Réservé à une « élite médicale » (anciens chefs de clinique par exemple), le secteur 2 (Dépassements d’honoraires) s’est peu à peu élargi. Il est désormais devenu la norme pour les médecins spécialistes.

Comment le dépassement d’honoraires est devenu la norme chez les spécialistes

Quentin Haroche | 02 Octobre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/comment-dépassement-dhonoraires-devenu-norme-chez-2025a1000qh8?ecd=wnl_all_251012_jim_top-jim_

Selon un rapport de l’Assurance Maladie, les dépassements d’honoraires sont en augmentation constante depuis plusieurs années.

En 1980, le secteur 2 était créé pour assurer aux médecins libéraux une zone de liberté tarifaire sans augmenter les dépenses de l’Assurance Maladie. Longtemps réservé à une « élite médicale » (anciens chefs de clinique par exemple), le secteur 2 s’est peu à peu élargi. Il est désormais devenu la norme pour les médecins spécialistes, comme le révèle le dernier rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) publié ce jeudi

En 2024, le montant total des dépassements d’honoraires est de 4,5 milliards d’euros, dont 4,3 milliards pour les seuls médecins spécialistes. Depuis 2019, ce montant augmente de 5 % par an en valeur réelle, soit bien plus vite que dans les années 2010 (+ 2,7 % par an).

Les dépassements d’honoraires, révélateurs de tarifs opposables trop faibles ? 

Le HCAAM explique cette augmentation par deux phénomènes. Tout d’abord, de plus en de praticiens sont en secteur 2 : 56 % des spécialistes bénéficient désormais de cette liberté tarifaire relative, contre seulement 37 % en 2000. Ce sont d’ailleurs désormais les trois quarts des spécialistes nouvellement installés qui choisissent le secteur 2, contre seulement 64 % en 2017. « Cette dynamique d’installation des jeunes médecins continuera, à politique inchangée, à alimenter l’accélération de la croissance des montants des dépassements d’honoraires dans les années à venir » conclut logiquement le HCAAM. En second lieu, parmi les médecins en secteur 2, qui, en majorité, adhèrent pourtant au dispositif d’OPTAM censé limité le niveau des tarifs, le taux de dépassement est en augmentation, alors qu’il avait diminué dans les années 2010.

Les dépassements d’honoraires représentent une part toujours plus importante du revenu des spécialistes, jusqu’à un tiers du chiffre d’affaires dans certaines spécialités. Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, ce sont justement dans les spécialités aux revenus les plus faibles, comme les psychiatres et les pédiatres que les dépassements d’honoraires sont les plus élevés en valeur relative : ils représentent ainsi 40 % du revenu des psychiatres en secteur 2. A l’opposé, les dépassements sont bien moins fréquents dans les spécialités où les tarifs opposables sont plus élevés (typiquement les radiologues et les radiothérapeutes). 

« Les dépassements sont donc en partie mobilisés pour réduire les écarts de revenus entre spécialités » commente le HCAAM qui reprend ainsi à son compte les arguments des syndicats de médecins. « Les dépassements d’honoraires sont en partie révélateurs, en creux, des limites du pilotage des tarifs opposables et des inadéquations tarifaires qui laissent s’installer des situations de sous-financement d’autres spécialités qui créent des problèmes d’attractivité » poursuit le rapport. Le HCAAM ne conteste cependant pas l’existence d’abus avec, dans chaque spécialité, environ 10 % de praticiens pratiquant des dépassements bien supérieurs à la « normale ». A titre d’exemple, 10 % des chirurgiens de secteur 2 pratiquent des dépassements de 184 % en moyenne.

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Un impact non négligeable sur l’accès aux soins

Les associations de patients (dont le représentativité est problématique) et certains responsables politiques pointent régulièrement du doigt le fait que les dépassements d’honoraires nuisent à l’accès aux soins. Le rapport du HCAAM relativise quelque peu ce problème. « Les dépassements d’honoraires représentent dans leur ensemble une part relativement modeste des dépenses de santé et du reste à charge des ménages » note ainsi les experts. Environ 40 % des dépassements d’honoraires sont ainsi pris en charge par les complémentaires santé et ils ne représentent que 14 % du reste à charge des ménages.

Les patients sont très inégalement touchés par les dépassements d’honoraires. D’un côté, près de la moitié des patients consomment des soins exclusivement à tarif opposables ; de l’autre, les dépassements d’honoraires touchent davantage les patients vivant dans des grandes villes (le montant de dépassements d’honoraires par patient est 4 fois plus élevé à Paris qu’en moyenne nationale), les personnes âgées (les 70-79 ans en paient deux fois plus que les 30-39 ans) et les patients en ALD. 

Plusieurs mécanismes permettent que ces dépassements d’honoraires épargnent en partie les revenus les plus modestes : ces derniers peuvent théoriquement jouir d’une protection par l’opposabilité des tarifs s’ils bénéficient de la complémentaire santé solidaire (C2S) et de plus les médecins à secteur 2 sont généralement concentrés dans les zones à revenu élevé. Ces mécanismes ne sont cependant pas parfaits et « les patients habitant des communes modestes se trouvent aussi exposés à des dépassements d’honoraires du fait d’une insuffisance d’offre à tarif opposable » commente le HCAAM. L’impact du secteur 2 sur l’offre de soins n’est ainsi pas négligeable : « la part des professionnels en secteur 2 est plus élevé dans les territoires des grandes métropoles, les dépassements d’honoraires contribuent donc à aggraver les inégalités territoriales dans la répartition des spécialistes ».

Une situation que certains jugent insupportable. En 2023, l’association UFC-Que-Choisir avait ainsi saisi la justice administrative pour lui demander, entre autres, d’interdire l’installation de nouveaux médecins en secteur 2. Dans une décision rendue ce mercredi, le Conseil d’Etat a logiquement débouté l’association de sa demande. « Imposer aux pouvoirs publics de modifier la politique publique relative à la lutte contre les déserts médicaux ne relève pas de l’office du juge administratif » a retenu la haute juridiction. 

Pour une fois, on ne pourra pas crier au « gouvernement des juges ».

Le rendu du Conseil d’Etat:

https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2025-10-01/489511

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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