dispositif, sa responsabilité pénale peut donc être envisagée. De fait, elle sera mise en examen pour « mise en danger d’autrui », le 10 septembre 2021« Il n’est pas établi qu’elle ait pris rapidement et systématiquement toutes les mesures adéquates », écrivent les juges, sans compter « l’existence de propos susceptibles de désorienter l’opinion et une présentation parfois inexacte des faits ».

Mais cette poursuite a été annulée par la Cour de cassation, le 20 janvier 2023. Selon la juridiction suprême, le texte sur lequel s’est appuyée la Cour de justice de la République fonde « une obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable ». Condition qui n’aurait donc pas été réunie en l’espèce. Pour ce qui est de « l’abstention volontaire de combattre un sinistre », autre délit visé par l’enquête, la CJR a bien relevé « un certain nombre d’imprévisions, d’insuffisances, de défauts d’organisation », mais, là encore, ce n’est pas suffisant pour justifier des poursuites pénales. Même si « l’action de Mme Buzyn n’a été que partielle ou insuffisante (…), il n’est pas établi que cette abstention ait été délibérée ». Donc, non-lieu pour elle.

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Concernant Edouard Philippe, il «apparaît que les autorités et le premier ministre ont méconnu le risque d’atteinte à l’ordre public et se sont contentés de traiter un risque sanitaire considéré comme banal ». Il est retenu une certaine « naïveté » à son encontre, les juges lui reprochant aussi . Cela étant, malgré « une prise de conscience tardive, des erreurs organisationnelles ou des manquements, voire des abstentions, alors que le premier ministre avait connaissance d’un risque, il n’est pas établi qu’il ait eu la volonté de ne pas agir », concluent les juges. Là aussi, non-lieu. « Quel qu’ait pu être l’impact de la gestion de la crise sur la population en général », ne manquent pas d’ajouter les magistrats.

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Logiquement, Olivier Véran, en dépit de ses « approximations » et autres « contradictions », est, lui aussi, mis hors de cause : « Force est d’admettre que des propos inexacts, incomplets ou fallacieux ne sauraient constituer à eux seuls une infraction pénale », conviennent, comme à regret, les magistrats.

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Les juges ont tranché : certes, l’Etat a fauté, et les trois anciens ministres ont cumulé les erreurs. Mais rien de répréhensible sur le plan pénal, en l’état actuel du droit. Reste qu’au fil des 1 482 pages de leur arrêt de non-lieu les magistrats auront dressé un sombre tableau de la riposte française par temps de pandémie. Sans doute espèrent-ils que ce document soit lu par les décideurs, contrairement à tous les rapports et documents produits par les parlementaires, hauts fonctionnaires et autres scientifiques, avant ou après le Covid-19. Et cela en prévision de la prochaine crise sanitaire, jugée inéluctable par tous les experts…

Crise sanitaire : les avocats des ex-ministres mis en cause, sollicités par « Le Monde », n’ont pas souhaité réagir au jugement de la CJR

Sollicités par Le Monde, les avocats des ex-ministres mis en cause par l’enquête des juges puis ayant bénéficié d’un non-lieu n’ont pas souhaité réagir aux conclusions – parfois cinglantes – des juges reprises dans Le Monde. Devant la Cour de justice de la République, Edouard Philippe, Agnès Buzyn et Olivier Véran avaient protesté de leur innocence, souvent en termes vifs. Tous trois étaient formels, aucune faute ne saurait leur être imputée. Ils considéraient, au contraire, avoir géré au mieux la pandémie de Covid-19. « Ce qui m’est reproché est kafkaïen, je suis la ministre en Europe qui a été la première à voir la crise », a ainsi déclaré Agnès Buzyn. Sur la question-clé des masques, Edouard Philippe l’a assuré : « Jamais nous n’avons menti sur le stock existant. » L’ancien premier ministre assumait, par ailleurs, avoir dit « aux Français que le port du masque en population générale était inutile », car il se fondait sur la base des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.Le Monde a décidé de proposer l’accès à l’intégralité des près de 1 500 pages de l’arrêt de non-lieu rendu par la Cour de justice de la République dans l’affaire de la gestion du Covid-19 par le gouvernement. La procédure étant terminée, ce document de portée historique et d’intérêt public évident n’est plus couvert par le secret de l’instruction. L’arrêt est accessible à cette adresse – le fichier étant volumineux, le temps de téléchargement peut être important. Gérard DavetFabrice Lhomme

Les élections municipales de 2020, un « passage en force » à hauts risques

La Cour de justice de la République estime que le pouvoir, obsédé par ce scrutin crucial pour un parti présidentiel alors en mal d’élus locaux, aurait privilégié cette échéance électorale au détriment de la sécurité sanitaire. 

Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme

Publié le 16 octobre 2025 à 06h30, modifié le 16 octobre 2025 à 13h05

https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/10/16/les-elections-municipales-de-2020-un-passage-en-force-a-hauts-risques_6647095_823448.html

Des assesseurs équipés de masques et de gants, à l’occasion du second tour des élections municipales à Paris, le 26 juin 2020.
Des assesseurs équipés de masques et de gants, à l’occasion du second tour des élections municipales à Paris, le 26 juin 2020.  BERTRAND GUAY/AFP

Pour lutter contre une pandémie, tout est affaire de « timing ». Or, début 2020, au moment d’être confrontées au Covid-19, les autorités françaises ont agi en permanence à contretemps. Notamment à l’occasion des élections municipales. Et pourtant… Le 1er juillet 2019, six mois avant l’irruption du virus en Chine, le premier ministre, Edouard Philippe, avait rédigé une circulaire faisant de la cellule interministérielle de crise la structure de commandement à déclencher, sous son autorité, en cas de péril sanitaire. Or, la cellule ne fut mise en place que le 17 mars 2020, donc bien tardivement, d’après la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR). Dans son arrêt de non-lieu rendu le 7 juillet, celle-ci s’interroge : « Pourquoi ne pas y avoir recouru dès le début de la crise ? »

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En réalité, les magistrats pensent avoir la réponse à cette question : « Seule la volonté de maintenir le premier tour des élections municipales du 15 mars 2020 a justifié cette mise en œuvre tardive. » Le pouvoir, obsédé par ce scrutin crucial pour un parti présidentiel en mal d’élus locaux, aurait privilégié cette échéance électorale, au détriment de la sécurité sanitaire.

Les juges ont pourtant exhumé une note du ministère de l’intérieur du 26 février 2020 évoquant un « report » du premier tour, et ce, en raison du confinement probable « de la totalité des électeurs », car il était acquis, à ce moment-là, que « l’épidémie se poursuivrait ». De fait, fin février, l’Espagne et l’Italie s’apprêtaient à claquemurer leurs populations. En France, il faudra attendre le 17 mars, le surlendemain du premier tour. Cette note « rend inopérant tout argumentaire tendant à soutenir que la conscience de la gravité de l’épidémie n’était alors pas acquise », poursuit la CJR.

« Des contaminations lors du vote »

Ce n’est pas tout : à partir du 4 mars, les réunions de plus de 100 personnes sont progressivement interdites, « sans que le processus électoral s’arrête », s’étonnent les juges. Le 11 mars, lorsque la pandémie est décrétée par l’Organisation mondiale de la santé, la France compte déjà 2 876 cas et 61 décès. Agnès Buzyn, qui a quitté son poste de ministre de la santé mi-février pour postuler à la Mairie de Paris, ne cesse de sensibiliser Emmanuel Macron et Edouard Philippe sur l’imminence du danger. « Je continue de vous demander de tout arrêter… », écrit-elle au président, le 13 mars. Une énième alerte « qui ne l’empêche pas de poursuivre sa campagne », notent les juges.

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Le premier tour a bien eu lieu, le 15 mars, mais à quel prix, en l’absence de masques et de tests ? Et avec, évidemment, une abstention record (55,34 %). La CJR va jusqu’à mettre en doute « la sincérité d’un scrutin organisé dans un tel contexte » et pose à nouveau une question embarrassante : « Comment ne pas s’interroger sur ce passage en force, alors que l’on savait pertinemment que le second tour ne pourrait se tenir ? »

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Les études scientifiques répertoriées par la Cour de justice de la République révèlent que les communes où le taux de participation a été le plus élevé, le 15 mars, ont connu une surmortalité nettement plus haute chez les plus de 60 ans dans les semaines suivantes. Le chiffre de 4 000 hospitalisations supplémentaires est même avancé. Le professeur d’immunologie Jean-François Delfraissy, ex-patron du conseil scientifique, l’a d’ailleurs admis sur procès-verbal : « Je pense qu’il y a eu des contaminations lors du vote. »

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Décrété dans la foulée, le confinement aurait, lui aussi, été trop tardif. La CJR s’appuie, notamment, sur une étude de l’Institut spécialisé dans la recherche médicale établissant que, s’il avait été mis en place une semaine plus tôt, soit en même temps qu’en Italie, cela aurait « permis d’éviter 20 000 décès ». Conclusion des juges : « Maintenir [le premier tour des élections municipales] dans ce contexte d’explosion de l’épidémie n’a pu que faire courir un risque supplémentaire à la population. »

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Gérard Davet et  Fabrice Lhomme

Un dispositif sanitaire sous-financé et mal préparé

Les enquêteurs de la Cour de justice de la République sur la gestion politique de la pandémie de Covid-19 ont découvert qu’il existait un fonds dédié aux crises sanitaires depuis 2004, mais qu’il n’avait jamais été abondé. 

Par Gérard Davet et Fabrice LhommePublié le 16 octobre 2025 à 06h00

https://www.lemonde.fr/sante/article/2025/10/16/un-dispositif-sanitaire-sous-finance-et-mal-prepare_6647087_1651302.html

Une réserve stratégique de masques chirurgicaux, dans un hangar militaire, à Marolles (Marne), le 4 novembre 2020.
Une réserve stratégique de masques chirurgicaux, dans un hangar militaire, à Marolles (Marne), le 4 novembre 2020.  FRANCOIS NASCIMBENI/AFP

Et si tout n’était qu’une question de finances… Au cours de leur enquête sur la gestion de la crise due au Covid-19, les juges de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) ont découvert qu’il existait, depuis 2004, un fonds ministériel de gestion des crises sanitaires. Ils se sont informés, évidemment, auprès du ministère de la santé. A-t-il recouru à cet outil pour acquérir en urgence les matériels manquants ? Réponse déconcertante de la direction générale de la santé : « Aucune somme n’est venue abonder ce fonds. » Dans leur arrêt de non-lieu rendu le 7 juillet, les magistrats s’étonnent : « Entre 2017 et 2024, et même depuis vingt ans, non seulement le fonds est demeuré totalement virtuel, mais aucun autre financement n’a été prévu pour remédier aux dépenses engendrées par les crises à venir. »

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Visant l’exécutif en place début 2020, ils notent : « Plutôt que d’évoquer l’éventuelle tardiveté de la réaction des instances internationales », boucs émissaires un peu trop commodément désignés, « il eût été sans doute préférable de s’interroger sur le caractère opérationnel du dispositif français ». La CJR pointe en particulier la responsabilité de Jérôme Salomon, patron de la direction générale de la santé de 2018 à 2023 : « Aucun des documents versés au dossier ne comporte une demande de sa part en termes d’allocations de moyens ou d’effectifs supplémentaires. »

Avertissements restés sans suite

A en croire les enquêteurs, l’impréparation du dispositif sanitaire serait donc, au moins pour partie, due à un manque de moyens. Ils soulignent encore que le 24 avril 2019, donc bien avant le début de la crise liée au Covid-19, l’Association internationale des instituts nationaux de santé publique avait rendu un rapport alarmiste sur les finances de Santé publique France (SPF), chargé de chapeauter le dispositif français. Une réduction de personnel « d’environ 20 % limite la capacité de l’agence pour faire face à des urgences ». Conclusion des magistrats : « La situation de SPF était donc jugée sinon critique, du moins tendue. »

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Au total, ils ont exhumé pas moins de 51 rapports publiés ces vingt dernières années, qui, tous, soulevaient les difficultés auxquelles le pays devrait face en cas de pandémie et comment y remédier. « Le nombre de ces travaux ne pouvait qu’inquiéter », assure la CJR. Pourtant, ces avertissements répétés sont restés sans suite… Une indifférence coupable, « que d’aucuns ont qualifiée de crise organisationnelle » et même de « scandale politique », précisent les juges.

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Gérard Davet et  Fabrice Lhomme

Voir aussi:

prononce un non-lieu pour Édouard Philippe et deux ex-ministres

La Croix (avec AFP)

Modifié le 7 juillet 2025 à 15h32Lecture : 3 min https://www.la-croix.com/politique/gestion-de-covid-la-justice-prononce-un-non-lieu-pour-edouard-philippe-et-deux-ex-ministres-20250707

La Cour de justice de la République a prononcé, lundi 7 juillet 2025, un non-lieu à l’encontre d’Édouard Philippe, Olivier Véran et Agnès Buzyn pour des plaintes concernant leur gestion de la crise sanitaire. (Photo Édouard Philippe et Olivier Véran lors d’une conférence de presse sur l’épidémie, en mai 2020)
La Cour de justice de la République a prononcé, lundi 7 juillet 2025, un non-lieu à l’encontre d’Édouard Philippe, Olivier Véran et Agnès Buzyn pour des plaintes concernant leur gestion de la crise sanitaire. (Photo Édouard Philippe et Olivier Véran lors d’une conférence de presse sur l’épidémie, en mai 2020)  CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/POOL / EPA

Un non-lieu a été prononcé par la Cour de justice de la République lundi 7 juillet à l’encontre de l’ex-premier ministre Édouard Philippe et des anciens ministres de la santé Olivier Véran et Agnès Buzyn. Ils étaient visés par des plaintes dénonçant une mauvaise anticipation de la crise par le gouvernement.

Cinq ans après le début des investigations menées à la Cour de justice de la République sur la gestion du Covid-19, trois ex-membres du gouvernement, dont Édouard Philippe, ont bénéficié lundi 7 juillet d’un non-lieu.

« La commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) a rendu une décision de non-lieu », conformément au « réquisitoire définitif du ministère public en date du 20 mai », a annoncé Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, dans un bref communiqué, sans détailler les motivations des magistrats.

Le non-lieu requis en mai en faveur de l’ancien premier ministre (mai 2017-juillet 2020), de l’ex-ministre de la santé Agnès Buzyn (mai 2017-février 2020) et de son successeur Olivier Véran (février 2020-mai 2022), éloignait la perspective d’un procès, même s’il revenait à la commission d’instruction de la CJR de trancher. « C’était attendu », a simplement réagi Agnès Buzyn. De leur côté, les avocats des responsables politiques n’ont pas souhaité s’exprimer ou n’ont pas répondu.

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La CJR est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement – premiers ministres, ministres et secrétaires d’État – pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.https://app.mycountrytalks.org/talks/3404d27f-03d2-48bf-8bb8-5ec48b797bff/join

L’information judiciaire avait été ouverte en juillet 2020 pour mise en danger de la vie d’autrui et abstention volontaire de combattre un sinistre, à la suite d’une série de plaintes (médecins, patients, syndicats…) dénonçant une mauvaise anticipation du gouvernement ou des mesures tardives.

Selon Santé publique France, 168 000 personnes sont décédées du Covid-19 entre 2020 et septembre 2023, date à laquelle l’Organisation mondiale de la santé a mis fin à l’urgence sanitaire mondiale.

Les réquisitions étaient elles-mêmes prévisibles : les trois politiques n’étaient pas mis en examen, mais placés sous le statut, plus favorable, de témoin assisté. Agnès Buzyn avait vu sa mise en examen pour mise en danger de la vie d’autrui, prononcée en septembre 2021, annulée par la Cour de cassation en janvier 2023.

« Nombreuses initiatives »

Rémy Heitz, qui exerce les fonctions de ministère public à la CJR, avait expliqué en mai que les investigations avaient établi que « de nombreuses initiatives (avaient) été prises par le gouvernement pour combattre la pandémie de Covid-19, faisant obstacle à ce que l’infraction d’abstention volontaire de combattre un sinistre soit constituée à l’encontre d’Édouard Philippe et d’Olivier Véran ».

Concernant Agnès Buzyn, le parquet général avait relevé qu’elle avait quitté ses fonctions le 16 février 2020, « date à laquelle aucun sinistre au sens du Code pénal n’était encore caractérisé » en France, le premier décès d’un malade contaminé étant « intervenu le 25 février 2020 ».

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D’après les réquisitions du parquet général si les mesures prises « n’ont pas été suffisantes pour éviter des drames qui ont endeuillé de nombreuses familles », le Code pénal « ne vise pas à réprimer une politique publique qui n’aurait pas atteint entièrement son objectif »« mais des individus qui volontairement ont refusé de prendre toute mesure de nature à combattre un sinistre ».

« Tel n’est pas le cas d’Édouard Philippe et d’Olivier Véran, qui, chacun a leur niveau ont combattu l’épidémie dès son émergence en France ».

« Excessive centralisation »

« Il n’appartient pas au juge pénal de porter un jugement sur la pertinence » des choix faits, issus parfois d’« arbitrages entre des objectifs d’intérêt général opposés » et dans un contexte « de connaissances scientifiques en constante évolution », avait estimé le parquet général.

Si les masques ont en particulier manqué aux soignants du milieu libéral en mars 2020, cela résultait d’un « choix » gouvernemental de « prioriser les services hospitaliers » et non une « abstention d’agir »Le confinement, jugé trop tardif par des plaignants, est aussi un « choix politique » pour « arbitrer entre différents objectifs » « la santé publique, la liberté d’aller et venir, de travailler »

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Cette analyse semble diverger avec le travail réalisé par les magistrats de la commission d’instruction qui, même s’ils ont décidé d’un non-lieu, ont souligné « l’excessive centralisation »« la trop grande complexité des dispositifs administratifs » ou encore « le dimensionnement insuffisant de Santé publique France », avait relevé le parquet général en mai.

Ce dossier nourrira l’information judiciaire ouverte contre X, au pôle santé publique du tribunal de Paris, pour mise en danger de la vie d’autrui, homicides et blessures involontaires.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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