Entre pressions et suppression : les ZFE sur une voie de garage ?
Critiquées, amoindries, menacées de disparition mais toujours en vigueur, les ZFE représentent l’une des rares issues de secours efficaces pour faire face aux enjeux de qualité de l’air en ville. Un nouveau casse-tête à venir pour le futur gouvernement.
Transport | 10.10.2025 https://www.actu-environnement.com/ae/news/supression-ZFE-complications-judiciaires-46906.php4

© HJBCLes panneaux indicateurs de l’entrée en ZFE devront-ils être démontés ?
ZFE or not ZFE ? La question reste décidemment en suspens, en l’absence de certitude quant à l’avenir de l’actuelle Assemblée nationale et du futur gouvernement. Objet de fortes crispations, notamment à droite et à l’extrême droite, le dispositif avait été supprimé par les députés de la commission chargée du projet de loi de simplification de la vie économique, le 26 mars dernier, via un amendement. Une commission mixte paritaire devait débattre du texte dans les jours à venir, mais elle ne se réunira peut-être jamais. Ou pas tout de suite. Quel sera donc l’avenir de ces zones à faibles émissions, sans cesse remises en cause et remaniées depuis leur création par la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, qui concernent tout de même 25 territoires en France ?
S’il fait peu de doute que leurs adversaires reviendront très vite à la charge, Jean-Charles Kohlhaas, vice-président de la Métropole de Lyon, responsable des déplacements, de l’intermodalité et de la logistique urbaine, ne s’en préoccupe pas vraiment pour l’instant. « J’ai du mal à croire qu’on en arrive-là, ce qui serait un non-sens absolu au vu des conséquences à en attendre, explique-t-il. Car les ZFE, si imparfaites soient-elles, ont leur efficacité. »
Des impacts mesurables
Selon l’élu, cet accès règlementé aurait bel et bien un impact sur le niveau de la pollution dans la métropole, en accélérant notamment le renouvellement du parc de véhicule. Depuis 2019, en associant à ces restrictions une réduction plus générale du trafic et l’augmentation des modes de déplacements actifs ou en commun, l’agglomération a déjà vu baisser de 36 % la pollution de son atmosphère au dioxyde d’azote, majoritairement émis par le trafic routier. Après avoir travaillé sur l’ensemble des mobilités, sur tout son bassin d’emploi, l’Eurométropole de Strasbourg affiche plus ou moins le même bilan en cinq ans (40 % depuis 2020).
SI les résultats sont moins spectaculaires, on respire également mieux dans la capitale qui a vu, elle aussi, chuter de 40 % son taux d’exposition des populations au dioxyde d’azote en dix ans. Dans le même temps, le pourcentage de kilomètres parcourus par un véhicule de catégorie Crit’Air 2 est passé de 27 à 83 % et les véhicules estampillés Crit’Air E et 1 de 4 à 38 %. Chacun espère bien réussir ainsi à redescendre sous les seuils de pollution définis par la réglementation européenne : celle de 2008 d’abord, puis celle de 2024, qui revoit encore les valeurs limites à la baisse pour 2030 : 10 μg/m3 pour les particules fines (PM2,5) au lieu de 25 μg/m3, 20 μg/m3 pour les PM10 au lieu de 40 μg/m3, 20 μg/m3 pour le dioxyde d’azote au lieu de 40μg/m3, etc.
À Strasbourg, des progrès hors ZFE, mais avec de gros moyens
Avec un budget de quelque 500 millions d’euros, l’Eurométropole de Strasbourg a mis en œuvre ce qu’elle appelle sa « révolution des mobilités » entre 2020 et 2025. Via une offre de transports en commun élargie – 750 trains supplémentaires chaque semaine, des lignes de trams plus étendues, des horaires plus larges et mieux cadencés, y compris la nuit, etc. –, la collectivité a fait passer de 450 000 à 550 000 le nombre de voyages quotidiens effectués sur son réseau. Un seul abonnement couvre toute l’offre de transports. Le nombre d’abonnés a ainsi bondi de 20 %. Le transport à la demande a également été généralisé dans 25 communes de seconde couronne. Quant aux infrastructures cyclistes, elles ont été allongées d’une centaine de kilomètres et améliorées, via une enveloppe de 100 millions d’euros.
Un dispositif difficile à remplacer
Trouver des mesures alternatives pour continuer à préserver la qualité de l’air dans les métropoles ne sera pas simple. Les péages urbains installés à Londres, Milan ou Singapour sont théoriquement autorisés en France par la loi Grenelle II de 2010, mais les décrets d’application permettant leur mise en place n’ont jamais été publiés. Les zones à accès règlementé ne peuvent être mises en place que par le préfet. Le stationnement différencié testé à Lyon, en 2024, ou à Paris, se base plutôt sur le poids des véhicules et non pas sur leur type de motorisation. Quant aux demandes d’aides pour l’achat d’un véhicule propre, elles avaient précisément été stimulées chez les professionnels par la mise en place des ZFE, observe Jean-Charles Kohlhaas, et elles ont été sérieusement réduites. « Celles de la métropole seules ne suffiraient plus à avoir un effet déclencheur », estime-t-il.
Mais surtout, fait-il remarquer, « l’État français devra expliquer aux gens, en cas de suppression des ZFE, pourquoi on fait à nouveau entrer les camions les plus polluants dans ces zones, alors qu’ils sont interdits à Lyon depuis cinq ans maintenant. Il suffit de quelques-uns qui polluent autant que des centaines, voire des milliers de voitures, pour revenir rapidement très en arrière. » Les entreprises qui ont investi pour décarboner leurs flottes risquent de se sentir également flouées. « Ce sont elles qui ont le plus réagi à l’abandon des ZFE, note Alain Jund, vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg chargé des mobilités. Elles se sont dit : on s’est mis en ordre de bataille, on a fait des efforts et maintenant on nous laisse tomber… Cette situation est particulièrement injuste à leur égard. »
Un risque de judiciarisation
En parallèle, les collectivités qui ont consacré des budgets conséquents à la mise en place du dispositif pourraient être tentées d’envoyer leur facture aux services de l’État. En totalisant études, campagnes d’information et autres aides au changement de véhicules, celle de la métropole de Lyon se monterait à au moins une quinzaine de millions d’euros. Pour les seuls appuis au changement de motorisation, des filières économiques et industrielles notamment, à l’acquisition de quelque 8 000 vélos à assistance électrique et à la création d’une agence d’accompagnement, celle de l’Eurométropole de Strasbourg atteindrait de son côté 50 millions d’euros.“ Les ZFE, si imparfaites soient-elles, ont leur efficacité ”Jean-Charles Kohlhaas, vice-président de la Métropole de Lyon
« Les collectivités concernées pourraient aussi saisir la justice pour rupture d’égalité devant les charges publiques », signale l’avocate Corinne Lepage. Mais les appels aux tribunaux ne s’arrêteront certainement pas là. Jugeant cet amendement de supression sans rapport direct avec le texte de loi, le gouvernement ou des parlementaires seraient en effet en droit de demander au Conseil constitutionnel de le rejeter en tant que cavalier législatif. S’il faisait un choix contraire, l’État français pourrait s’attirer à nouveau les foudres et les amendes de la Commission européenne pour non-respect de la directive concernant la qualité de l’air. « L’addition à payer à l’Europe risque d’être salée », juge Jean-Charles Kohlhaas.
D’autres amendes à la clef
Les associations qui avaient saisi le Conseil d’État sous l’égide des Amis de la terrepour la même raison, mais qui avaient vu leur requête rejetée en mai dernier, ne se priveraient pas non plus de renouveler leur démarche. Avec plus de chance de réussite cette fois, puisque l’existence des ZFE avait été dûment prise en compte par l’institution dans les différentes mesures mises en œuvre à Lyon et à Paris, présentant « un caractère suffisamment précis et crédible ». Trois décisions de cette juridiction, en 2021, 2022 et 2023, ont déjà coûté 40 millions à l’État, donc au contribuable.
Le code de l’environnement considère par ailleurs que la pollution de l’air entre potentiellement dans le champ de la justice pénale, lorsque le principe de précaution ou d’action préventive n’a pas été respecté. « Cela pourrait faire porter la responsabilité sur les communes ou les préfets », analyse Corinne Lepage. Un renversement de situation qui aurait du mal à passer. « Depuis le début des ZFE, nous regrettons que l’État ne se mobilise pas sur ce sujet, à la fois financièrement et réglementairement. C’était à lui de prendre les mesures réglementaires, estime Alain Jund. Et de manière tout à fait incompréhensible, il n’a rien fait de ce côté-là. »
Nous sommes face au mur, renchérit Jean-Charles Kohlhaas. « Nous avons un problème de qualité de l’air et de santé publique qui coûte lui-même des centaines de millions d’euros. Or, le gouvernement et le parlement préfèreraient reculer plutôt que de trouver des solutions pour adapter le dispositif et le rendre socialement acceptable en accompagnant les gens, en mettant en place des dérogations et en se donnant du temps », estime-t-il.
Une situation de plus en plus inextricable
La question se compliquera encore avec la perspective de l’entrée en application, en 2030, de la directive européenne du 23 octobre 2024 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe qui renforce les valeurs limites à respecter, mais également les moyens de contrôle. « Le nombre des zones concernées sera ainsi bien plus important et la France risque de se retrouver très vite en infraction », prédit Corinne Lepage. Ceci d’autant plus que le droit de l’Union européenne impose une obligation de résultat : un seul dépassement suffit en effet pour constater une violation de la valeur limite.
En attendant, la pollution atmosphérique continue à faire des victimes : entre 7 000 et 40 000 enfants nouvellement atteints de maladies respiratoires selon le polluant considéré, selon Santé publique France, entre 4 000 et 78 000 nouveaux cas de maladies respiratoires, cardiovasculaires ou métaboliques chez l’adulte, près de 40 000 décès prématurés par an, etc. De l’autre côté des frontières, la question fait aussi parfois débat. Mais le 11 septembre dernier, la Cour constitutionnelle belge a, quant à elle, suspendu une ordonnance qui reportait de deux ans la mise en place d’une ZFE à Bruxelles, considérant la mesure comme un recul de la protection du droit à un environnement sain.