Finastéride : vingt ans de retard dans la reconnaissance du risque suicidaire
Dr Isabelle Meresse | 02 Octobre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/finastéride-vingt-ans-retard-reconnaissance-du-risque-2025a1000qgw?ecd=wnl_all_251012_jim_top-jim_
Le finastéride prescrit en traitement de la calvitie augmente significativement le risque de dépression et de suicide selon plusieurs études récentes. Des signaux existent depuis plus de vingt ans soulevant des questions sur le retard de reconnaissance de ces risques.
Le finastéride, inhibiteur de la 5α-réductase d’abord approuvé aux Etats-Unis par la Food and Drug administration (FDA) en traitement des troubles urinaires associés à l’hypertrophie bénigne de la prostate (5 mg) puis en 1997 pour traiter l’alopécie androgénétique (1 mg), est l’objet depuis plusieurs années d’une surveillance renforcée. En effet, la FDA a reconnu le risque de dépression en 2011, puis de comportements suicidaires en 2022, et l’Agence européenne du médicament (EMA) a admis en 2025 que le finastéride peut causer des suicides. Cependant, il semble que ces reconnaissances sont bien tardives.
Des signaux d’alarme ignorés pendant deux décennies
Une revue de la littérature historique, publiée dans The Journal of Clinical Psychiatry, propose de revenir sur des signaux d’alarme ignorés pendant deux décennies, en se concentrant sur son utilisation en dermatologie.
Dès 2002, des cas de dépression liés au finastéride ont été rapportés. En 2006, une étude prospective sur 128 patients montrait déjà une augmentation significative des scores dépressifs. Pourtant, il aura fallu plus de vingt ans pour une reconnaissance officielle.
Au total, 8 études indépendantes publiées au cours de la dernière décennie concluent toutes que le finastéride peut causer dépression, anxiété, idées suicidaires et passage à l’acte suicidaire. La probabilité d’obtenir par hasard 8 résultats concordants est de seulement 0,39 %. Ces études montrent une augmentation relative du risque de dépression d’environ 57 %.
Le mécanisme biologique de ces effets est aujourd’hui établi : en inhibant la 5α-réductase, le finastéride réduit la synthèse de neurostéroïdes régulateurs de l’humeur, notamment l’allopregnanolone, contribuant aux effets neuropsychiatriques parfois persistants après l’arrêt.
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Un sous-signalement massif
L’ampleur du sous-signalement interroge également. En se basant sur les taux de suicide dans la population générale et les 4,6 millions d’utilisateurs mondiaux de finastéride, l’écart entre les cas attendus et ceux effectivement rapportés est substantiel : entre 6 440 et 12 880 suicides étaient statistiquement prévisibles sur une période de 10 à 20 ans, mais seulement 18 avaient été signalés en 2011. En 2024, après 30 ans de commercialisation, seuls 320 suicides liés au finastéride ont été rapportés alors que 19 320 étaient attendus selon les données épidémiologiques. Pour les idées suicidaires, le décalage est encore plus marqué : 414 000 cas théoriquement prévisibles contre seulement 31 rapportés en 2011 et 1 062 en 2024.
Les causes de ce sous-signalement sont probablement multiples : impossibilité pour les victimes de suicide de signaler l’effet secondaire, méconnaissance familiale de l’usage du médicament, et ignorance du lien potentiel par les patients et les médecins.
Responsabilités partagées
Selon l’auteur, le retard dans la prise en considération du risque résulte de défaillances multiples. Merck n’aurait réalisé aucune des études analytiques nécessaires. Il considère également que la FDA porte sa part de responsabilité, ayant mis cinq ans pour répondre à une pétition de 2017 demandant le retrait du finastéride. Selon lui, l’agence aurait dû imposer des études dès 2010.
D’après son analyse, l’impact potentiel est considérable : l’exposition de 4 millions de personnes sur 20 ans pourrait avoir été à l’origine de centaines de milliers de cas de troubles de l’humeur et des centaines voire des milliers de décès par suicide.
Il faut noter que les données des études concernant les effets neuropsychiatriques du finastéride dans l’hyperplasie bénigne de la prostate (HBP) restent contradictoires. Contrairement à l’indication en alopécie androgénétique où les risques dépressifs et suicidaires sont mieux établis, l’usage du finastéride à 5 mg chez les hommes âgés traités pour HBP montre des résultats divergents : certaines études rapportent des effets délétères sur l’humeur, d’autres n’en trouvent pas. Cette hétérogénéité des preuves scientifiques a probablement compliqué l’évaluation par les agences réglementaires et retardé d’éventuelles mesures de précaution spécifiques à cette indication.
Quelles implications pour l’avenir ?
L’auteur avance que, eu égard au principe de précaution, la commercialisation du finastéride pour l’alopécie devrait être suspendue jusqu’à de nouvelles preuves de sécurité ou le développement d’une molécule ne traversant pas la barrière hémato-encéphalique.
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Les coûts sociétaux sont potentiellement importants : 24 000 dollars par patient/an pour la dépression. Une augmentation de 50 % du taux de dépression chez les utilisateurs pourrait coûter 4,8 milliards de dollars annuels au niveau mondial, dépassant les profits industriels.
Ce cas illustre la nécessité d’une pharmacovigilance post-commercialisation plus proactive, particulièrement pour les médicaments à visée « esthétique » où le rapport bénéfice/risque doit être constamment réévalué. Les autorités doivent exiger des fabricants des études de surveillance continues avec application rigoureuse, et systématiser l’enregistrement des antécédents médicamenteux lors de suicide.
Le finastéride (1 mg et 5 mg) a été officiellement reconnu par le PRAC (comité de pharmacovigilance de l’EMA) comme présentant un risque d’idées suicidaires parmi ses effets indésirables possibles. Cette revue et cette analyse interrogent d’autant plus le choix de l’EMA, dans une décision rendue en mai 2025, de considérer le rapport bénéfice/risque du finastéride comme favorable, y compris dans son indication cosmétologique, suscitant des réserves de la part de l’ANSM qui estime les mesures insuffisantes.
References
Brezis M. Failing Public Health Again? Analytical Review of Depression and Suicidality From Finasteride. J Clin Psychiatry. 2025 Sep 22;86(4):25nr15862. doi: 10.4088/JCP.25nr15862.