Il était une fois la Sécurité Sociale
Quentin Haroche | 03 Octobre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/il-était-fois-sécurité-sociale-2025a1000qmc?ecd=wnl_all_251012_jim_jim-pro_etid7787186&uac=368069PV&impID=7787186&sso=true
La Sécurité Sociale, symbole de l’Etat providence à la française, fêtera ses 80 ans ce week-end.
« Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ». C’est par cette phrase, inscrite à l’article 1er de l’ordonnance du 4 octobre 1945, qu’est née, il y a 80 ans jour pour jour, la Sécurité Sociale.
Depuis, la « Sécu », comme elle est généralement surnommée, est devenue un symbole de l’Etat providence à la française et de notre modèle social très (trop ?) généreux. Au-delà de ça, on pourrait même dire que la Sécurité Sociale est devenue pour certains une fierté nationale, au même titre que la Tour Eiffel ou que notre gastronomie, un symbole d’un certain art de vivre que le Gaulois réfractaire aime opposer à un libéralisme anglo-saxon qui serait trop effréné.
Si la Sécurité Sociale est née dans la frénésie législative de l’immédiat après-guerre, sa genèse est évidemment bien plus ancienne. Dès la fin du XIXème siècle, des systèmes d’assurances publiques sont mis en place pour protéger les travailleurs des aléas de la vie (loi de 1893 sur l’assistance médicale, de 1898 sur les accidents du travail, de 1928 sur les assurances sociales…). C’est dans les années 1930 que commence à apparaitre l’idée, dans les milieux socialistes et communistes, d’un système généralisé de protection sociale.
Un héritage de la Seconde Guerre Mondiale
La Seconde Guerre Mondiale va accélérer les choses. En 1943, le Conseil National de la Résistance (CNR) adopte son fameux programme dit des « Jours heureux », qui liste les mesures à prendre à la Libération. Parmi elles, figure la mise en place d’un « plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail».
A la Libération, la Sécurité Sociale est actée par l’ordonnance du 4 octobre 1945 puis celle du 19 octobre, qui rassemble toutes les assurances publiques existantes, rend obligatoire l’affiliation des travailleurs à la Sécurité Sociale et fixe les règles régissant les relations entre les médecins et l’Assurance Maladie. Le nouveau ministre du Travail Ambroise Croizat, militant communiste et le premier directeur de la Sécurité Sociale Pierre Laroque, sympathisant gaulliste, vont alors s’atteler à la mise en place matérielle de ce nouveau système de solidarité. En moins d’un an, avec l’aide de la CGT, les deux « pères de la Sécurité Sociale » créent 123 caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et 113 caisses d’allocations familiales (CAF). Dès 1946, selon les évaluations de l’Assemblée constituante de l’époque, la Sécurité Sociale gère un tiers de la masse salariale totale.
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En huit décennies, la Sécurité Sociale a connu bien des vicissitudes et des changements d’organisation. En 1967, les ordonnances Jeanneney divisent la Sécurité Sociale en branches et mettent fin au principe d’autogestion ouvrière qui avait dominé sa création en 1945. Depuis, la Sécurité Sociale n’a cessé de s’étatiser, avec la création de la CSG et de la CRDS et la mise en place des lois de financement de la Sécurité Sociale (LFSS) depuis 1996. L’essor des assurances complémentaires a par ailleurs quelque peu érodé le principe généraliste que poursuivait à ses débuts la Sécurité Sociale. Les sommes gérées par la Sécu n’ont quant à elles jamais cessé d’augmenter jusqu’à atteindre en 2025 un budget de 666 milliards d’euros, soit 200 milliards de plus que le budget de l’Etat.
A 80 ans, la Sécurité Sociale a besoin d’un coup de jeune
Dans les prochains jours, des évènements seront organisés un peu partout en France pour fêter les 80 ans de la vieille dame, avec en point d’orgue, une cérémonie au Conseil économique social et environnemental (CESE) jeudi prochain. Un site dédié à ces célébrations a été créé et une vidéo d’anniversaire réalisée par l’Institut national de l’audiovisuel. Les branches de la Sécu ont également publié un « manifeste d’anniversaire », dans lequel elles qualifient la Sécurité Sociale de « modèle solidaire au cœur de notre pacte républicain, qui protège sans exclure, qui accompagne sans distinction, qui unit sans diviser ».
« Bon ou mauvais anniversaire ? » s’interroge dans une tribune publiée ce vendredi dans Le Monde le Dr Jean-David Zeitoun. La Sécurité Sociale traverse en effet en ce moment d’importantes difficultés. En 2025, elle affiche un déficit abyssal de 22 milliards d’euros et, compte tenu de l’instabilité politique actuelle, aucun rétablissement des comptes n’est à attendre dans les années à venir. En mai dernier, la Cour des Comptes indiquait pour la première fois dans un rapport que la Sécurité Sociale pourrait faire face prochainement à une « crise des liquidités ». En 2028, la dette de la Sécurité Sociale pourrait ainsi atteindre les 182 milliards d’euros.
Après 80 ans d’existence, sans doute la Sécurité Sociale a-t-elle besoin d’un coup de jeune, de réformes structurelles permettant d’assurer un financement pérenne et de faire face à l’explosion des couts de santé et au vieillissement de la population. Le Dr Zeitoun appelle cependant à ne pas sacrifier les grands principes de la Sécurité Sociale et le fameux « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins». « Le modèle est à la fois le plus équitable, car il couvre tout le monde, et le plus rentable, car il évite la fragmentation des dépenses et la dilution du pouvoir de négociation » plaide le gastro-entérologue. « Nous serions plus malheureux si les choses devenaient différentes. Bon anniversaire ».